«La pire attaque contre la liberté des médias»: le rédacteur en chef de WikiLeaks s’exprime en exclusivité pour Sputnik

-Interview-

Kristinn Hrafnsson qui a succédé à Julian Assange au poste de rédacteur en chef de WikiLeaks, a parlé du rôle des lanceurs d’alerte, insistant sur leur protection dans un entretien accordé en exclusivité à Sputnik.

Sputnik: L’approche brutale adoptée contre Julian Assange est souvent qualifiée de tentative de dissuader les futurs lanceurs d’alerte. Que doit-on faire pour s’assurer que les lanceurs d’alerte potentiels soient protégés?

Kristinn Hrafnsson: Pour protéger les lanceurs d’alerte, nous devons créer une vraie loi. Les lois sur l’information qui ont été adoptées dans de nombreux pays ont généralement l’effet inverse. Cela ne protège pas les lanceurs d’alerte, ces lois disposant que vous devez consulter certaines plateformes avant de parler aux médias. Vous devrez  parler à votre patron et seulement après, monter les marches. Si vous ne vous en tenez pas strictement à cette procédure, vous risquerez des poursuites. Cela dit, il y a une compréhension et une appréciation. Les gens apprécient ce qu’Edward Snowden a fait, hormis bien sûr les autorités américaines. Je veux dire, c’était une information extrêmement importante qu’il nous apportait. Nous avons été impliqués dans WikiLeaks avec Edward Snowden parce que les médias l’ont trahi. […]. Donc, pour répondre à votre question de façon concise sur le soutien aux lanceurs d’alerte, je dirai que les lois devraient être modifiées, et que l’opinion devrait être sensibilisée à l’importance du rôle des lanceurs.

Sputnik: Voyez-vous un danger à encourager la dénonciation et la liberté de la presse pour des raisons de sécurité nationale? Ces règles et ces lois sont mises en place pour de bonnes raisons vraisemblablement?

Kristinn Hrafnsson: Bien sûr, il y a une limite, une ligne que vous ne franchissez pas. J’ai toujours dit que si quelqu’un publiait des fuites sur WikiLeaks et que j’y voyais des codes de lancement des missiles des sous-marins ou autre chose du genre, alors, bien sûr, cela ne serait pas publié. Il y a une limite. Mais le concept de «menace pour la sécurité nationale» – ce terme est tellement utilisé au sens large qu’il a perdu tout son sens.

Sputnik: Avez-vous un exemple de cela?

Kristinn Hrafnsson
Kristinn Hrafnsson © SPUTNIK . MAUD START

Kristinn Hrafnsson: La publication de 2010 (relative à la guerre d’Afghanistan), qui est à la base de l’acte d’accusation maintenant contre WikiLeaks, contre Julian Assange. Le gouvernement américain soutient depuis 10 ans que cette publication avait des conséquences terribles. J’avais le chef d’état-major à la télévision devant moi, affirmant que WikiLeaks pouvait déjà avoir du sang sur les mains. Il était en larmes, ce qui était un peu ironique, étant donné qu’il nageait dans le sang des massacres en Irak et en Afghanistan. Mais en 2013, le Pentagone a dû admettre dans le procès de Chelsea Manning que personne n’avait été blessé à la suite de la publication de 2010. […] Donc, au final, je ne suis pas trop inquiet, je ne vois pas que ce que fait WikiLeaks affecte réellement la sécurité nationale.

Sputnik: WikiLeaks est clairement un outil extrêmement puissant pour cette raison. Ne craignez-vous toutefois pas qu’il n’y ait pas assez de personnes qui prêtent vraiment attention aux informations publiées?

Kristinn Hrafnsson: Cela dépend du sujet. Je veux dire que les documents les plus importants qui ont été affichés portaient sur les crimes de guerre qui ont attiré l’attention et continueront de le faire. Même les médias traditionnels sont très désireux de travailler avec WikiLeaks quand quelque chose leur est proposé car ils aiment aussi les gros titres. Mais cela ne reflète pas la façon dont ils écrivent réellement sur WikiLeaks ou Julian Assange. S’il s’agit d’un document digne d’intérêt, il attirera l’attention.

Actions de solidarité avec Julian Assange à Londres © SPUTNIK . JUSTIN GRIFFITHS-WILLIAMS

Sputnik: À propos de Julian Assange, devrait-il être jugé en tant que journaliste?

Kristinn Hrafnsson: Les journalistes ne devraient pas être jugés pour avoir publié des informations véridiques […] et je le répète, il s’agit de la pire attaque contre la liberté des médias en Occident, depuis des décennies, voire un siècle. Si ce n’est pas contesté et que ça continue, alors nous avons vraiment vu un tel coup porté à la liberté des médias. […] Vous devez remettre en question l’essence de la démocratie, lorsque la liberté des médias est attaquée de la sorte.

Sputnik: En tant que rédacteur en chef, à la suite de Julian Assange, êtes-vous inquiet pour votre liberté, du fait que vous pourriez être visé de la même manière?

Kristinn Hrafnsson: Je suis à peu près sûr d’être ciblé d’une manière ou d’une autre, si une campagne de diffamation est décidée contre moi. Je suppose juste que cela pourrait arriver. Même dans certaines procédures judiciaires, nous savons avec certitude que deux de mes collègues et moi-même sommes soumis à une enquête du tribunal secret de Virginie. Donc, tout peut arriver, mais cela fait partie du travail. Les personnes qui s’engagent dans le journalisme s’exposent au danger. Partout dans le monde, des journalistes sont tués dans des zones de guerre […]. Nous ne pouvons donc pas nous plaindre du fait que nous pourrions avoir affaire à des conséquences négatives de notre action. Si vous croyez en certains idéaux comme je crois au journalisme, vous faites ce qui doit être fait.

Photo mise en avant : © Sputnik . Maud Start


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