Chine / (1/3) Mémoire des luttes de libération patriotique

Ce texte de Kaddour NAÏMI fait partie d’une série de trois articles publiés à l’occasion de la prochaine commémoration du 70ème anniversaire de  l’établissement de la République Populaire de Chine.

Monument symbolisant la guerre patriotique anti-impérialiste. Photo : Kaddour Naïmi

Le 4 avril 2018 passé, en Chine, était le « qīng míng », le jour annuel, traditionnel et pluri-millénaire du souvenir des morts, ceux des familles. On se rend sur leurs tombes, pour les honorer en perpétuant le cher et émouvant souvenir que l’on conserve de leur séjour sur terre.

Monument aux Martyrs de la guerre de libération nationale. Photo : Kaddour Naïmi

Cependant, en Chine, cette tradition a été enrichie par une autre. D’autres disparus sont honorés de la même manière : ce sont les morts de la nation, tués notamment durant la guerre de libération anti-impérialiste, anti-féodale et anti-capitaliste. Depuis la victoire du peuple chinois sur ces agents dominateurs-exploiteurs, en 1949, partout en Chine, les autorités ont construit des musées et des monuments pour en perpétuer la mémoire.

Dans les musées, les nationaux (ou étrangers en visite) viennent voir les preuves concrètes, d’une part, des victimes de l’impérialisme et du féodalo-capitalisme, et, d’autre part, des combattants et combattantes qui les ont affrontés et vaincus. Devant ces faits, aucune personne, chinoise ou étrangère, qui a une sensibilité aux souffrances et aux luttes d’un peuple, ne peut rester indifférent. Bien entendu, l’une de mes premières actions en arrivant en Chine fut la visite de ces musées et monuments.

Ce 4 avril, donc, j’ai passé quelques heures à voir sur CCTV1, le canal principal et officiel de la télévision chinoise, les nombreux reportages sur la commémoration de la guerre de libération populaire chinoise. Des plus grandes méga-pôles aux villages les plus isolés dans les montagnes, au sein de l’ethnie majoritaire han comme de toutes les cinquante six ethnies minoritaires du pays, les citoyennes et citoyens, les élèves des écoles primaires, des lycées et des universités, les militaires appelés ou professionnels, les intellectuels, les artistes, bref tout le peuple alla rendre hommage à ses combattants et combattantes.

En outre, ce même jour, sur le canal officiel principal de la télévision étatique, une émission de plusieurs heures fut consacrée aux combattantes et combattants tombés durant la résistance populaire armée. L’émission présentait des témoignages de leurs enfants ou petits-enfants, collègues de travail ou compagnons de lutte. Je voyais ces témoins raconter et rappeler, avec une touchante émotion,une admirable dignité et une évidente fermeté, les horribles souffrances et les héroïques combats de celles et ceux qui ont offert au peuple sa libération de l’impérialo-féodalo-capitalisme.

Puis, le témoin, homme ou femme, allait devant le portrait du ou de la martyre, présenté sur une immense photo, posait un bouquet de fleurs rouges, s’inclinait en signe du plus profond respect, enfin s’adressait à-au défunt-e en lui exprimant à haute voix tout l’amour ressenti, toute l’admiration éprouvée, et toute la dette reconnue. Le-la témoin pleurait, les spectateurs et spectatrices dans le studio pleuraient, et, dans la maison où je me trouvais avec une famille chinoise populaire, des larmes baignaient nos yeux et nos joues. L’émotion du cœur stimulait la vigilance de l’esprit, l’indignation pour les effroyables crimes commis contre le peuple renforçait la résolution de penser : « Plus jamais ça ! » Quand on n’est pas chinois, il faut savoir ce que furent concrètement les souffrances, les luttes et les sacrifices du peuple chinois pour avoir conscience de l’importance fondamentale de son sentiment patriotique. Rien du chauvinisme de « grande » puissance, aspirant à la domination du monde, tout au moins à ma connaissance et en me basant sur mes contacts personnels.

Hors de Chine, malheureusement, trop de personnes ignorent presque tout de cette guerre populaire de libération patriotique, y compris parmi les personnes censées être instruites et au courant de l’histoire de l’humanité. La cause de cette ignorance réside dans une occultation systématique de la part des moyens dits d’information. Par exemple, hors de Chine, combien savent ce que fut l’épopée nommée la « Longue Marche », sans parler des personnes qui n’en ont jamais entendu parler ?

Depuis 1949, date de création de la République populaire de Chine (« La Chine est debout ! », proclama son dirigeant principal d’alors, Mao Ze Tong), chaque année entretient vive la mémoire du combat qui a donné au peuple chinois son indépendance, vive la mémoire des immenses sacrifices consenties, vive la mémoire des méfaits de l’impérialisme et du féodalo-capitalisme, vive la vigilance. Car, au-delà des relations commerciales et diplomatiques internationales, les dirigeants du peuple chinois prennent le soin de faire savoir aux citoyens, par des émissions de télévision quotidiennes, sur des canaux thématiques, que l’impérialisme est encore présent et de plus en plus menaçant, d’autant plus qu’il est sur le déclin. Certains objecteront que c’est là une tactique gouvernementale pour cacher les causes internes des problèmes de la société chinoise. Des preuves concrètes démontrent l’infondé de cette thèse (1).

Revenons à la mémoire. Ajoutons à ce qui a déjà été mentionnéles divers canaux de la télévision officielle chinoise qui diffusent quotidiennement, – je dis bien : quotidiennement -, des documentaires, des films et des télé-films sur la guerre de libération nationale, ainsi que des témoignages de survivants combattants et combattantes, ou victimes. Là, encore, certains objecteraient : « Mais à quoi bon ?… N’est-ce pas pour stimuler un nationalisme revanchard, vu que le passé est désormais passé ? »… Là, encore, l’objection ne tient pas, car, répétons-le encore, les menaces impérialistes sont présentes pour empêcher le peuple chinois de vivre de manière digne. Il est vrai que cette légitime aspiration implique de mettre fin à une nation actuellement hégémonique qui tire sa force de sa domination économique à travers l’emploi du dollar dans le commerce international : les Etats-Unis, le pays le plus endetté de la planète, parce que vivant au-dessus de ses moyens.

On objecterait encore : « D’accord ! Mais, actuellement, le régime chinois est retourné au capitalisme tout en demeurant dictatorial ! »… Pour sa part, le gouvernement parle de « socialisme chinois », et reconnaît les problèmes sociaux ainsi que l’exigence de solutions le plus rapidement possible pour améliorer les conditions de vie des citoyens.

Néanmoins, le peuple, dans son ensemble, au-delà des problèmes sociaux, manifeste un authentique et très fort patriotisme, dans le sens le plus noble du terme. C’est que ce peuple, répétons-le encore, a tellement souffert dans le passé les horribles crimes des envahisseurs, – dont certains à classer contre l’humanité -, crimes plus humiliants encore que ceux des dominateurs intérieurs féodaux, car s’y ajoutait le racisme et son fardeau d’humiliations. Il suffit de se rappeler seulement deux faits : l’infame guerre dite de l’opium, entreprise par l’oligarchie anglaise, puis le massacre de civils à Nankin, commis par l’armée fasciste japonaise.

Parfois, dans les musées, ces crimes sont exposés même crûment, quasi insupportables à voir. Mais les décideurs ont eu raison ! Il faut voir pour croire !… Des cadavres de civils, des deux sexes, de tout âge, sont visibles dans certains musées, présentés dans la position où les victimes furent assassinées. Deux de ces cadavres m’ont particulièrement impressionné : une mère tenant son bébé. L’événement qui reste le plus cruellement dans la mémoire du peuple, c’est le massacre dans la ville de Nankin, déjà mentionné (2) : « un événement de la guerre sino-japonaise qui a eu lieu à partir de décembre 1937, après la bataille de Nankin. Pendant les six semaines que dure le massacre de Nankin, des centaines de milliers de civils et de soldats désarmés sont assassinés et entre 20.000 et 80.000 femmes et enfants sont violés par les soldats de l’armée impériale japonaise. » (3) Combien de non Chinois le savent ?

Dès lors, pour le Chinois, quelque soit sa classe sociale, une chose est certaine : la terre et le peuple de la patrie sont absolument sacrés, au sens le plus fort du terme ! Quelques soient les conflits internes au peuple, un aspect l’unit fermement : la dignité et la défense du pays, de la patrie et de son peuple. Mais, soulignons-le encore : ce patriotisme ne ressemble en rien à celui de certaines nations européennes ou des Etats-Unis, que leur passé d’ex-puissance impérialiste, pour les premières, et d’actuelle puisssance impérialiste, pour les seconds n’est pas un patriotisme dont l’origine est la somme de souffrances commises par des envahisseurs, mais un chauvinisme causé par la perte des territoires qu’ils exploitaient, notamment suite à des guerres de libération populaires victorieuses des peuples colonisés. Combien de non Chinois savent qu’au début du siècle passé, la Chine fut agressée, envahie et saccagée par une coalisation qui comprenait pas moins que les armées des oligarchies anglaise, allemande, française et italienne ? Et combien de non Chinois savent ce que fut le saccage du Palais impérial, et les vols commis pour enrichir les membres de ces oligarchies impérialistes ?

Même quand les Chinois émigrent, pour chercher un meilleur travail ou pour jouir de plus de liberté d’expression, que ces Chinois soient du peuple ordinaire ou de l’élite intellectuelle, on ne trouve généralement aucun reniement du peuple ni de la patrie d’origine, suite à la prise de nationalité d’un autre pays. Et ce n’est pas au sein du pays dont le peuple chinois a le plus cruellement souffert que, généralement, les Chinois s’exilent : le Japon, même si sa langue est la plus proche de l’idiome chinois. Jusqu’à aujourd’hui, les autorités et le peuple chinois réclament la reconnaissance officielle et entière des crimes de guerre de l’armée impériale fasciste japonaise contre le peuple chinois. Le refus d’y consentir des divers gouvernements japonais, jusqu’à aujourd’hui, ne permet pas l’établissement de relations de « bon » voisinage.

Même parmi les citoyens chinois plus ou moins critiques de la politique de leur gouvernement, très peu, en exil ou demeurant dans le pays, méprisent leur peuple, veulent « changer de peuple » ou adoptent une autre « identité » culturelle en renonçant à celle d’origine.

Tout Chinois sait, parce que les canaux télévisés le montrent chaque jour, que la Chine, dans ses efforts de développement économique et social, est contrainte d’affronter la menace concurrentielle de ses ennemis : Les États-Unis en premier lieu, et leurs alliés (ou plutôt vassaux)en intérêts économiques. Les Chinois savent que l’impitoyable concurrence économique actuelle est la première forme de guerre contre les nations et les peuples aspirant à se développer, et qu’il est vital de se libérer de la domination capitaliste hégémonique mondiale. Les autorités et le peuple chinois sont parfaitement conscients que les États impérialistes dirigés par celui hégémonique, les U.S.A., font et feront tout pour empêcher le peuple chinois d’accéder au niveau de développement auquel il aspire légitimement, parce que celui-ci signifie, automatiquement, la perte d’hégémonie mondiale détenue actuellement par le capitalisme U.S. Par conséquent, le peuple et les dirigeants chinois doivent demeurer prêt à défendre leur patrie contre les agresseurs. Dans cette perspective, les dirigeants de Chine font tout afin que le peuple  maintienne en mémoire les crimes dont furent (et demeurent encore capables) les agresseurs étrangers, sous peine de retomber dans la dépendance étrangère, par l’intermédiaire de complices autochtones. L’impressionnante et permanente ferveur patriotique des Chinois est parfaitement en concordance avec les agissements impérialistes actuels qui menacent le développement pacifique du pays (4).

Il reste à la Chine de trouver les moyens de convaincre suffisamment d’un fait : contrairement aux accusations de certains de ses adversaires, son projet de renouveau social, de concrétiser ce qui est appelé le « rêve de la Chine » vise non pas à s’ériger en nouvel impérialisme mondial, après le déclin de celui états-unien, mais à améliorer les conditions de vie de son peuple dans tous les domaines, tout en créant les conditions d’une coopération mutuellement bénéfiques avec les peuples des nations voisines les plus proches, ainsi qu’avec les peuples de la planète entière.

Kaddour NAÏMI

[email protected]


(1) « Les USA sont frénétiquement occupés à encercler la Chine avec des armes, avec une multitude de bases militaires qui vont du Japon à la Corée du Sud et aux Philippines, en passant par plusieurs petites îles proches, dans le Pacifique, et leur base élargie d’Australie. La flotte US, ses porte-avions et ses sous-marins nucléaires patrouillent à la limite des eaux chinoises. Avions de guerre, avions de surveillance, drones et satellites espions emplissent les cieux au point de créer une obscurité symbolique en plein midi. » Jack A. Smith,  « Hegemony games »  (« Jeux hégémoniques »)  USA c/PRC, Counterpunch, cité par William Blum in « Quelques pensées sur la politique étrangère américaine », 12 novembre 2016, Rapport anti-empire n° 146 du 6 novembre 2016, in Réseau international. Pour des détails, voir mon essai « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?… » librement accessible ici : http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits.html

(2) Voir http://fr.cntv.cn/special/journenationaledecommemoration/

(3) Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Nankin#cite_note-1

(4) Andrew Marshall, octogénaire, est un des auteurs du programme de « guerre spatiale » du temps du président Reagan, et, depuis 1949, il travaille au Pentagone, avec quelques interruptions. A la demande sur ce qu’il pense de l’Irak, il répond qu’il est engagé dans une chose plus sérieuse : « la prochaine guerre avec la Chine, dans une vingtaine d’années, sous l’eau et dans l’espace ». In mon essai « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?… », o. c. p. 406.


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