Algérie / Le panel, ou comment contrer le hirak

Retranchée sur une position politique de sortie de crise, aux antipodes de la solution, exclusivement politique portée par le mouvement citoyen, l’institution militaire se refuse à toute évolution épousant la volonté populaire.

Depuis plusieurs mois, le mouvement citoyen qui fait preuve d’une remarquable maturité politique par son unité, son pacifisme et son civisme, appelle au démantèlement d’un système  gangrené, de bas en haut, par l’amoralité et l’incompétence. En toute logique, il insiste sur le renvoi de la scène politique des personnels du régime qui, par leur adhésion zélée, et intéressée au pire, leur duplicité et leur implication dans la ruine économique, en se faisant les porte-voix d’une pseudo-politique de développement aux résultats que l’on voit, se sont totalement avilis, en livrant leur âme au diable, pour espérer un quelconque rattrapage.

Un raidissement qui n’augure rien de positif, car il favorise les blocages, alors qu’en pareille circonstance doivent primer, non pas le négativisme du jusqu’au-boutisme, mais les impératifs d’urgence, de sécurité et d’intérêt stratégique national.

Prenant appui, au travers d’un juridisme inadapté aux réalités de l’heure sur un texte de Constitution taillé, au gré des triturations qu’il a connues, aux dimensions d’un mode de gouvernance consacrant la concentration monopolistique de la décision, la feuille de route de l’institution militaire, focalisée sur l’urgence de l’élection présidentielle, œuvre, et c’est la lecture qui en est faite par le hirak, à la préservation de la bipolarité d’un système fermé, marqué par la prédominance du duo état-major de l’ANP-Présidence de l’Etat. Au motif, déclaré, qu’il y a péril en la demeure, avec le risque d’un effondrement de l’Etat.

Que n’a-t-elle pas réagi lorsque le cachet de la République était entre les mains de forces extraconstitutionnelles ? Il est clair que la déliquescence et le délabrement de l’Etat sont antérieurs au hirak.

Il n’a pu échapper aux compétences et aux intelligences que renferme l’institution militaire que la voie pseudo-constitutionnelle sur laquelle elle s’est faite intransigente allait de fait se heurter au veto populaire et qu’elle ne pouvait, à l’expiration des délais constitutionnels, que conduire au vide juridique. Une situation attestée par le double report des élections, et l’inconstitutionnalité de l’instance exécutive, nonobstant la fetwa inconstitutionnelle du Conseil constitutionnel, celui-là même chargé de veiller au respect de la Loi fondamentale. De graves dérives imputables au refus d’écouter la voix du peuple.

Après s’être engagé dans l’application des articles constitutionnels relatifs à la souveraineté populaire, la volte-face de l’institution militaire n’a fait qu’amplifier la méfiance à son endroit, entamer son capital crédit, radicaliser la suspiscion à l’égard de ses initiatives, et élargir le fossé, déjà profond, entre le peuple et ses dirigeants, qui, à ses yeux sont essentiellement mus par le seul souci de la sécurisation de leurs arrières. Et ce, à l’heure où il découvre, choqué, l’ampleur inimaginable de la corruption et du pourrissement, jusqu’à la nécrose, d’un Etat déliquescent où il n’y a rien à sauver ni de récupérable. Nonobstant l’argumentaire alambiqué visant à associer les institutions étatiques des méfaits du régime qui, pourtant, a bien huilé leur fonctionnement à travers la banalisation de l’anormalité, de la rapine et de l’anti-citoyenneté érigées comme liants des intérêts claniques.

Le pouvoir se propose d’enclencher le dialogue. Il en découvre subitement les vertus. Il le veut le plus largement inclusif possible afin de recycler, pour services rendus au régime, les partis, organisations et associations inféodés à l’absolutisme jusqu’au délire collectif. Les images de l’hystérie à la Coupole du 5 Juillet resteront dans l’histoire pour marquer, à jamais, le degré d’assujettissement au zaïm.

Le pilotage du dialogue est confié à un panel car le pouvoir est dos au mur, rejeté par 40 millions d’Algériens qui crient leur ras-le-bol à travers un «dégagisme» proche de l’aversion.

La mission de ce panel est de susciter le consensus autour de pré-requis à réunir pour aller, au galop, à l’élection présidentielle, réduisant, ainsi, la revendication populaire au changement radical à une problématique de ravalement de façade, alors qu’il s’agit d’une fin de cycle historique d’un système qui a lamentablement failli.

Face à cette demarche initiée et imposée par l’institution à laquelle ont, ipso facto, adhéré les partis de l’ex-alliance présidentielle, toujours là à s’accrocher aux basques du plus fort du moment, l’opposition se présente, encore une fois, en rangs dispersés.

Ainsi, le «Forum civil pour le changement» et «les Forces du changement» semblent, avec quelques bémols de circonstance et en échange de quelques préalables non contraignants, se faire à l’idée pour que tout change pour que rien ne change. Miné par l’opportunisme du courant islamiste, la divergence des idéologies et l’antinomie des projets, le pôle des «Forces du changement» est un regroupent mort-né.

A l’opposé, le pôle des  «Forces de l’alternative démocratique» défend l’option d’une nécessaire période de transition. Appelée à être gérée par des personnalités hors système, elle a pour objet de préparer les conditions constitutionnelles, politiques et institutionnelles indispensables au démantèlement définitif des structures du régime et, partant, de l’avènement d’une République et d’une démocratie conformes aux idéaux de la Révolution de Novembre.

Ce regroupement partisan se veut être porteur de la revendication essentielle du hirak qui se trouve être dans une refondation via une nouvelle et consensuelle Constitution dans laquelle devra s’inscrire le futur président de la République. Elle devra refléter l’esprit et la lettre des textes fondamentaux du combat libérateur. Il s’agit donc de remettre le Récit national dans sa trajectoire initiale avant qu’il n’en soit dévié par le groupe d’Oujda et l’armée des frontières.

Mis en place par le pouvoir apparent pour faire avancer, dans la sphère politique, l’option constitutionnelle du pouvoir réel, le panel ne peut, dès lors, qu’être acquis au principe de l’immédiateté de l’élection présidentielle, conçue comme préalable au déroulement, sous haute et discrète surveillance, d’un processus de dénouement de la crise politico-institutionnelle du système.

Il est donc dans une démarche de mise en application de la feuille de route de l’armée et dans une optique de marketing politique. Pour parfaire l’amballage du produit, le pouvoir a consenti à étudier la possibilité de ne plus violer la Constitution. Sitôt consenti, sitôt il viole la Constitution par le limogeage du ministre de la Justice en le remplaçant par le procureur général de la Cour, prérogative exclusive du président de la République. Il a promis de faire l’effort nécessaire pour que ne soient pas réprimées, dans le cadre du hirak, la liberté de penser, la liberté d’expression et la liberté de circulation des Algériens dans leur pays. Là encore, le chef de l’Etat se fait recadrer, voire humilier par l’avertissement qui lui a été fait en personne par le chef d’état-major, qui lui a signifié ses limites dans le cadre de ce simulacre de dialogue en préparation. Pas de préalables, pas de promesses, juste entériner la feuille de route de l’état-major !

Dans cette comédie, Karim Younès, comme annoncé, aurait présenté sa «démission» au reste des membres du panel qui l’auraient refusée, et c’est donc contraint et forcé qu’il accepta de rester et de présider le panel pour mener les discussions afin d’entériner la feuille de route de l’état-major.

On ne démissionne pas d’une entité qui n’a aucun statut juridique, on se retire tout simplement, comme l’a fait Smaïl Lalmas !

Un dialogue pour… une élection présidentielle dans les plus brefs délais et rien d’autre.

Maigre objectif rapporté au projet de ruptures multiples de la révolution citoyenne : rupture avec un ordre établi issu du coup de force de 1962 et consolidé par les putschs militaires de juin 1965 et de janvier 1992 ; rupture avec un régime qui a écrasé l’Etat pour lui constituer un socle où prédominent, dans un équilibre fluctuant des rapports de force, une administration servile, une sphère militaire omnipotente et omniprésente, et une oligarchie financière maffieuse née de la rapine et de la corruption ; rupture avec un mode de gouvernance qui, mutant de la dictature à la démocratie, a érigé le machiavélisme, la ruse, le mensonge et la manœuvre en actes de gestion des affaires publiques.

Dans un tel contexte marqué par des antagonismes profonds entre la volonté populaire et les intentions inavouées du pouvoir, force est de relever l’extrême étroitesse de la marge de manœuvre du panel.

Ce panel qui vient au secours d’un système honni ne peut échapper à son statut de pis-aller aux yeux d’un pouvoir qui, depuis l’indépendance, a méconnu, faute de culture en la matière, les vertus du dialogue.

Répressions, arrestations, emprisonnements, interdictions, infiltrations, offense à la pudeur de manifestantes du hirak, provocations….Toute la panoplie des mesures de «gestion démocratique des foules» a été mise en œuvre pour «contrôler la rue» et disloquer ce hirak, devenu une obsession à force de dévoiler au monde qui regarde les lourdes tares du système et son rejet par le peuple. Rien n’y fit.

La commission de médiation et de dialogue semble être la dernière trouvaille en la matière pour clore le chapitre hirak et revenir au ronron quotidien. La manœuvre, vite décelée par toutes les personalités qui ont décliné l’invitation à rejoindre le panel, consiste à contourner l’obstacle que représente le peuple et à se passer de son avis et de son «Yetnahaw gaâ».

Ce panel, dont certains membres sont des caciques du système, se voit chargé de dégager, lors d’une conférence nationale inclusive, un compromis restreint à la seule sphère politique autour d’une plateforme consensuelle qui sera soumise à l’instance exécutive qui s’engage, sans garanties dûment formalisées, à la mettre en œuvre. Le consensus ouvrirait ainsi la voie à une élection présidentielle immédiate, dans le cadre de la Constitution actuelle. Et la boucle est bouclée. Au profit du système régénéré et du futur Président coopté.

Mais grandes sont la détermination et la vigilance du hirak à l’endroit de tout ce qui émane du pouvoir.

Le panel, ou du moins certains membres, aurait gagné en estime et en respect s’il avait pris la sage décision d’être aux côtés du peuple en se faisant le porte-parole auprès de ses interfaces du pouvoir de la volonté populaire qui estime que le seul dialogue auquel elle peut adhérer est celui qui s’attacherait à définir les modalités techniques de démantèlement du système et son remplacement par une République dont ont rêvée nos chouhada.

Il est à espérer du pouvoir réel qu’il saura trouver en lui les ressorts nécessaires pour se délester, au seul bénéfice de l’intérêt suprême de la nation, de sa démarche visant à ménager un système frappé de péremption et condamné à disparaître en raison de ses excès, de son incompétence, de son amoralité et qu’il intégrera dans sa conception de sa place et de son rôle futur les données universelles des pays développés, en se désengluant de la pesante pratique politique qui ne peut que lui nuire, pour se consacrer, définitivement, à ses missions, hautement stratégiques, à l’image des grandes armées des Etats de droit qui font la fiérté de leurs peuples. 

Par le Dr Mohamed Maiz , Universitaire


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