Les puissants peuvent dormir tranquilles, leurs secrets sont bien gardés

Audrey Loussouarn

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les attaques verbales, juridiques et judiciaires à l’égard des journalistes se sont multipliées. Ces intimidations vont de pair avec une volonté de renforcer l’opacité des grands groupes, que préserve avec soin le « nouveau monde ».

Arrestations, convocations par la DGSI, arsenal juridique restrictif, propos infamants du personnel politique censé garantir la liberté de la presse : depuis plus de deux ans, les tentatives d’intimidation, pour finalement museler la presse, sont légion. Pour Édouard Perrin, président du collectif Informer n’est pas un délit, il est clair qu’à la base « la vérité n’est pas dans le logiciel » du « nouveau monde » du gouvernement d’Emmanuel Macron et que « cette façon d’être à ce point rigide avec l’exercice du droit à l’information est inquiétante ».

Plaintes, coups de fil, perquisitions

À peine au pouvoir, le gouvernement a multiplié les « signaux extrêmement préoccupants », entre plaintes déposées contre des médias, coups de fil aux directions de rédaction ou encore choix très sélectif des journalistes pour suivre les déplacements élyséens, ont relevé dès juin 2017 les sociétés de journalistes. La multiplication des attaques est « inédite sur une période aussi courte », remarque Ludovic Finez (SNJ-CGT), qui a « l’impression d’assister à une espèce de glissement, depuis la campagne de 2017 », où se sont multipliées les « prises de parole assez violentes envers le travail de journalistes ». Et puis, ces derniers se retrouvent « visés, freinés dans leursenquêtes et interpellés lors de manifestations » ou subissent « des ordres venant directement des autorités », comme la tentative de perquisition à Mediapart, en février dernier, dans le cadre d’une enquête préliminaire dans l’affaire Benalla.

La liberté de la presse, plus que jamais, « est à surveiller comme le lait sur le feu », martèle Édouard Perrin, pour qui le pouvoir met « des bâtons dans les roues » aux journalistes. Avec le vote, notamment, le 30 juillet 2018, d’une loi qui sanctuarise le secret des affaires, autrement dit des grandes entreprises. Le ministre Macron avait tenté, en vain, de l’instaurer en 2015. Cette loi, qui est la retranscription d’une directive européenne, a été proposée par le groupe LaREM. Elle a été votée malgré les réticences des parlementaires de gauche, des syndicats de journalistes, des ONG qui y voient « la mise en place d’une forme de censure ». Et, quatre mois plus tard, en novembre, « divine surprise », ironise Édouard Perrin : l’affaire des Implant Files, une enquête de 59 médias dans 36 pays qui dénonce la marchandisation des dispositifs médicaux, tombe. Et une entreprise publique refuse de fournir des documents au Monde, au nom de ce secret des affaires. Ce que craignait le collectif Informer n’est pas un délit, qui a rejoint depuis juillet, aux côtés de 35 organisations, le recours déposé par le Monde devant le tribunal administratif. Ce qui est aussi une occasion de « demander des comptes » à LaREM, qui avait promis un « comité de suivi jamais constitué ».

En avril dernier, c’est au nom d’un autre secret, celui de la défense, que sept journalistes de Disclose, Radio France et Quotidien ont reçu une convocation par la DGSI, une semaine après la publication d’une enquête sur la vente d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, utilisées ensuite au Yémen. Rien d’anormal, selon le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. D’autant plus que « les journalistes sont des justiciables comme les autres », abonde alors la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye (voir ci-contre). Pas de commentaires, en revanche, sur les révélations. Il y a là « clairement une volonté d’identifier les sources des journalistes, qui sont en principe protégées par la loi, et une inadmissible façon de dissuader d’autres journalistes d’enquêter sur ce type de sujets », expliquait à l’Express Vincent Lanier (SNJ).

L’exécutif s’attaque aux sources

Ce secret des sources, un « principe fondateur de ce métier » et même une « obligation », inscrite dans la déclaration de Munich de 1971, est pourtant « une condition sine qua non pour un vrai travail d’enquête et d’investigation », relève Ludovic Finez : « Si elle devait être rompue, c’est la fin de toute enquête digne de ce nom. »



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