Le livre et ses circuits en Algérie après Octobre 1988

par Mohamed Ghriss

«Le livre n’est pas. La lecture le crée, à travers des mots créés, comme le monde est lecture recommencée du monde par l’homme.» Edmond Jabès, poète français (1912- 1991). Extrait de «Le livre des questions»

(Photo d’illustration)

Sous monopole d’Etat, le secteur de l’édition en Algérie et de la production intellectuelle et artistique, en général, est longtemps resté soumis aux impératifs de l’idéologie mono-partiste de la période et des passe-droits des intérêts clientélistes, favorisant la plupart du temps la publication de quantités d’ouvrages aux contenus laissant, pour leur plupart, à désirer. Et ce n’est qu’après que l’étau de l’emprise de la pensée unique se soit relativement desserré durant les années quatre-vingt du siècle écoulé que quelques maisons d’éditions indépendantes émergentes, – tout comme l’initiative de certaines alternatives recourant à l’autoédition rudimentaire, – purent présider à l’inauguration de perspectives franchement nouvelles pour le livre ou la littérature algérienne plurilingue. La principale préoccupation pour ces pionniers de l’édition privée, étant au départ moins d’ordre commercial que ce souci démocratique surtout consistant à veiller à propager au grand jour et à large échelle, l’expression culturelle et littéraire plurielle débâillonnée pour donner, enfin, la parole aux cotés d’anciens auteurs, aux nouveaux talents émergents, très prometteurs.

Cette éventualité fut grandement favorisée, comme on le sait, aux lendemains du tournant d’Octobre 1988 avec ses vents de changements pluralistes déferlants qui ont contribué à catapulter sur la scène médiatique littéraire, artistique, culturelle, etc., une flopée de nouvelles plumes littéraires surgissant au confluent de la rupture politico- sociale avec le règne du système de la pensée unique et son idéologie insidieuse qui les a longtemps maintenues en marge. Et c’est ainsi que pour la première fois les atteintes flagrantes aux droits et libertés fondamentales et individuelles des citoyens, furent publiquement dénoncées par ces publications caractérisées par un ton énergique nouveau qui a suscité un grand engouement chez les lecteurs.

Durant cette phase cruciale succédant aux journées fatidiques d’octobre 88, l’activité éditoriale qui loin d’être absente s’est au contraire distinguée par l’édition d’écrits-témoins divers, (essais, récits et romans) comme l’ouvrage du cru du journaliste Abed Charef, (alors correspondant de l’AFP) relatant à chaud les tragiques évènements de la période dans son témoignage «Octobre, manipulation ou révolte ?». L’ouvrage étant publié chez un éditeur privé, Laphomic, le champ éditorial ayant commencé à s’ouvrir, au même titre que la presse écrite, d’ailleurs, qui n’allait pas tarder à connaître un «boom» extraordinaire, dans les deux langues de l’arabe et du français, suite à l’ordonnance du 03 avril 1990 portant libération du secteur !

 Après 1989, et en dépit de l’émergence du multipartisme en Algérie, suite aux réformes institutionnelles imposées par les émeutes de la rue, l’on assista au surgissement de l’islamisme radical qui profita grandement de la situation de réaménagement sociopolitique du pays pour propager ses vues extrémistes.

 La production littéraire de la période allait relativement s’accroître, comparativement aux années précédentes, avec une propension du livre religieux dans l’édition en arabe qui s’explique par l’atmosphère ambiante des conjonctures politiques de l’heure, et qui voient, également, s’élever un nouveau ton chez nombre d’auteurs qui commençaient à se libérer progressivement de l’habitus consacré du conformisme arboré jusqu’ici, au grand bonheur d’un lectorat national ravi de découvrir, exprimé dans les deux langues, (voire trois même avec l’irruption éditoriale en tamazight), la contestation énergique, et au grand jour, de la sacro-sainte uniformité de pensée perpétuant ce culte traditionnel de la mentalité tribale que le regretté Kateb Yacine se plaisait à parodier par sa fameuse boutade de «comité central des féroces ancêtres !»

Et c’est durant cette «décennie noire» des années 1990, ainsi dénommée, que l’on vit émerger une floraison d’écritures particulières et abondantes d’une nouvelle littérature algérienne dite «littérature de l’urgence», œuvre caractéristique d’une non moins nouvelle génération d’écrivains, se faisant publier surtout chez des éditeurs privés et qui n’ont généralement bénéficié d’aucun soutien des institutions d’Etat. Ce qui leur a permis une grande marge d’autonomie par rapport aux contraintes classiques de l’édition et diffusion, et surtout par rapport à la liberté d’expression, avant tout. Ces textes comportent dans leurs contenus, de nouvelles thèses, de nouvelles idées, de nouvelles approches qui remettent en cause les différentes valeurs idéologiques et politiques dominantes de la scène culturelle, et fait nouveau également : ces textes, dans leur majorité, qu’ils soient d’expression française, arabe, tamazight ou populaire – dialectale pour les œuvres théâtrales, (dont certaines éditées à l’étranger), comportent un rapprochement d’ordre esthético- thématique et idéologique les «liguant» contre un ennemi commun : le terrorisme décivilisateur abject.. Les auteurs étant de plus en plus bilingues, voire trilingues, expérimentant dans leurs œuvres une nouvelle écriture, que des critiques universitaires, tels Rachid Mokhtari et Mohamed Daoud ont désignée par le qualificatif significatif de «graphie de l’horreur» ou esthétique de la «violence du texte «, et par ailleurs par l’appellation de littérature «du macabre et du funéraire»,selon certains auteurs -romanciers..

Ces nouveaux promoteurs d’un genre ; qu’ils aient pour nom Yasmina Khadra, Boualam Sansal, Bouziane Benachour, Salim Bachi, Azziz Chouaki, Aissa Khelladi, Sadek Aissat, Latifa Benmansour, Leila Aslaoui, Ghania Hammadou Nina Bouraoui, Salima Ghezali, Leila Merouane, Yassir Benmiloud, Maissa Bey, etc.… ou encore Bachir Mefti, Yasmina Salah, Said Mokkedem, Djillali Amrani, Kamel Berkani, Hamid Abdelkader, Rachida Khouazem, H’mida layachi, Mohamed SARI, Amin Zaoui, Abdelkader Harichene, etc…, tous ces écrivains, (on ne pourra jamais les citer tous) femmes et hommes, émergés pour leur plupart dans la conjoncture dramatique des années 1990, ont suscité, par leurs écrits de circonstances, des oeuvres,qui quoique controversées, ne constituent pas moins la littérature hautement marquante d’une conjoncture sociale cruciale du cours évolutif de l’Algérie et un apport de plus, caractérisant la littérature d’une étape particulière de l’histoire socioculturelle du pays, venu, assurément, enrichir le vaste patrimoine culturel et littéraire de l’algérianité mosaicale.

Au delà de la littérature de l’urgence

Répondant à une question d’un journaliste relative aux perspectives de la littérature algérienne, Bachir MEFTI, l’auteur du remarquable roman en arabe «Cérémonies et funérailles (au même titre d’ailleurs que ceux marquants «Le glissement» (El Inzilaq ) de Hamid Abdelkader ou «Peurs et mensonges» en langue française de Aissa Khelladi), dira notamment : «Aujourd’hui la littérature algérienne est riche de par la pluralité de ses langues, courants et genres et expériences diverses et qu’on commence juste de sortir de l’unilatéralité négative qui divisait les écrivains entre progressistes et réactionnaires. De plus en plus aujourd’hui des écrivains écrivent en arabe et en français, et d’autres en tamazight ou en arabe dialectal (voir les écrits de Brahim Tazghart (tamazight), ou de Merzak Begtache (expérience en arabe dialectal pour son roman Mokhtar) et qui compte également des écrits en arabe littéraire, en français, tout comme d’autres auteurs bilingues à l’image des Rachid Boudjedra, Amin Zaoui, Hamida Layachi, ou certaines poétesses venant du monde de la presse,etc..) Les positions ne sont plus tranchées comme naguère, et de plus en plus les écrivains et artistes des divers langages de l’Algérie plurielle se rencontrent et confrontent leurs idées et idéaux, l’aspiration démocratique saine et la tragédie qu’a traversée le pays y étant pour beaucoup dans cette situation évolutive que la libération de la presse écrite, a favorisé, par ailleurs (voir l’interview in le volet en français du quotidien arabophone «Algéria news «du jeudi 02/12/2005).

Et c’est de fait qu’on assiste aujourd’hui, comme le constate Bachir Mefti, à un retour à la littérature comme aventure, liberté, jeu, folie etc… Il y a comme qui dirait une farouche volonté d’ en finir avec cette étape de meurtrissures et de s’engager dans de nouvelles voies, ou à l’image d’un Mohamed Magani (qui écrit en français et en anglais) qui est revenu avec un roman -proposition de sortie, ou d’issue des écrits de l’urgence en la nouvelle phase des métamorphoses qui s’annoncent vraisemblablement, comme le suggère l’intitulé significatif de son ouvrage «Une guerre se meurt» (Casbah éditions, Alger 2004). Ou, pour ainsi dire, c’est «une littérature qui se meurt» pour exprimer précisément cette volonté ou ce souci intense de trancher avec cette texture de la violence et pouvoir écrire autre chose. Un espoir tant attendu qui fera écrire à magani : «un livre pour tourner la page, mettre un terme à cette graphie de l’horreur».

D’une manière générale, la littérature algérienne, toutes langues confondues, a eu le mérite historique de s’être résolument réorientée – aux lendemains de la rupture d’Octobre 1988 – dans la voie d’affranchissement des multiples contraintes politico-idéologiques, extrémistes -religieuses, culturalo-populistes tout en se gardant du danger des stéréotypes d’autres tendances de type occidentaliste autocentré ou orientaliste mimétique ostentatoire, ou en veillant à se dégager des risques encourus des replis identitaristes ou culturalistes sectaires, pour s’affirmer désormais comme littérature majeure et émancipée, dans toute l’ampleur de sa riche dimension plurilingue et multiculturelle ouverte : ses écrivaines et ses écrivains s’imposant actuellement, aussi bien sur la scène nationale qu’internationale, en remportant notamment de hautes distinctions honorifiques, tant en littérature d’expression arabe que d’expression française, en attendant la consécration dans la langue tamazight,qui assurément promet, elle aussi, beaucoup. A l’image de toute cette multitude de jeunes écrivains Algériens d’expression Amazighe, Arabe, Française, ou Maghrébi dialectal du Malhoun poétique (foisonnant dans le Sud algérien), qui se pressent tous pour la voix au chapitre, chacun avec sa griffe singulière et son apport intime, comme pour signifier, qu’une page de l’histoire de la littérature algérienne plurielle a été tournée, ou plutôt qu’un chapitre nouveau est entamé : celui de l’Après – Horreur justement.

Ainsi, à l’heure présente, c’est d’abord et avant tout le souci de production littéraire et artistique qui prime. Tant sur le plan qualitatif que sur celui quantitatif, dépassant résolument les clivages idéologiques handicapants d’hier, y compris les rivalités francophones -arabophones improductives.

Cet esprit d’ouverture culturelle et multilingue chez la nouvelle génération, a été favorisé, grandement, pour le rappeler au passage, par la rupture d’Octobre 88 et l’expérience intellectuelle qui s’en est suivie durant la sombre décennie rouge, phases qui ont, à maints égards, imposé cette nécessité du témoignage et du discours littéraires et journalistiques multilingues, comme le donne à voir, par l’exemple, la vigueur expressive de la presse plurilingue algérienne d’aujourd’hui et la production littéraire actuelle, tout autant… Et à ce propos, il faut souligner l’apport stratégique, dans ce contexte, de la traduction qui a incontestablement rapproché, via la médiation des arts, presses, savoirs, forums, etc., plusieurs auteurs, universitaires, artistes, ou intellectuels Algériens locuteurs des trois langues usuelles, réussissant relativement là où la politique a échoué…

Cette évolution, encouragée notamment par le secteur capital de l’édition plurilingue, publique et privée évolutive en cours, intervient, il ne faut pas l’oublier, après une dure période de vaches maigres, et n’a commencé par montrer le bout du nez et gagner progressivement ses galons, que récemment, en dépit des nombreuses embûches et certains freins institutionnels… Pour rappel, l’édition en Algérie post – indépendance a connu différentes étapes, avec diverses fortunes au gré des conjonctures sociopolitiques et idéologiques- culturelles et aussi économiques adjacentes, le livre étant tantôt un atout d’investissement culturel à valeur émancipatrice publique citoyenne, tantôt un bien de consommation privé à valeur marchande source de profit, ou tantôt à dessein carrément propagandiste, ou paralittéraire de sensation, de bas étage, entretenu par certains milieux dogmatiques ou affairistes douteux défiant toute éthique.

Une littérature plurilingue en quête d’éditeurs

Ainsi, et en nous référant aux données connues, les années soixante et soixante-dix du siècle écoulé ont été assez propices au secteur débutant de l’édition à la faveur d’une politique hardie de subvention qui a permis l’émergence de nombre de talents, hommes et femmes dans les deux langues de l’arabe et du français. La phase succédante, qui s’étendra sur les décennies 80-90, assistera à la restructuration de l’ex SNED (Société Nationale d’Edition et de Diffusion) en diverses autres entreprises nationales du livre (ENAL), amorçant le désengagement de l’Etat dans le soutien à la production livresque, laissant, ainsi, le soin aux maisons d’éditions privées, ou initiatives publiques autonomes ou autres co-éditeurs nationaux – internationaux émergents, de reconquérir le terrain abandonné à son sort. C’est de cette phase que daterait la naissance d’une cinquantaine de maisons d’éditions et qui vont jouer un rôle prépondérant dans les tragiques années 2000 qui s’annonçaient.

 En effet, c’est tout particulièrement durant ces années-là, après une période d’hésitations et de doutes, que le secteur de l’édition en Algérie parvient,enfin, à imposer ses marques, quantitativement et qualitativement, avec des distinctions même à l’étranger, dans les salons internationaux du livre : la parenthèse caractérisant la littérature dite de l’urgence rendant compte de la sombre décennie rouge, a particulièrement été féconde en matière de production plurilingue, y compris hors du territoire algérien, et principalement en France, où une certaine «Marsa Editions», initiée par le duo Marie Virolle – Aissa Khelladi, permit à beaucoup d’auteurs Algériens, les réfugiés en France notamment, fuyant la barbarie terroriste, de publier un nombre appréciable d’œuvres littéraires-témoins de la tragédie algérienne, certaines fort remarquables, glanant des distinctions honorifiques nationales et internationales d’ailleurs.

Ce qui n’a pas manqué de se répercuter bénéfiquement dans le contexte de l’édition nationale où l’on dénombre, actuellement, pas moins de 200 maisons d’éditions. Les éditeurs algériens, connaissant un accroissement qui promet de ne pas s’en arrêter là, surtout que de plus en plus des auteurs s’improvisent éditeurs – libraires. Dès lors, il n’ y a qu’à espérer que cette situation serve davantage le monde du livre en Algérie, où les écrivains, pour le rappeler au passage, n’ont pas encore de statut propre, et encore moins un Centre National du Livre disposant, à l’intention des chercheurs et étudiants, des fichiers et références de tous les auteurs algériens, toutes langues confondues.

 En attendant, ces éditeurs sont perpétuellement en bute à des problèmes entravant la libre- production et distribution sans contraintes bureaucratiques, et surtout avec la crainte justifiée de la résurgence du spectre redouté de la censure et autocensure, qui joue en défaveur des exigences d’un lectorat national,de plus en plus sensible aux questions vitales de promotion de la lecture publique et de l’accès au livre dès la tendre enfance…en dépit d’un milieu socioéducatif environnemental contraignant, très peu pourvu en matière d’infrastructures culturelles de base, (grand manque de bibliothèques municipales, centres culturels ou clubs d’animations publiques de quartiers, etc.).

 Ce qui constitue assurément un handicap dans la voie d’encouragement d’une politique saine et transparente du livre et évolution souhaitée du lectorat national que l’initiative officielle des biblio-bus passagers, comme tentative de remédier apparemment à la situation, pourrait contribuer à en favoriser sensiblement l’accroissement, en attendant la concrétisation progressive du projet ambitieux du ministère de la Culture de 1541 bibliothèques municipales au niveau des communes de l’Algérie profonde. Mais toujours est-il que la question demanderait auparavant une étude du terrain, car les données relatives à cette dernière requièrent un examen approprié de fond afin d’éviter, par exemple, d’inutiles implantations de palais du livre que très peu de personnes fréquenteraient, ce qui n’est pas le cas pour des centres polyvalents, genre médiathèques, incluant livres, films, vidéothèques, ciné-clubs, salle de lectures et de conférences, bref la culture au pluriel, où le livre, partie prenante, est mieux consulté pour renforcer les connaissances multiples justement.

Côté presse, cette dernière qui est censée sensibiliser son lectorat sur les questions d’ordre littéraire et artistique, ne compte qu’exceptionnellement des suppléments culturels hebdomadaires : mis à part le quotidien national francophone El Watan qui programme régulièrement chaque fin de semaine, et depuis un bon bout de temps, un supplément «Arts et Lettres» d’assez bonne facture coordonné par son timonier Ameziane Ferhani, ou encore les rubriques intermittentes de La tribune et de Le Jeune Indépendant, etc., tout comme celles des journaux arabophones El Khabar, Djazair News (et Algéria news en français gérés par l’écrivain Hamida Layachi), on ne connaît pas d’autres journaux consacrant régulièrement ou de temps à autre des suppléments littéraires,ou vouant un intérêt particulier à la littérature et aux arts, en général. Inutile de dire qu’il n’existe pratiquement aucune revue littéraire périodique spécialisée, ou du moins, quand elle voit le jour, c’est à titre éphémère ou exceptionnel, comme par exemple ces magazines spécialisés de groupes d’intellectuels, généralement sans moyens et perspectives de lendemains, ou ces revues de maisons d’éditions ou de sociétés nationales d’obédience internationale, telle qu’une compagnie d’aviation ou autre, soucieuses de la publicité promotionnelle de leurs activités commerciales ou produit de marque locale concurrentielle, etc. Certaines exceptions se sont faites récemment jour, avec ces rares magazines littéraires de haute facture, «Passerelles» (sous la direction de l’universitaire Rachid Mokhtari) ou «Livresq» (initiée par l’auteure et journaliste culturelle Nacera Belloula), mais pour combien de temps ?

Côté radio – télévision, les émissions réservées à la littérature sont également assez rares. Cependant, à l’inverse de l’unique chaîne-TV du pays et ses très irrégulières et éphémères émissions «Foussoul» (Parenthèses, animée par Abderrezak Boukeba); «Lika «(Rencontre, animée par Nadia), ou «Ahl El Kitab» (Les Gens du Livre, animée par Wacinny Laredj), les radios publiques algériennes qui se sont multipliées à travers le territoire national (les stations -radios ou chaînes de télévision privées n’existant pas encore en Algérie qui reste ainsi à la traîne mondiale sur ce plan) consacrent davantage de plages horaires que l’ENTV aux activités et productions artistiques dans ce domaine.

 Ainsi,par exemple, ces émissions culturelles-littéraires de grande écoute de la chaîne III «Papier bavard» (de Youcef Sayeh); «Des gens qui nous ressemblent» (de Aicha Kassoul); «Biblioportrait» de Lilia Benkhaled qui fait découvrir aux auditeurs (trices) les trésors surprenants des bibliothèques des particuliers; comme on pourrait citer les apports de la Chaîne II,de radio Bahdja, et de certaines stations régionales qui émergent du lot, comme celles de Tlemcen, Bejaia, Souk Ahras, sans omettre ces émission méritoires de la Chaîne I suscitant un intérêt populaire manifeste pour la littérature universelle et la vulgarisation de la lecture publique, d’une manière générale, (émissions «café de la une», ou celle d’un certain Dr et écrivain bilingue Amin Zaoui, clôturant toujours ses interventions par cette belle maxime :» Un peuple qui lit est un peuple qui n’aura jamais peur, jamais faim !».

 Une critique littéraire absente parce que jamais encouragée

 Pour ce qui concerne de très près la critique littéraire, cette dernière brille par son absence, hélas, aucune revue littéraire universitaire spécialisée ou de groupements d’auteurs et d’intellectuels artistes, etc., ne paraissant de façon régulière et distribuée chez les libraires, que ce soit en langue arabe, française ou tamazight ou idiome du maghrébi populaire. Et ce malgré la présence d’universitaires, de gens d’arts et de lettres de divers horizons et aux travaux, certes variés et méritoires, mais qui ;de l’avis d’observateurs avisés, ne dépassent pas généralement le cadre pédagogique institutionnel ou celui des publications restreintes destinées souvent à un public estudiantin, pas forcément les fans de la littérature qui s’en remettent, généralement, aux critiques publiées dans les journaux, les sites Internet, etc., comportant moins de «jargon» spécialisé. Mais même à ce niveau de la presse culturelle, les apports demeurent limités, pour des raisons liées, clament certains critiques, aux modalités et particularités d’analyses des articles et études présentées qui laissent à désirer du point de vue méthodique courant actuel. Carences liées pour des raisons, dues selon d’autres avis, aux conditionnements sociologiques et sociopolitiques culturels des séquelles perdurantes de la marginalité imposée par l’idéologie de la pensée unique qui a sévi jusque dans les enceintes de l’université, rédactions de journaux, studios radios -télévision, secteurs de l’édition, etc., et qui ne continue pas moins de sévir, d’ailleurs, nichée dans nombre d’esprits nostalgiques de la marche cadencée de l’art officiel de production sur commande ! D’où, principalement, ce pénible redressement de la critique d’art en Algérie qui se relève du lourd passif d’un passé traumatisant, et qui n’en finit pas, d’ailleurs, de subir les aléas des censeurs et bureaucraties institutionnelles, des uns, et des interdits «la yadjouze» des tabous rétrogrades d’un autre âge,des autres, ajouté à cela le facteur contraignant, limitatif du lectorat national, ayant trait au fléau de l’analphabétisme caractérisant un pourcentage inquiétant de la population algérienne, sans évoquer, du reste, beaucoup d’ instruits qui boudent la lecture.

Et c’est dans pareil contexte miné d’obstacles, de blocages,de tabous, contradictions, etc., qu’ont eu à œuvrer inlassablement, ou que persistent les ébauches d’efforts des divers apports méritoires en matière de travaux inestimables et de longue haleine sur la littérature algérienne dans sa dimension linguistique pluraliste, des chercheurs universitaires et autres concepteurs d’ouvrages d’études littéraires ou considérations critiques diverses avérées des professeurs et critiques émérites :Christiane Chaulet Achour, Najet Khadda, Dalila Morsly, Aicha Kassoul, Beida Chikhi, M. Djaider, A. Azza Bekat, etc, ou les Ahmed Lanasri, Benouda Lebdai, Abdellali Merdaci, Mohamed Lakhdar Maougal, Rachid Mokhtari, Farid Laroussi, le regretté Abdelkader Djeghloul, etc. Ainsi, ces divers travaux, qui ont connu des fortunes diverses, réalisés dans le domaine précis de l’inventaire du patrimoine littéraire algérien ou maghrébin, et comptant, entre autres :

– «Anthologie de la littérature algérienne», éditions Bordas 1990 de Christiane Achour, «Dictionnaire des Ecrivains classiques Francophones» sous la direction de Christiane Chaulet – Achour (Ed. Honoré Champion, Paris, 472 p., octobre 2010), l’ex professeur émérite de l’université d’Alger, comptant un nombre impressionnant d’écrits sur les productions littéraires algériennes, en général, dont un travail méritoire sur les femmes écrivaines.

– «Ecrivains algériens, Dictionnaire biographique», éditions Dahleb (900 pages) 1996 ; «Anthologie», Anep 2004, travail considérable de Achour Cheurfi, qui est poète, nouvelliste, journaliste culturel à El Moudjahid. Ce nouveau dictionnaire a l’immense mérite de rassembler plusieurs écrivains algériens d’expression française, arabe ou berbère.

– «Auteurs Algériens de la langue française de la période coloniale», de Abdellali Merdaci, Médersa éditeur, Constantine, 2007.

– «Anthologie de la littérature amazighe», Abderrahmane Lounès

– «La littérature algérienne de l’Entre-deux guerres», Ahmed Lanasri

– «La poésie arabe maghrébine d’expression populaire», Maspero 1982, Mohamed Belhalfaoui

– «Algérie, ses langues, ses lettres, ses histoires : Balises pour une histoire littéraire », Editions du Tell Blida 2002, Collectif sous la coordination de Afifa Bererhi, Beida Chikhi.

Comme on pourrait citer les travaux en littératures orales populaires d’arabe dialectal et berbère, les Mourad Yelles Chaouche, Youcef Nacib, M’Hamed Djelaoui, etc., etc. En matière de panorama littéraire algérien d’expression arabe, on compte,entre autres, les travaux d’auteurs -chercheurs notoires, tels que les Abdelmalek Mortadh, Abdellah Cheriet, Abdallah Rekibi, Messaief, Wacinny Laredj, Mohamed Daoud, Omar Azradj, etc., et en ce qui concerne les aperçus sur la littérature algérienne d’expression amazighe il y a les apports des Mouloud Maameri, Tassadit Yacine, etc., qui ne sont plus à présenter et auxquels sont venus s’ajouter les regards récents des Amar Améziane, Brahim Tazaghart, Chamakh, etc., sans omettre de signaler dans ce contexte les travaux en anthropologie linguistique amazighe des Boulifa, Salem Chaker, Slimane, Malika Hachid, Slimane Hachi, etc. Comme on pourrait citer, en matière de réflexions analytiques méritoires sur le théâtre algérien, les thèses et travaux louables des chercheurs Ahmed Cheniki, Boukrouh, Hamouni, etc.

Les réseaux du livre

Question librairies et distribution nationale des ouvrages, tout s’enchaînant quand on parle du livre, le secteur est en plein essor, quoique les statistiques probantes manquent quant à leur présence active à travers l’ensemble du territoire national. Il en est de même concernant les distributeurs qui doivent être en nombre réduit, apparemment, mais appelés à se multiplier, le marché du livre comptant de beaux jours devant lui, en Algérie… si jamais est encouragée une politique hardie du livre avec notamment l’extension, partout, de la lecture publique, la mise en place de clubs de lecteurs, de réseaux de librairies et de centres de distribution à travers l’ensemble du territoire national. Rien de tel pour favoriser, assurément, l’essor culturel et éducatif des esprits de tous âges, ou l’éclosion étendue des savoirs, arts et techniques.

N’est- ce pas bien connu que le livre a été, pour reprendre Marhall Mc Luhan le prophète des médias, à la base de la révolution socioculturelle et environnementale de l’Europe de la Renaissance ? Et ce grâce notamment à son formidable impact culturel sur l’intellect de cette époque, la production en série d’ouvrages de connaissances multiples ayant permis, avec l’initiation à la lecture régulière, aux individus de s’instruire et du coup de pouvoir dès lors s’affranchir des idées, dogmes et interprétations partisanes imposées des traditionnels tribuns des chapelles, pouvoirs dominants et groupes tribaux de leurs temps.en s’autorisant, désormais, leurs propres libres conceptions personnelles du monde.

 C’est dire combien le livre ou la lecture étendue à large échelle, notamment au niveau des établissements éducatifs, culturels, de loisirs de jeunes, etc., apparaît dans le contexte algérien, on ne peut plus, comme la condition sine qua non pour pouvoir espérer accéder, un jour, à un milieu futur relativement émancipé et évolué, débarrassé des éléments nocifs des subcultures entravantes. Dans cette optique, la nouvelle littérature algérienne d’expression plurielle de la mise en avant des libertés citoyennes, et des conceptions humanistes terre à terre, indépendamment du dictat des idées de groupes, ou conceptions autoritaristes tendant à forcer les esprits, semble s’acquitter, quoique difficilement, d’un rôle particulièrement noble dans un milieu où les conceptions prônées placent les auteurs,écrivains et artistes créateurs face à un double défi à relever constamment : d’une part, ne pas le céder aux pièges du folklorisme populiste, les risques des relents identitaristes cloisonnants, et d’autre part le pastiche, sous prétexte de modernisation stylistique, des conceptions esthétiques courantes dans les milieux hyper évolués et sophistiqués des sphères culturelles- mentales de l’Occident qui ne feraient que parsemer de clichés et stéréotypes le contenu d’œuvres émanant de cultures différentes.

 C’est une vérité de Lapalisse que de dire que dans les pays émergents, la réalité du champ culturel laisse à désirer, et que les auteurs ont fort à faire dans un contexte où le lectorat public, y compris dans les institutions éducatives, est extrêmement réduit par rapport au lectorat impressionnant, et de tout âge, des pays industrialisés. D’où l’urgente nécessité d’entreprendre, une politique audacieuse du livre et de la lecture publique qui restent à encourager plus que jamais par le passé. Surtout que sur ce plan sensible du lectorat public, certaines initiatives ont été déjà entreprises, avec ça et là, une certaine évolution constatée, malgré tout.

En effet, si l’on se fie aux reportages journalistiques de divers titres nationaux, le potentiel du lectorat semble avoir relativement évolué en Algérie, «boosté», principalement par l’avènement de la presse indépendante nationale instituée après la fracture politico-sociale d’Octobre 88, lectorat qui s’est étendu depuis à la lecture d’ouvrages divers.

 Et aujourd’hui, même les enfants s’y sont mis, ces derniers encouragés par des initiatives louables des autorités culturelles algériennes agissant de concert avec des associations culturelles diverses. Et il faut rendre hommage, dans ce contexte à l’Association algérienne «Iqra» qui a sensiblement contribué à réduire, depuis sa création, le taux d’analphabétisme en Algérie qui reste assez important. De même que de plus en plus des publications diverses et spécialisées voient le jour, parallèlement à l’organisations de foires nationales et régionales périodiques du livre, sans évoquer les perspectives de production des mille livres annoncés par le Ministère Algérien de la Culture dans le cadre de l’année arabe à Alger, écoulée depuis… Toute une vaste entreprise d’encouragement de la lecture publique, à laquelle le secteur d’édition privé et l’activité des bibliothèques du pays participent dans une grande part, et qui représente, assurément, un facteur concret de bon augure, sans prêter à un optimisme béat, à condition que les initiatives dans ce domaine soient élargies,en priorité, aux établissements scolaires, socioéducatifs et culturels disséminés à travers le pays.

C’est un fait, malgré tout ce qu’on puisse dire, que les gens commencent de plus en plus à s’intéresser au livre en Algérie. C’est tout particulièrement constatable chez les jeunes : les éléments opérationnels de l’ONDA (Office National Algérien pour les Droits d’Auteurs et Droits Voisins) en savent quelque chose avec l’impressionnant nombre d’ouvrages littéraires et pédagogiques piratés (romans, manuels, et autres œuvres non écrites incluant VCD, DVD, etc.) et clandestinement écoulés, un peu partout, au détriment, bien entendu, des droits de leurs producteurs déjà qu’ils se font souvent traîner des années avant de percevoir de décevantes rétributions.

De l’office national des droits d’auteurs

Ce qui amène à parler du rôle important, dans ce contexte, dévolu à l’organisme public de l’Office national des droits d’auteurs et droits voisins (ONDA), qui, depuis l’adoption en 1973 du premier texte de loi définissant les droits d’auteur en Algérie, se charge de mener à bien cette tache, prenant tout particulièrement en ligne de compte les spécificités culturelles nationales. Cette loi dut être révisée en 1997, avec l’introduction de nouvelles dispositions concernant la propriété intellectuelle et littéraire, en particulier celle consacrant les droits voisins ignorés auparavant (droits d’interprètes – chanteurs, de producteurs – animateurs de radio, et autres nouveaux profils de concepteurs artistiques modernes…) ainsi que la prorogation de la durée de protection des droits légaux de l’œuvre après décès de son auteur (portée de 25 ans à 50 ans). L’ONDA,ayant veillé, par ailleurs, dans la perspective d’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à adapter ses textes juridiques et structures organiques en fonction de la législation internationale régissant les droits de propriété intellectuelle telles qu’en usage dans le commerce mondial. Sur le terrain opérationnel, les activités de l’organisme assurent tant bien que mal la protection des oeuvres et gestion des droits de leurs producteurs – créateurs, et adaptateurs ou traducteurs, en plus des prestations supplémentaires, notamment la mise en place de commissions spécialisées, depuis les années 90, ayant pour mission principale la préservation et valorisation du patrimoine.

Et dans le but d’encourager la création artistique et littéraire, en général, l’établissement a procédé, entre autres, au financement de certaines oeuvres théâtrales et romanesques, avec notamment les parrainages de certaines manifestations culturelles -littéraires périodiques, telles que celles relatives aux prix Malek Hadad et prix Moufdi Zakaria, (ainsi que l’assistance prodiguée à des productions relevant d’autres disciplines artistiques, art plastique, cinématographique, etc.)…quoique il est reproché parfois à l’institution de manquer de rigueur sur ce registre. De même que l’ONDA, de l’avis des échos d’artistes, semble éprouver des difficultés à assurer convenablement la protection sociale des artistes et créateurs, en s’acquittant régulièrement du versement des 10% de ses revenus au bénéfice du fonds social d’assistance aux artistes. Alors que d’autre part, nombre d’auteurs affiliés à l’ONDA déplorent certains retards dans le traitement de leurs dossiers, particulièrement en ce qui concerne les questions liées aux litiges avec nombre d’éditeurs ignorant leurs droits, ce problème pouvant relativement se régler, cependant, lorsque les authentiques gens du métier parviendraient à occuper progressivement le terrain comme on l’assiste actuellement.(A signaler la création récente d’un organisme autonome de défense des droits des auteurs,écrivains, dramaturges, créateurs d’œuvres diverses de l’esprit,en général, à l’initiative d’un groupe d’artistes pour faire face aux lenteurs criardes de l’ONDA pour ne pas dire autre chose, de même que des ligues d’artistes -créateurs ont vu le jour dans le cadre des enceintes syndicales publiques de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens).

 Mais, d’une manière générale, et comparativement à nombre de pays émergeants, l’ONDA a incontestablement réalisé, en un temps relativement court, des progrès considérables en matière de protection des droits d’auteurs et droits voisins, en attendant de mieux parer, à l’avenir, aux autres difficultés embarrassant ses auteurs affiliés. Chose qui relève justement, – sans chercher à s’ingérer dans les attributions de l’Office, – des prérogatives de l’institution appelée visant à défendre les intérêts des artistes -créateurs, ce qui fait sa raison d’être même. A plus forte raison quand on sait qu’en Algérie, rares sont ceux qui peuvent se targuer de vivre du métier d’auteur (écrivain, scénariste, dramaturge, littérateur, artiste -créateur…) s’ils ne sont pas déjà reconnus et consacrés, nationalement ou extérieurement, afin de pouvoir tirer profit, conséquemment, de leur notoriété publique. Ce qui leur permet, de se faire généralement aisément publier ou adapter à la scène cinématographique ou théâtrale.

La dure voie de consécration pour les jeunes plumes

Evidemment cette opportunité n’est guère permise, comme l’a souligné Jaoudet Gassouma, aux jeunes plumes émergentes aspirant à devenir auteurs, ou aux talents moins jeunes marginalisés, préférant se taire, n’écrivant rarement que ce que leur dicte leur conscience, étant généralement en inadéquation avec certaines normes imposées de la littérature telle que la conçoivent des promoteurs publicistes privés incultes, improvisés «pseudo-éditeurs» adeptes exclusivement du tout mercantile exploitant systématiquement tout ce qui relève du le sensationnel porteur. Qu’il soit d’ordre politique, événementiel, ou même d’ordre religieux, comme ces innombrables textures cultuelles et leurs interprétations rigoristes à la mode inondant le marché (avant que des journalistes ne se rendent compte de la nocivité de certains ouvrages de pseudo- exégèse religieuse faisant l’apologie du terrorisme et de l’entre -déchirement entre membres d’une même communauté nationale (?) pour être aussitôt, conséquemment, retirés du marché…). Ces publications particulières, par leurs impressions majeures, – tenant moins de l’histoire, de la culture, des arts, des sciences, de la connaissance et spiritualité authentique, en général, que des éditions «tape à l’œil» exaltant les sentimentalismes morbides refoulés, ou les idéologies ségrégatives et extrémistes; quitte à falsifier toutes données de fond certifiées évacuées, – ne tenant compte que de l’appât du profit rapide essentiellement, rejoignent, ainsi, par d’étranges détours, avec l’imposition de leur tout commercial, celle du tout idéologique du dictat totalitaire caractérisant les publications de la pensée unique d’hier !.

Fort heureusement, il existe des maisons d’éditions nationales du secteur privé qui honorent les métiers du livre en Algérie, n’évacuant point la dimension culturelle édifiante et stimulante de l’éveil de l’esprit, dans la conception de leurs programmes productifs, quoiqu’elles restent assez réduites sur le terrain. La plupart des autres continuant, pour une raison ou pour une autre, à persister dans leurs pratiques routinières -comme le déplorent les jeunes plumes en voie d’émergence – alors que par ailleurs, d’autres plus sélectifs (ici le secteur public y étant impliqué) font trop souvent la part belle aux écrits de nombre de dignitaires (ou d’ex – notoriétés) du système (tous secteurs confondus) recueillant les faveurs d’éditeurs ou producteurs artistiques qui se rendent compte, généralement après coup, de l’inconsistance de la majorité des écrits banals de ces derniers, pire même, des grossières déformations du point de vue historico – social qu’ils comportent… alors que sont délaissées nombre d’œuvres probantes, professionnellement parlant, la plupart du temps boudées pour des raisons évidentes de gains de dividendes et notamment d’accès ouvert aux projets autorisés dans ce domaine. Tant que persistera dans ce contexte, naturellement, la bureaucratie, les pratiques du clientélisme et du favoritisme des instances publiques s’agissant des attributions de facilités et d’appuis aux importations d’ouvrages, ou leur édition et co-édition avec des partenaires étrangers, (récemment encore des voix offusquées de certains modestes éditeurs de Blida,Tizi Ouzou, etc., ont déploré ces appuis destinés aux puissants acteurs de l’édition surtout et autres, les privilégiés proches des instances officielles …). Une situation mitigée qui ne permet guère de libres choix judicieux en matière de production littéraire et artistique nationales qualitatives.

Et bien souvent pour aboutir à la consécration, nombre d’auteurs locaux sont généralement contraints de passer par Paris ou Beyrouth, non sans certaines concessions éditoriales, parfois. Certains écrivains ne pliant pas aux exigences touchant à la teneur de fond de leurs écrits et libres réflexions, ayant du préférer, plutôt que de le céder aux lourdes concessions, rejoindre tout simplement le giron peu enviable des auteurs marginaux, qui après un livre ou deux, sont restés murés dans le silence, qui bloqués par manque de moyens financiers de publication de leurs ouvrages, qui touchés par la censure ou l’autocensure, qui éternellement ajourné par la bureaucratie, qui refoulé pour telles ou telles considérations, etc…, certains n’ayant jamais perdu l’espoir, cependant, de pouvoir rebondir, un jour, avec le «tribut» résultant des incessants durs labeurs accumulés tout au long de leur pénible expérience de traversée du désert, synonyme d’acquis glanés venus renforcer, sans doute, dans une grande mesure, leur capital intellectuel. Mais toujours est-il que sans un climat favorable, et pour l’édition d’auteurs et pour la subvention du livre encourageant le lectorat, il ne faut pas s’attendre à grand-chose dans ce domaine. A moins que éditeurs et écrivains s’organisent, communiquent entre eux et relancent, par exemple, des activités et journaux littéraires – traits d’union, impulsant, entre autres, l’Union des écrivains Algériens pour la sortir de sa perpétuelle désunion et mésentente entre ses membres jetant à chaque fois le discrédit de sa représentativité, le plus grand nombre de plumes algériennes évoluant, d’ailleurs, en dehors de son cadre officiel. C’est le cas,entre autres, de ces nouveaux jeunes talents qui s’affirment, s’aguerrissent et se distinguent au fil des ans, dans les trois idiomes, tels les Jaoudet Guessouma, Hamid Grine, Kamel Daoud, Fatima Bekhai, Wahiba Khiari, (pour l’expression en français), ou les El Kheir Chouar, Abderrezak Boukeba, Yasmina Salah, (pour l’expression en arabe), ou les Brahim Tazghat, Chamakh, (pour l’expression en tamazight), pour ne citer que ceux-là.

Ce sont là des écrivains représentatifs de la nouvelle génération, et avec laquelle il faut assurément beaucoup compter. Sans rupture nette avec la génération d’écrivains précédents très préoccupés par les interrogations sur la question légitime du devenir d’un moi collectif tourmenté («m’hhayerr»), ces nouvelles plumes et à la suite du défi relevé des aînés de l’affranchissement du joug colonial français et de leur combat post-indépendant tendant à s’affranchir également du dictat de la pensée unique du monopartisme, semblent plaider de la nécessité tout autant vitale de s’affranchir des stigmates de l’idéologie conservatrice et théocratique ambiantes, sans négliger l’autre risque aliénant du conditionnement planant tendant à l’imposition d’une identité collégiale, populiste et massificatrice qui noierait totalement l’individualité de l’être. D’où cette interpellation compréhensible au passage obligé à l’identité libre de la singularité du moi indépendant que paraissent prôner solidairement, dans un certain enthousiasme, tous ces auteurs -créateurs littéraires, ou artistes et intellectuels de l’Algérie nouvelle, de plus en plus jaloux de leur autonomie. Comme le montrent si bien, d’ailleurs, les personnages symboliques (les femmes plus que les hommes) de ces multiples œuvres romanesques très significatives, où ils essayent dans leurs timides tentatives d’affirmer, autant que faire se peut, une relative et fragile autonomie individuelle (ou intellectuelle) vagissante dans la fournaise de pénibles circonstances empreintes de contradictions paroxystiques particulièrement déplorables. Et ce d’autant plus qu’elles constituent des entraves persistantes à cet idéal émancipateur depuis qu’ont été déchus les fols espoirs libertaire des lendemains amers des libérations qui déchantent.

Cependant, en parcourant le contenu des œuvres littéraires et artistiques nouvelles de la décennie 2000 en général, on se rendra vite compte que ces néo- sculpteurs du verbe, loin de se décourager devant les divers obstacles, ont au contraire redoublé de persévérance. Accros de la noble pensée des arts et lettres qu’ils sont, ils donnent l’air d’être plus que jamais décidés dans la poursuite de leur voie d’affirmation d’un idéal libertaire tendant inlassablement à se dégager des tabous sociaux de toutes sortes. Tout en laissant entendre qu’ils ne négligent point ce sempiternel souci de quête parallèle d’authenticité culturelle et d’ancrage universel à la fois, optique d’avenir qui n’est pas sans s’inscrire dans la trajectoire évolutive de l’esthétique plurilingue caractérisant la trame complexe sous-tendant les œuvres littéraires et artistiques participant de ce vaste continuum du patrimoine culturel multimillénaire propre à l’algérianité mosaïcale en incessant devenir.


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