LIVRES / «INDIGÈNES»… MAIS, DES HÉROS !

      par Belkacem Ahcene-Djaballah     

                                                                                   Livres

Les vertueux. Roman de Yasmina Khadra, Casbah Editions, Alger 2022. 541 pages, 1500 dinars

Après Kaboul, Tel Aviv, Baghdad, Rio Salado (El Mallah), Tripoli, Tanger, Paris, Molenbeek, La Havane, Blida, Ciudad Juarez… l’auteur nous ramène, cette fois-ci (enfin !) au pays. Avec même un retour en force à Oran et… à Kenadsa.

Au pays, mais durant la période coloniale, celle, peut-être la moins connue mais peut-être la plus sombre de notre histoire, celle de la dépossession des terres et d’un apartheid ne disant pas son nom. Voilà donc un retour réussi aux sources après avoir été «accusé» (par ses éternels contempteurs et autres «envieux» de son talent et de sa franchise) d’éloignement du pays et d’on ne sait quoi d’autre.

Cette fois-ci, l’histoire romancée (de ce pan de notre Histoire) n’a absolument rien à voir avec ce qui lui avait été reproché dans «Ce que le jour doit à la nuit» (2008) avec son village de rêve regroupant, dans une atmosphère de cohabitation «heureuse», pieds-noirs et indigènes.

Nous sommes au début des années 1900… alors que le colonialisme triomphant (aidé en cela par ses «Caïds»), bien que n’ayant pas encore conquis tout le pays, tout articulièrement les régions du Sud, voyait s’approcher l’horizon (à fêter) du centenaire de l’occupation. Hélas, ce colonialisme-là, dans le récit, on ne le voit pas ou pas assez. Il est vu à travers son relais habituel, le Caid ou l’agha et la misère des «indigènes». Ou, si on le voit, c’est à travers les gestes «fraternels» d’anciens soldats dirigeants les «Turcos» (des tirailleurs, pour la plupart «engagés» de force, dans la Première Guerre mondiale face aux «Boches»).

1914: La guerre éclate en Europe. La France mobilise, contre leur gré, les jeunes hommes des populations colonisées. Le fils du Caïd du coin (Gaïd Brahim) est déclaré inapte… ce qui ne plaît guère au papa, -lui, un anacien combattant- toujours à la recherche d’une médaille à suspendre sur la poitrine familiale. Il fait remplacer, secrètement, son fils par Yacine (Cheraga), un jeune issu d’une famille pauvre. Débute alors la grande aventure au sein des «Turcos», parsemée de morts et d’exploits. Puis vint la fin de la guerre… et, avec le retour au pays, le début des grandes désillusions et de trahisons (le caïd n’ayant pas tenu ses promesses et ayant même tenté d’assassiner le «remplaçant» de son fils)… avec leur lot de misères mais aussi d’amour (s), de résistances et de luttes pour une vie meilleure et, aussi, pour libérer le pays du joug colonial.

Notre héros va tout connaître du joug colonial, dont onze années de bagne, ayant été (injustement) accusé d’avoir occis deux sbires du caid (qui voulait alors effacer toutes les traces de l’imposture originelle ayant profité à son image de marque et à celle de son fils, bons serviteurs de la France). Heureusement, il y aura l’intervention de son ancien supérieur «Turco» (celui-là un Européen d’Algérie, l’adjudant Gildas, devenu un colon au grand cœur) et il sera libéré. Heureusement, il retrouvera, par hasard, sa famille chassée alors de ses terres par le Caïd et forcée à la mendicité. Heureusement, il y a l’aide d’un ancien compagnon de bataillon (celui-ci, un «Araberbère»… un néologisme inventé par l’auteur ?) et il retrouvera assez vite son épouse, Meriem, sa «merveileuse petite rose des sables» et son enfant… Et, plein de sagesse et son indéfectible humanité, la rancœur s’étiolant et beaucoup de serments perdant de leur ferveur (même le visage de Gaïd Brahim ne remue rien en lui), il coulera, grand-père, des jours heureux… à Kenadsa, le «ksar millénaire aux êtres de lumière et de charité fraternelle».

L’Auteur : Né en janvier 1955 à Kenadsa, élève de l’Ecole des cadets de la Révolution, ancien officier de l’Armée nationale populaire, Yasmina Khadra, de son vrai nom Moulessehoul Mohammed, est, aujourd’hui, un écrivain très connu. Lu dans des dizaines de pays, il est traduit en près de 50 langues. Il a, à son actif plusieurs dizaines d’œuvres dont deux sont autobiographiques («L’Ecrivain» en 2001, «L’imposture des mots» en 2002). La plupart sont des romans dont certains ont été adaptés au cinéma comme «Morituri», «L’Attentat», «Ce que le jour doit à la nuit» et «Les hirondelles de Kaboul» et au théâtre et même en bandes dessinées… ceci sans parler des ouvrages (dont des romans policiers) publiés sous pseudonyme au milieu des années 80 et au tout début des années 90, inventant même un personnage fameux, celui du Commissaire Llob («Le Dingue au bistouri» et «La foire aux Enfoirés»).

A noter qu’il a co-signé, aussi, des scénarii de films… qu’il a été un certain temps directeur du Centre culturel algérien à Paris… et qu’il a même tenté une courte «aventure» politique lors des présidentielles! Et, qu’il a récemment effectué une tournée à succès de promotion du livre (Oran, Tizi Ouzou, Alger)

Extraits : «Un homme sans honneur est plus à plaindre que l’épouvantail qu’on plante dans les champs. Sa vie est un brouillon sans queue ni tête. Personne ne viendra fleurir sa tombe.C’est comme s’il n’avait jamais existé» (p33), «La grossièreté, chez nous, était l’offense la plus proche du blasphème» (p45), «Rien n’est tout à fait fini avec la guerre, rien n’est vaincu, rien n’est conjuré ou vengé, rien n’est vraiment sauvé. Lorsque les canons se tairont et que sur les charniers repousseront les prés, la guerre sera toujours là, dans la tête, dans la chair, dans l’air du temps faussement apaisé, collée à la peau, meurtrissant les mémoires, noyautant chacune de nos pensées, entière, pleine, totale, aussi indécrottable qu’une seconde nature» (p90), «Oran, c’est ni Mostaganem ni Sidi Bel-Abbès. C’est une ogresse qui avale son monde et qui rumine tout le temps. Tu y pénètres par une porte, mais tu ne sais pas par quelle brèche en ressortir» (p205), «La vie est une traversée et tu es un simple pèlerin.Le passé est ton bagage. Le futur, ta destination. Le présent, c’est toi. Si ton bagage t’encombre, dépose-le à la consigne. Si ta destination est hasardeuse, sache qu’elle l’est pour tout le monde. Vis à fond l’instant présent, car rien n’est aussi concrètement acquis que cette réalité manifeste que tu portes en toi» (p.463)

Avis : Un roman «pas comme les autres». Toujours une écriture directe, rapide et limpide bien qu’ayant perdu, on ne sait où… (peut-être dans la sur-production ? Ou, dans la recherche d’une écriture se voulant universelle), sa pureté originelle diamantée. Se lit d’un seul trait malgré quelques longueurs réflexives, philosophiques et/ ou moralisatrices ou… des raccourcis qui vous donnent un récit, certes homogène, mais chargé de plusieurs (més) aventures, de plusieurs histoires.

Citations : «Les hommes vrais ont la larme facile parce qu’ils ont l’âme près du cœur. Quant à ceux qui serrent les dents pour refouler leurs sanglots, ceux-là ne font que mordre ce qu’ils devraient embrasser» (p 47), «L’armée, c’est tout ou rien ; le juste milieu n’y a pas cours.Tu vas être sommé de gueuler pour te faire entendre et de ruer dans les brancards pour te donner une visibilité, sinon on te cassera aussi facilement qu’une brindille»(p 62), «Si nous avions été égaux dans le martyre, l’Histoire ne retiendra que les héros qui l’arrangent» (p 145), «L’armée a sa pédagogie. C’est comme ça qu’elle fonctionne.Je gueule, mais je ne mords pas «(p 158), ; «Quand on se croit au-dessus de tout, on perd de vue la chute» (p 164), «Être riche, n’est ni une fin ni une sinécure. C’est la plus effroyable des solitudes «(p 243), «Quand on est jeune, on est un peu simple d’esprit (… ).On se berce d’illusions. Puis on se réveille, et on s’aperçoit qu’on est passé à côté de l’essentiel» (p 279), «La liberté n’est pas une fin en soi. On n’accède au salut de son âme que par la sagesse, mère de toutes les paix et de toutes les libertés» (p 324), «Le patriote n’est pas celui qui aime son pays, mais celui qui en est digne « (p378), «Quel sens donner à la liberté, sinon celui de la simplicité ?» (p521), «On peut soigner une pathologie inconnue ou améliorer une mentalité compliquée, mais on ne peut changer une nature» (p538)

Ce que le jour doit à la nuit. Roman de Yasmina Khadra. Editions SEDIA, collection Mosaique, Alger 2008 (1re édition, Julliard, Paris, 2008). 518 pages, 950 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel.)

On pensait que la Réconciliation nationale était limitée dans le temps et dans l’espace. En fait, c’est une philosophie assez simple, qui est de tous les temps et de tous les lieux. C’est aussi une pratique politique… Efficace… lorsque en face il y a, bien entendu, des repentis sincères.

Voilà ! c’est fait. Ce que les politiques, d’ici et d’ailleurs, sauf en Afrique du Sud, n’ont pas réussi à imaginer, notre Yasmina Khadra international l’a réalisé (et, au passage, succès impose, décroché des prix littéraires étrangers).

Son livre, «Ce que le jour (l’Algérie indépendante, je pense) doit à la nuit (coloniale, je re-pense)», qui a connu un énooooooorme succès en France où il a été d’abord édité, retrace la vie d’un (beau) jeune homme aux yeux bleus d’origine algérienne (Younès), élevé au sein de la communauté coloniale (avec le prénom de Jonas), dans un village de rêve de l’Oranie (Rio Salado), par son oncle (un pharmacien), un bon musulman, nationaliste sans excés, moderniste, tolérant, «intégré» sans être assimilé, marié à une gentille dame d’origine européenne, catholique pratiquante de surcroît mais respectueuse des croyances d’autrui. Un cocktail qui passe !

La guerre de libération arrive brusquement, déchirant le beau voile couvrant la vie paisible d’une population qui croyait être içi pour encore des siècles, tout en ignorant ou en exploitant une population musulmane vivant dans la misère la plus noire et parfois sous les coups de cravache et la répression. La guerre oblige, aussi, à faire, une bonne fois pour toutes, le choix. Pas facile surtout lorsqu’elle est loin ! Ce sont donc les évènements – et les combattants – qui vont forcer l’engagement.

Heureusement, tout est bien qui finit bien… sauf la belle mais imposible amour entre la belle petite pied-noir et le beau bougnoule… qui ne la retrouvera (ainsi que les amis d’enfance avec qui il fêtera, à Aix en Provence, pas très loin de «chez nous», l’ancienne amitié revisitée, avec l’incontournable harki… qui se fait un «sang d’encre» pour son pays d’origine qui s’entre-déchire durant les années 90) que plusieurs décennies après l’Indépendance en allant se recueillir sur sa tombe.

La morale de l’histoire: Au fond, n’eût été la tragédie de la période Oas, suivie de la «fuite» éperdue vers la «mère-patrie» des populations européennes, on aurait (presque) continué à vivre ensemble… comme «au bon vieux temps».

Avis : Il est évident que ce chef-d’oeuvre de la littérature Khadréienne (une écriture pure comme un diamant… et Yasmina Khadra, qui est maintenant un vrai germanopratin et déjà officier des Arts et des Lettres et chevalier de la Légion d’honneur… pour ne citer que ces deux distinctions, n’est plus très loin d’une Académie) est beaucoup plus destiné à un certain public, là où il a connu les meilleures ventes. Normal. Il a reconstitué quasi-fidèlement la vie (ô combien heureuse, et ce presque jusqu’à la fin de la guerre : ambiance, odeurs, senteurs, humeurs, tout y est ) de la communauté coloniale en Algérie. Les papis et les mamis pieds-noirs, «nostalgériques», ont donc retrouvé avec plaisir le pays perdu ; une lecture qui débouche sur l’espoir de revenir visiter librement les lieux de leur jeunesse et de leurs folies (pas les erreurs, car elles sont oubliées !), avec leurs enfants ou leurs petits-enfants.

Les recettes du tourisme n’ont pas connu, avec ce livre, un «boom». On espérait tant «booster» les recettes hors hydrocabures.

Quant aux lecteurs algériens, voilà un livre qui intéressera surtout les sexagénaires… des villes… et les zazous de l’époque.

Faut-il le lire ? C’est votre choix !

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