Israël – Palestine : Et si l’on en tirait des leçons …

      A propos de la récente escalade de la violence au Moyen-Orient

par Karl-Jürgen Müller, Allemagne

Selon les chiffres officiels, la nouvelle escalade du conflit au Moyen-Orient a coûté la vie à 12 morts israéliens et 243 palestiniens, dont plus de 60 enfants et jeunes. C’est une raison suffisante pour reparler du roman factuel «Apeirogon», publié en 2020et écrit par l’auteur irlandais Colum McCann – comme nous l’avons déjà fait à deux reprises dans ce journal (Horizons et débats n° 18 du 1er septembre 2020 et n° 22 du 13 octobre 2020). Le roman a deux «héros» qui existent réellement: l’Israélien juif Rami Elhanan et le Palestinien arabe Bassam Aramin.Tous deux ont perdu un enfant à cause d’actes de violence commis par «l’autre camp». Tous deux ont rejoint le mouvement de paix judéo-arabe, dans lequel ils travaillent ensemble.

Apeirogon

Au milieu du roman, après les 500 premiers et avant les 500 derniers chapitres, tous deux s’expriment longuement.
«Mon nom est Rami Elhanan. Je suis le père de Smadar. [Smadar avait été tuée dans un attentat suicide palestinien.] Je suis un graphiste de soixante-sept ans, un Israélien, un juif, un Jérusalémite de la septième génération. […] Vous allez peut-être trouver cela curieux, mais en Israël on ne sait pas vraiment ce qu’est l’Occupation. On s’assoit dans nos cafés, on passe un bon moment, et on n’a pas à s’en soucier. On n’a aucune idée de ce que c’est que de franchir un checkpoint chaque jour. Ou de se faire confisquer la terre de ses parents. Ou de se réveiller avec une arme sous les yeux. Nous avons deux catégories de lois, deux catégories de routes, deux catégories de valeurs. Pour la plupart des Israéliens cela paraît impossible, c’est une sorte de distorsion bizarre de la réalité, mais ce n’est pas le cas. On en a simplement aucune idée. On a la belle vie. Le cappuccino a goût. La plage est ouverte. L’aéroport est à deux pas. On n’a pas accès aux informations sur la vie des gens en Cisjordanie ou à Gaza. Personne n’en parle. A moins d’être soldat, vous n’avez pas le droit d’entrer dans Bethléem. On roule sur nos routes autorisées aux seuls Israéliens. On contourne les villages arabes. On construit des routes au-dessus et au-dessous, mais uniquement pour les rendre anonymes. Peut-être qu’on a vu une fois la Cisjordanie, pendant notre service militaire, ou peut-être qu’on regarde une émission de télé de temps en temps, et nos cœurs saignent pendant une demi-heure, mais on ne sait pas vraiment, réellement, ce qui se passe. Jusqu’à ce que le pire advienne. Et là, tout est bouleversé.

La violence est faible,
la haine est faible

La vérité, c’est qu’il ne peut y avoir d’occupation humaine. Ça n’existe tout simplement pas. Ce n’est pas possible. Tout est une question de contrôle. Peut-être faudra-t-il attendre que le prix de la paix devienne exorbitant pour que les gens commencent à comprendre. Peut-être que cela s’arrêtera seulement le jour où le coût sera plus élevé que le profit. Coût économique. Manque de travail. Pas de sommeil la nuit. Honte. Voire peut-être la mort. Le prix que j’ai moi-même payé. Ceci n’est pas un appel à la violence. La violence est faible. La haine est faible. Mais aujourd’hui un camp est complètement rejeté sur le bord de la route. Les Palestiniens n’ont aucun pouvoir. Ce qu’ils font est né d’une colère, d’une frustration et d’une humiliation incroyables. On leur prend leur terre. Ils veulent la récupérer.»

«L’Occupation nous assomme»

«Mon nom est Bassam Aramin, je suis le père d’Abir. [Abir avait été mortellement blessé à la tête par une balle en caoutchouc tirée par la police israélienne.] Je suis un Palestinien, un musulman, un Arabe. J’ai quarante-huit ans. J’ai vécu dans plein d’endroits – une grotte près d’Hébron, sept ans en prison, puis un appartement à Anata, et ces derniers temps une maison avec jardin à Jéricho, près de la mer Morte. […] Gamin, je pensais que c’était une punition divine que d’être un Palestinien, un musulman, un Arabe. Je portais ça autour du cou, comme un gros poids bien lourd. Quand vous êtes gamin, vous demandez toujours pourquoi. Mais les adultes oublient de demander pourquoi. Vous acceptez les choses, rien de plus. Ils démolissent nos maisons. Accepté. Ils nous parquent aux checkpoints. Accepté. […] Voyez-vous, l’Occupation existe dans le moindre aspect de votre vie, un épuisement et une amertume que personne, à l’extérieur, ne comprend vraiment. Elle vous prive d’un lendemain. Elle vous empêche d’aller au marché, à l’hôpital, à la plage, à la mer. Vous ne pouvez pas marcher, vous ne pouvez pas conduire, vous ne pouvez pas prendre une olive de votre propre arbre qui se trouve de l’autre côté du fil barbelé. Vous ne pouvez même pas lever les yeux au ciel. Ils ont leurs avions tout là-haut. Ils possèdent l’air au-dessus et le sol au-dessous. Vous avez besoin d’un permis pour labourer votre propre terre. Votre porte est défoncée, votre maison est saisie, ils posent les pieds sur vos chaises. Votre gamin de sept ans se fait arrêter et interroger. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est. Sept ans. Soyez un père pendant une minute et pensez à votre enfant de sept ans en train de se faire arrêter sous vos yeux. Les yeux bandés. Les poignets ligotés. Emmené au tribunal militaire d’Ofer. La plupart des Israéliens ne savent même pas que ça arrive. Non pas qu’ils soient aveugles. Ils ne savent tout simplement pas ce qui est fait en leur nom. Ils n’ont pas le droit de le voir. Leurs journaux, leurs chaînes de télévision ne leur parlent pas de ces choses-là. Ils ne peuvent pas aller en Cisjordanie. Ils n’ont aucune idée de la vie qu’on mène. Mais ça se produit tous les jours. Chaque jour. Nous ne l’accepterons jamais. Même au bout de mille ans, nous ne l’accepterons jamais. […] L’Occupation nous assomme, et nous nous relevons. Nous tenons bon. Nous ne céderons pas. Même s’ils me pendent avec mes propres veines. Voyez, mettre fin à l’Occupation est notre seul véritable espoir pour la sécurité de tous, israéliens, palestiniens, chrétiens, juifs, musulmans, druzes, bédouins, peu importe. L’Occupation nous corrompt tous de l’intérieur. Mais comment faire pour y mettre fin? Je savais à l’époque –et encore plus aujourd’hui – qu’il nous faut procéder différemment. […] Nous avons dû apprendre à recourir à la force de notre humanité. A être violemment non violents. A nous incliner devant les choses que nous devons nous dire les uns aux autres. Ce n’est veule, ce n’est faible, au contraire, c’est humain.»

Portaitissa à Donetsk

Un documentaire plusieurs fois primé de 2018 sur un monastère très proche de l’aéroport de Donetsk assiégé et désormais complètement détruit – «Portaitissa to Donetsk» – me vient également à l’esprit. L’abbesse dont le monastère a été détruit lors des combats autour de l’aéroport fin 2014/début 2015, déclare dans le film: «Ace moment-là, je suppose que nous pouvions encore changer quelque chose. Nous aurions pu nous réconcilier. Comprenez-vous les uns les autres. Apparemment, personne n’en voulait!»

Insuffisant, mais cela en vaut la peine

Et enfin, une autre citation du roman «Apeirogon». Bassam Aramin, nous dit le roman dans l’un des derniers chapitres, a eu l’occasion de s’exprimer lors d’une conférence de l’American Israel Public Affairs Committee AIPAC. Il est toujours déstabilisé pendant son discours et doute de l’utilité de parler ici, au Lobby israélien. Il perçoit un malaise et une réticence chez son public. Mais au milieu du récit, il dévoile ceci: «Au moins pour en faire changer un d’avis. Cela était insuffisant, mais ça valait la peine de faire des efforts.»•


Le peuple palestinien a également le droit à l’autodétermination

Déclaration au nom de International Human Rights Association of American Minorities sur la Session spéciale du Conseil des droits de l’homme sur la Palestine, du 27 mai 2021

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les délégués

L’IHRAAM s’engage à mettre en œuvre l’article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipulant le droit à l’autodétermination de tous les peuples, y compris le peuple palestinien.
Depuis 1947, les Nations Unies ont la responsabilité particulière de faciliter une résolution pacifique de la crise israélo-palestinienne, ce qui implique le plein respect du droit international et des déclarations pertinentes des Nations Unies, notamment la résolution 242 du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967 et l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 9 juillet 2004, qui a estimé que les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme avaient été violés par Israël et a formulé des solutions qui n’ont pas été mises en œuvre jusqu’à présent.
Il ne peut y avoir de solution juste pour les peuples d’Israël et de Palestine si le droit international n’est pas appliqué. Ce Conseil doit insister sur la mise en œuvre des recommandations du Rapporteur spécial sur la Palestine, le Professeur Michael Lynk.
L’IHRAAM approuve également le récent rapport de Human Rights Watch et appelle Israël à mettre fin à ses politiques d’accaparement des terres et d’expulsion des Palestiniens de leurs maisons, qui sont contraires à l’article 49 de la quatrième Convention de la Croix-Rouge de Genève et aux articles 7 et 8 du Statut de Rome.

Professeur Alfred de Zayas

Source: https://dezayasalfred.wordpress.com/2021/05/27/special-session-of-the-human-rights-council-on-palestine-thursday-27-may-2021/

(Traduction Horizons et débats)


Résultats de la session spéciale du Conseil des droits de l’homme du 27 mai

Le 27 mai, le Conseil des droits de l’homme a adopté une résolution visant à assurer le respect du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. De même, en Israël il a créé une commission d’enquête internationale chargée d’enquêter sur les violations du droit international humanitaire et sur toutes les violations et tous les abus présumés du droit international des droits de l’homme jusqu’au 13 avril 2021 et depuis cette date, sur toutes les causes profondes des tensions récurrentes.
La résolution a été adoptée à la fin d’une session spéciale d’une journée du Conseil des droits de l’homme sur la «grave situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est».
Dans la résolution (A/HRC/S-30/L.1), adoptée par 24 voix pour 9 voix contre et 14 abstentions, le Conseil décide de créer d’urgence une commission d’enquête internationale indépendante et permanente, qui sera nommée par le président du Conseil des droits de l’homme et chargée d’enquêter dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël sur toutes les violations présumées du droit international humanitaire et sur toutes les violations et tous les abus présumés du droit international des droits de l’homme jusqu’au 13 avril 2021. Et depuis cette date, sur toutes les causes profondes des tensions récurrentes, de l’instabilité et de la prolongation du conflit, y compris les violations et abus systématiques du droit international humanitaire, cette résolution s’exerce, Elle s’applique notamment dans les domaines de la discrimination et l’oppression systématiques fondées sur l’identité nationale, ethnique, raciale ou religieuse.
Le Conseil appelle également toutes les parties concernées à coopérer pleinement avec la commission d’enquête et à lui faciliter l’accès. Elle demande instamment à tous les Etats de s’abstenir de transférer des armes s’ils estiment, conformément aux procédures nationales applicables et aux obligations et normes internationales, qu’il existe un risque manifeste que ces armes puissent être utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations ou abus du droit international des droits de l’homme ou de graves violations du droit international humanitaire.

Source: https://www.ungeneva.org/fr/news-media/meeting-summary/2021/05/human-rights-council-establishes-international-commission

(Traduction Horizons et débats)


Pour trouver une solution, il faut être prêt à dialoguer autour d’une table …

Déclaration de Bruno Kreisky de 1988 au sujet des origines du conflit entre la Palestine et Israël

Au Moyen-Orient, chaque jour amène son nouveau bain de sang.1 C’est là une chose que j’ai toujours vu venir et je suis très triste qu’il en soit ainsi. Certains d’entre vous se souviennent peut-être de l’époque où, seul parmi les chefs d’Etat européens, je m’en inquiétais et où je tentais d’alerter sur ce qui allait se produire.
C’était un sujet de conversation, dans les cafés, aux tables des habitués, on se demandait: «mais qu’est-ce que Bruno Kreisky fabrique tout le temps, avec les Palestiniens?» Bien sûr, seulement parce que je suis d’avis que ces gens ont le droit d’exister, qu’ils ont le droit de vivre, que l’on ne doit pas leur enlever leur terre, et que les Israéliens, surtout les Israéliens, ne doivent pas faire cela, qu’ils doivent trouver une solution pour que deux Etats puissent coexister. C’est pour cela que je me suis battu pendant des décennies. […]
Récemment, quelqu’un a déclaré dans un grand magazine américain: «Si ni les politiciens israéliens ni le gouvernement israélien ne sont en mesure de résoudre ces problèmes, alors ils ne devraient pas exiger des jeunes soldats israéliens qu’ils les résolvent à leur place.» Il faut mettre en place une nouvelle politique. Et une fois encore, chers camarades, vous voyez où mène une politique erronée.
Je connais bien les Arabes, je connais bien les Palestiniens, il n’y a pas longtemps j’ai encore été en contact avec eux, dimanche dernier à Londres, pour être précis. J’ai été en contact téléphonique avec Yassir Arafat. Je suis convaincu qu’on peut trouver une solution dès maintenant, à condition de le vouloir. Sous une condition, une seule: il faut être prêt à s’asseoir à la table des négociations. Et ça, l’actuel gouvernement israélien n’est pas prêt à le faire. Or la conscience du monde doit à l’évidence se manifester, même si elle se réveille bien tard, comme c’est le cas actuellement. Mais à présent qu’elle s’est enfin réveillée, il ne faut pas la sous-estimer. Un Etat, même un petit Etat, s’il se comporte comme du temps des Croisades, devra en répondre et en payer le prix. Et il faut qu’au plus tôt le peuple d’Israël se rende compte de l’urgence qu’il y a de s’asseoir à la table de négociations et de mettre fin à ce massacre quotidien. Eh oui, ils jettent des pierres, c’est bien possible mais qu’ont-ils d’autre que des pierres, et pourquoi ne jetteraient-ils pas des pierres, là je le dis franchement, puisqu’ils ont été réduits à la servitude, et ceci depuis des années.
Ce sont ceux qui possèdent des armes qui doivent les premiers revenir à la raison. C’est le bon moment, et il arrive souvent que, ayant parcouru la voie des controverses jusqu’au bout, on parvienne tout de même à ce moment où les gens deviennent raisonnables. Cela, nous l’avons déjà vécu, vous le vivrez encore et je vous le dis aujourd’hui, vous n’êtes pas les seuls dans ce cas. Je n’ai donc fait qu’effleurer le problème pour lequel je me suis battu toute ma vie, surtout dans la dernière partie de ma vie: Pour la justice et la paix entre les hommes. Car les solutions par les armes n’apportent que de nouveaux malheurs, encore, et encore, et toujours./


Bruno Kreisky, chancelier autrichien (SPÖ) de 1970 à 1983, parle ici de la première Intifada de 1987 à 1993, également appelée «guerre des pierres». Elle a été déclenchée en décembre 1987 par la mort de quatre Palestiniens dans la bande de Gaza, tués par un camion israélien. «Mais les causes du soulèvement palestinien sont plus profondes: ils vivaient sous occupation israélienne depuis la guerre des Six Jours en 1967. Leurs propres groupements politiques ont été interdits, qu’ils soient radicaux ou modérés. Un pays qui leur appartienne en propre est donc devenu de plus en plus hors de portée. C’est cela qui a alimenté le désespoir et la colère.» Les accords d’Oslo de 1993 entre le Premier ministre israélien Yitzchak Rabinet le chef de l’OLP Yassir Arafat ont mis fin à la première Intifada. (Source: Schäuble, Martin; Flug Noah. «Die Erste Intifada und das Friedensabkommen von Oslo».Deutsche Bundeszentrale für politische Bildung vom 28.3.2008)
Wiener Filmarchiv der Arbeiterbewegung, www.wifar.at

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