L’Algérie face aux deux risques majeurs : sécheresse et coronavirus (COVID-19). Quelle stratégie de prévention pour quel degré de protection ?

Par Pr Abdelkrim Chelghoum (*)

Depuis les deux dernières décennies on assiste en Algérie aux effets dévastateurs des catastrophes naturelles et industrielles dont les conséquences engendrées prennent des proportions de plus en plus alarmantes avec des préjudices humains, financiers et environnementaux insupportables sur les plans économique, sécurité nationale et développement durable. L’Algérie se trouve de plus en plus exposée directement à une variété de calamités de grande ampleur en raison de l’accroissement de sa population accompagné d’une forte industrialisation irréfléchie et une urbanisation à la fois effrénée et débridée engendrant une multiplicité et une complexification des risques encourus difficilement quantifiables.

L’actualité quotidienne nous abreuve de crises et d’accidents majeurs à travers tout le territoire national touchant l’ensemble des institutions : communes, entreprises, wilayas et régions de manière récurrente durant les quatre saisons de l’année. Toutes ces catastrophes ont un dénominateur commun : « L’émergence du risque et de sa prévention ». Pour bien cerner la problématique du risque, il est indispensable de bien identifier cette notion afin de pouvoir appréhender les phénomènes catastrophiques engendrés, expliquer leur formation, comprendre leurs déclenchements et prévoir leurs conséquences. Aussi il est utile de rappeler que sur 14 risques majeurs touchant tous les continents pré-identifiés par l’ONU, 10 menacent l’Algérie, à savoir : 
1) Les séismes et risques géologiques.
2) Les inondations.
3) La sécheresse, désertification, invasion acridienne et réchauffement climatique.
4) Les feux de forêt.
5) Les risques industriels et technologiques (pétrochimiques).
6) Les risques radiologiques et nucléaires.
7) Les risques portant sur la santé humaine (virus, pandémie, Ébola…).
8) Les risques portant sur la santé animale et végétale.
9) Les marées noires, pollutions atmosphériques, marines et hydriques.
10) Les catastrophes dues à des regroupements humains importants (stades, grandes mosquées, centres commerciaux, manifestations, etc.)
Dans cette intervention, j’essayerai d’aborder les thèmes n°3 et n°7 de l’inventaire sus-cité qui représentent l’actualité pour ce pays et ce, dans le seul but d’informer et sensibiliser le citoyen, d’une part, et interpeller la puissance publique, d’autre part, sur la gravité des dangers provoqués par ces deux risques. Concernant le phénomène « sécheresse » durablement installé dans notre pays depuis plus de 4 mois, il devrait, à mon avis, constituer la préoccupation principale des pouvoirs publics qui doivent décider des mesures préventives adéquates à appliquer in situ. Il en est de même pour le risque n°7 portant sur la santé humaine avec la pandémie du coronavirus omniprésente sur la rive nord de la Méditerranée (France, Italie) et qui représente au jour d’aujourd’hui une véritable menace pour l’Algérie compte tenu du flux quotidien important des voyageurs entre les deux rives et surtout de la présence d’une forte communauté chinoise et sud-coréenne dans ce pays. 
Sur un plan purement didactique, je me limiterai aux fondamentaux conceptuels caractérisant le risque sécheresse-désertification avec les causes et conséquences prévisibles. Conventionnellement, la sécheresse exprime un risque majeur à travers un déficit hydrique sous toutes ses formes (climatique, hydrologique et édaphique) dont les conséquences sont toujours néfastes et parfois dramatiques (conflits sur l’eau, mortalité du cheptel, désertification, incendie, destruction des cultures, insalubrité, famine, migration, etc.). Du point de vue hydrologique, météorologique et agricole, la sécheresse est définie comme un déficit en eau pour une application spécifique, une période de temps définie et une région particulière. Dans les zones arides et semi-arides, ce risque majeur est caractérisé par l’absence ou l’insuffisance de pluies annuelles (100-400 mm) qui ont lieu toujours sous un caractère orageux. Ces précipitations présentent une grande variabilité interannuelle et intermensuelle et sont relativement homogènes mais très contractées. Ces phénomènes régionaux affectent la climatologie et la circulation générale des masses d’air présentant ainsi des anomalies dans la production des systèmes pluvieux. Par ailleurs, il faut dire que l’exploitation des ressources naturelles de façon intensive et irrationnelle a provoqué un désordre dans l’équilibre des écosystèmes naturels avec « l’homme » en grande partie responsable de cette détérioration mais aussi la victime, contrainte de vivre dans des écosystèmes naturels fragiles. Pour rappel, parmi les sécheresses cycliques qui ont transformé les paysages, on peut citer celle qui a sévi dans les hautes plaines oranaises de 1980 à 1990 classée comme exceptionnelle de par son ampleur et les dégâts collatéraux engendrés au niveau de cette région. Aussi il est important de signaler que les sécheresses ont été les révélateurs de la désertification dans les zones arides où la pluviosité est à la fois faible et très variable, créant une situation très difficile, voire insupportable à l’écosystème et à la société d’y résister. De même, il est utile de noter que l’accentuation des phénomènes de sécheresse n’est pas à l’origine de la désertification, mais constitue un facteur important d’aggravation de l’effet anthropique sur la dégradation des terres en zones sèches en contribuant à la détérioration des ressources naturelles telles que la végétation, les parcours pastoraux et les sols, accentuant ainsi le processus d’érosion et de désertification. Pour rappel, au cours du siècle précédent, l’Algérie a vécu plusieurs périodes de sécheresse dont les plus intenses ont été ressenties en 1910 et 1940 et de manière plus persistante dans les années 1975-80 ainsi qu’au début des années 2000, ce qui donne une idée de l’ampleur de ce phénomène et de la dégradation climatique qui en est l’une des causes.
Par rapport aux conséquences de ce fléau, on note l’assèchement des oueds, des lacs et des barrages, un abaissement drastique du niveau des nappes superficielles et souterraines avec comme résultante directe :
– La rareté de l’eau pour la consommation humaine et animale.
– Une baisse prononcée de la production agricole et des ressources alimentaires.
– Une réduction des ressources végétales et animales.
– Une réduction des parcours et des cultures.
– Les sols sont décapés et érodés.
– Les forêts cèdent la place à des formations herbacées.
A défaut de développer une stratégie de prévention à long terme pour lutter et contenir ce risque, la puissance publique n’a fait que s’adapter et forcer la population à vivre avec la sécheresse en développant des mesurettes sans aucun impact sur la réduction des effets néfastes de ce fléau. Pis encore, la majorité des lits mineurs et majeurs des oueds ainsi que les espaces marécageux (zones non-aedificandi) traversant les villes et villages ont été totalement construits et imperméabilisés. 
Dans le deuxième volet de la présente contribution, j’aborderai le phénomène connexe irréversible à la sécheresse, à savoir la désertification qui menace sérieusement l’Algérie compte tenu de sa position géographique. Il faut dire que c’est l’un des pays les plus touchés par la désertification avec près de 22 millions d’hectares de parcours steppiques et 13 millions d’hectares de parcours présahariens situés dans l’étage bioclimatique semi-aride à aride ce qui résulte par la perte de quelques centaines de milliers d’hectares chaque année.
Les enjeux et défis qui se présentent à l’Algérie face au problème de cette calamité montrent clairement que la dégradation écologique du pays, notamment en ce qui concerne le capital naturel, a atteint un niveau de gravité qui risque non seulement de compromettre une bonne partie des acquis économiques et sociaux des quatre dernières décennies, mais également de limiter les possibilités de gain de bien-être des générations futures.
Au sens commun du terme, la désertification est la transformation d’une région en désert. Le mot évoque l’avancée du désert aussi bien que la désertion des campagnes ; en fait, pour les scientifiques et la communauté internationale, il s’agit d’un phénomène de grande importance : « Le terme désertification désigne la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines. » Cette dégradation des terres en zones sèches se manifeste par une détérioration de la couverture végétale, des sols et des ressources en eau et aboutit, à l’échelle humaine temporelle, à une diminution ou à une destruction du potentiel biologique des terres ou de leur capacité à supporter les populations qui y vivent.
Il faut noter que la désertification est causée par une combinaison de facteurs qui évoluent dans le temps et varient selon le lieu. Ceux-ci comprennent des facteurs indirects tels que les facteurs socioéconomiques et politiques et la pression démographique ainsi que des facteurs directs comme les modes et pratiques d’utilisation des terres et certains processus liés au climat. Elle est due essentiellement à des facteurs anthropiques caractérisés par les pratiques liées aux surpâturages, défrichement, éradication des espèces ligneuses et l’absence des règles d’accès aux ressources naturelles.
Par rapport aux coûts économiques, il faut signaler que depuis plus de 30 ans, les ressources naturelles des régions arides se dégradent en raison des pressions des hommes sur leur milieu naturel et des crises climatiques qui se sont manifestées dans diverses régions du monde. Cette dégradation du capital naturel entraîne un processus de désertification de plusieurs millions d’hectares en Algérie et conduit à des situations de pauvreté pour des millions de personnes. La dégradation des écosystèmes est dommageable en termes économiques, sociaux et environnementaux. Prévenir leur dégradation et restaurer le capital naturel dégradé devraient figurer au titre des priorités nationales dans le contexte du respect des objectifs du gouvernement.

Il faut dire que la question des coûts économiques de la dégradation des terres devient actuellement prioritaire dans les réunions internationales sur le développement des régions sèches. Cette dégradation débute par une altération de la végétation, une modification de la composition floristique, les espèces les plus utilisées se raréfient et disparaissent. Ensuite ou parallèlement, le couvert végétal s’éclaircit, la production de biomasse diminue et les capacités de reproduction et de régénération de la végétation se réduisent de plus en plus. Le sol moins protégé par la couverture végétale est soumis à l’action mécanique des précipitations qui provoquent une modification des états de surface et donc l’érosion.
Les effets de la désertification combinée à la sécheresse prolongée ont provoqué des dégâts non seulement à l’environnement lui-même mais aussi aux infrastructures, installations humaines et ressources en eau vitale pour la survie dans les zones arides dont la réhabilitation et la restauration nécessitent d’énormes dépenses que les populations locales ne peuvent pas prendre en charge.
Voici quelques recommandations pour atténuer les effets de la sécheresse et prévenir la désertification :
– Actualiser et affiner le réseau hydro-climatologique national.
– Mettre en place les systèmes de veille et d’alerte avec l’alerte précoce.
– Mise en place de programmes complémentaires de renforcement de l’alimentation en eau : forages, interconnexions des barrages, constructions de retenues collinaires au niveau de toutes les communes (50 au minimum par commune).
– Protection des bassins versants (boisement, correction torrentielle, retenues collinaires et procédés anti-érosifs).
– Reprise et consolidation du Barrage vert lancé en 1974 reliant les frontières algériennes occidentales aux frontières orientales sur une distance de 1500 km avec une largeur de 20 km, soit une superficie de reboisement d’environ 3 millions d’hectares. 
Ce mégaprojet de ceinture verte va constituer une grande barrière contre l’ensablement et protéger ainsi les Hauts-Plateaux et le nord du pays de la désertification. Afin d’éviter les erreurs du passé, il est recommandé de procéder à des études poussées sur le choix des espèces végétales et des techniques de plantation adaptées aux terres arides.
Concernant le deuxième risque majeur n°7 portant sur la santé humaine dans ce pays, il est tout à fait légitime de s’inquiéter quant à la probabilité de propagation du coronavirus en Algérie compte tenu de sa présence avec force en Italie et en France. Dans ce contexte, il est important que le citoyen soit informé sur les mesures préventives ainsi que les dispositions de protection projetées par les pouvoirs publics en charge de la sécurité nationale dans ce pays. Malheureusement, on se rend compte que la stratégie préventive adoptée par la puissance publique est circonscrite à des communiqués très vagues qui occultent complètement les principes de précaution et de prudence véritable soubassement d’une politique de réduction des risques majeurs. Il est ainsi primordial de poser les questionnements suivants, à savoir :
– Quels sont les moyens matériels disponibles pour faire face à cette épidémie dans le cas d’une propagation de grande ampleur du virus ?
– Quel est le nombre de centres épidémiologiques existants ?
– Quel est le nombre de places disponibles dans ces centres ?
– Quel est l’état des stocks des produits médicamenteux, nombre de spécialistes, préparation des institutions, etc. ?
– Quel est le nombre de centres de confinement par wilaya ?
– Pourquoi les pouvoirs publics n’ont pas élaboré une simulation pour anticiper le scénario de déroulement des évènements pendant et après la survenance de ce fléau ??
Cette simulation permettrait de vérifier si les moyens existants sont suffisants pour faire face à l’ampleur des dégâts probables. Dans le cas contraire, cette approche va corriger et adapter les mesures préventives arrêtées et déterminer tous les points faibles des activités de secours ainsi que les actions de réduction des impacts sur la population. Elle permet également de proposer l’aide à la décision en situation dégradée si cette crise venait à se produire. C’est la clé de voûte à la mise en place d’une stratégie de prévention fiable. 
Autant de questions que des réponses soient apportées.
En conclusion, on peut dire qu’en dépit des multiples catastrophes vécues par l’Algérie, on se rend compte que le pays n’est pas encore préparé pour réagir aux risques majeurs en général. Cette non-préparation a poussé l’opinion publique à associer toute catastrophe nationale à la mauvaise gouvernance. Aujourd’hui plus encore qu’hier, l’État algérien se doit d’engager des actions de prévention, prédiction et protection par rapport aux dix risques majeurs menaçant ce pays à tout instant en les intégrant dans les différentes politiques de développement et en associant tous les experts et compétences ès qualités. La mise en place d’un tel partenariat qui a porté ses fruits avec l’élaboration de la loi 04-20 du 25 décembre 2004 offrirait aujourd’hui, j’en suis convaincu, un moyen incontournable pour améliorer la qualité de mise en œuvre des stratégies nationales pour atteindre les cibles fixées en matière de réduction des effets engendrés par ces catastrophes. 
A. C.
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(*) Directeur de recherche (USTHB). Pr associé (ENA). Dr du cabinet G.P.D.S (génie parasismique, gestion des risques et catastrophes). Président Club des risques majeurs.


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