LIVRES / LANGUE ET/OU LANGUE(S)

            par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                      Livres

Arabisation politique. Le Linguicide ! Essai de Chafia Benmayouf, Koukou Editions, Alger 2022, 207 pages, 1.000 dinars

Ce ne sont pas les ouvrages sur la politique d’arabisation qui ont manqué… côté pour, côté contre, et côté entre-deux… écrits soit par des politiques, soit par des universitaires, soit par des journalistes ou tout simplement par des citoyens intéressés par le sujet.

Cette fois-ci, l’auteure va droit au but, annonçant la couleur dès la couverture avec un sous-titre -choc agrémenté des photographies des «responsables» du «linguicide».

Pour elle, la question linguistique, depuis 1962 et à ce jour, est au cœur de tous les débats, de tous les clivages, de tous les enjeux… comme si le temps qui est passé n’a rien arrangé à la chose. Au contraire. Pour elle, elle s’interroge d’abord sur le pourquoi de la «hargne» étatique à rejeter la langue française («que les Algériens continuent à parler malgré toutes les campagnes de dénigrement»); hargne qui dure depuis 1962… Et, sur l’option «arabe classique» alors que l’ «Algérie nouvelle» dispose de deux langues maternelles, l’arabe algérien et le berbère. «Décision politique avant d’être linguistique d’où l’impréparation ?

Son raisonnement débouche sur l’évaluation du «triple linguicide»… avec ses opérations de «diversion» (comme l’introduction de l’anglais dans le primaire après l’échec, en 2020, de l’imposer dans le supérieur) qui s’est déroulé en plusieurs étapes : le renforcement de l’arabisation, le renforcement de l’arabe classique et le renforcement des partisans de l’arabe classique et de leur projet de société.

Résultat final : Sans trop s’appesantir sur les langues française et anglaise, on a un pays diglossique… voyant l’existence de l’arabe classique au côté de l’arabe algérien dit dialectal «phénomène qui a toujours existé dans le monde arabe («22 pays où aucune situation linguistique ne ressemble à une autre»), en Algérie en particulier», mais qui n’a pas l’ampleur qu’il a aujourd’hui… avec tous les impacts possibles sur les réalités des populations concernées.

Bref, beaucoup plus d’interrogations que de réponses aux problèmes soulevés… et, pour elle, l’urgence d’un bilan «à confier non pas à des politiciens mais à des techniciens ; sociologues, linguistes, historiens, politologues… Un bilan qui dépasserait tous les tabous posés sur le chemin de l’expression politique, scientifique et citoyenne. Un travail herculéen ?

L’Auteure : Ancienne élève de l’Ecole normale de Constantine et de l’Ens de Kouba (promotion 1968). Doctorat d’Etat en linguistique (Paris 5). Professeur des Universités (Constantine) durant plus de quatre décennies

Table des matières : Introduction/I.De la diglossie/II.L’arabisation historique de l’Algérie/III.L’arabisation politique/IV. L’arabisation, opération idéologique/V.De la représentation par les Algériens des deux variantes de la langue arabe/VI.Evolution de la diglossie en Algérie/VII.Les pratiques diglossiques en 2022/VIII.La diglossie et le conflit/IX.Impact de la situation diglossique/X.La langue maternelle dans le monde et en Algérie/XI. Enjeux et paradoxes des langues maternelles en Algérie/Conclusion générale/ Bibliographie

Extraits : «La décision d’introduire l’anglais dès le primaire cache donc un contenu politique, mais aussi idéologique et certainement pas une préoccupation pédagogique» (p 12), «Que devient l’école, que deviennent nos enfants, encore une fois otages de cette relation franco-algérienne après avoir été otages des partisans de l’arabisation, de l’idéologie islamiste depuis 1962» (p 15), «Le monde arabe compte pas moins de 22 pays et on peut dire qu’aucune situation linguistique ne ressemble à une autre et pourtant on relève un dénominateur commun, à savoir la diglossie» (p 26), «En fait, les deux variantes initiales, arabe algérien dit dialectal et arabe classique littéral ont, du fait de leur contact intense durant plus de six décennies, fini par converger pour donner naissance à une troisième variante appelée désormais arabe médian, nouveau pôle de la réalité de la langue arabe en Algérie» (p 78), «A l’école algérienne, privilégier la mémorisation aux dépens de l’expression est un acte de violence . Comment demander aux enfants d’exprimer leurs besoins, de résoudre leurs conflits autrement que par le geste puisque nous n’aurons rien fait pour qu’ils apprennent à le faire avec le verbe» (p139)

Avis : Un titre qui se veut (et il l’est) accrocheur car franchement accusateur, ce qui paraît exagéré… mais un contenu plein de vérités car, pour sa presque totalité, s’appuyant sur une approche scientifique. Passionnant. Se lit comme un roman.

Citations : «Par arabisation, il faut entendre le choix politique fait par le nouveau pouvoir en place en Algérie, au lendemain de l’indépendance en 1962, d’effacer de la réalité algérienne le français, considéré non pas comme «butin de guerre» selon l‘expression de Kateb Yacine, mais comme une séquelle coloniale et de le remplacer par l’arabe classique» (p 45), «En Algérie, on n’écrit pas comme on parle. C’est le cas aussi pour le Maroc et le Tunisie. Ce n’est pas le cas pour les écrivains orientaux qui le font presque sans difficulté» (p110), «Toute erreur dans le système éducatif se répercute 20 ans après dans la société» (Rapport Unesco sur «les acquisitions et les résultats de l’apprentissage» pour l’année 2000. Cité p 121), «Est dite langue maternelle la langue qu’un locuteur entend dès les premiers instants de son existence, généralement au contact de sa mère sinon de la personne qui la remplace. C’est donc la langue de la mère, de l’enfance, langue que l’on tête en même temps que le lait maternel» (p 146), «Une langue véhicule toujours une culture.

Une certaine langue véhicule une certaine culture. Il n’existe pas de culture universelle. Une culture donnée est toujours associée à une langue donnée» (p185), «Le monde qui nous entoure est chaos, et chaque langue est une entreprise de mise en ordre, qui diffère d’une langue à l’autre» (p187), «Chaque mot d’une langue, en particulier d’une langue maternelle, fonctionne comme un morceau de cette mémoire collective (…). La langue maternelle, à travers son lexique, est dépositaire de la mémoire historique, culturelle, imaginaire, esthétique, religieuse» (p 193)

Multiculturalisme et unité nationale.Des langues et des cultures en Algérie : de l’unité dans la diversité.

Sous la direction scientifique de Abderrezak Dourari et Khaoula Taleb Ibrahimi. Actes d’un Colloque (devant se tenir le 28 septembre 2019 mais non tenu faute de salle «disponible»).Editions «Les Amis de Abdelhamid Benzine», Alger 2020, 152 pages, 500 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Extraits. Pour lecture complète voir in www.almanach-dz.com/culture/bibilotheque dalmanach)

D’abord, c’est Abderrezak Dourari qui survole l’évolution de la pensée politique relative à la manière dont les hommes se sont organisés ou ont pensé leur organisation en société à travers l’histoire ancienne ou récente, nous permettant ainsi de construire une grille conceptuelle utile pour une lecture cohérente de la réalité.

Mustapha Tidjet présente la revendication amazighe à travers l’histoire récente du pays. (…)

Pour sa part, Malika Sabri dresse un état des lieux de l’enseignement de tamazight (…)

Abdennacer Guedjiba, lui, se penche sur «le cas du chaoui «(…)

Pour Bachir Bouhania, le Zénète est une variété de langue en danger d’extinction (…)

Abdallah Nouh soulève avec clarté et détermination (l’avantage et la fraîcheur du jeune chercheur !) la question prioritaire : «Il est temps, dit-il, d’affronter le dilemme de l’unité /diversité de tamazight et le(s) choix à opérer pour son aménagement». Il est, aussi, temps, «d’interroger le terme controversé «tamazighte» dans ses différentes acceptations employées (…)

Ibtissem Chachou fait découvrir les origines de la formation de l’arabe algérien (…)

Khalil Mgharfaoui, professeur marocain aborde le cas de l’arabe marocain (…)

Et, pour terminer, Khaoula Taleb Ibrahimi revient sur «l’école algérienne et le défi des langues». (…)

Les Auteurs : Universitaires (…)

Extraits : «Jamais, peut-être, dans l’histoire de l’humanité, un peuple n’a été autant humilié et nié dans son identité comme le peuple algérien, qui plus est, par se propres élites dirigeants.

Ces dernières osent traiter la langue maternelle des Algériens de «tchektchouka» ou de langue «pathologique» ou de langue dialectale (lahdja) sous-développée» (A. Dourari, p 17) (…) , «L’autonomie géolinguistique attestée de l’arabe algérien nécessiterait de lui octroyer un statut de langue à part entière au lieu de continuer à être décrit comme une variété subalterne d’une langue dont il aurait découlée à une période supposée de l’histoire, une histoire qui reste à décrire et à écrire» ( Ibtissem Chachou, p 117) (…)

Avis : Ouvrage présenté lors de la cérémonie du 9ème «Prix de journalisme Abdelhamid Benzine». Couverture assez originale. Un document de base pour aborder la problématique des langues et des cultures en Algérie.

Citations : «C’est le propre de l’aliéné que de contribuer férocement à sa propre aliénation» ( Dourari A.p 13), «L’indigence de la pensée des leaders politiques, entraîne, par effet pervers de sublimation du manque, le mépris des intellectuels et leur marginalisation» (Dourari A.p 16), «La revendication a (donc) toujours eu une longueur d’avance sur les acquis accordés» (Mustapha Tidjet, p 41), «L’unification d’une langue ne peut se faire à travers les institutions sans une adhésion et une participation des locuteurs» (A. Nouh, p 99), «C’est entre la réalité quotidienne suivant librement l’évolution du monde d’un côté, et les instances de régulation soucieuses de figer la langue dans une forme jugée élaborée d’un autre côté que l’évolution de la langue trouve un espace de liberté ou non» (Khalil Mgharfaoui, p 128), «Rendons aux jeunes Algériens leurs langues et apprenons-leur celles des autres pour qu’enfin leurs langues se délient et qu’ils puissent, en se libérant, contribuer, avec leur génie propre, à construire leur propre culture et entrer en conversation avec les autres» (Khaoula Taleb Ibrahimi, p 152)

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