LIVRES / LES HISTOIRES DE L’HISTOIRE

Livres 

Témoin sur l’assassinat de la Révolution. Récit historique de Lakhdar Bouregaa. Editions El Qobia, Alger / Birkhadem 2018 (2ème édition revue et corrigée. Ouvrage traduit par Abed Charef), 800 dinars, 441 pages 

«Nous étions loin du monde des complots, des combines, des coups d’Etat et des coups bas. Peut-être avions-nous une vision idéaliste de la révolution». Une courte phrase qui résume tout le parcours d’un éternel combattant. Un homme qui n’a jamais «désarmé»… aujourd’hui encore. 

D’abord la guerre et le maquis, récoltant les blessures, gravissant les échelons, surmontant ses peurs, déjouant les embuscades, détectant les lâchetés ou les traîtrises. Tout cela, sans jamais se faire prendre par l’ennemi, dans une région, la wilaya IV, pourtant parmi les plus ciblées par l’occupant car la plus enclavée d’entre toutes… et région pullulant, au départ… et «jusqu’à la veille de l’indépendance» de messalistes, «agissant en supplétifs de l’armée française». Sans jamais quitter le terrain national. On comprend d’ailleurs un peu (ou beaucoup) son peu de considération pour l’ «extérieur». Un homme qui en a vu de toutes les couleurs et qui a rencontré et/ou côtoyé les plus grands de la guerre. Auxquels il a obéi, aux côtés desquels il a combattu, avec lesquels il a discuté ou «négocié», ceux admirés et respectés, d’autres méprisés, certains ignorés… mais jamais écrasés. 

Tout d’abord le maquis et de grandes batailles (comme celle de Mokorno en décembre 1958… une «légende») auprès de M’hamed Bougara (le «maître»), Mohamed Bounâama, Khatib… croisant Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane, Amar Ouamrane, Sadek Dehilès, Tayeb Djoughlali, Salah Zamoum, Bencherif, Azzedine, Omar Ramdane, Omar Oussedik, Boualem Oussedik, Mohamed Teguia… Les ratissages militaires multipliés. L’enfer. Des pertes humaines nombreuses (surtout de 1959 à mi-1961). La lutte pour la vie et le tribut de la liberté ! 

Ensuite le cessez-le-feu… la crise de l’été 62… la prise de pouvoir par le «groupe d’Oujda» et «l’invasion de la capitale par les forces de Boumediène»… la désillusion démocratique («La crise de l’été 1962 fut un de ces moments tristes, douloureux, où on voit un rêve s’écrouler, sans pouvoir redresser la situation»)… L’«adieu à l’armée»… député… l’opposition (armée) avec le Ffs… le «soutien» à Tahar Zbiri (beaucoup plus par amitié que par engagement politique, s’étant trouvé, par hasard, mêlé à la situation) contre le régime de Boumediène, ses rencontres avec Krim Belkacam… Encore des lâchetés, des traîtrises et des déceptions liées cette fois-ci à l’exercice du pouvoir… puis la torture… et sept années de prison. 

Un livre-thérapie car on y trouve tout ou presque tout de la vie de l’auteur. Et, ce qui est encore plus vrai, c’est qu’il va jusqu’au bout de ses «confessions» en dressant des portraits souvent longs, parfois assez courts, parfois élogieux, souvent tranchants, des personnages rencontrés, croisés ou simplement acteurs ou figurants de l’échiquier politique du moment évoqué. Ses héros ! Bougara, Cheikh Tayeb Djoughlali, Abane, Ben M’hidi…et d’autres, et d’autres. 

Un livre-thérapie qui lui a, peut-être, permis de surmonter, le «traumatisme» des désillusions post-indépendance dont les plus importantes sont, sans nul doute, pour lui : d’abord en découvrant, qu’après 62, «une sorte d’égalité dans la honte s’est établie entre celui qui a mené son Djihad pour Dieu et la patrie, et le collaborateur qui travaillait naguère pour l’armée coloniale, pour se retrouver dirigeant d’une révolution et se prétendre symbole du progrès». Ensuite, la période ayant vu son arrestation (le 3 juillet 1967, en plein cœur d’Alger, rue Larbi Ben M’hidi) par les services de sécurité de Boumediène (la Sm) , les séances interminables et plus que cruelles de torture… avec plus d’une année dans une cellule obscure et sans visite, la condamnation (en juillet 1969) à trente années de prison ferme (il en fera sept car il avait refusé de demander à H. Boumediène sa grâce qui lui avait été transmise par le… colonel Abdelghani… juste avant le président du tribunal le condamnant… Ahmed Draia étant le procureur… tout cela en présence des responsables de la Sm, Kasdi Merbah et Yazid Zerhouni)… accusé d’être «un agent de l’impérialisme et de la réaction», de «contre-révolutionnaire»… une peine plus lourde que celle requise par le procureur et l’emprisonnement durant une longue période. 

L’Auteur : Né en mars 1933 à Ouled Tourki, près d’El Omaria (ex-Champelain), à l’ouest de Médéa, sur le flan sud des monts de Chréa. Père fellah (qui a vécu jusqu’à l’âge de 92 ans), fervent partisan de la guerre culturelle («la guerre des écoles») consistant à rejeter l’école française. Témoin des exactions militaires colonialistes en 1948 (après les «élections» de Naegelen)…et rencontre (en fait, il le «voit» seulement) Didouche Mourad, venu alors superviser, au nom du Ppa-Mtld, les élections à El Omaria. 

Service militaire chez les chasseurs alpins… 1955 : première tentative de rejoindre l’Aln . Echec. 21 ans. Démobilisation en 1956. Retour au «douar». Contacts réussis… 

Extraits : «Le gouvernement provisoire de la République algérienne, Gpra, a été formé en septembre 1958. C’était une grande victoire pour la révolution algérienne» (p 26), «Cet appareil (le Malg) n’a pas rempli la mission que la révolution était en droit d’en attendre. Il s’est même transformé en un outil de règlements de comptes entre dirigeants, un instrument pour combattre les wilayas et limiter leur influence, avant de servir de levier pour l’accès au pouvoir à l’indépendance» (p 33), «Si Salah (Zamoum) et ses compagnons… .avaient commis une faute, mais il ne s’agissait pas d’une trahison» (A propos de la rencontre du 10 juin 1960 à Paris avec De Gaulle, p 195), «La crise de l’été 1962 fut un de ces moments tristes, douloureux ,où on voit un rêve s’écrouler, sans pouvoir redresser la situation» (p 283), «La dérive a commencé lorsque Ben Bella et Boumediene ont pris la pouvoir en 1962…Les choses ont évolué :ce ne sont plus les blessures qu’on exhibe,mais les bars, les camions et les comptes en banque…C’est le sort de beaucoup de révolutions» (p 315). 

Avis : Une grande aventure militaire et humaine, racontée avec force détails. Mise en page médiocre ne facilitant pas la lecture. De plus, pas mal de «coquilles». Dommage ! Une erreur (p 226 : Camus est né à Drean (ex-Mondovi) du côté de Annaba et non du côté de Tipasa 

Citations : «La torture (durant la guerre d’Algérie) était si répandue, si généralisée, qu’il est impossible à un soldat ou officier français de dire qu’il n’était pas au courant» (p 48), «Une révolution, c’est d’abord un rapport permanent avec une société» (p 85), «Tuer pour vivre, ou vivre pour tuer(durant la guerre de libération nationale), tout ceci n’a pas de sens, car on agit instinctivement» (p 127), «Mourir, tomber en chahid, cela paraît si simple .C’est de vivre qui est alors le plus difficile .C’est pénible, c’est douloureux, exténuant, c’est psychologiquement intenable» (p 146), «Un chef (en l’occurrence Bougara), ce n’est pas seulement un concept théorique, mais une réalité concrète. 

On le sent à son contact, quand on discute avec lui, quand on l’accompagne, quand on écoute son discours, quand on observe son comportement avec les hommes, son sens de la décision, sa capacité d’agir et de réagir» (A propos de Si M’hamed Bougara, p 151), «Autant Ben Bella se laissait entraîner par de simples pulsions, décidait parfois à l’emporte-pièce, autant Boumediène était froid, calculateur, essayant de toujours tirer profit du moindre événement» (p 345) 

Dey Hussein, dernier souverain d’El Djazair, 1818 – 1830. Récit historique de Mohamed Balhi, Anep Editions, Alger 2018, 241 pages (dont 76 de photographies et reproductions de tableaux de peinture d’époque), 1 250 dinars. 

Hussein, fils d’El Hassan est né sous le règne de Moustapha III, durant la sixième guerre russo-turque (1768-1774), en février 1768, à Sandoukly, en Asie mineure, de parents ayant une situation aisée; son père, un Turc, était un officier d’artillerie. Il a passé son cursus scolaire dans sa ville natale avant de rejoindre, à l’âge de vingt-quatre ans, Constantinople (Smyrne… ou Izmir), pour s’engager dans le corps des topchis et gombarradjis, ces canonniers et bombardiers qui constituaient la force de frappe du sultan Selim III. 

Alger, 1817 / 1232 ! Janissaire célibataire (il y a, au 14 juin 1830, date du débarquement français, 15 141 janissaires dont 7 674 Turcs et 7 467 Koulouglis), il est élevé au deylick de la Régence. Mai 1818 / 1232, l’ancien Khodjet el-Kheyl est nommé Dey 

1830 : Il a soixante-six ans, une longue barbe blanche, une petite stature et un embonpoint certain. Ce n’était pas un monarque jouisseur et brutal. Il était pieux et tolérant. Très (ou trop) opiniâtre (c’est ce qui a «entraîné sa ruine» selon Bensamoun, le gérant du consulat de Toscane à Alger). Il est vrai qu’il s’était assuré une certaine stabilité après avoir assisté, depuis son arrivée à Alger, à une succession ininterrompue de huit deys… et à un nombre impressionnant de beys de l’Est morts assassinés (18 sur un total de 25 pour Constantine). 

30 avril 1827: une journée houleuse et déterminante pour l’avenir de l’Algérie. Il y a le fameux «coup d’éventail». En fait, «un coup de la tapette à mouche»… Un incident provoquée par le consul Deval (un homme de «moralité douteuse, un proxénète… qui s’acoquina longtemps avec le Dey» selon William Shaler) pour faire monter la tension entre les deux pays. Blocus français de trois ans .Et, il paraît que le bey de Tunis – mais pas le peuple tunisien et encore moins les populations locales qui s’apprêtaient à résister – savourait en secret sa joie de voir amoindrie un voisin jugé «bien insolent et arrogant».Et, il aurait été même sollicité pour avoir sous sa coupe, pour le compte de la France, les provinces de Constantine et d’Oran….. 

14 juin 1830 : les troupes françaises débarquent à Sidi Fredj. 40 000 hommes. 

5 juillet 1830, 9 heures du matin : jour sombre pour la Régence. Tractations et capitulation du Dey. Le long blocus avait réduit ses forces, diminué les ressources et suspendu les opérations maritimes. De plus, une très mauvaise stratégie de défense face à l’invasion (le Dey «était trop confiant en sa puissance» et en son gendre, Ibrahim Agha, devenu chef militaire bien «nul en stratégie militaire» et n’avait pas écouté les conseils de Ahmed Bey ) et de résistance à l’ennemi car il y a eu «la perte des valeurs militaires de la régence à la suite de recrutements de criminels devenus des soldats parmi les janissaires » (selon Hamdan Khodja)… et, bien sûr, comme toujours, pas mal de trahisons ou de ralliements à l’envahisseur (Bourkaib, Khodja, Bouderba, Ben Guechoute, Belkoubabti…). 

La nuit coloniale avec ses tueries et ses pillages venait de commencer dans le non-respect total de la parole donnée… et alors que les Turcs sont, pour la plupart (d’abord les célibataires) renvoyés en Anatolie, que les corsaires s’exilent à Tétouan (nord du Maroc) entre autres, le Dey, après s’être «réfugié» à Dar el Hamra (la maison qu’il avait fait construire à la basse Casbah et qu’il habitait avant d’être dey) avec sa famille, s’en ira… à Naples, avec 72 personnes dont 40 femmes (où «il fit grande sensation»), puis à Livourne («hébergé dans la villa de Bushnac et Bacri»). Il visitera Florence, Pise («invité à un dîner dansant»), puis Paris (où «il ira à l’Opéra».et « demandera réparation et un chèque à titre de pension, mais sa demande fut rejetée») puis, le 17 septembre 1833, à Alexandrie avec seulement 32 personnes à sa suite. 

Fin de course. Il y meurt – au sortir de la mosquée où il a été faire sa prière – le 30 octobre 1834 (ou 1838)… sans descendance mâle… et sans (on ne le sait pas exactement) avoir eu le temps d’accomplir un Hadj. 

A noter que toute la famille était inscrite au consulat de France au Caire sur le registre des «protégés français». Le reste de l’Histoire appartient aux Algériens. 

L’Auteur : Natif de Biskra, sociologue de formation, longtemps journaliste (dont «Algérie Actualités»), éditeur (Anep) … auteur de plusieurs ouvrages consacrés au patrimoine et à l’histoire. 

Extraits : «L’île aux mouettes, en phénicien, puis Al-Djazaeir, les îlots en arabe et, enfin, en turc, Gezayir-i Garp pour désigner la Régence d’Alger» (p 17), «La chute d’Alger n’a épargné ni hommes ni biens : les prémices de la colonisation, la vraie, ont été désastreuses pour la ville et ses édifices les plus symboliques» (pp 27-28), «L’éventail, en réalité un chasse-mouche…» (p 111), «Ibn Abi Dhiyâf déplore le sort dramatique engendré selon lui par le régime turc à Alger qui, en refusant de s’intégrer dans le pays et en maintenant les autochtones à l’écart du pouvoir, a conduit le pays à sa perte» ( Hamdan Khodja, p 133) 

Avis : Ouvrage très (trop ?) bien documenté, aux références précieuses… mais peut-être trop nombreuses et trop longues. Ce qui est sûr, c’est qu’on en apprend des choses… non sur le peuple algérien mais sur la Régence et sur la gouvernance. 

Citations : «L’encre du traité est à peine fraîche que les premiers abus commencent» (p…), «Un dey d’Alger est, de son vivant, le monarque le plus absolu et le mieux obéi du monde ; mais son règne est toujours précaire, et pour lui, une mort naturelle est un accident» (Selon William Shaler, Paris 1830, p 49) «Alger est tombée en 20 jours, mais le pays n’a été conquis qu’après 50 ans de résistances farouches» (p 167). 

PS

A méditer : 

– Le problème de l’Algérie est ses dirigeants qui veulent rester à vie ou trop longtemps au pouvoir (Ali Yahia Abdenour, «Contribution» © El Watan, dimanche 8 juin 2014) 

– La vieille oligarchie s’était fait investir par la force des baïonnettes à l’indépendance de ce pays et, depuis, sous l’effet de l’âge sans doute, a oublié de rendre le pouvoir au peuple (Benchicou Mohamed, «La Mission». Roman © Koukou Editions, Alger 2014) 

– Le pouvoir est une méprise : on croit savoir et l’on s’aperçoit qu’on a tout faux. 

Au lieu de revoir sa copie, on s’entête à voir les choses telles qu’on voudrait qu’elles soient. On gère l’inconcevable du mieux que l’on peut et on s’accroche à ses lubies, persuadé que si on lâchait prise, ce serait la descente aux enfers (Yasmina Khadra, «La dernière nuit du Raïs». Roman © Casbah Editions, Alger 2015 ) 

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