Les USA mal à l’aise face à l’amitié inter-coréenne

Kim Yo-jong a lancé l’invitation lors d’une réunion à la Maison Bleue de Corée du Sud, mais Washington pourrait se sentir exclu

Le leader de la Corée du Nord Kim Jong-un a bouleversé toutes les prédictions apocalyptiques selon lesquelles, dès la fin des Jeux olympiques, les tensions entre les deux Corées réapparaîtraient. L’invitation de Kim au président sud-coréen Moon Jae-in peut être considérée comme un changement de donne. Moon ne s’est pas engagé, et a dit que des conditions doivent être créées au préalable. L’important est que Moon n’ait ni accepté, ni décliné l’invitation de Kim. Comme l’a dit un officiel de haut rang sud-coréen, Moon a « pratiquement accepté » l’invitation. Cela appelle quelques explications.

Si cela ne tenait qu’à lui, Moon pourrait vouloir aller à Pyongyang. Mais d’autres facteurs entrent en jeu. D’abord et avant tout, la Corée du Nord doit mettre ses tests de missiles en pause, tout particulièrement ses essais nucléaires. L’invitation de Kim implique que Pyongyang est prêt à arrêter ses tests, au moins pendant la durée des Jeux. Mais si les exercices militaires conjoints entre les USA et la Corée du Sud reprennent à la frontière de la Corée du Nord, plus rien ne sera assuré. [La Corée du Nord considère ces exercices militaires comme une menace majeure envers sa sécurité nationale, NdT]

De sorte que, Moon fait face à la lourde tâche de persuader l’administration Trump de repousser les prochains exercices militaires. Cela ne va pas être facile. Les USA insistent pour que la Corée du Nord suspende unilatéralement, sans conditions, ses tests de missiles conventionnels et nucléaires et n’accepte pas qu’un lien quelconque puisse être établi entre les recherches de Pyongyang en matière de défense et les exercices militaires conjoints USA-Corée du Sud [régulièrement menés, depuis des années, à la frontière avec la Corée du Nord, NdT]. De fait, la voie raisonnable est de suivre la suggestion de la Chine et de la Russie sur la « double suspension » – à savoir, que les USA et la Corée du Sud suspendent leurs exercices militaires et que réciproquement, la Corée du Nord suspende ses tests de missiles.

On peut s’attendre à ce que la Chine ait un rôle majeur à jouer dans ce dialogue. L’agence de presse chinoise Xin Hua a rapporté qu’au cours de la visite du Conseiller d’État Yang Jiechi à Washington les 8 et 9 février dernier, il a « échangé des idées sur la question nucléaire de la péninsule coréenne ». Yang a été reçu par le président Trump, et a également rencontré le Secrétaire d’État Rex Tillerson, le conseiller pour la sécurité nationale HR McMaster et le proche conseiller et beau-fils du président Jared Kushner. Xinhua a cité un appel de Yang à un « soutien global aux relations inter-coréennes destiné à maintenir la dynamique actuelle de détente sur la péninsule ». Yang a dit que Pékin espère maintenir « sa communication et sa coordination » avec Washington dans la recherche d’une solution à la question nord-coréenne.

De façon significative, le président chinois a également dépêché un envoyé spécial à la rencontre de Moon pendant le week-end. Samedi dernier, Han Zheng, un membre du Comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois [soit l’un des sept principaux officiels du PCC, NdT], a rencontré Moon (Moon a reçu Han avant de présider à un dîner offert à la délégation de haut rang nord-coréenne menée par Kim Yong-nam, président du Presidium de l’Assemblée populaire suprême). Selon Xin Hua, Han a exprimé son soutien à un processus de « conciliation et de coopération » entre la Corée du Nord et du Sud et a espéré que les « parties concernées se rencontrent à mi-chemin et fassent des efforts communs pour continuer à alléger les tensions ».

Bien que les choses soient encore confuses et qu’il soit difficile de prévoir comment tout cela peut se dérouler, il y a de fortes chances pour que Moon finisse par visiter Pyongyang. En d’autres termes, la Corée du Sud ne déborde peut-être pas d’enthousiasme à l’idée de reprendre les exercices militaires avec les USA à l’avenir. Selon des compte-rendus de presse, Moon a déjà eu un échange houleux avec le Premier ministre japonais Abe à ce sujet. Moon a catégoriquement rejeté l’appel d’Abe à reprendre les exercices militaires USA-Corée du Sud sans délai.

Parallèlement, l’opinion publique en Corée du Sud est en train de changer. Il s’avère que le leader nord-coréen a brillamment manoeuvré en envoyant sa jeune soeur Kim Yo-jong avec la délégation de haut niveau nord-coréenne pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. C’est le premier membre de la famille dirigeante de Pyongyang à visiter le Sud depuis le début de la Guerre de Corée, dans les années 1950, et les Coréens du Sud étaient enchantés.

Clairement, la participation de la Corée du Nord a déjà brisé l’élan de la campagne de pressions américaines. Quelques sanctions contre la Corée du Nord sont déjà temporairement suspendues jusqu’à la fin des Jeux. La grande question consiste à savoir si la campagne de pressions des USA peut reprendre dans le nouveau climat de détente entre les deux Corées.

Moon marche sur des oeufs. Il est certain qu’il ne veut pas rater cette fenêtre d’opportunité d’un processus de paix avec Kim. Mais d’un autre côté, un voyage inconditionnel à Pyongyang serait trop risqué. En prenant ce risque, non seulement Moon mettrait en colère l’administration Trump, mais de plus, il est vrai que Kim n’a pas signalé, jusqu’ici, une quelconque volonté de parler de dénucléarisation. On pourrait également penser que Kim essaie seulement de gagner du temps pour progresser dans le programme d’armement nucléaire de son pays. Mais surtout, l’accord des USA est vital pour que Moon puisse négocier avec Kim.

Toutefois, Washington n’est pas exactement heureuse de l’amélioration récente des relations inter-coréennes. L’alliance USA-Corée du Sud montre déjà des signes de discorde. Selon un communiqué (en anglais) de l’AP, « la tentative de Pence pour isoler la Corée du Nord aux Jeux olympiques tombe à plat ».

NdT
Le jour d’après après la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le 10 février, le journaliste d’investigation Eric Margolis écrivait : « Le très capable président Moon de la Corée du Sud est en train de remuer ciel et terre pour éviter une guerre dans laquelle sa nation serait la première victime. Quelques 2-3 millions de Coréens sont morts au cours de la Guerre de Corée, de 1950 à 1953. Toute la Corée du Nord et une grande partie de la Corée du Sud ont été rasées par les forces aériennes américaines. (…) Mais Washington ne veut pas d’une baisse des tensions entre les deux Corées. Et elle veut encore moins entendre parler de réunification. Si les deux Corées étaient en paix, quelle justification auraient les USA pour garder leurs forces aériennes, terrestres et navales stationnées en Corée du Sud, qu’ils appellent souvent « le porte-avions insubmersible de l’Amérique »? Le Japon n’est pas non plus pour une Corée unifiée. (…) Il faut noter qu’en cas de guerre, les forces armées de la Corée du Sud, soit 655 000 actifs et 4 millions de réservistes passeraient sous commandement d’un général à quatre étoiles américain. Des armes nucléaires américaines peuvent être positionnées à volonté dans les bases militaires sud-coréennes. Le commandement soi-disant « conjoint » USA-Corée du Sud est une vaste blague. » En d’autres termes, la Corée du Sud est plus ou moins une colonie des USA. Le président Moon va avoir du pain sur la planche…

Principales bases militaires sur les 39 des USA en Corée du Sud. 28 000 soldats US y sont déployés en permanence 



Merci à Entelekheia
Source: http://blogs.rediff.com/mkbhadrakumar/2018/02/11/us-feels-uneasy-about-inter-korean-amity/
Date de parution de l’article original: 11/02/2018
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=22717

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