LETTRE OUVERTE du président de l’association vietnamienne pour le droit international au président de l’association chinoise pour le droit international

LETTRE OUVERTE du président de l’association vietnamienne pour le droit international au président de l’association chinoise pour le droit international

Hanoi, le 24 août 2019

A l’attention du : Professeur Huang Jin

                            Président de l’Association chinoise pour le droit international (CSIL)

  Tous les membres de l’Association vietnamienne pour le droit international (VSIL) sont vivement préoccupés par les tensions récemment provoquées par la Chine dans la zone économique exclusive et le plateau continental du Vietnam, situés dans la partie Sud de la mer de l’Est. Les activités entreprises par le navire Haiyang Dizhi 8 (HD-8) et les autres bateaux chinois dans les zones susmentionnées violent gravement le droit international, en particulier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (UNCLOS), vont à l’encontre de ce qui a été convenu entre les hauts dirigeants des deux pays et produisent des impacts négatifs sur les relations d’amitié traditionnelle entre le peuple vietnamien et le peuple chinois.

Cher Professeur,

La VSIL et la CSIL, deux organisations regroupant des experts de premier rang en droit international de nos pays respectifs, ont toutes été créées pour l’étude, la vulgarisation, l’application et le développement du droit international. À notre connaissance, la CSIL se donne dans ses Statuts la mission d’«organiser des activités de recherche et d’échanges universitaires en matière de droit international dans le pays, dans la région et dans le monde». Je pense donc que nos deux organisations peuvent discuter de manière sincère, raisonnable et avec bonne foi sur les incidents en cours en mer de l’Est.

Dans le cadre de la présente lettre, je me permets de ne pas aborder la question de souveraineté sur les archipels Paracel et Spratly sur laquelle le gouvernement vietnamien s’est plusieurs fois prononcé. J’aimerais me concentrer, à la lumière du droit international, sur les activités actuelles du navire d’exploration géologique HD-8. A l’appuie des dispositions complètes et exhaustives de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer en particulier et du droit international en général, je suis convaincu que nous pourrons parvenir à une prise de conscience commune bâtie sur des fondements scientifiques et juridiques objectifs et, à partir de là, contribuer à l’apaisement des tensions, à la promotion de la paix et de la stabilité en mer de l’Est, répondant ainsi aux attentes de nos deux peuples, de tous les pays de la région et du monde entier.

1. Les secteurs dans lesquels le navire d’exploration géologique HD-8 exerce ses activités se situent entièrement dans la zone économique exclusive et le plateau continental du Vietnam, déterminés sur la base des articles 57 et 76 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. De toute évidence, il ne s’agit ni de secteurs de chevauchement, ni de secteurs faisant l’objet de revendications conflictuelles entre le Vietnam et la Chine.

Une carte géographique de la Chine établie par la dernière dynastie chinoise des Qing (1644 -1912), parue en 1904, délimite l’extrême sud de la Chine à l’île de Hainan. Les archipels Hoang Sa (Paracels) et Truong Sa (Spratleys) vietnamiens n’y figurent pas.

Conformément aux dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le Vietnam a adopté des instruments juridiques en vue d’établir la portée et le régime juridique de sa zone économique exclusive et de son plateau continental. En conséquence, dans sa zone économique exclusive et son plateau continental, le Vietnam exerce ses droits souverains en tant qu’État côtier en ce qui concerne l’exploration, l’exploitation, la conservation et la gestion des ressources vivantes et non vivantes présentes dans les eaux situées au-dessus du fond des mers, sur le fond des mers et dans le sous-sol. Le Vietnam jouit également des pouvoirs juridictionnels sur l’établissement et l’utilisation d’îles artificielles, d’installations et de structures, les recherches scientifiques maritime, la protection et la préservation du milieu marin.

Selon les dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, les droits des États côtiers sur leur zone économique exclusive et leur plateau continental ont un caractère exclusif en ce sens que, si l’État côtier n’explore ni n’exploite ses ressources naturelles dans de telles zones, nul n’a le droit d’entreprendre ces activités sans la permission de l’Etat côtier. Toute activité d’exploration, d’exploitation, de relevé, de recherche de ressources dans ces zones ne peut être entreprise qu’avec le consentement exprès de l’État côtier. Les activités menées par le navire HD-8 en dépit des protestations du Vietnam ont donc gravement violé les dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droït de la mer et la législation vietnamienne concernant les droits souverains et la juridiction du Viet Nam dans sa zone économique exclusive et son plateau continental. Les activités des autres navires d’escorte chinois visant à entraver les actions d’application de la loi des navires des garde-côtes vietnamiens ont également gravement enfreint ces dispositions et menacé la sécurité de la navigation maritime dans les zones concernées.

L’atlas du monde de 1827 confirme la souveraineté du Vietnam sur Hoàng Sa et Truong Sa. Photo: Archives/CVN

2. Un certain nombre d’experts chinois en droit international se réfèrent souvent à la «ligne en neuf traits» pour justifier la revendication par la Chine de «droits historiques» ou de «titre historique» sur les zones maritimes comprises dans la dite ligne. En outre, la Chine invoque la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer pour revendiquer une zone économique exclusive de 200 milles marins et un plateau continental élargi depuis les archipels en mer de l’Est sur lesquels la Chine est l’un des demandeurs de la souveraineté. Sur la base de ces références, la Chine a déclaré que les zones d’opération du HD-8 et des autres navires chinois se trouvaient dans les zones maritimes relevant de la juridiction de la Chine.

C’est complètement illégitime. Eu égard au droit international et à l’UNCLOS, la «ligne en neuf traits» n’a aucun fondement juridique. Le Vietnam, tout comme les autres pays dans la région et dans le monde, n’a jamais reconnu aucune allusion à l’étendue des droits sur les zones maritimes prétendument comprises dans cette «ligne en neuf traits ». Il est d’ailleurs impossible de considérer la zone dans laquelle le navire HD-8 exerce ses activités comme associée aux îles Spratly, car les îles Spratly ne sont pas un État archipel et ne répondent pas aux critères de l’UNCLOS pour avoir des lignes de base droites environnantes et pour jouir d’une zone économique exclusive et d’un plateau continental.

Depuis la sentence du 12 juillet 2016 du Tribunal arbitral constitué en vertu de l’annexe VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer concernant les différends entre les Philippines et la Chine en mer de l’Est, ces questions ont été réglées. La sentence confirme: (i) qu’il n’y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l’intérieur de la « ligne en neuf traits » ; (ii) compte tenu des caractéristiques naturelles des éléments découverts à marée haute dans les îles Spratly, aucun de ses éléments n’est capable de générer une zone économique exclusive et un plateau continental autonome; (iii) le droit international n’autorise pas la Chine à tracer des lignes de base archipélagiques entourant les îles Spratly et à considérer les îles Spratly comme une unité unique dotée de sa propre zone économique exclusive et de son plateau continental, (iv) les éléments découverts à marée basse et recouverts à marée hausse (ainsi que les éléments complètement submergés) ne peuvent faire l’objet de revendications de souveraineté.

Même si la Chine n’a pas participé à la procédure arbitrale et a nié le caractère contraignant de la sentence susmeñtionnée, celle-ci reste, en vertu du droit international et de l’UNCLOS, définitive et contraignante pour les parties à l’affaire. Tous les pays souhaitent qu’elle soit respectée et mise en œuvre de bonne foi.

3. Je suis également conscient du fait que des experts chinois en droit international se réfèrent à un paragraphe du préambule de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer («Affirmant que les questions qui ne sont pas réglementées par la Convention continueront d’être régies par les règles et principes du droit international général») afin de justifier leurs arguments sur des facteurs historiques et des revendications ambiguës afin de créer des «zones qui se chevauchent» entre la Chine et d’autres États côtiers de la mer de l’Est. |

Cependant, toutes les questions liées à la portée et au régime des zones maritimes relevant de la souveraineté, des droits souverains et de la juridiction d’un État côtier, en particulier la zone économique exclusive et le plateau continental, ainsi que les questions relatives aux États archipels et aux eaux archipélagiques sont déjà clairement réglementées par l’’UNCLOS. Elles ne peuvent donc pas être assimilées aux « questions non réglementées ». Le Vietnam et la Chine sont des États parties à l’UNCLOS et ont volontairement exprimé leur consentement à être liés par la Convention. Par conséquent, toutes les interprétations et applications allant à l’encontre des dispositions de la Convention sont nulles. Cela a également été confirmé par le tribunal arbitraldans le cadre de l’arbitrage introduit par les Philippines contre la Chine.

Les « châu ban » de la dynastie des Nguyên, preuves de la souveraineté maritime du Vietnam, affirment la souveraineté du pays sur les deux archipels de Hoàng Sa et de Truong Sa en Mer Orientale. Photo : VNA

Cher professeur,

En tant que juristes ayant consacré toute notre vie à la recherche, à la diffusion et à l’application du droit international, nous gardons tous à l’esprit notre serment solennel de servir la justice. Notre mission commune, qui est également celle de la VSIL et de la CSIL, est de protéger la justice et l’ordre juridique  international contre toute violation des principes et des règles du droit international.

J’espère qu’en tant que groupe de réflexion ayant pour mandat de servir les prises de décisions politiques et les relations extérieures de la Chine, mandat énoncé dans les Statuts de la CSIL, et en conformité avec les missions sacrées de juristes, vous et les autres membres de la CSIL mettrez à la disposition des organismes concernés de la Chine des conseils avisés en rapport avec les aspects du droit international et recommanderez à votre Gouvernementde mettre fin immédiatement à ses violations du droit international, de retirer le navire HD-8 et son escorte des zones maritimes relevant des droits souverains et de la juridiction du Vietnam.

Tous les membres de la VSIL sont déterminés à utiliser tous les moyens prévus par le droit international, en particulier l’’UNCLOS, pour protéger les droits et intérêts légitimes de leur Patrie.  

Les documents de la dynastie des Nguyên témoignent de la souveraineté nationale. Photo: VNA

Au nom de tous les membres de la VSIL, permettez-moi de vous adresser, ainsi qu’à tous les autres membres de la CSIL, mes salutations les meilleures et mon désir d’échanger davantage avec vous sur des questions académiques en vue de maintenir la primauté de l’ordre juridique international, contribuant ainsi au maintien de la paix et de la sécurité en mer de l’Est, et au développement de relations amicales entre les peuples du Vietnam et de la Chine.

Président de l’Association vietnamienne pour le droit international

                                                  (signé et tamponné)

                                                  Dr. Nguyen Ba Son



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Les frontières de la colère (4/4)

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La Chine, après avoir colonisé l’archipel des Paracels s’approprie les uns après les autres les récifs des Spratleys, elle y installe des bases militaires et revendique des zones économiques exclusives. Quels sont exactement les ambitions de Pékin en Mer de Chine méridionale ?

Ces dernières années, les incidents se sont multipliés en Mer de Chine méridionale. En cause : des différends territoriaux entre Pékin et les pays de la région, sur lesquels la Chine semble extrêmement intransigeante. 

En effet, récemment encore, le président Philippin,Rodrigo Duterte,  a rencontré Xi Jinping avec qui il a évoqué ce sujet. Mais le président chinois s’est contenté de proposer à Manille sa bienveillante coopération pour exploiter les ressources naturelles des eaux territoriales disputées. 

Cet expansionnisme chinois n’est pas sans provoquer des remous dans les pays concernés, avec des manifestations qui se sont multipliées ces derniers mois aux Philippines mais aussi au Vietnam dénonçant l’attitude de Pékin qui, après avoir colonisé l’archipel des Paracels, s’approprie les uns après les autres les récifs des Spratleys

Solidifiés à grands renforts de polder, ces confettis territoriaux deviennent des îles artificielles, sur lesquelles la Chine installe des bases militaires etautour desquelles elle revendique des zones économiques exclusives.

Cette politique crée des conflits de souveraineté majeurs, mais aussi des craintes internationales pour la liberté de circulation dans un des carrefours maritimes les plus fréquentés au monde.

Outre une aggravation des tensions entre Pékin et ses voisins autour du statut des îles, la militarisation de la Chine méridionale attise aussi la vindicte antichinoise à Taïwan.  Taïwan, que le président chinois Xi Jinping considère comme une partie intégrante du territoire de la République populaire devant être récupéré, et contre laquelle il mène depuis plusieurs mois une offensive diplomatique redoutable.

Comment Pékin a-t-il progressivement affirmé sa puissance dans son espace maritime proche ? Peut-on espérer un règlement de ces différends avec ses voisins ?

Quels sont les efforts de la Chine pour renforcer ses capacités maritimes ?Et quels sont ses objectifs en mer de Chine méridionale ? 

Il y a un certain nombre d’acteurs gardiens du droit maritime de la Chine : la marine, et les gardes côtes ainsi qu’une milice paramilitaire qui opère en Mer de Chine et qui vient protéger la flotte de pêche chinoise.  Marianne Péron-Doise

On est dans un schéma global d’expansion d’une puissance navale au service d’une puissance économique.  Marianne Péron-Doise

Culturesmonde@CulturesMonde_

[EN DIRECT] Marianne Péron-Doise « La plupart des litiges maritimes dans le monde portent sur cette délimitation des frontières. »https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/les-frontieres-de-la-colere-44-mer-de-chine-meridionale-quand-pekin-fait-bouger-les-lignes …


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