Le dossier libyen, nouvelle pomme de discorde entre l’Algérie et le Maroc? L’Arabie saoudite s’en mêle

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«Nous nous engageons à coordonner avec l’Algérie et nous allons tenter avec les pays du voisinage de parvenir à un règlement qui préserve ce pays [la Libye, ndlr] et lui permette de retrouver sa stabilité», a déclaré le ministre saoudien des Affaires étrangères, sans citer le Maroc qui soutient la solution du président du Parlement de Tobrouk.

Le ministre saoudien des Affaires étrangères, l’émir Fayçal Ben Farhane Al-Saoud, a affirmé mardi 28 juillet lors d’un point presse à Alger, après une rencontre avec le Président Tebboune, que Ryad adoubait l’approche algérienne pour la résolution du conflit armé en Libye, rapporte l’Algérie Presse Service (APS). Selon lui, les pays voisins directs de la Libye, l’Égypte et la Tunisie, ont «un rôle central» à jouer.

Cette rencontre est intervenue un jour après que le Maroc a reçu deux imminentes personnalités politiques libyennes: le président du Parlement de Tobrouk (à l’Est) Aguila Saleh Issa, et le président du Haut conseil de l’État libyen (à l’Ouest) Khaled Al-Michri. Les deux responsables étaient venus chercher le soutien du royaume chérifien à la solution proposée par M.Saleh et l’Égypte qui consiste à créer un gouvernement d’union nationale incluant toutes les factions libyennes. Cette solution, selon Aguila Saleh Issa, ne contredit pas l’accord signé en décembre 2015 à Skhirat, au Maroc.Mais dans sa déclaration à la presse algérienne, le ministre saoudien a ignoré ces accords et le rôle de Rabat dans la résolution du conflit libyen.

En effet, le chef de la diplomatie saoudienne a insisté sur «le rôle important et central des pays du voisinage [l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie, ndlr] dans le règlement pacifique du conflit en Libye en vue de protéger ce pays frère contre le terrorisme et les ingérences étrangères». «Nous nous engageons à coordonner avec l’Algérie et nous allons tenter avec les pays du voisinage de parvenir à un règlement qui préserve ce pays et lui permette de retrouver sa stabilité», a-t-il ajouté.

L’Algérie et la Maroc, deux visions de la solution

Les autorités algériennes estiment que le conflit libyen nécessite une solution politique pacifique conformément aux «principes de la conférence de Berlin, à laquelle avaient pris part l’Algérie ainsi que toutes les parties libyennes», a déclaré le ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum lors d’un entretien accordé à RT Arabic durant sa visite les 21 et 22 juillet à Moscou.Avant lui, le Président Abdelmadjid Tebboune avait signifié dans une déclaration à la revue française L’Opinion le refus de son pays de toute démarche qui sort du cadre de la conférence de Berlin, rejetant ainsi la solution proposée par Aguila Saleh Issa et l’Égypte.

Le Maroc a néanmoins apporté son soutien à cette initiative. Pendant d’une conférence de presse conjointe avec le responsable libyen, le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita a considéré que l’initiative du président du Parlement de Tobrouk était un «développement positif» pour faire avancer l’accord de Skhirat dans ses aspects institutionnels, selon Médias 24.

Cette initiative «dispose de nombreux aspects sur lesquels l’on peut se reposer pour développer les institutions libyennes, qu’il s’agisse du Conseil présidentiel ou des autres organes», a-t-il ajouté.Dans le même sens, M.Bourita a souligné que «la présence de nombreuses initiatives fait partie du problème et n’est donc pas une part de la solution, dans la mesure où la Libye ne constitue pas un fonds de commerce diplomatique».

Alger réagit

Lundi 27 juillet, alors qu’Aguila Saleh Issa et Khaled Al-Michri étaient encore à Rabat, le chef de la diplomatie algérienne a appelé son homologue du Gouvernement d’union nationale (GNA), Mohamed Taher Siala.

selon un communiqué publié sur la page Facebook du ministère libyen des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum a au cours de cet entretien abordé «les mécanismes de coordination entre les deux pays en vue d’un retour au processus politique et le dialogue politique en Libye et le rôle que joue l’Algérie à cet égard».

https://www.facebook.com/MinistryofForeignAffairs.Libya/posts/880531642356643

Le sommet de Berlin, auquel ont pris part l’Algérie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Turquie en l’absence du Maroc et de la Tunisie, a abouti sur la nécessité de créer une commission de suivi selon la formule 5+5. Les principaux pays concernés par le conflit en Libye ont promis de respecter un embargo sur les armes. Les participants aux pourparlers se sont engagés à ne pas aider les parties en conflit.


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Israël se tient à l’écart de la crise libyenne, mais seulement à première vue. En réalité, il soutient tacitement le maréchal Khalifa Haftar qui commande l’Armée nationale libyenne (ANL) avec une ligne visant à soutenir la politique de l’Egypte dans le Nord de l’Afrique. C’est ce qu’indique la publication de l’agence de presse turque Anadolu.

Aussi bien les déclarations de l’entourage du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu que les publications de la presse israélienne témoignent de la présence d’un tandem caché Israël-Egypte sur le dossier libyen. L’Egypte joue le rôle d’intermédiaire dans les contacts entre les Israéliens et Khalifa Haftar. C’est à son initiative que l’administration du président Abdel Fattah al-Sissi a organisé plus tôt au Caire une rencontre du chef de l’ANL avec des représentants israéliens, affirment les articles.

Le journaliste Yossi Melman dans l’article du média londonien Middle East Eye a parlé plus tôt de la formation par des agents du Mossad en Egypte de plusieurs commandants d’unité de l’ANL. « Des agents des renseignements israéliens forment les partisans de Haftar à la tactique militaire, au recueil d’information, à l’analyse de la situation et à la direction des opérations », a indiqué Yossi Melman.

Le journaliste a également parlé de deux visites de Khalifa Haftar (en 2017 et en 2019) au Caire, où le maréchal libyen aurait évoqué avec des représentants du Mossad la fourniture d’appareils à vision nocturne et de fusils de sniper dans l’Est de la Libye.

Le Monde Afrique a également parlé dans son article du 2 juillet des pourparlers entre Haftar et des émissaires israéliens, mais cette fois en Jordanie. Selon le quotidien, les actions du commandant de l’ANL et de ses partisans qui ont établi le contrôle dans l’Est de la Libye depuis 2014 ont été considérées par les Israéliens comme la création d’un « mur de sécurité », parce que Tel Aviv est très préoccupé par l’éventualité de fournitures d’armes depuis la Lybie via le Sinaï égyptien dans la bande de Gaza.

En cas de prise de contrôle sur toute la Libye, avec ses pétrodollars le maréchal Haftar pourrait devenir également un bon acheteur d’armes israéliennes.

Dans leur politique régionale les autorités israéliennes partent du principe « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». On ignore combien de temps Israël soutiendra Khalifa Haftar, mais l’histoire montre que l’Etat hébreu n’a jamais misé sur la partie perdante, concluent les auteurs de l’article.

La Libye occupe une place stratégique importante pour Israël aussi bien en tant que corridor énergétique que pour la protection des intérêts de sa propre sécurité. L’une des principales raisons du soutien tacite de Haftar par Israël est la garantie d’un transit de gaz stable en Méditerranée, lequel les Israéliens cherchent à exporter en Europe. Il existe également une autre raison: le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli soutenu par Ankara a fourni à la Turquie un avant-poste militaro-politique en Afrique du Nord, d’où peuvent être générées les menaces contre l’Egypte, l’un des partenaires les plus successifs et prévisibles d’Israël dans le monde arabe. On estime que tout affaiblissement des positions de Haftar en Libye aurait des conséquences négatives pour l’Egypte qui se trouvent en relations extrêmement difficiles avec la Turquie.

Rappelons qu’en Libye mûrit une confrontation directe entre la Turquie, qui protège le GNA dirigé par Fayez el-Sarraj et a envoyé sur le front libyen des milliers de combattants islamistes syriens, ainsi que des systèmes offensifs, et les monarchies arabes du Golfe, notamment les Emirats arabes unis. Abou-Dabi fournit entre autres à l’ANL des drones de combat.

Le maréchal Haftar est soutenu par la Russie, l’Egypte, la France, l’Arabie saoudite et les EAU. Alors que la Turquie et le Qatar sont du côté du GNA de Fayez el-Sarraj.

Fin novembre 2019, Ankara et le gouvernement de Tripoli ont signé un accord de coopération militaire dans le cadre duquel la Turquie apporte un puissant soutien au GNA, y compris les fournitures d’armes.

Alexandre Lemoine


    Crise libyenne : L’Algérie appelle l’ONU à s’investir dans une solution inclusive

            M. Sofiane Mimouni

L’ambassadeur et représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations unies, Sofiane Mimouni, a appelé le Conseil de sécurité à s’investir pleinement dans la recherche d’une solution politique inclusive en Libye et à promouvoir une action multilatérale concrète.

Lors d’une réunion virtuelle de consultations informelles avec les pays voisins de la Libye et autres pays concernés, organisée mardi par le Comité des sanctions du Conseil de sécurité, il a déploré «l’inertie» du Conseil de sécurité face aux «violations récurrentes» de ses résolutions notamment celles relatives à l’embargo sur les armes.
M. Mimouni a appelé l’organe exécutif de l’ONU à «mettre fin aux interférences étrangères et à redynamiser le processus politique» tout en rappelant les répercussions importantes de la situation en Libye sur la stabilité des pays voisins.
Le diplomate a estimé que les sanctions «ne devraient pas être une fin en soi, mais devraient plutôt être considérées comme un outil essentiel pour soutenir le processus politique. Elles doivent être pleinement mises en œuvre au risque de perdre tout sens et toute crédibilité».
Mimouni a souligné les axes principaux sur lesquels repose l’approche algérienne concernant la situation en Libye.
Le premier point est lié au principe qu’«il ne peut y avoir de solution militaire en Libye. Et cela ne doit pas rester un simple slogan». M. Mimouni souligne «l’urgence d’agir de manière décisive pour garantir un cessez-le-feu durable et relancer le dialogue entre toutes les parties libyennes».
Il a rappelé que l’Algérie s’est engagée avec tous les acteurs libyens, les pays voisins ainsi qu’avec les partenaires concernés à œuvrer pour éviter une escalade militaire et s’appuyer sur les cadres d’action déjà existants.
Le deuxième point, explique-il, a trait au devoir de «toutes les parties de réaffirmer leur engagement aux conclusions de la Conférence de Berlin et s’abstenir de nourrir la division et l’effusion de sang en Libye».
M. Mimouni a réitéré l’attachement «ferme» de l’Algérie à l’égard des conclusions de la Conférence et sa détermination à poursuivre son engagement au sein du Comité international de suivi afin d’assurer un environnement favorable au processus politique libyen.
En troisième lieu, le diplomate a mis l’accent sur «l’importance primordiale de la centralité d’une démarche inclusive qui permettrait d’aboutir à une solution politique inclusive définie par les Libyens et pour les Libyens».» Il appartient aux Libyens de ramener la paix dans leur pays et de reconstruire des institutions fortes et unifiées sans ingérence étrangère, qu’elles soient de nature politique ou militaire», a-t-il insisté.
M. Mimouni a assuré que l’Algérie «s’efforcera de préserver les droits légitimes des Libyens et la stabilité des pays voisins et d’agir pour faire partie de la solution et non une partie du problème».
Le quatrième point consiste en la nécessité d’un engagement international fort pour respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Libye ainsi que le droit de son peuple de disposer de ses ressources naturelles.
Il a estimé qu’il «ne peut y avoir d’Ouest ou d’Est, ni de Nord ou Sud. Il n’y a qu’une Libye et un peuple libyen avec des aspirations légitimes pour un avenir pacifique dans un pays prospère».


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