Le livre de Michael J. Willis : « Algeria : Politics and Society from the Dark Decade to the Hirak”

            Par Arezki Ighemat, Ph.D in economics

Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)

No proper understanding of the politics of Algeria in the twenty-first century is possible without an understanding of the period that immediately preceded it” (Michael J. Willis, Algeria: Politics and Society from the Dark Decade to the Hirak”, Oxford University Press, January 2023, p. 4).

                   

“The lacuna of the post-independence history of Algeria began to be remedied particularly by the work of historians, both Algerian and non-Algerian, based outside Algeria…In the anglophone world, the recent work of James McDougall, Natalya Vince, and Malika Rehal in particular, has made a major contribution to filling this gap” (Michael J. Willis, op.cit, p. 4).

 

“This was at last partly the result of a ‘consensus shared between scholars and students in Algeria that anything after 1962 is simply not history” (Malika Rahal, Comment faire l’histoire e l’Algérie indépendante? La Vie des Idées, 13 mars 2012, citée par Michael J. Willis, op. cit, p. 4).

 

           Introduction

Le 15 janvier 2023 paraissait chez Oxford University Press l’ouvrage de Michael J. Willis intitulé « Algeria: Politics and Society from the Dark Decade to the Hirak”. L’auteur, historien de l’époque moderne et professeur à Saint Anthony’s College (University of Oxford, Grande Bretagne), a publié plusieurs autres ouvrages, chapitres d’ouvrages et articles dont les principaux, outre l’ouvrage que nous présentons aujourd’hui, sont : « The Islamist Challenge in Algeria : A Political History » (Ithaca and New York University Press, l997 ; “Politics and Power in the Maghreb : Algeria, Tunisia and Morocco from Independence to the Arab Spring” (Hurst and Oxford University Press, 2012) and “Civil Resistance in the Arab Spring: Triumphs and Disasters” (Oxford University Press, 2015). Il a aussi été Directeur du “Middle East Centre at Saint Anthony’s College en 2011-2014 et 2021-2022. Il est présentement ‘His Majesty King Mohamed VI Fellow in Moroccan and Mediterranean Studies”. L’ouvrage que nous présentons aujourd’hui est essential aussi bien pour ceux qui n’ont pas vécu en Algérie pendant la période charnière de l’histoire algérienne couverte par l’auteur (1990-présent) que pour ceux, comme moi, qui avons été témoins vivants de tous les évènements relatés dans l’ouvrage. De tous les ouvrages publiés récemment sur la période—et ils sont peu nombreux—celui de Michael Willis est exceptionnel dans le sens où il remonte aux racines de ces évènements et surtout il montre les liens de cause à effet existant entre ces évènements. Pour mettre en relief la particularité de ce livre, nous verrons successivement : (1) sa structure et la méthodologie utilisées par l’auteur pour analyser les différents évènements qui ont marqué cette période et (2) les moments forts de l’ouvrage que nous considérons comme essentiels pour la compréhension de l’ouvrage.

 

Structure et méthodologie de l’ouvrage

L’ouvrage de Michael Willis est divisé en huit chapitres. Chacun de ces chapitres est à la fois un tout en lui-même—il peut être publié séparément sur le sujet couvert—et une partie d’un tout plus global qui est l’histoire de l’Algérie depuis les années 90 jusqu’à ce jour. Remarquons, au passage, que si le titre de l’ouvrage réfère à la période qu’il appelle la « Décennie Sombre » (Dark Decade) jusqu’au Hirak, il ne reste pas moins que l’auteur remonte plus loin : à la période après l’indépendance et même avant, montrant les liens de cause à effet existant entre les différentes périodes de l’histoire de l’Algérie.

S’agissant de sa structure, l’ouvrage comporte, outre une Introduction, huit chapitres. Le premier chapitre est intitulé « Politics in the New State : 1962-99 » (la politique dans le nouvel Etat algérien : 1962-99) et montre que les évènements couverts par le livre sont inextricablement liés avec ceux qui se sont produits au cours des périodes précédentes, après 1962 et même avant. Le second chapitre porte le titre de « Elite politics : the presidency, Army, and the Intelligence services : an enduring cartel ? » (la politique des élites politiques : la présidence, l’Armée et les services d’Intelligence : forment-ils un cartel durable ?). Dans ce chapitre, l’auteur analyse le rôle des principaux noyaux durs du Pouvoir algérien et les liens et frictions existant entre eux et pose la question : ces acteurs forment-ils un cartel durable ? Le troisième chapitre s’intitule : « Conflict, Amnesty and Amnesia : Buying peace after the Dark Decade? (Conflit, Amnistie et Amnésie: Acheter la paix après la Décennie Sombre ?). L’auteur rappelle, dans ce chapitre, la période douloureuse de la « guerre civile » des années 90 entre les islamistes et les autorités algériennes, les effets de cette guerre sur la société civile et le succès relatifs réalisés par Bouteflika dans la résolution du conflit grâce aux lois d’amnistie et de réconciliation qu’il avait promulguées. L’auteur souligne aussi les non-dits de ces lois, notamment la question des disparitions. Il pose aussi la question de savoir si ces lois sur l’amnistie n’ont pas, en fin de compte, abouti à une amnésie sur ce qui s’était passé et comment cela s’était passé. Le quatrième chapitre porte le nom de « Politics and Economics : Hydrocarbons, Clientelism and Corruption » (La politique et l’économie : les hydrocarbures, le Clientélisme, et la corruption) analyse les liens existant entre les faits économiques et les faits politiques, notamment entre la rente pétrolière, la stratégie de clientélisme utilisée par le Pouvoir et le phénomène de corruption. L’auteur montre, chiffres et faits à l’appui, qu’il existe des liens étroits entre l’économie et la politique en Algérie, l’un agissant sur l’autre. Dans le cinquième chapitre, intitulé « The Fall and Rise of Political Opposition: Parties and Society and the Hirak », l’auteur parle du rôlenégligeable  des partis politiques, de la société civile et du ras-le-bol ayant conduit au mouvement du Hirak de 2019 et 2021. L’auteur aborde ensuite, dans le chapitre six, intitulé « Politics and Society : Formal Disengagement, Informal Re-engagement » (Politique et Société : Désengagement formel, ré-engagement informel) où il analyse les liens existant—ou plutôt non existants—entre les élites politiques et la société. Il poste notamment la question de savoir qu’est-ce qui explique le désengagement—la désertion par la population de la sphère politique—et les « réveils » récurents de cette dernière, dont le plus récent est le Hirak de 2019 et 2021. Le septième chapitre—« Restive regions : Kabylia, the Mzab, the Saharan South and the Persistance of the National paradig” (Les régions contestataires : la Kabylie, le Mzab, le Sud-Sahara et la persistance du paradigme national) est une analyse des causes profondes des émeutes fréquentes de ces dernières décennies dans trois régions en particulier : la Kabylie, le Mzab, et le Sud du pays. L’auteur montre que, en dépit de ces mouvements récurrents—interprétés par certains observateurs comme des velléités séparatistes—le pays a conservé son unité territoriale, économique et politique. Le huitième et dernier chapitre, portant le titre de « Algeria and the Outside World : Foreign Policy and a Transformational Regional Environment” (L’Algérie et le monde extérieur : politique étragère et environnement régional en mouvement), est une étude approfondie de la politique extérieure de l’Algérie depuis 1962, ses principes sacrés—notamment le non-interventionisme et le non-alignement—et les changements dans cette politique dans le contexte des bouleversements intervenus dans la région : relations tumultueuses avec le Maroc, situation chaotique en Libye, les « printemps arabes » en Tunisie, Egypte, Yemen, etc.

S’agissant de la méthodologie utilisée par Michael J. Willis pour approcher l’histoire politique et sociale de l’Algérie au cours de la période couverte par l’ouvrage, l’auteur s’est basé sur deux sources d’information essentielles qui, combinées, ont permis à l’ouvrage de refléter le plus possible la véracité des évènements décrits. L’une de ces sources—utilisée généralement par les chercheurs—a consisté en la revue et l’analyse de la plupart des ouvrages et articles ayant été publiés sur les sujets et la période couverts par l’auteur. En effet, l’auteur a compilé un très large éventail d’ouvrages et articles écrits par les historiens et politologues algériens, français et internationaux. La seconde source utilisée par l’auteur—très peu utilisée par les chercheurs—est constituée par les interviews conduites avec diverses couches de la population algérienne : les élites politiques (d’anciens présidents, premiers ministres, ministres, chefs de partis, anciens officiers de l’armée algérienne et des services de sécurité, historiens, sociologues, politologues, chefs de mouvements protestataires), mais aussi des hommes de la rue, notamment les « hirakistes » de chaque région et période.

 

Les moments forts de l’ouvrage

Il n’est pas aisé de résumer un ouvrage aussi intense en faits historiques qui est lui-même déjà un concentré de tous les faits qui ont marqué l’histoire de l’Algérie pendant la période 1990 jusqu’à ce jour. C’est pourquoi nous nous proposons, dans cette section, de souligner uniquement quelques-uns des moments forts que recèle l’ouvrage, suivant le plan indiqué dans la section précédente.

Dans l’Introduction, l’auteur explique pourquoi les études historiques portant sur la période post-indépendance en Algérie sont très rares. Il cite l’historienne Malika Rehal qui écrit que cette lacune est le résultat d’un « consensus between scholars and students in Algeria that anything after 1962 is simply not history » (cette lacune est le résultat d’un « consensus entre les chercheurs et les étudiants en Algérie selon lequel tout ce qui porte sur la période après 1962 n’est tout simplement pas de l’Histoire »).

Dans le chapitre un, « Politics in the new state : 1962-199 », l’auteur rappelle la période chaotique de Ben Bella et la période ‘relativement stable’ de Boumediene après le coup d’Etat du 19 juin 1965. Il souligne l’idéologie révolutionnaire (l’exploitation et le développement des ressources naturelles du pays) et l’option socialiste(la correction des déséquilibres économiques et sociaux) que l’Algérie a suivies au cours des deux premières décennies. Le chapitre parle aussi de la révolte du 5 octobre 1988, de l’émergence du mouvement islamiste, des réformes économiques et politiques initiées par le Président Chadli Bendjedid après 1988. L’auteur souligne aussi le choc et la menace constituées, pour le régime, par la victoire du FIS aux élections communales de 1990 et parlementaires de 1991. Il parle aussi de la décision des autorités algériennes, notamment de la faction appelée « éradicateurs », de mettre fin à l’avancée du FIS par l’arrêt du deuxième tour des élections législatives et la mise hors de la scène politique du parti islamiste. Le chapitre rappelle aussi la période des années 1990 qu’il appelle la « Décennie Noire » (Dark Decade).

Dans le second chapitre intitulé « Elite Politics : Présidency, Army, and Intelligence Services », l’auteur parle du transfert par Chadli, après sa démission, du pouvoir au Haut Conseil de Sécurité, puis de ce dernier au Haut Comité d’Etat dirigé par Mohamed Boudiaf jusqu’à son assassinat en juin 1992, six mois à peine après sa nomination. Ce chapitre aborde ensuite l’ère Bouteflika qui avait finalement été choisi comme président en 1999 après que les six autres candidats se soient désistés pour fraude électorale. Le nouveau président avait déclaré dans son discours inaugural qu’il allait dévouer tous ses efforts à rétablir « peace, openness and the building of democracy » (rétablir la paix, l’ouverture et l’instauration de la démocratie). L’auteur déroule ensuite le fil des quatre mandats de Bouteflika : le premier mandat (1999-2004), les actions que le président avait engagées pour améliorer l’image de l’Algérie sur la scène internationale et restituer la paix dans le pays grâce à la loi sur la Concorde Civile (1999) et la Charte de Réconciliation Nationale (2005) ; le second mandat (2004-2009), qui a vu la Constitution amendée par Bouteflika pour pouvoir entamer un troisième mandat ; le troisième mandat (2009-2014) caractérisé par la maladie du président, notamment après son AVC en 2013 et sa disparition quasi-totale de la scène politique nationale ; le quatrième mandat (2014-2019) et la nomination de Bouteflika en dépit de son incapacité quasi-totale à gouverner et le début de la fin de son règne et de celui de plusieurs membres de son clan à la suite du Hirak en 2019.  Le chapitre se termine par l’élection et le règne de Abdelmadjid Tebboune comme président, l’avènement de la pandémie du covid-19 et l’arrêt du Hirak.

Le chapitre trois « Conflict, amnesty and amnesia: Buying Peace after the Dark Decade” commence par indiquer que “No proper understanding of the politics of Algeria in the twenty-first century is possible without an understanding of the period that immediately preceded it” (Aucune veritable compréhension de la politique algérienne au vingt-et-unième siècle n’est possible sans une compréhension de la période qui l’a précédée). Après un rappel de l’origine du conflit des années 1990 et de l’émergence du mouvement islamiste, l’auteur explique comment le conflit avait pris fin. Il rappelle les négociations préliminaires ayant eu lieu entre Zeroual et le FIS ayant débouché sur la loi dite de la « Rahma ». Il parle aussi du lancement de l’élection présidentielle, de la révision constitutionnelle de 1996 et l’élection d’une nouvelle Assemblée Nationale en 1992, le tout sans la participation du FIS, éliminé de la scène politique. Il ne pouvait pas, bien entendu, ne pas parler des massacres perpétrés au cours de cette période et des débats sur qui a fait quoi dans ces massacres. Il parle du cessez-le-feu contracté entre le DRS et l’AIS en 1997. Le chapitre aborde aussi les tractations entre Bouteflika et l’AIS et les lois sur la Concorde Civile et la Charte sur la Réconciliation Nationale, les effets positifs et les questions restant en suspens après l’application de ces lois.

Dans le chapitre quatre dont le titre est « Politics and Economics : Hydrocarbons, Clientelism, and Corruption », l’auteur s’interroge sur les liens existant entre économie et politique en Algérie. Il dit, notamment : « The poliical crises and conflicts of the late 1980s and early 1990s cannot be fully understood without reference to the effect of the low international oil prices of that period” (Les crises et les conflits politiques de la fin des années 1980 et 1990 ne peuvent pas être comprises sans référence à l’effet des bas prix de pétrole au niveau international qui prévalaient au cours de cette période).  A l’opposé […] l’auteur souligne que « the steady rise in energy prices in the first decade and half of the twenty-first century explains the relative political and social tranquility Algeria enjoyed during the time” (L’augmentation du prix de l’énergie au cours de la décennie et demie du vingt-et-unième siècle explique la relative tranquillité politique et sociale dont l’Algérie a joui au cours de cette période). L’auteur parle aussi du système d’économie socialiste adopté par l’Algérie et ses effets sur l’économie, du modèle des « industries industrialisantes » qui a conduit aux pénuries de biens de consommation, des réformes que le gouvernement avait entamées au début des années 1980 pour résoudre ces problèmes, et bien sûr, du mouvement du Hirak de 2019 et 2021 qui, dit-il, a été motivé plus par des revendications politiques qu’économiques. L’auteur cite comme preuve de cela le slogan des hirakistes qui souligne que ce mouvement n’est pas mû par des motivations économiques : « We are not hyngry » (Nous n’avons pas faim). L’auteur parle aussi des séquelles de ce mouvement, dont une d’elles est la campagne de lutte contre la corruption qui a abouti à l’emprisonnement de plusieurs personnalités politiques du clan Bouteflika. L’auteur termine le chapitre par un rappel de la pandémie du covid-19 et de la baisse du prix du pétrole de 2020 et de leurs effets sur l’économie et sur le Hirak lui-même.

Le chapitre cinq s’intitule « The Fall and Rise of Political Opposition: Parties, Associations and the Hirak”. Dans ce chapitre, l’auteur parle des partis politiques qui, selon lui, en dépit de leur prolifération depuis 1989, ne jouent pas leur rôle d’opposition et de relais entre la population et les élites dirigeantes. Il en est de même des associations de la société civiles qui, en dépit de leur floraison après 1989, ont vu leur rôle réduit comme une peau de chagrin. La prolifération des partis politiques et des associations civiles avait pour but devantage, selon l’auteur, de présenter une image plurielle de l’Algérie que de servir les intérêts de la population. Le chapitre se termine par une analyse du mouvement du Hirak de 2019 et de sa réplication en 2021, ses causes, ses traits distinctifs par rapport aux mouvements antérieurs et ses résultats mitigés.

Le chapitre six « Politics and Society : Formal Disengagement, Informal Re-engagement” est une étude de la dépolitisation de la population algérienne pendant pratiquement toute la période post-indépendance jusqu’en 2019 où du réveil de la conscience politique qui s’est produit dans la société algérienne. Pour justifier le désengagement politique des Algériens, l’auteur cite un certain nombre d’enquêtes nationales et internationales comme, par exemple, l’enquête de « Arab Barometer » de 2017 qui conclut : « Algerians are not highly mobilized : the overwhelming majority report having little interest in politics, spending little time following political news and not participating in political organizations and events » (Les Algériens ne sont pas hautement mobilisés : la majorité écrasante de la population déclare qu’elle a un faible intérêt pour la politique, qu’elle passe très peu de temps à suivre les informations politiques, et qu’elle ne participe pas dans les organisations et évènements politiques). L’auteur cite aussi le rapport de 2016 du CRASC (Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle) d’Oran qui indique que « If there is a consensus on which the majority of respondents all agree, it is indeniably the refusal to engage in the political life of the country » (s’il y a un consensus sur lequel la majorité des interviewés s’accorde, c’est, indéniablement, le refus de s’engager dans la vie politique du pays). La troisième enquête citée par l’auteur pour justifier la dépolitisation de la population algérienne est celle du CREAD (Centre de Recherche en Economie Appliquée au Développement) qui indique que « Less than 5 percent of respondents belong to a political party or movement and only 13 percent reported voting regularly in elections » (Moins de 5 % des interviewés déclarent appartenir à un parti ou mouvement politique et seulement 13 % rapportent ne pas voter régulièrement aux élections). Ces constats ne signifient pas cependant, pour l’auteur, que les Algériens ne sont pas du tout politisés. Ce qui se passe, c’est que […] « Algerians were far from depoliticized and uninterested in politics, but had simply found new ways of engaging in their own rather than through the old discredited institutional paths” (Les Algériens sont loin d’être dépolitisés, mais simplement ont trouvé d’autres moyens que les anciennes voies).

Le septième chapitre porte le nom de « Restive regions : Kabylia, the Mzab, the Saharan South and the Persistance of the National Paradigm”.Dans ce chapitre, l’auteur analyse les émeutes récurrentes ayant eu lieu dans certaines régions négligées du pays, notamment la Kabylie, le Mzab et le sud Saharien. Dans la région Kabyle, il évoque les « Printemps Berbère » de 1980 et 2001, leurs causes et leurs effets sur l’évolution politique dans la région et dans le pays dans son ensemble ainsi que les acquis ayant résulté, notamment dans le domaine linguistique où les autorités avaient finalement reconnu la langue Amazigh et l’avaient érigé en langue nationale à côté de la langue arabe. Il analyse ensuite les causes et les effets des révoltes intervenues dans le sud du pays, notamment à Ouargla en 2013 et In Salah en 2015.qui reflètent, en quelque sorte, un conflt Nord-Sud, le sud clamant qu’il est, paradoxalement, le plus pauvre du pays alors qu’il recèle les plus grandes richesses naturelles.  L’auteur analyse aussi les émeutes du Mzab entre les Mozabites et les « Chaambas », émeutes qui remontent à 1985 et qui se sont poursuivies dans les années 1990 et 2000. Il pose aussi la question de savoir quels sont les traits communs de toutes ces révoltes régionales. Pour lui, les traits communs sont à trouver dans les éléments suivants : (a) la marginalisation sociale et économique de ces régions avec, en Kabylie, le phénomène de la « hogra », au sud le paradoxe entre ses ressources abondantes et la pauvreté de la région, au Mzab la lutte pour un gâteau qui se réduit (« a shrinking cake ») ; (b) l’ethnicité, notamment ce que l’auteur appelle, concernant la région Kabyle,  le « mythe Kabyle, terme qu’il préfère au terme de « mythe Berbère » car, dit-il, les révoltes ne s’étaient pas propagées dans les autres régions Berbères du pays. Dans le cas du Mzab, l’auteur dit que la raison des émeutes n’est pas un problème d’identité Berbère, mais plutôt un problème religieux. Il écrit à ce propos : « Yet it [the problem] was religion rather than linguistic identity that appeared to be at state in the conflict. Religious beliefs and traditions were central to the identity of the Mazabite community and a desire to retain and preserve them clearly explained why it had originally settled in the Mzab Valley in the tenth century and made no attempt to relocate to less climatically harsh regions thereafter” (Pourtant, le problème en jeu était plutôt religieux qu’un problème d’identité linguistique. Les croyances et traditions religieuses furent centrales chez la communauté Mozabite et le désir de les maintenir et de les préserver explique clairement pourquoi les Mozabites s’étaient installés originellement dans la Vallée du Mzab au dixième siècle et n’avaient pas tenté de se relocaliser ultérieurement dans des régions climatiquement moins dures). L’auteur aborde aussi la question des mouvements séparatistes (MAK et MAM) et considère que ces mouvements ne reflètent pas le sentiment général de la population Kabyle et Mozabite et que celles-ci sont plutôt en faveur de l’unité nationale tout en reconnaissant l’importance de la diversité régionale.

Le huitième et dernier chapitre, « Algeria and the Outside World : Foreign Policy and Relations in a Transformed Regional Environment”, est une revue de la politique extérieure de l’Algérie, de son évolution depuis 1962 et du contexte politique régional actuel. Il commence par rappeler les principes quasi immuables de cette politique : le non-interventionnisme dans les affaires des autres Etats, la solidarité de l’Algérie avec les mouvements de libération dans le monde, et le non-alignement. Il parle de la disparition de l’Algérie de la scène internationale au cours des années 1980 et 1990 et de son retour avec l’arrivée de Bouteflika, notamment dans le contexte de la lutte contre le terrorisme international qui s’est accentuée depuis les évènements du 11 septembre 2001dans le contexte de  « The War on Terror » (la guerre contre le terrorisme) qui a été déclarée par la suite. L’auteur parle aussi des « Printemps Arabes » de 2010-2011 qui n’ont pas eu d’effets notables sur l’Algérie. Il analyse ensuite les relations de l’Algérie avec ses voisins frontaliers (Mali, Libye, Tunisie, et surtout le Maroc). Il s’est attardé un peu plus sur le conflit « éternel » entre l’Algérie et le Maroc en relation avec la question du Sahara Occidental et son évolution depuis la « Guerre des Sables » de 1963. Il passe ensuite en revue les relations de l’Algérie avec ses partenaires traditionnels (France, Union Européenne, Russie) et ses partenaires moins traditionnels (Chine, USA, Moyen-Orient ainsi que ses relations avec le continent Africain que Bouteflika a essayé de revitaliser pendant son règne. Il termine ce chapitre et son livre par une analyse du mouvement du Hirak de 2019 et de sa réplique de 2021 en soulignant sa distinction par rapport aux mouvements populaires des années 1980-2000. Il explique les différences comme suit : (1) le Hirak n’a pas essayé, comme l’ont fait les mouvements précédents, d’établir une feuille de route claire de revendications comme celles relatives à langue, la culture ou l’identité religieuse ; (2) le Hirak n’a pas non plus attaqué des biens publics et infrastructurels ou les forces de sécurité et n’a pas utilisé une quelconque forme de violence en dépit de son nombre et de sa composition humaine (Islamistes, Berbéristes, Gauchistes, femmes, personnes âgées, enfants, etc), mais au contraire les Hirakistes ont fait preuve de civisme, notamment par les campagnes de nettoiement après chaque vendredi de protestation. L’auteur conclut sur ce sujet en disant « Indeed the enduring commitment to fully peaceful protest became a badge of honour for the movement which saw itself as dispelling the entrenched perception of Algerians as naturally inclined towards violent conflict” (En verité, le constant engagement pour une protestation pacifique est devenu un badge d’honneur du Hirak qui a réussi à effacer la perception enracinée selon laquelle les Algériens sont enclins naturellement à utiliser la violence).

 

Conclusion

En conclusion, on peut dire, sans exagérer, que l’ouvrage de Michael J. Willis est un « Must Read » aussi bien pour qui ceux qui n’ont pas vécu les évènements couverts par l’auteur au cours de la période étudiée que pour ceux qui ont vécu ces évènements. Cet ouvrage montre que l’histoire de l’Algérie, comme l’histoire de n’importe quel autre pays, n’est pas l’apanage des historiens que nous appelons « insiders » (les historiens algériens et français) mais que les historiens « outsiders » comme Michael J. Willis, James Mc Dougall, et tant d’autres qui se sont intéressés à l’Histoire de l’Algérie peuvent être un « Plus » pour une connaissance plus complète et plus proche de la réalité historique algérienne. C’est ce que confirme la deuxième épigraphe citée tout en haut de l’article : The lacuna of the post-independence history of Algeria began to be remedied particularly by the work of historians, both Algerian and non-Algerian, based outside Algeria […] In the anglophone world, the recent work of James McDougall, Natalya Vince, and Malika Rehal in particular, has made a major contribution to filling this gap”  (la lacune de l’histoire de l’Algérie après l’indépendance a commencé à trouver son remède par les oeuvres des historiens à la fois Algériens et non-Algériens installés en dehors de l’Algérie […] Dans le monde anglo-saxon, les travaux récents de James McDougall, Natalya Vince, et Malika Rehal en particulier, ont fait une contribution majeure dans le remplissage de ce vide) (Michael J. Willis, op.cit, p. 4).


Commentaire sur l’ouvrage :

Le livre de Michael J. Willis, « Algérie : Politique et Société de la Décennie Noire au Hirak » est considéré comme une excellente ressource pour comprendre l’Algérie contemporaine. Il explore en profondeur les transformations politiques et sociales de l’Algérie, depuis la période de la guerre civile dans les années 1990 jusqu’au mouvement de protestation populaire « Hirak » qui a commencé en 2019.

Le livre de Willis est très bien documenté et fournit une analyse précise et nuancée de l’histoire récente de l’Algérie, en se concentrant sur les divers régimes politiques et les mouvements sociaux qui ont façonné le pays, ainsi que sur les dynamiques régionales et internationales qui ont influencé le développement du pays.

Le livre illustre également les tensions politiques et sociales qui ont marqué l’Algérie ces dernières années. Il offre une perspective globale de la situation politique et sociale en Algérie, en dépassant les analyses réductrices qui tendent à dresser un portrait caricatural de la société algérienne.

En somme, le livre de Michael J. Willis est une excellente lecture pour les personnes qui cherchent à comprendre les transformations politiques et sociales de l’Algérie contemporaine, et propose une réflexion profonde et éclairante sur la complexité de la situation en Algérie aujourd’hui.

Farid DAOUDI


 

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