LIVRES / ILS SONT DES LÉGENDES !

14.05.2020

  par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres 
La plume et le combat. Les témoignages. Essai de M’hamed Houaoura (préfacé par Belkacem Ahcene-Djaballah). Editions Dar El Gharb, Oran 2019, 217 pages, 700 dinars.

Pour les nouvelles générations, la presse algérienne (je ne parle pas du journalisme algérien et de titres nationalistes qui ont existé bien avant jusqu’en 54-55 en Algérie même et il y en eut) n’a que 58 ans d’âge. Eh bien non, elle est bien plus âgée que ça. Elle est plus que sexagénaire et presque septuagénaire. En effet, le premier journal au titre bien évocateur «Résistance Algérienne» («El Moudjahid» reprendra le flambeau en juin 1956, à Alger, dans la clandestinité puis à Tétouan, puis à Tunis) est né en juillet 1955… à Tétouan.

Par la suite, on a eu la radio fin 56 avec «La Voix de l’Algérie combattante»… puis le cinéma fin 1957… puis l’Aps fin 61…

De nombreux militants et résistants se sont, donc, retrouvés, parfois sans le faire exprès, plongés dans le monde de la communication de combat et donc ont pratiqué le journalisme… au service de la Révolution algérienne. Ceci sans compter les Commissaires politiques (les Mouhafedh Essiassi) «pères» fondateurs de la communication «institutionnelle».

Pour les seuls journalistes, ce sont environ plus de cent qui ont effectivement travaillé dans la presse nationaliste de 1954 à 1962… et près d’une cinquantaine ont été emprisonnés dans les camps de concentration colonialistes.

Une grande, belle et périlleuse aventure qui reste encore à décrire et à écrire. Cette fois-ci, l’auteur journaliste de terrain et d’investigation s’est intéressé au parcours de quelques héros .Chacun d’entre eux livre ses souvenirs et ses espoirs. En toute simplicité, en toute franchise.

Zahir Ihadadène, né à Sidi Aïch le 17 juillet 1929, «élevé dans la ferveur patriotique» (comme son frère aîné, déjà militant de l’Os/Ppa), traumatisé par la tragédie du 8 mai 45, étudiant à la médersa de Constantine, militant à Alger, enseignant à Miliana, arrêté par la police coloniale, «interdit de séjour», «confiné» à Oran, en France puis se retrouve au Maroc… et à Tétouan au sein de la première équipe rédactionnelle de «Résistance algérienne» (alors dirigé par Ali Haroun). Il est décédé le 20 janvier 2018.

Lamine Bechichi, né à Sedrata le 19 décembre 1927, d’un père imam mouderres, étudiant à Tunis pour devenir enseignant de langue arabe, se «met» aussi à la musique (violoniste). Enseignant à Sedrata, il rejoint, en septembre 56, la Tunisie et se retrouve intégré dans l’équipe rédactionnelle de «Résistance algérienne» (Edition C dont le premier n° sort le 1er novembre 1956) puis dans celle d’ «El Moudhjahid» (langue arabe) ainsi dans l’émission «Sawt El Djazair» sur «Radio Tunis» au côté de Aïssa Messaoudi. Puis Le Caire, toujours dans la Com’, puis Tripoli.

Pierre Chaulet né à Alger. Pour lui, médecin, le 1er Novembre 1954 était une délivrance. Proche de André Mandouze, il avait, en décembre 54, hébergé chez lui A.Mehri et Salah Louanchi recherchés par la police. L’épouse, Claudine, elle aussi élève en sociologie de Mandouze, fut à son tour happée par la Révolution algérienne. La suite est une grande (més-) aventure qui mènera le couple à Tunis au sein de la rédaction d’ «El Moudjahid» en compagnie de Frantz Fanon. Il sera journaliste, organisateur de la documentation puis du service cinéma, puis réalisateur de documentaires cinématographiques, et, aussi, Dg p/i (pour quelques jours, fin juin 1962) de l’Aps… Après l’indépendance du pays, il redeviendra médecin. Il est décédé le 5 octobre 2012.

Evelyne Lavalette, est née en 1927 à Rouiba. Belle et élégante et n’ayant aucun contact avec «les indigènes», elle découvre, en 1948, en tant qu’enseignante, la réalité de la vie des populations algériennes en tant qu’enseignante… à la Basse Casbah. Proche de Mohamed Drareni (à travers les activités scouts et la revue «Consciences Maghrébines»), elle découvre sa véritable identité. Benyoucef Benkhedda lui confie des missions de liaison… dont certaines à Oran où elle rencontre Denise Pia, une autre militante. Elle fut, aussi, logeuse, rue Daguerre puis rue Kehlifa Boukhalfa, de: Benkhedda, Sadek Dehilès, Amar Ouamrane, Abane Ramdane… Larbi Ben M’hidi. Et, aussi, membre de l’équipe qui avait confectionné les premiers numéros d’ «El Moudjahid»… Elle avait dactylographié et transporté l’appel à la grève des étudiants du 19 mai 1956 et la lettre que Zabana Ahmed avait envoyée à ses parents la veille de son exécution. Arrêtée, elle n’est libérée qu’en août 1959. Exilée en France, elle est «exfiltrée» en Tunisie où elle s’occupera des enfants orphelins algériens dont les parents avaient été tués en Algérie. Après l’indépendance, elle a fait partie de la 1èreAssemblée nationale du pays… et épousera Abdelkader Safir, un journaliste.

Elle est décédée le 25 avril 2014.

L’Auteur : Né à Cherchell en novembre 1954, journaliste-correspondant d’El Watan, déjà auteur d’un ouvrage sur «Yamina Oudaï, l’héroïne oubliée» (Anep, 2016)

Sommaire : Préface/ Introduction/ Zahir Ihadadène/ Lamine Bechichi/ Pierre Chaulet/ Evelyne Lavalette/ La contribution de Z.Souissi et de O. Belhouchet à la création de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai / Militantes incarcérées/Journalistes ayant exercé avant 1954/ Journalistes ayant exercé 1954-1962/ Autres témoignages/…

Extraits : Ils (les journalistes algériens durant la guerre de libération nationale) sont parmi les «djihadistes éclairés de la plume» les plus percutants, au même titre que le reste des héroïnes et des héros qui avaient su accompagner «l’essaim de plumes» dans le combat (p22).

Avis :Les détails de vies, d’engagements et de sacrifices qui ont fait (aussi) l’Histoire. Car, ce sont les innombrables rivières qui font les grands fleuves. Un véritable ouvrage d’histoire… vécue.

Citation : «L’Histoire constitue un gisement d’espoir» (p 25)

L’Information durant la guerre de libération. Ministère de l’Information, Alger 1984. Collection Dossiers documentaires n°42, 150 pages (édité aussi en arabe). Diffusion gratuite

L’information (et la propagande) au service d’une guerre de libération nationale (dont la Révolution algérienne), ce sont là des armes incontournables, nécessaires pour arriver au but : la décolonisation de bien des pays du Sud. L’exemple avait déjà été fourni d’abord par les Révolutions russe et chinoise, suivies par la lutte du peuple vietnamien contre le colonialisme français.

En Algérie occupée, à dire vrai, ce sont les forces armées colonialistes qui ont commencé à user des outils de l’information pour les mettre au service de leur propagande. En fait, voulant se «rattraper» de leur défaite en Indochine et ayant «appris» (du moins le croyaient-ils) la leçon, ils ont mis en place assez tôt tout un appareil d’action psychologique… les «spécialistes» (dont ceux des Sas et des Sau) éclipsant parfois, sinon souvent, largement, les unités en armes. La panacée ! On rappelle seulement que l’acte de baptême «action psychologique» française figure parmi les tâches confiées alors au secrétaire général permanent de la Défense nationale… entre l’économie de guerre et la recherche scientifique (Décret, Jorf n° du 1er avril 1950). Il s’agissait alors de convaincre de ne pas rejeter la présence américaine après la 2ème guerre mondiale (afin d’empêcher le slogan» Us Go Home»).

C’était sans compter sans la capacité d’adaptation de l’organisation Fln-Aln.

Déjà en juin 1956, dans son n°1, El Moudjahid publiait «les Dix commandements de l’Aln» dont le 6e et le 7e étaient assez clairs sur l’usage de l’information et de la communication au sein et avec la population. Le 20 août 1956, au Congrès de la Soummam, une plate-forme «pour assurer le triomphe de la Révolution algérienne dans la lutte pour l’indépendance nationale» était adoptée et clarifiait les démarches. Elle y abordait tous les «moyens d’action et de propagande» aussi bien sur le plan algérien, nord-africain, français qu’étranger.

Le reste est alors une grande, très grande et extraordinaire aventure (de l’information de guerre et de contre-propagande) vécue et animée par des hommes et des femmes au niveau des unités combattantes, au niveau des cellules de soutien et au niveau des représentations à l’extérieur. C’est ce qu’a tenté de rapporter le recueil documentaire… peut-être le premier du genre (recueil d’études, d’articles et de documents) dans l’histoire de la guerre d’indépendance du pays.

L’Auteur : Ministère de l’Information, sous-direction de la documentation et des publications (réalisé dans le cadre du programme d’édition décidé par la Commission nationale chargée de la préparation des festivités commémoratives du 30e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération ). Edité aussi en arabe. Imprimé sur les presses d’Ech-Chaab presse (place Audin, Alger)

Sommaire : Introduction/Etudes (Huit : Redha Malek-Ahcene Djaballah Belkacem sur le «septième commandement» -Boussad Abdiche sur «le poids de l’Information dans la guerre…»- Khaled Mehdaoui sur le «cinéma et la guerre…», avec des témoignages de Rachedi, Chaulet, Tchanderli, – Abdelmalek Temmam(interview)-Ahmed Liès Hamdani sur «El Mouhafedh Siassi» -Mahieddine Djender sur «l’action psychologique de l’armée coloniale…»-et une Etude française sur «l’action psychologique dans l’armée française» /Documents (31… tous des extraits d’El Moudjahid-historique)/ Brève Chronologie 1954-1962 élaboré par B A-Djaballah

Extrait : «Si redoutable dans la guerre, extraordinaire organisation de lutte clandestine, savante articulation de réseaux d’information, de groupes terroristes et de forces de guérilla, magistral metteur en scène de la guerre d’Algérie à l’échelle mondiale, le Fln a imposé à l’univers l’un des sigles les plus fameux de notre temps» (Jean Lacouture, le Monde, 14 novembre 1962, p 19), «Développer le réseau de renseignements au sein de l’ennemi et au sein de la population» (7ème commandement de l’Aln, p 89) .

Avis : Disponible certainement (mais pas sûrement) en bibliothèques (nationale, universitaire, ministère de la Communication, ministère de la Culture…)

Citations : «Le mot Djihad s’adapte au monde moderne, en ce milieu du 20ème siècle, et, en ce qui nous concerne particulièrement, il met davantage en relief la volonté inébranlable, la concentration de l’effort, de l’esprit de sacrifice total. Il ne comporte aucune haine religieuse ou raciale, aucun exclusivisme ni conformisme, si ce n’est celui de la nécessaire unité pour la victoire finale» (Editorial, El Moudjahid, n°1, Juin 1956, explication du titre), «La propagande n’est pas l’agitation qui se caractérise par la violence verbale, souvent stérile et sans lendemain (…) Elle prend la forme sérieuse, mesurée et nuancée sans manquer pour cela de la fermeté, de la franchise et de la flamme révolutionnaire» (p57, Extrait de la Plate-forme du Congrès de la Soummam, 20 août 1956).

 

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