LIVRES / L’AMOUR ET LA GUERRE

23.05.2019

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres 

Les amants de Théveste. Roman historique de Abderrazek Bensalah, Casbah Editions, Alger 2018, 339 pages, 900 dinars 

C’était le temps de la Berbérie byzantine… et deux années à peine avant l’invasion arabe en 647. Une histoire bien méconnue et qui deviendra par la suite plus obscure et plus incertaine… d’autant que la plupart des ouvrages, dont ceux de En Noweiri et d’Ibn Khaldoun, n’ont été composés que près de sept siècles après les événements relatés. 

Le Maghreb était alors, durant environ deux siècles, occupé par les Grecs succédant aux Vandales. La monarchie byzantine avait su s’allier aux Berbères et avait créé une remarquable vitalité… La décadence de l’Empire d’Orient (en raison des vices de l’administration grecque, sa corruption, sa rapacité, ses rigueurs inadéquates, les imprudences et les maladresses…) allait tenter rapidement d’autres peuplades. Ce sera le tour des Arabes. 

Ces derniers avaient déjà commencé par la conquête de la Syrie, de l’Irak, de la Jordanie, de la Palestine, de l’Egypte… En dix années, ils avaient réussi à s’implanter et à convertir les populations à l’Islam. Ils mettront soixante années pour venir à bout du peuple berbère. Une longue histoire – de l’Empire grec en Berbérie – bien compliquée et riche en évènements d’importance. Une histoire difficile à assimiler. Bien sûr, pour faire passer la pilule, il fallait romancer la chose en se basant, cela va de soi, sur des «faits historiques authentiques». 

Le décor est planté : 

Théveste (aujourd’hui Tébessa) en 645 après J.-C. et en l’an 23 de l’Hégire. Une région dominée par l’Eglise chrétienne et par des grandes familles grecques, mais au bord de l’implosion. Des schismes à n’en plus finir ! Les donatistes, les monophysites, des moines et des nonnes venus (en réfugiés) d’Egypte… Et, des tribus aux rites souvent païens, toujours prêtes à lutter contre le pouvoir central et à changer de roi ! 

Lui, c’est Massil, un jeune garçon «charmant aux larges épaules», catholique, descendant des tribus des Aurès, toutes petites propriétaires de terrains agricoles et d’oliveraies. Ses parents s’étaient sacrifiés pour la réussite de ses études de médecine. Trente ans d’âge à peine et plus rien à perdre. Il quitte Madaure à peine pubère, seize ans d’âge. Après un long voyage de dix ans à travers le monde connu d’alors. D’abord Carthage puis la Grèce, la Syrie et l’Egypte où, à Alexandrie, il obtint son diplôme, pour récolter les connaissances, il revient au pays natal et s’y installe pour exercer son noble métier. Parti d’une région chrétienne, il y revient en musulman. Il ne le cache pas bien que cela était très mal vu (pour la bourgeoisie et l’aristocratie grecque, ses principaux clients, il était un «renégat»), sachant bien que son art, exercé avec talent et humilité, rendant service aux pauvres et aux démunis, allait faire la différence… la foi faisant le reste. 

Elle, c’est Mélanie, la fille du duc Jean. Ses parents appartenaient à une vieille famille grecque installée en Ifriquia depuis plus d’un siècle. Mélanie ? Une «véritable grecque, un sang perfide comme celui de tous les Byzantins, dégénéré et cruel». Mais belle et attirante ! Massil en est immédiatement amoureux fou, ce qui lui fait oublier tous les dangers, toutes les menaces dans une cité oppressante, envahie par une masse de réfugiés fuyant «la terreur islamique». 

Ils arriveront à se marier et à vivre quasi-clandestinement leur amour. 

Mais les Arabes sont aux portes de la cité. Rapidement, mais au prix fort, globalement payé, de manière sanglante, par les guerriers berbères, la première ligne de défense de Théveste, la forteresse de Sufetula, est conquise par les troupes arabes. Et la tête de l’empereur (Djerdjir) Grégoire se retrouve au faîte d’une lance arabe. Le duc Jean et le duc d’El Djem capitulent… L’avancée arabe ne va plus s’arrêter. Commencée en 647 avec la première incursion menée en Berbérie par Abdallah Ibn Saad et Abdallah Ibn Zubeir, elle ne s’achèvera que vers 708 après la fin du règne de Koceïla (plus de 4 ans de paix et de tranquillité) puis, avec la fin de la résistance de la Kahina. Entre-temps, Carthage, rasée (en 698), n’est plus qu’un lointain souvenir et l’Islam s’est bien installé. Une soumission des Berbères toute apparente… puisqu’en 740 les Omeyyades sont boutés hors de Berbérie et même hors d’Egypte. Une nouvelle dynastie, bien berbère celle-ci, va surgir… les Fatimides. Entre-temps, les descendants de Mélanie et de Massil (qui s’étaient réfugiés dans une vieille cité des Aurès) continuent de construire leur pays… dans la diversité des croyances. Déjà, l’Algérie du futur ? 

L’auteur : Né à Annaba, médecin (Faculté d’Alger), spécialiste en ORL (Lyon), installé à Annaba en cabinet libéral. Passionné de littérature et d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, en majorité des romans historiques. 

Extraits : «Le monde catholique était divisé, fragmenté par les innombrables hérésies orientales. A travers tant de disputes, de discordes, émergeaient les fumées de Satan. Peut-être, la future punition divine» (p 96). 

Avis : Une histoire d’amour passionnante (et compliquée) sur fond d’une Histoire du pays qui l’est encore beaucoup plus (passionnante et compliquée). En fin d’ouvrage, une brève mais intéressante chronologie des diverses occupations de la Berbérie. 

Citations : «L’amitié peut remplacer l’amour lorsqu’une personne fait à une autre la grâce de sa présence» (p 116). «L’histoire de ce pays (la Berbérie) est un éternel recommencement» (p 146). 

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