LIVRES / LES BONNES NOUVELLES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres 

La demoiselle du métro. Recueil de nouvelles de Meriem Guemache. Casbah Editions, Alger 2018, 800 dinars, 168 pages 

Treize nouvelles, treize histoires ou «récits» de vie. Comme si vous y étiez. De la plus courte à la plus longue. De la plus simple à la plus compliquée ; mais toutes, absolument toutes, captivantes. 

Cela, d’ailleurs, commence assez fort. Avec un «laissé pour compte», enfant abandonné, puis «orphelin» (suite à la mort tragique de ses jeunes parents adoptifs), rejeté par les autres membres de la «famille» (qui s’empressèrent, bien sûr, de se partager les biens laissés par les défunts), puis «jeté » sans ménagement dans la rue. Mais, ne voilà-t-il pas qu’il… décroche le gros lot du Loto. Il devient donc un milliardaire… que tout le monde courtise, que tout le monde déclare «aimer» (même ceux qui l’avaient abandonné, rejeté, dépouillé), chacun voulant bénéficier d’une «aide», inventant tout et n’importe quoi. 

Il y a, aussi, et c’est la nouvelle qui m’a le plus conquis car d’un humour assez fin : une jeune femme, morte (dans un accident de la circulation) qui raconte «sa» veillée mortuaire… avec des compatissants sincères, des hypocrites, des «comédiens», des curieux, des pleureuses… 

Il y a, enfin, celle qui est, peut-être, la nouvelle la plus aboutie, digne de se transformer en un grand roman ou en film : la vie dans le «bâtiment D». L’auteure décrit de manière assez réaliste et avec des pointes d’humour, les aventures et les mésaventures de ses habitants, nous faisant découvrir l’Algérien(ne) en situation de vie quotidienne : le concierge infidèle et sa femme ; la veuve joyeuse ; la mère de famille…. très nombreuse, toujours occupée avec ses nombreux rejetons, mais toujours chantant Dalida ; le célibataire du 2ème, un beau gosse, véritable «bombe» et séducteur impénitent ; la «gourde» du premier étage, cadre supérieur (un mystère de réussite !) dans une entreprise ; la prof’ d’anglais devenue végétalienne… et, de ce fait, perdant son époux trop sevré de viande fraîche ; la cartomancienne ; la voisine accro’ des réseaux sociaux et oubliant toujours ses marmites sur le feu ; la jeune et belle femme, peintre de son état, toujours devant son chevalet et rêvant d’ouvrir sa propre galerie d’art ; la famille du vieil émigré revenu au pays avec ses deux filles, elles qui ne rêvent que de repartir en Europe pour fuir des mariages «arrangés»… et, enfin, celle qui raconte son immeuble, «Décibel», une mordue de «heavy metal». Ne manque plus que le «frère barbu» passant son temps à faire la morale… 

Une autre nouvelle, la plus originale et assez osée, certainement, celle du «renversement» des genres… Une «nouvelle-fiction». Ce sont les femmes qui occupent l’espace public et les terrasses des cafés. Les hommes «rasent les murs» et se font tout petits. Ce sont les femmes qui draguent et les hommes qui se laissent faire ou, alors, résistent (parfois de rude et belle manière)… aux assauts. Une manière intelligente de montrer et de démonter les comportements débiles des uns et les souffrances des autres. 

Il y a, quand même, une nouvelle assez banale. Celle de l’entretien radiophonique avec une de nos vedettes préférées. Beaucoup plus l’histoire de sa chienne adorée qui s’en va «cueillir des fleurs» dans les couloirs. On adore l’actrice, mais on se demande ce qu’elle vient faire ici. 

L’ouvrage se termine avec une «nouvelle» assez tragique : celle de l’enlèvement d’une fillette par un «frustré». 

Il est vrai que l’auteure, pour reprendre la préfacière, Malika Boussouf, «force un peu le trait… pousse un peu le bouchon… mais elle dit vrai…». Et, quand c’est bien écrit, c’est déjà beaucoup, et on en re-veut. 

L’Auteure : Née à El Biar, études en Lettres anglaises (Université d’Alger). 1989 : Intègre la «Chaîne 3» de la Radio publique algérienne… produisant et animant des émissions culturelles et de divertissement. Journaliste. 2017 : premier livre destiné aux enfants… suivi d’un second en 2018. Premier recueil de nouvelles. 

Extrait : «Moins d’une année après son voyage à Alger, Karl Marx rend son dernier soupir. La pleurésie qui le minait a eu raison de lui. Il s’en est allé dans les étoiles le 14 mars 1883. Il avait 64 ans. Alger a constitué l’une de ses dernières escales. Celle qui l’a sans doute le plus ému par sa lumière inouïe et la bonté de ses habitants» (p 54). 

Avis : Du bon et du moins bon. Journaliste, rien ne lui échappe des joies, des blessures et des frémissements de la société. Donc, des infos «nouvellisées»… sorte de mini-reportages (des récits) qui rapprochent et qui humanisent. 

Citation : «Je soliloque, mais l’heure cavale. Le temps poursuit son œuvre sans prêter attention aux pauvres êtres que nous sommes. Un jour, il aura notre peau. Mais, en attendant, nous faisons tous semblant de le maîtriser, de le dominer, de le contrôler. Juste une illusion qui nous réconforte. En réalité, le temps finit toujours par avoir le dernier mot» (p 157) 

Les couffins de l’équinoxe. Recueil de nouvelles de Ferhani Ameziane. Chihab Editions, Alger 2018, 1000 dinars, 227 pages 

Là aussi, treize nouvelles. Un chiffre magique pour nos nouvellistes ? Ou, alors, une norme imposée par l’éditeur ? 

Treize nouvelles qui nous transportent dans bien des régions du pays… et ailleurs dans le monde ; l’Inde, Gao, Paris, Toulouse, Beyrouth…. 

C’est, entre autres, la vie quotidienne d’un village, Tadja, dans le Dahra, village qui «figure dans les livres savants des tremblements de terre mais jamais dans les vers de nos poètes» et les prédictions ô combien étranges de Cheikh Larbi Boukanssi ; prédictions annonçant octobre 88, l’état d’urgence, la douleur, la peur, les moustiques, le feu, le sang et la mort… Il est vrai que le pain (imposé !) avait remplacé la galette (les femmes voulant plus de temps pour elles et la télévision étant l’ennemi juré de la galette… disait-on). La fin d’une époque. 

On se rend, aussi, à Gao, avec la nouvelle (suite à un reportage en Inde) peut-être la plus émouvante. Le séjour- quel hasard !- dans une chambre d’hôtel qui avait accueilli un concitoyen décédé d’une crise cardiaque lors de ses vacances… En fait, un homme au parcours incroyable, première victime de l’enfer colonial car héritier de la ferme «Ameziane» de Constantine (réquisitionnée par l’armée française) et résistant sauvagement torturé. 

Il y a un long voyage dans le temps… Baltimore en 1631… avec les longs voyages des corsaires algériens. Mourad Rais (d’origine hollandaise et connaissant bien les mers du Nord) qui a, d’abord, attaqué l’Islande et l’Irlande, avant de se rendre, quatre années plus tard, à la colonie anglaise de Baltimore… petite mais riche. Un long voyage dans le temps et l’espace mais surtout le refus d’une auteure, historienne de son état, qui refuse d’accepter les conditions a-historiques de son éditeur anglais, peu porté sur l’encensement des personnages liés à l’Islam. 

Autre nouvelle assez réaliste, celle de «la crue». Nous sommes plein Sud… une journée parfaite, un ciel bleu, une voie libre, un vent frais et vivifiant… comme seul le Sahara peut offrir comme sorte de printemps… Sur le vaste plateau, une file interminable de voitures et de camions. A perte de vue. Tout est bloqué. En fait, un vieillard, assis sur la chaussée, à même le goudron, faisant face aux chauffeurs, tout particulièrement les «citadins»… ne veut laisser personne passer… pour ne pas avoir, dit-il, «l’infamie de votre mort sur ma conscience». Tout d’un coup, le tonnerre, les éclairs… et la crue qui arrive, rien ne l’arrêtant. Et d’autres, et d’autres : La fuite (clandestine) de Gabo (Gabriel Garcia Marquez). «L’odeur du voyage» (ne pas partir pour s’en souvenir). «Ramz de Numidie» (une histoire d’étalon(s)… arabe et d’une jeune fille issue d’une famille coloniale). Le message beyrouthien de «Sanâa…». «Personne dans la rame» (de métro parisien… où ne sont rencontrés que des étrangers)… Un véritable tour du monde où journalisme (reportage) et fiction se mêlent avec un talent maîtrisé de l’écriture… enfantant de très bonnes nouvelles. 

L’Auteure : Né en 1954 à Alger. Etudes en sociologie urbaine. Journaliste spécialisé dans le culturel et la communication («Algérie Actualités», «Parcours Maghrébins», «El Watan»). Déjà auteur de plusieurs ouvrages dont «Traverses d’Alger» en 2012 

Extraits : «Nombreux étaient les enfants du village qui travaillaient dans la vallée et les grandes villes du pays. A force de gagner leur pain ailleurs, ils avaient oublié les galettes de leurs mères et épouses» (p 13), «L’odeur du voyage. Pas de mais du. L’odeur du voyage, oui. Identique quelle que soit la destination, la raison, la durée, le mode de transport ou le temps qu’il faisait. Qu’était-elle au juste cette odeur ? D’où venait-elle ? Peut-être remontait-elle aux premiers voyages, y compris celui de notre débarquement sur terre» (p 53) 

Avis : Après les «Traverses d’Alger», nous voilà donc sur les routes du pays, avec même quelques échappées à travers le monde… ce qui nuit (un peu) à l’unité de l’œuvre. Très bien écrite, il faut le noter.

Citations : «Dans ce monde, il y a les forts, les aigles, les puissants et puis il y a nous autres : les moustiques» (p 86), «Nous sommes aussi inconstants que les oueds de notre pays, invisibles d’ordinaire et imprévisibles en leurs surgissements, capables de longues absences dociles avant de débouler en fureurs irrésistibles» (p 131), «C’est la vie ! Avez-vous remarqué que cette expression n’a jamais autant de succès que lorsque la vie s’éloigne. Quel drôle de paradoxe !» (p 151), «N’importe quel humain peut être un personnage de roman, pour peu que l’écrivain en ait le savoir-faire» (p 164), «L’histoire est décidément une forêt aux ombres épaisses où l’ignorance est le plus féroce des prédateurs» (p 184) 

Ces cons de journalistes,essai d’Olivier Goujon, Editions Max Milo, France 2018, 18 euros Avis de Challenges.fr (voir article complet en date du 01.02.2019) 

PARUTION A L’ETRANGER : L’ETRANGER 

L’humour est caustique et le style vif et terriblement percutant pour cet ouvrage au titre ironique, qui tombe à point nommé en cette période de défiance généralisée d’une profession qui est devenue l’une des cibles des Gilets jaunes. Olivier Goujon, lui-même journaliste, s’appuie sur de nombreux témoignages comme Sophie «qui ne veut pas trop qu’on sache qu’elle est pauvre et triste», mais aussi N’Fabteh Minteh que rien ne prédestinait à devenir journaliste. Manquant parfois de distance avec l’expérience personnelle de l’auteur, cet ouvrage dresse un état des lieux dévastateur sur la précarisation du métier de journaliste. Ouvrage douloureusement triste. 

Note : La Commission de la Carte de presse française dénombre 35 047 journalistes dont 7 000 pigistes. Et le salaire médian d’un journaliste en CDI était en 2017 de 3.591 euros brut mensuel. Mais il existe dans la profession une zone grise qui «a tendance à se développer dans la périphérie de la profession»… Le métier de journaliste arrive en 2018 en tête des professions les moins attractives. «Ambitionner d’être journaliste est le plus sûr moyen de devenir chômeur à brève ou moyenne échéance», souligne l’ouvrage. était en 2017 de 3.591 euros brut mensuels 

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