LIVRES / LES FOUS DE FOOT !

    25.06.2020

par Belkacem Ahcene-Djaballah

                                                                            Livres

C’était le Mouloudia des Hamraoua, 1946-1956. Récit de Ahmed Bessol Lahouari. Médias Sports Editions, Alger 2020 – 207 pages, 600 dinars.

Il est né le 14 mai 1946 sous le nom de Mouloudia Club Oranais (MCO). Une «ouaâda» est organisée… grâce à la participation financière des petits commerçants du quartier El Hamri. Une grande et belle aventure allait commencer…avec des hauts et des bas comme pour tous les clubs algériens musulmans de l’époque, car les terrains étaient trustés par des équipes pour la plupart composées de joueurs d’origine européenne, les «indigènes» étant certes tolérés, en tout petit nombre, bien que dans la communauté musulmane les talents étaient plus que nombreux et bien meilleurs (pas seulement dans le foot, la boxe – sorte de tremplin idéal pour s’ouvrir les portes d’une vie décente – attirant beaucoup de jeunes). Bien sûr, il y avait déjà l’USMO, un club possédant déjà un palmarès impressionnant fondé le 1er mars 1926, mais… bref, passons (il était financé par des «nantis»… et le «petit peuple oranais se contentait de remplir les gradins»).

L’USMO restait donc un mirage ne reflétant pas la réalité du terrain, surtout celle des innombrables bonnes graines et des incroyables talents de la balle ronde se contentant, pour les malchanceux, la majorité, de pratiquer le foot dans la rue et dans des terrains vagues avec des balles en chiffon… le ballon coûtant cher, et trop lourd pour les chaussures non adaptées, en général des «baskets» pour les moins infortunés ou, généralement, les pieds nus. Sur les seize clubs qui disputaient alors le championnat de l’élite, ils n’étaient que deux clubs musulmans, l’autre club étant l’USMBA (Sidi Bel Abbès).

Le démarrage ne fut guère aisée et les sélectionneurs, dont Bessol Mohamed, membre fondateur du club, joueur – entraîneur et SG du club, peinèrent pour dégager les meilleurs (le désir de jouer et la seule volonté ne suffisant pas) : bonne technique, bonne touche de balle… et aussi et surtout la capacité d’évoluer 90 minutes dans un stade aux dimensions réglementaires.

Premier match… en championnat de district de la ville d’Oran, le dernier palier du système de compétition sur les cinq existants,… au stade de l’USMO…contre le Liberté Club Saint Pierrois, issu d’un quartier du centre-ville. Maillot rouge, culotte blanche… et bas verts (les bas bleus de la première mi-temps ayant été changés. A noter que la couleur verte n’était pas prévue dans les statuts). La suite est une grande aventure, souvent belle, avec des victoires et noms lumineux qui font encore rêver de nos jours (pas seulement dans le football mais aussi dans d’autres disciplines comme la boxe et le cyclisme, et la saison 1954-1955 restera certainement, pour les anciens, la plus belle de l’histoire du club et la plus enthousiaste avec l’accession en Promotion, un rêve de jeunesse des dirigeants d’El Hamri, «toujours sur le pont depuis 1946»), parfois douloureuse (avec des défaites, bien sûr) et dramatique avec une grande mi-temps, celle de l’arrêt de participation aux compétitions durant la Guerre de libération nationale suite à l’appel du FLN au boycott… et la participation à une autre compétition autrement plus délicate et dramatique… avec des centaines de martyrs, joueurs (dont des cadets et des juniors qui rejoignent le FLN/ALN), dirigeants et supporters. El Hamri en camp retranché, une autre Casbah en lutte ! Juillet 62. L’indépendance du pays… Les entraînements reprennent dans une cour d’école (Avicenne)… L’accession en Nationale «Une» durant la saison 63-64… L’aventure continue.

Note complémentaire : je ne peux m’empêcher de reprendre de l’ouvrage une anecdote assez piquante (p. 89) dont je conseille la lecture : celle de «Belkacem dit «El Khane», qui met K.O. Ben Bella». Ce dernier, défenseur central, portait alors les couleurs de l’équipe locale de Maghnia… et s’en était pris, à la fin de la rencontre à un supporter hamraoui. Mal lui en prit… la suite de l’histoire, après l’indépendance, est à savourer.

L’auteur : Ancien footballeur (international junior et accession du MCO en Nationale «Une». Journaliste (La République, Aps, Botola…, spécialisé dans les sports… tout particulièrement le football qu’il a pratiqué dans son club favori…le Mouloudia. Auteur de plusieurs ouvrages (dont une pièce de théâtre, «Société football»), consacrés au foot. Bio complète page 206.

Sommaire : Prologue / 34 chapitres allant de la naissance du Mouloudia à l’appel du FLN au boycott, en passant par la grande famille du Mouloudia et El Hamri en camp retranché.

Extraits : «L’avenir immédiat du Mouloudia n’est pas de gagner des titres, mais de mobiliser la jeunesse pour une grande œuvre qui dépasse les stades» (Abouna Omar, premier président du MCO…).

Avis : Un ouvrage un peu trop… riche en informations. L’idéal c’est de voir édités des ouvrages du même genre retraçant les parcours, parsemés d’embûches… et de sacrifices, des clubs sportifs (football et autres) algériens… musulmans, durant la période coloniale ; la plupart, sinon la totalité ayant arrêté les compétitions dès le déclenchement de la Guerre de libération nationale… et presque tous comptant des martyrs de la Révolution.

Commentaire très personnel : quand on voit les parcours et les sacrifices des anciens dirigeants (et ce jusqu’aux années 80) comparés à ceux des nouveaux dirigeants du sport dit «pro» (certes nécessaire pour dégager des élites), on a l’impression de vivre sur une autre planète où la pratique sportive est le cadet des soucis, et l’affairisme et le gain facile rapide la priorité.

Citations : «Le football est le seul sport où le piston n’existe pas. Ou tu sais jouer ou tu ne sais pas et alors tu vas choisir un autre sport» (Les supporters, p. 31).

Le jour où Pelé. Roman de Abdelkader Djemaï. Editions Barzakh, Alger 2016 – 800 dinars, 129 pages (déjà publié. Pour rappel).

C’est l’histoire assez simple pour ne pas dire banale d’un jeune adolescent, à peine sorti de son enfance, ayant grandi dans un «haouch» (où cohabitaient plusieurs familles) qui découvre sa ville, Oran et l’Algérie indépendante, tout juste sortie d’une ère coloniale marquée par le feu et le sang (celles d’abord des forces d’occupation puis des forces maléfiques de l’OAS).

La liberté de circuler sans risques retrouvée, tout particulièrement dans un espace alors réservé à la seule population européenne, l’auteur va la goûter pleinement. Il nous décrit, avec ses yeux d’enfant, la vie quotidienne de la population musulmane tentant de survivre à la périphérie (dans le haouch, sorte de «Dar Sbitar» plus rural que citadin) d’une cité européenne vivant presque en autarcie. Puis, c’est la grande aventure à travers Oran et ses quartiers. Souvenirs, souvenirs !

La liberté d’exister enfin en assistant à l’événement extraordinaire. Presque plus que l’indépendance elle-même… déjà si loin, presque trois années déjà. Presque plus que la venue, en voyage officiel, du président Ahmed Ben Bella. Presque plus que la rencontre au stade d’Oran, le jeudi 17 juin 1965, de l’équipe nationale (algérienne) de football avec Mekhloufi, Oudjani, Zerga, Melaksou, Zitouni, Soukhane, Defnoun, Lekkak, Bourouba…) avec la mythique Seleçao brésilienne. L’évènement : la présence de Edson Arantes di Nascimento dit Pelé et de Garrincha. Pelé d’abord, Garrincha ensuite.

Un stade plein à craquer, près ou plus de 60 000 personnes… Hélas, la déception, l’Algérie sera battue 3-0 avec un premier tir (« à la beauté fatale») de Pelé, sur coup-franc direct, des dix-neuf mètres, à la 18e minute. Gooooaaaal(s) ! Trois fois hélas, la grande déception du jeune homme et de tout le public : Pelé ne s’est pas pleinement exprimé et après avoir marqué son but, deux minutes plus tard, il est revenu «tranquillement» sur le banc parmi les remplaçants et les membres du staff. Certes, les billets n’avaient pas coûté cher, mais la déception fut grande. «La surprise était énorme, incroyable, cruelle». Ce n’était pas fini… à la fin de la partie, des berlingots de lait aromatisé vides ou semi-pleins (distribués gratuitement par la Centrale laitière d’Oran)… et des insultes aigres se mirent à pleuvoir sur la tribune officielle que Ben Bella s’apprêtait à quitter… De simples gestes de colère suite à la défaite (un mythe, celui d’une équipe nationale invaincue, déjà vieillot, confronté à une «nouvelle» réalité sociale et sportive) ou au «dilettantisme» de Pelé… ou, alors, commençait-on à découvrir la «grande arnaque» (l’avenir nous le (dé-) montrera) du Fonds de la solidarité nationale… ou alors, le «feu vert» pour le coup d’Etat du samedi 19 juin était-il déjà donné. Les berlingots n’étaient donc que l’avant-goût de ce qui allait suivre ? Qui savait ? De héros, Ben Bella allait devenir, au fil des discours, tyran, démagogue, mauvais gestionnaire, dictateur… un ton qui a réussi à «réveiller» les vieux démons du régionalisme que l’on croyait finis… Beaucoup de personnalités arrêtées (ayant appelé à manifester contre le coup d’Etat) n’étaient-elles pas, comme «par hasard», de l’ouest, «comme Ben Bella» ?

L’auteur : Né à Oran en 1948, longtemps journaliste-chroniqueur vedette à «La République» , quotidien francophone oranais alors dirigé par Bachir Rezzoug… Vivant en France depuis 1993. Auteur de plusieurs ouvrages : des recueils de nouvelles (2), des récits, 9 (dont «Camus à Oran» en 1995) , des recueils de chroniques (1), de dessins (1) et de photographies commentées (3), des romans, 7+1 (dont «La dernière nuit de l’Emir» paru en 2011 et «La Vie (presque) vraie de l’abbé Lambert» en 2016) )… Plusieurs prix (dont le Prix Stendhal des lycéens, le Prix Découverte Albert Camus, le Prix Amis de l’Académie française, Prix Tropiques…).

Extraits : «La cour (du haouch) servait à sa mère et à ses voisines de boudoir, de square ou de jardin public dont elles ne franchissaient jamais les grilles… Evidemment, elles n’allaient pas au Café Nedjma de Hadj Bouazza ni dans les stades ou les cinémas… Elles ne lisaient pas des livres ou des magazines. Les vieux journaux leur servaient à emballer des épluchures de légumes ou des arêtes de poissons» (p. 28). «Malgré l’arrachage de la vigne, les caves n’étaient pas vides et le vin – un rouge bien costaud – circulait librement, souvent par jerricans. Il égayait, entre autres, la soirée des hommes qui se réunissaient, lors des mariages, sur les terrasses ou dans l’appartement d’un ami du marié. A propos de vin qu’on appelait «dem sbâa», «le sang du lion», la ville allait bientôt respirer les vapeurs du scandale de son exportation vers l’Espagne» (pp 69-70).

Avis : Quatorze ans à l’Indépendance… un récit autobiographique quasi historico-documentaire et romancé sur Oran ? Court, précis, concis. Du journalisme à l’état pur. Comme au «bon vieux temps» de «La République» !

Citations : «Le sésame , le blanc-seing était la «fiche communale». Délivrée par l’Etat, elle certifiait à son heureux détenteur la qualité de moudjahid. Outre qu’elle lui assurait une bonne pension, elle lui donnait des privilèges, des droits, des prébendes» (p. 70) , «Plus large et plus attirant que la porte en bois du haouch, l’écran (des cinémas) leur (les maris et les garçons) montrait des mondes auxquels ils n’appartenaient pas : de vastes et confortables maisons où l’on mange à satiété, des ranchs, des animaux exotiques, des voitures rutilantes, des paysage sublimes…» (p. 74). «Celle qu’on avait appelée la «Radieuse» ou la «Joyeuse» (Oran) ne l’avait été (…) que pour les Européens et pour ceux qui étaient honteusement à leur service» (p. 79.), «Dans le football où se mêlent la sueur, l’adrénaline, les émotions, le suspense et l’impatience, souvent inquiète, il ne suffit pas d’avoir un nom prestigieux, une réputation sans faille… la carrière d’un footballeur ou le destin d’une équipe nationale dépendait, en dehors de leur jeu et de leur tactique, de la robustesse d’une cheville, d’un tibia, d’une clavicule, de la souplesse d’un genou ou de la solidité d’une tête» (p. 106).

«C’est dans les vestiaires obscurs du pouvoir que s’était jouée une compétition souterraine, pleine de chausse-trapes et de coups bas. Bien plus impitoyable que le match dont il ne resterait bientôt dans les têtes que des souvenirs évanescents, elle remontait à la Guerre de libération. Opposant les clans militaires et politiques dont celui dit d’Oujda, le plus puissant et le mieux organisé, dirigé par le colonel (Boumediene), elle venait de trouver son dénouement (coup d’Etat du 19 juin 1965)» (pp. 125-126). «Cette vilaine histoire de coup d’Etat militaire ressemblait à un tacle par derrière, à un but marqué hors-jeu ou avec la main. En somme une mauvaise surprise qui dépassait mille fois celle du bandeau blanc d’Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé, le «roi Pelé» (p. 129).


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