LIVRES / LES HISTOIRES DE L’HISTOIRE (2ème EDITION)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres 

Témoin sur l’assassinat de la Révolution. Récit historique de Lakhdar Bouregaa. Editions El Qobia, Alger/Birkhadem 2018 (2ème édition revue et corrigée. Ouvrage traduit par Abed Charef), 800 dinars, 441 pages (Déjà publiée jeudi 29 novembre 2018, in Mediatic) 

«Nous étions loin du monde des complots, des combines, des coups d’Etat et des coups bas. Peut-être avions-nous une vision idéaliste de la révolution». Une courte phrase qui résume tout le parcours d’un éternel combattant. Un homme qui n’a jamais «désarmé»…, aujourd’hui encore. 

D’abord, la guerre et le maquis, récoltant les blessures, gravissant les échelons, surmontant ses peurs, déjouant les embuscades, détectant les lâchetés ou les traîtrises. Tout cela, sans jamais se faire prendre par l’ennemi, dans une région, la wilaya IV, pourtant parmi les plus ciblées par l’occupant car la plus enclavée d’entre toutes… et région pullulant, au départ… et «jusqu’à la veille de l’indépendance» de messalistes, «agissant en supplétifs de l’armée française». Sans jamais quitter le terrain national. On comprend d’ailleurs un peu (ou beaucoup) son peu de considération pour l’«extérieur». 

Un homme qui en a vu de toutes les couleurs et qui a rencontré et/ou côtoyé les plus grands de la guerre. Auxquels il a obéi, aux côtés desquels il a combattu, avec lesquels il a discuté ou «négocié», ceux admirés et respectés, d’autres méprisés, certains ignorés…, mais jamais écrasés. 

Tout d’abord le maquis et de grandes batailles (comme celle de Mokorno en décembre 1958…, une «légende»), auprès de M’hamed Bougara (le «maître»), Mohamed Bounâama, Khatib…, croisant Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane, Amar Ouamrane, Sadek Dehilès, Tayeb Djoughlali, Salah Zamoum, Bencherif, Azzedine, Omar Ramdane, Omar Oussedik, Boualem Oussedik, Mohamed Teguia… Les ratissages militaires multipliés. L’enfer. Des pertes humaines nombreuses (surtout de 1959 à mi-1961). La lutte pour la vie et le tribut de la liberté ! 

Ensuite, le cessez-le-feu…, la crise de l’été 62…, la prise de pouvoir par le «groupe d’Oujda» et «l’invasion de la capitale par les forces de Boumediene»…, la désillusion démocratique («La crise de l’été 1962 fut un de ces moments tristes, douloureux où on voit un rêve s’écrouler, sans pouvoir redresser la situation»). L’«adieu à l’armée»…, député…, l’opposition (armée) avec le Ffs…, le «soutien» à Tahar Zbiri (beaucoup plus par amitié que par engagement politique, s’étant trouvé, par hasard, mêlé à la situation) contre le régime de Boumediene, ses rencontres avec Krim Belkacem… Encore des lâchetés, des traîtrises et des déceptions liées cette fois-ci à l’exercice du pouvoir… puis la torture… et sept années de prison. 

Un livre-thérapie car on y trouve tout ou presque tout de la vie de l’auteur. Et ce qui est encore plus vrai, c’est qu’il va jusqu’au bout de ses «confessions» en dressant des portraits, souvent longs, parfois assez courts, parfois élogieux, souvent tranchants, des personnages rencontrés, croisés ou simplement acteurs ou figurants de l’échiquier politique du moment évoqué. Ses héros ! Bougara, Cheikh Tayeb Djoughlali, Abane, Ben M’hidi et d’autres, et d’autres. 

Un livre-thérapie qui lui a, peut-être, permis de surmonter le «traumatisme» des désillusions post-indépendance dont les plus importantes sont, sans nul doute, pour lui : d’abord en découvrant qu’après 62, «une sorte d’égalité dans la honte s’est établie entre celui qui a mené son djihad pour Dieu et la patrie et le collaborateur qui travaillait naguère pour l’armée coloniale, pour se retrouver dirigeant d’une révolution et se prétendre symbole du progrès». Ensuite, la période ayant vu son arrestation (le 3 juillet 1967, en plein cœur d’Alger, rue Larbi Ben M’hidi) par les services de sécurité de Boumediene (la SM), les séances interminables et plus que cruelles de torture…, avec plus d’une année dans une cellule obscure et sans visite, la condamnation (en juillet 1969) à trente années de prison ferme (il en fera sept car il avait refusé de demander à H. Boumediene sa grâce qui lui avait été transmise par le… colonel Abdelghani… juste avant le président du tribunal le condamnant…, Ahmed Draïa étant le procureur…, tout cela en présence des responsables de la SM, Kasdi Merbah et Yazid Zerhouni)…, accusé d’être «un agent de l’impérialisme et de la réaction», de «contre-révolutionnaire»…, une peine plus lourde que celle requise par le procureur et l’emprisonnement durant une longue période. 

L’Auteur : Né en mars 1933 à Ouled Tourki, près d’El Omaria (ex-Champelain), à l’ouest de Médéa, sur le flan sud des monts de Chréa. Père fellah (qui a vécu jusqu’à l’âge de 92 ans), fervent partisan de la guerre culturelle («la guerre des écoles») consistant à rejeter l’école française. Témoin des exactions militaires colonialistes en 1948 (après les «élections» de Naegelen)… et rencontre (en fait, il le «voit» seulement) Didouche Mourad, venu alors superviser, au nom du Ppa-Mtld, les élections à El Omaria. 

Service militaire chez les chasseurs alpins… 1955 : première tentative de rejoindre l’Aln. Echec. 21 ans. Démobilisation en 1956. Retour au «douar». Contacts réussis…

Extraits : «Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) a été formé en septembre 1958. C’était une grande victoire pour la révolution algérienne» (p 26). «Cet appareil (le Malg) n’a pas rempli la mission que la révolution était en droit d’en attendre. Il s’est même transformé en un outil de règlement de comptes entre dirigeants, un instrument pour combattre les wilayas et limiter leur influence, avant de servir de levier pour l’accès au pouvoir à l’indépendance » (p 33). «Si Salah (Zamoum) et ses compagnons… avaient commis une faute, mais il ne s’agissait pas d’une trahison» (à propos de la rencontre du 10 juin 1960 à Paris avec de Gaulle, p 195). «La crise de l’été 1962 fut un de ces moments tristes, douloureux, où on voit un rêve s’écrouler, sans pouvoir redresser la situation» (p 283). «La dérive a commencé lorsque Ben Bella et Boumediene ont pris le pouvoir en 1962… Les choses ont évolué : ce ne sont plus les blessures qu’on exhibe, mais les bars, les camions et les comptes en banque… C’est le sort de beaucoup de révolutions» (p 315). 

Avis : Une grande aventure militaire et humaine, racontée avec force détails. Mise en page médiocre ne facilitant pas la lecture. De plus, pas mal de «coquilles». Dommage ! Une erreur (p 226 : Camus est né à Drean (ex-Mondovi) du côté de Annaba et non du côté de Tipasa. 

Citations : «La torture (durant la guerre d’Algérie) était si répandue, si généralisée, qu’il est impossible à un soldat ou officier français de dire qu’il n’était pas au courant» (p 48). «Une révolution, c’est d’abord un rapport permanent avec une société» (p 85). «Tuer pour vivre ou vivre pour tuer (durant la guerre de Libération nationale), tout ceci n’a pas de sens, car on agit instinctivement» (p 127). «Mourir, tomber en chahid, cela paraît si simple. C’est de vivre qui est alors le plus difficile. C’est pénible, c’est douloureux, exténuant, c’est psychologiquement intenable» (p 146). «Un chef (en l’occurrence Bougara), ce n’est pas seulement un concept théorique, mais une réalité concrète. On le sent à son contact, quand on discute avec lui, quand on l’accompagne, quand on écoute son discours, quand on observe son comportement avec les hommes, son sens de la décision, sa capacité d’agir et de réagir» (à propos de Si M’hamed Bougara, p 151). «Autant Ben Bella se laissait entraîner par de simples pulsions, décidait parfois à l’emporte-pièce, autant Boumediene était froid, calculateur, essayant de toujours tirer profit du moindre événement» (p 345). 



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