LIVRES / QUELLE(S) LANGUE(S) ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Multiculturalisme et unité nationale. Des langues et des cultures en Algérie : de l’unité dans la diversité. Sous la direction scientifique de Abderrezak Dourari et Khaoula Taleb Ibrahimi. Editions «Les Amis de Abdelhamid Benzine», Alger 2020, 152 pages, 500 dinars.

D’abord, c’est Abderrezak Dourari qui survole l’évolution de la pensée politique relative à la manière dont les hommes se sont organisés ou ont pensé leur organisation en société à travers l’histoire ancienne ou récente, nous permettant ainsi de construire une grille conceptuelle utile pour une lecture cohérente de la réalité. Mustapha Tidjet présente la revendication amazighe à travers l’histoire récente du pays. Celle-ci remonte au mouvement national, mais dès le début, elle a rencontré un déni de reconnaissance des responsables politiques… La situation n’a pas connu d’évolution significative après l’indépendance et il a fallu attendre le 5 octobre 88 (création de journaux en tamazight dès 89)… puis les Constitutions de 1996, 2002 et 2016. «Des avancées indéniables mais qui, pourtant, n’arrivent pas à convaincre les populations. Pourquoi ?

Pour sa part, Malika Sabri dresse un état des lieux de l’enseignement de tamazight et analyse les différents aspects pour proposer des solutions aux problèmes qui entravent sa généralisation. Car, hélas, «l’enseignement de la langue tamazight demeure toujours à la phase d’expérimentation».

Abdennacer Guedjiba, lui, se penche sur «le cas du chaoui»… Un aspect de la diversité linguistique – «Un phénomène universel qui consiste en l’existence et la cohabitation de plusieurs langues dans une même société» – entre sauvegarde et menace de disparition.

Pour Bachir Bouhania, le Zénète est une variété de langue en danger d’extinction dans le sud algérien. Un dialecte qui est mis en valeur à la radio d’Adrar.

Abdallah Nouh un doctorant en langue et culture amazighes de Tizi Ouzou. Il soulève, avec clarté et détermination (l’avantage et la fraîcheur du jeune chercheur !) la question prioritaire : «Il est temps, dit-il, d’affronter le dilemme de l’unité /diversité de tamazight et le(s) choix à opérer pour son aménagement». Il est aussi temps «d’interroger le terme controversé «tamazighte» dans ses différentes acceptations employées ( il y en a trois : la langue abstraite supposée/ celle du discours officiel et académique signifiant la langue kabyle/ celle consacrée dans le discours juridique et qui signifie une langue à créer), aussi bien dans le champ académique que dans le discours officiel…».

Ibtissem Chachou fait découvrir les origines de la formation de l’arabe algérien et remontant à l’implantation du punique en Algérie…jusqu’à l’implantation de l’arabe, «une autre langue véhiculaire»

Khalil Mgharfaoui, professeur marocain aborde le cas de l’arabe marocain (langue maternelle arabe orale ou «darija» ou «darja» ou «arabe standard» dans sa variété écrite scolaire) dont l’émergence entraîne une remise en cause de «l’ordre établi». Le débat autour de la question linguistique est aussi vieux que l’indépendance du pays en 1956, mais elle a pris une grande ampleur ces vingt dernières années.

Et, pour terminer, Khaoula Taleb Ibrahimi revient sur «l’école algérienne et le défi des langues. Le plurilinguisme algérien et ses implications didactiques». Son sujet favori. Dans un premier temps, elle s’attache à identifier les composantes du plurilinguisme algérien, pour, dans un second temps, exposer un certain nombre de postures épistémologiques et méthodologiques

Les Auteurs : Abderrezak Dourari (Professeur, Alger 2), Mustapha Tidjet (Crlca/Université de Bejaia), Malika Sabri (Maître de Conférences, Université Tizi Ouzou), Abdennacer Guedjiba (Université Khenchela), Bachir Bouhania (Université d’Adrar) Abdallah Nouh (Doctorant, Université Tizi Ouzou), Ibtissem Chachou (Université Mostaganem), Khalil Mgharfaoui (Professeur, Faculté des lettres d’El Jadida, Maroc), Khaoula Taleb Ibrahimi (Professeur, Alger 2)

Sommaire :Du multilinguisme au multiculturalisme… /Statut de tamazight……/L’enseignement de la langue amazighe en Algérie… ./ Le cas du chaoui /Le Zénète…/ Quel aménagement de quel «tamazight» ?/ Aux origines de la formation de l’arabe algérien… / L’émergence de l’arabe marocain…/ L’ école algérienne et le défi des langues…

Extraits : «Jamais, peut-être, dans l’histoire de l’humanité, un peuple n’a été autant humilié et nié dans son identité comme le peuple algérien, qui plus est, par se propres élites dirigeants. Ces dernières osent traiter la langue maternelle des Algériens de «tchektchouka» ou de langue «pathologique» ou de langue dialectale (lahdja) sous-développée» (A. Dourari, p 17), «Dans un Etat où la géographie est aussi immense que l’histoire, le système éducatif, le secteur de la culture, celui des médias et de la gouvernance de manière générale, tireront avantage à favoriser une approche multiculturelle cosmopolite et citoyenne afin de favoriser les forces centripètes» (A. Dourari, 30), «Sans la transmission linguistique transgénérationnelle, la langue maternelle ne peut survivre longtemps. Ce processus commence, en règle générale, très tôt dans la cellule familiale puis dans la fratrie. Il dépend, fortement, des représentations sociolinguistiques des parents (Abdennacer Guedjiba, p 64), «Pour briser la situation de dépréciation de tamazight et d’ «accélérer la tendance vers sa promotion… seuls l’élite intellectuelle et les médias sont en mesure d’influencer, à la fois l’opinion publique et les actions étatiques» (Abdennacer Guedjiba, p 68) « La plupart des travaux portant sur l’ « aménagement de tamazight» en Algérie, évitent curieusement d’affronter la question de la diversité dialectale de tamazight dans sa dimension nationale… Il semble que ces chercheurs essayent de fuir la réalité sociolinguistique du terrain… Ce débat fâche d’autant plus que les sensibilités et appartenances tribales et régionales s’y interfèrent pour influer sur le(s) choix de la norme» (Abdallah Nouh, p 93), «L’autonomie géo-linguistique attestée de l’arabe algérien nécessiterait de lui octroyer un statut de langue à part entière au lieu de continuer à être décrit comme une variété subalterne d’une langue dont il aurait découlé à une période supposée de l’histoire, une histoire qui reste à décrire et à écrire» ( Ibtissem Chachou, p 117), «L’arabe marocain n’a jamais gêné l’arabe standard et n’a jamais été combattu tant que cette langue restait confinée dans son rôle de langue orale» (Khalil Mgharfaoui, p 126).

Avis : Ouvrage présenté lors de la cérémonie du 9ème «Prix de journalisme Abdelhamid Benzine». Couverture assez originale. Un document de base pour aborder la problématique des langues et des cultures en Algérie.

Citations : «C’est le propre de l’aliéné que de contribuer férocement à sa propre aliénation» ( Dourari A.p 13), «L’indigence de la pensée des leaders politiques entraîne, par effet pervers de sublimation du manque, le mépris des intellectuels (savoir) et leur marginalisation» (Dourari A.p 16), «La revendication a (donc) toujours eu une longueur d’avance sur les acquis accordés» (Mustapha Tidjet, p 41), «L’unification d’une langue ne peut se faire à travers les institutions sans une adhésion et une participation des locuteurs» (A. Nouh, p 99), «C’est entre la réalité quotidienne suivant librement l’évolution du monde d’un côté, et les instances de régulation soucieuses de figer la langue dans une forme jugée élaborée d’un autre côté que l’évolution de la langue trouve un espace de liberté ou non» (Khalil Mgharfaoui, p 128), «Rendons aux jeunes Algériens leurs langues et apprenons-leur celles des autres pour qu’enfin leurs langues se délient et qu’ils puissent, en se libérant, contribuer, avec leur génie propre, à construire leur propre culture et entrer en conversation avec les autres» (Khaoula Taleb Ibrahimi, p 152)

Le maghribi, alias «Ed-derija»(la langue consensuelle du Maghreb). Essai de Abdou Elimam (Abdel Jlil), Editions Frantz Fanon, Alger 2015, 244 pages, 600 dinars

Une présentation de prime abord surprenante, et il y a de quoi, que cet éclairage (scientifique), dès la fin des années 90 puisque l‘auteur en est à sa troisième édition. La langue consensuelle au Maghreb… c’est le Maghribi ; en fait une appellation qu’il estime plus correcte que celles de «arabe algérien», ou «arabe dialectal», ou «dialecte» ou «ed darija» ou «el umiya»… Autre chose : Il y a une relation de parenté entre le punique et le maghribi. Cette dernière aurait des origines puniques (puisant ses racines dans l’Afrique du Nord carthaginoise). Mais attention ! Il ne s’agit pas, pour l’auteur, de chercher à «constituer» une langue pour l’ensemble du Maghreb. Cela relève du «pur fantasme»…car il est difficile de tenter de réaliser ce que l’histoire sociale des peuples a permis d’élaborer au fil du temps. Et, surtout de parvenir à formuler, dans un contexte d’exclusives «pan-arabistes», à formuler les contours d’une (nouvelle ?) identité culturelle et linguistique nationale. L’espace «dialectisant» s’était recroquevillé, hormis quelques «bravades» de la chanson raï. Et, seul l’espace berbérisant recelait des voies d’espérances. On a donc préféré une «fuite en avant féconde»….dans la langue (arabe) fosha.

L’auteur révèle dans ce cadre que le président Ahmed Ben Bella, alors aux commandes du pays, avait «acheté» (pour l’ensevelir, car le contrat stipulait que les résultats de l’enquête ne devaient, en aucun cas, être divulgués) une recherche menée par des linguistes de l’Université de Berkeley ayant séjourné en Algérie en 1963-1964 : Les chercheurs se seraient vite rangés à l’avis de promouvoir le «dialectal» car c’était véritablement la langue de l’échange interrégional la plus utilisée et la plus consensuelle. Ils auraient également suggéré la reconnaissance et la promotion du berbère.

L’Auteur : Né à Oran, docteur d’Etat et professeur de linguistique. A exercé dans plusieurs établissements universitaires étrangers. A publié plusieurs articles et ouvrages de sociolinguistique, de didactique et de linguistique cognitive. Se réclame du courant énonciatif (E. Benvéniste, G. Guillaume, A. Culiolii, R. Lafont…)

Extraits : «Les langues nous préexistent car les mécanismes biologiques de réception/émission sont toujours- déjà – inscrits dans nos gènes et dans nos neurones à la naissance. Quant à l’évolution des langues en contact, elle est (toujours) synthèse transitoire. Se présente donc aux linguistes un horizon ouvert à l’infini» (p 12), «Désastreuse est la décision politique lorsqu’elle tente de substituer aux langues maternelles une langue nationale unique dont la caractéristique principale est d’être non native « (p 82), «Chaque société du «monde arabe» a, dans son espace géographique propre, dans son histoire sociale et humaine, un support linguistique qui la perpétue et la distingue. Ces supports ne sont autres que les langues natives, les langues maternelles» (p 86).

Avis : Ouvrage très, très technique, conseillé aux spécialistes, les linguistes. «Aboutissement de la prise en charge d’un refoulé» comme l’avoue l’auteur. Donc, comme pour lui, il va (peut-être) vous servir de «cure analytique» qui vous aidera à «assouvir cette faim identitaire qui plonge ses racines dans cette Afrique du Nord carthaginoise»

Citations : «Une formation linguistique témoignant de son autonomie métalinguistique est une «langue» à part entière» (20), «Lieu de matérialisation des significations, les langues auraient cette puissance phénoménale d’agir au lieu et place des hommes» (p 21)


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *