LIVRES / GUERRE ET PAIX

    par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                            Livres

La pensée d’Aït Ahmed. Face aux tragédies algériennes. Essai de Jugurtha Abbou. Tafat Editions, Alger 2022, 216 pages, 1 000 dinars

Hocine Aït Ahmed (1926-2015) est, sans doute, l’un des militants actifs de la lutte armée pour la libération du pays qui, par ses positions, a laissé le plus une empreinte intellectuelle dans la vie politique et idéologique du pays.

Ses activités sur le terrain, et ce depuis sa prime jeunesse, sont connues et incontestables (et, d’ailleurs incontestées). Un Cv long et aux étapes glorieuses… Un résistant infatigable jusqu’à son dernier souffle… tout particulièrement contre tous ceux (dont des anciens frères de combat anticolonialiste) qui, selon lui, n’étaient ni démocrates, ni respectueux des droits de l’homme, ni… ni… Bref, le rêve d’une Algérie libre et souveraine, puis démocratique et sociale. Un résistant qui ne s’était pas suffi de discourir et de gérer un parti politique d’opposition, ce qui lui a valu bien des désagréments (dont l’emprisonnement) et l’a contraint à l’exil, mais qui, aussi, s’est investi dans la production d’une pensée politique originale mais estimée adaptée au pays, à travers la recherche universitaire et des écrits multiples et ininterrompus. Sa devise lors des moments les plus tragiques vécus par le pays durant les années 90 entre autres ! »Ni Etat policier et ni république intégriste», pour se positionner entre ce qu’il qualifiait d’«autoritarisme des gouvernants et totalitarisme islamiste».

Dans ce livre donc, l’auteur nous ramène aux débuts du parcours d’Aït Ahmed dans son village dans la commune d’Aït Yahia en Kabylie, pour expliquer les éléments qui ont forgé sa pensée, passant par sa prise de conscience et les massacres du 8 mai 1945, puis portant la guerre comme instrument de la politique, jusqu’à être ambassadeur de la révolution.

Le Maghreb démocratique des peuples, rendre l’Etat à la nation, à la recherche des solutions politiques, l’Assemblée constituante, les questions de liberté, des droits de l’Homme, de l’identité, de la condition féminine, de l’Islam el la laïcité, autant de points abordés dans la pensée d’Aït Ahmed.

Aussi, l’essayiste revient sur les positions de Aït Ahmed face au système (déjà en décembre 1959, dans son rapport adressé de l’île d’Aix à la session du Gpra, il avait averti contre « l’abstraction, la généralisation et la schématisation », annonciateurs d’un « Système ») à l’armée et devant les assassinats politiques d’Abane Ramdane, à Khider, Boudiaf, Matoub Lounès. Ses initiatives de sortie de crise prendront aussi une large partie du livre, à commencer par «la rencontre avec Ben Bella, pour une réconciliation nationale historique, la rencontre de Rome et la concorde civile».

À travers cette œuvre, Jugurtha Abbou se fixe le but de «représenter de façon succincte la vision de Hocine Aït Ahmed et sa pensée politique, économique et identitaire».

L’auteur, dans un souci d’appuyer son texte, a enrichi chaque passage par une, voire plusieurs citations de Hocine Aït Ahmed, puisées de ses livres, ses messages, ses entretiens de presse et de ses discours.

Une révélation (?) : Selon Aït Ahmed, « la raison véritable du coup d’Etat du 19 juin 1965 est que trois jours auparavant, un communiqué commun Fln-Ffs a été publié dans la presse nationale annonçant le début de la sortie du parti unique et la reconnaissance d’un deuxième parti »… Des accords « qui allaient déboucher sur la démocratisation du pays ».

L’Auteur : Né en 1984. Spécialiste en psychologie sociale. Il a été membre du Conseil national puis Secrétaire national à la communication du Ffs. Déjà trois ouvrages dont un de poésie (2019), un essai (2021) et un roman (2022)

Table des matières : Introduction/ 12 chapitres/Conclusion/ Bibliographie

Extraits : « Le 1er Novembre a commencé le 8 mai 1945 » (Aït Ahmed cité, p16), « La grande réalité sociologique de l’Algérie, c’est le clan » (Aït Ahmed, 31 octobre 2005, intervention sur Berbère télévision, cité p 19), « Doter la nation d’un Etat, c’est permettre à la Révolution d’avoir un écho » (Aït Ahmed, cité p 46. Tiré de « La guerre et l’après-guerre », 2013), «Pour Aït Ahmed, il n’y a pas mille chemins, la situation exige un changement radical, progressif et pacifique. Radical, cela signifie le changement du Système et non des personnes (…).Progressif parce qu’on ne peut pas aller d’une dictature vers une démocratie sur un coup de tête (…).Pacifique parce qu’aucun changement violent ne peut mettre les jalons d’une véritable démocratie (…) » (p187)

Avis : Un essai ? Bien plutôt une étude qui présente Hocine Aït Ahmed sous toutes ses coutures… politiques. Un écrit qui détaille les qualités (innombrables) bien plus que les défauts. Une étude de la pensée de Si Lhocine bien documentée, méritant une bonne place dans les rayonnages des bibliothèques universitaires, tout particulièrement celles des Instituts de Sciences politiques, de communication ou proches.

Citations : « Si la noblesse d’une cause suffisait à en assurer le triomphe, celle de l’Algérie n’eut pas eu besoin de révolution pour triompher » (Aït Ahmed. Étude remise au Cce, de la prison de la Santé, avril 1957. p 43), « Il y a des faiseurs de rêves, il y a des briseurs de rêves, Aït Ahmed a fait partie de la première catégorie tandis que d’autres… » (p 48), « La politique, chez nous, c’est la loi du plus fort. Et elle est tellement enracinée que nos enfants ne comprennent plus aujourd’hui pourquoi ils devraient étudier « puisque de toute façon, nous disent-ils, c‘est le plus fort qui gagne » (Aït Ahmed, cité p 55. Discours à la salle Harcha, 4 février 1999), « La politique, c’est aussi le devoir de rendre des comptes » (p 61), « L’Islam contient des valeurs civilisationnelles, mais la technique de sacralisation est une technique du pouvoir absolu » (Aït Ahmed. Libération/France, 15 décembre 1989), « Mon pays souffre d’une étrange maladie : l’algériasclérose. Ses symptômes ne trompent pas : mal-être, mal de vivre, tristesse, frustration et soumission, perte des valeurs de solidarité et de courage… » (Aït Ahmed, cité p 108. Jeune Afrique, 1986), « L’Histoire, on la fait d’abord, on l’écrit ensuite » (Ait Ahmed cité p 191. La Nation)

La Guerre et l’après-guerre. Recueils de textes de Hocine Aït Ahmed. Editions Scolie, 281 pages, 650 dinars, Alger 2013 (Édité pour la première fois en 1963 aux Éditions de Minuit, Paris).

(Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits, Fiche complète in www. almanach-dz.com/vie politique/bibliothèque d’almanach)

Il n’avait que 16 ans quand il a commencé son combat pour la libération du pays du colonialisme (…). Bien que retiré de la vie politique active depuis quelques années, bien qu’absent-présent de la scène, il continue sa lutte pour la liberté et l’émancipation politique de l’Algérien.

On peut penser tout ce que l’on veut de l’idéologie générale d’un homme qui n’a pas changé de position d’un iota jusqu’à en devenir (pour les détracteurs, de moins en moins nombreux au fil du temps et des réalités, envieux et admiratifs en même temps), obsessionnelle, mais on ne peut que saluer sa fidélité (jusqu’à l’entêtement) à son engagement « (r-) évolutionnaire » inchangé.

Tout ceci transparaît à travers ses écrits de prison durant la guerre (écrits adressés à ceux qui continuaient le combat sur le terrain) et juste après l’Indépendance : Etudes, propositions, conseils, interventions au niveau de l’Assemblée nationale (constituante), interview… Certains ne sont pas parvenus aux destinataires (???), d’autres n’ont été ni lus (certainement), ni entendus… On sait comment cela a fini pour lui et comment il avait (ré-) agi. Des textes qui nous replongent dans un passé-présent et qui nous permettent de mieux comprendre les causes premières de tous nos problèmes durant les cinquante années d’Indépendance. Avec Ben M’hidi, Abane, Abbas et Aït Ahmed, entre autres, vivants et/ou libres après 62, la face politique de l’Algérie aurait pu être tout autre… et, certainement, nous ne serions pas en train de nous « étriper » autour de concepts dévoyés dès le départ. Tous les quatre, pour emprunter à l’auteur, ont parié sur la démocratie comme valeur et méthode à la fois, comme but doctrinal et moyen politique… « une option de cœur et de raison » qui n’a rien à voir avec l’orgueil national, le messianisme d’exhibition et la spéculation philosophique abstraite.

Avis : Avec « Mémoires d’un combattant : l’esprit d’indépendance (1942-1952) », un ouvrage disponible en arabe, c’est là un document à étudier en sciences et stratégie politiques (…)

Extraits : « La résistance algérienne a été l’œuvre de l’ensemble des Algériens, de la nation authentique » (p32), (…), « L’histoire est souvent faite d’occasions. L’essentiel pour une révolution créatrice d’histoire est de ne pas laisser « la nature des choses « se faire d’elle-même, au hasard et lentement, c’est-à-dire en dehors de nous» (p 101), (…), « On met la charrue avant les bœufs, on sème du vent et on s’étonne de ne rien récolter ; alors on change d’attelage, et on recommence » (p 241)

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