LIVRES / VIE ET LANGUES SANS FRONTIERES

      par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                                                                                   Livres

LE TOUR DU MONDE D’UN JEUNE ALGERIEN. Notes de voyage de Soumati Karim Préface du Pr Nacib Youssef). Necib Editions, Alger 221, 1200 dinarsIl avait 23 ans en 1969. Il va, sac au dos… avec un petit drapeau national cousu, un tout petit capital d’anglais, une aide lointaine de son grand frère étudiant en Europe, des copains à l’écoute à Alger même (d’autant qu’à l’époque la poste fonctionnait très bien… le courrier et les cartes arrivant certes en retard mais toujours à bon port, même au bout du monde), une grosse dose de volonté et de curiosité… et de la santé, parcourir une bonne partie du monde, celle recherchée par la jeunesse des années 60, la nôtre y compris, «la Marco Polo», une route mythique et ce durant plusieurs années : France, Suisse, Allemagne, Belgique, Italie, Yougoslavie, Grèce, Turquie, Jordanie, Irak, Iran, Afghanistan, Pakistan, Inde, Népal, Katmandou (rendez-vous mondial des «hippies» de l’époque en recherche de paix intérieure beaucoup plus que de sensations fortes), l’Himalaya, Birmanie, Thaïlande, Philippines, Malaisie, Singapour, Indonésie (avec un très mauvais contact avec l’Ambassade d’Algérie alors peu accueillante), Hong Kong, Taiwan, Japon, Australie et, enfin, Canada, pays de sa fidèle et courageuse compagne de route, celle dont la famille, bien que modeste, va l’accueillir durant plus d’une année comme un fils et l’aider à devenir pilote d’avion.

Retour en Algérie ! Ce sont, bien sûr, les retrouvailles des copains mais c’est surtout la maman (une veuve de chahid)… Karim va retrouver sa vieille voiture, une Coccinelle que son cadet avait quelque peu bousculé… et surtout fort d’une expérience d’aviateur, il va postuler pour une formation de pilote de ligne. Par la suite, diplôme en poche, et durant plus de trente années, il voyagera plus rapidement à travers le monde… et en toute sécurité. Avec peut-être un peu moins de sensations fortes (en dehors des perturbations aériennes).

L’Auteur : Fils de chahid, membre d’une famille nombreuse, des études secondaires interrompues et un emploi dans une banque. 18 juillet 1969, ayant obtenu une «Autorisation de sortie du territoire national» (Astn), il part faire son tour du monde : Europe, Asie, Océanie, Amérique… Au Canada, il décroche un diplôme de pilote d’avion (bimoteurs)… 12 novembre 1972, retour en Algérie et, après des études en Ecosse, avec Air Algérie, il réalise son rêve, pilote de ligne. Retraite en août 2005

Extraits : «L’Allemagne et les Allemands m’ont impressionné. C’est comme si ce pays n’avait jamais été détruit par la guerre. Il est flambant neuf. Le sérieux, le travail, le civisme de ce peuple sont une autre histoire. Je le quitte sans regret, il me fait peur, on se sent petit ici» (p27), «Une fois dans le bus (en Iran), un de mes voisins me posa la question sur notre non-participation à la prière. Il fut surpris de savoir que je ne priais pas, alors il me posa la question de savoir si j’étais sunnite ou chiite (…).J’aurais dû y penser avant et me poser la question, mais bon, à mon âge, il y a autres choses plus intéressantes à faire que de s’occuper de religion» (p65), «Je suis fier d’accrocher ce petit drapeau (de l’Algérie) sur mon sac à dos. Dans tous les pays que j’ai traversés il attirait de la sympathie et de l’admiration pour l’Algérie et sa révolution» (p 99), «Chacun avait son petit drapeau sur son sac à dos (à Bangkok). C’est le mien qui suscitait le plus d’attention. Les paris allaient bon train…» (p180)

Avis : «Un survol historico-ethnographique remarquable sur les cultures des nations traversées» (Y.Nacib). Mais aussi un modèle de réussite… «sur le tas», «sur le terrain»… basée sur l’effort, la volonté de réussir, l’ouverture d’esprit, le savoir cueilli partout et avec tous, la curiosité intellectuelle, le courage… Un livre qu’il faut absolument lire, et faire lire. Ce n’est pas de la (grande) littérature, mais bel et bien un livre d’exemple… dans le genre «roman d’aventures» (inexistant chez nous) destiné aux jeunes, même si depuis un bon bout de temps, ce type de «tour du monde» n’est plus aussi facilement réalisable que par le passé. Une remarque destinée à l’éditeur : trop de «coquilles».

Citations : «Chaque pays a son régime. Dictature militaire, nationalisme, socialisme, lequel est le moins mauvais ?» (p55), «Pour toute religion, le doute est un luxe de civilisés» (p80), «Oser, c’est prendre le risque d’aller plus loin, c’est aussi croire en soi» (p85), «Est-ce parce que l’air est rare et le ciel si pur (Himalaya) que les dieux paraissent plus proches en ces confins du monde ? (p112), «( Bombay/Inde ) La mort est le sommeil du pauvre» p130), «Mon avis est que la démocratie ne se mange pas, qu’on en parle que lorsqu’on a le ventre plein»( 158), «On ne le quitte jamais comme on y entre. L’Inde est un pays qui ne se raconte pas mais qui se vit» (p175), «J’avais lu quelque part que pour réussir, il fallait une agilité de compréhension, une souplesse de mémoire, un sens de l’opportunité et, pourquoi pas, une petite dose de culot» (p242), «Il n’y a jamais de fatalité totale. L’homme aussi a son mot à dire s’agissant de son destin» (p284)

FAHLA. Riwaya (Roman) de Rabeh Sabaa. Editions Frantz Fanon, Alger 2021, 700 dinars. Ouvrage existant en graphie arabe. Même éditeur, 800 dinars

Au départ on a l’assassinat d’un poète par les «propagateurs des ténèbres». C’est l’occasion pour les femmes de forcer la porte du cimetière pour assister à son enterrement (F janazet el Goual, dekhlou ennssa lel jabbana ou hadrou ledfina.Haja jdidav f aâadatna. Lakin fardou nfousshoum…). Commence alors un long combat contre toutes les formes d’oppression déguisées en morale ou religieuses. Des valeurs pour la plupart mortifères.

Fahla (prénom arabe signifiant la Brave, la Courageuse), en compagnie de ses ami(e)s, va braver toutes les menaces que charrie la tentative forcenée d’assombrissement de la société, au nom de fausses valeurs religieuses érigées en dogmes. Ce sera le combat et la propagation du Beau contre la laideur… pour une société où il est possible de vivre dignement, de penser librement, d’aimer démesurément et de rêver indéfiniment. «Entre le récit et le roman historique, ce texte est le premier rédigé en algérien dans les deux graphies, arabe et latine».

L’Auteur : Oustad ntaâ sociologie ou anthropologie f el jamiâa ntaâ Wahran. Plusieurs ouvrages à son actif et fondateur de la revue «Confluences-Algérie»

Extrait : «Wach houwa ezzine, ou aâlach lazem nabghou ezzine. Illiq el atfal ihellou âaynihoum âala tarbiyat ezzine ou el farha. Ou f kharej el aqssam, lazem yalqaw daymen zine dayer bihoum.Hna nddirou farqat ezzine ou el farha wa engablou biha Âaskar Eddlam» (p36)

Avis : Une initiative originale et louable, la première du genre, apportant une pierre de taille à l’édifice (encore en construction, malgré les textes et les déclarations) de notre identité linguistique. A lire… et faire lire. Pour juger sur pièce.

Citation : «Ezzine yetlaâa ou yetâala ki ennejma ou bla ezzine tetkhalett el ard mâa essma» (p 141), «L’algérien est une langue à part entière. L’algérien est une langue avec sa grammaire, sa syntaxe, sa sémantique et toute sa personnalité linguistique. Une personnalité historique qui a été injustement minorée pour des raisons idéologico-politiques (Rachid Sebaa. Entretien/ Extrait, Le Soir d’Algérie, samedi 20 novembre 2021), «Les langues natives ont le bonheur d’être les paroles de tous les passants» ((Rachid Sebaa. Entretien/ Extrait, El Watan, mercredi 26 janvier 2022).


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