LIVRES / VIRUS MORTEL !

         par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                                     Livres

Pour une bouffée d’oxygène… Récit de F. Z.Slimani-Douadi. Editions El Qobia, 167 pages

Le 25 février 2019 est une date qui restera gravée dans les mémoires… tout particulièrement celle des personnels de la Santé mais aussi des populations. Une date qui avait vu, en Algérie, un premier contaminé au virus de la Covid Aujourd’hui, on se retrouve avec près de 6.900 morts (recensés officiellement) pour près de 271.000 contaminés. Avec une expérience (sic !) accrue mais une vigilance sociale quelque peu relâchée, alors que le virus, malgré toutes les contre-attaques sanitaires et les précautions, reste présent.

Dans la foulée, la société a adopté un nouveau vocabulaire auquel on s’est, hélas, rapidement habitué (et dont on pouvait se passer) tant il a eu des effets tragiques sur notre vie quotidienne : extracteurs d’oxygène (rares et vendus à des prix exorbitants dans des marchés parallèles), oxygène indisponibe, bavettes, distanciation physique et sociale, gel hydroalcoolique, virus mortel, corona, corona 19, variant Delta, fièvre, fatigue, maux de tête et de gorge, fatigue, lassitude, fièvre, toux sèche, perte de goût et de l’odorat, douleurs, courbatures… et au bout de la souffrance, bien souvent, la mort… et des funérailles presque clandestines et dans l’anonymat. Aujourd’hui, la tempête est (presque) déjà passée mais les risques restent grands

Nous voici avec un récit qui retrace fidèlement la douloureuse période, durant laquelle l’auteure – mère de famille tranquille et heureuse, croyante et pratiquante dans la plus grande simplicité – a contracté la Covid-19.

Transférée à l’hôpital de Saïda à cause de l’indisponibilité des lits à Alger, l’auteure raconte le pénible déplacement vers la ville de l’ouest algérien. Hospitalisée, elle nous parle de sa maladie, de sa santé qui se dégrade d’heure en heure et de jour en jour. Elle parle également de la souffrance et de l’impuissance face à cette maladie qui a endeuillé plusieurs familles en Algérie (et dans le monde). Portée par la foi, elle n’abdique pas et grâce au soutien de sa famille (présente sur les lieux de l’hospitalisation, comme d’ailleurs pour beaucoup d’autres malades) elle reprend ses forces et regagne son domicile… pour, hélas, découvrir d’autres ravages, au sein de son entourage, causés par le virus.

L’Auteure : Née à Ténès. Retraitée de l’Education nationale, après une longue carrière dans l‘enseignement, puis l’administration des collèges et lycées. Passionnée de lecture et d’écriture, entre prose et poésie. Premier roman.

Extraits : «Notre temps ne nous appartient plus. Il passe en traçant de profonds sillons dans notre âme fragilisée, les marques de la douleur, de la souffrance qui s’introduit au tréfonds de notre être, déguisant le beau, empruntant les chemins sinueux de l’horreur que nous avons nommée douleur – endurance, et a déjà creusé dans notre chair une plaie. Cette blessure renfermera un jour notre mal, le conservera comme une relique d’un temps révolu» (p50), «Dans un hôpital, on pouvait observer toutes sortes de malades.

Ceux qui ne quittaient pas leurs lits et que l’on n’entendrait jamais, des malades extrêmement silencieux, ceux qui toussaient à perte haleine et gémissaient à fendre l’âme, et d’autres patients dont les hurlements, tard dans la nuit, traversaient les cloisons, tous les soirs, et emplissaient nos nuits de sourdes douleurs» (p 79)

Avis : Un ouvrage émouvant car décrivant les souffrances d’une femme contaminée par le virus de la Covid 19 .Un parcours douloureux qui a mis en exergue les sacrifices, les soutiens et la générosité du proche entourage et, aussi, des soignants. Mise en exergue, aussi, de l’espoir à tout moment de la vie

Citations : «La lecture est parfois une fuite, lorsque l’on porte en soi des douleurs à larguer, à laisser choir. Cela peut-être une thérapie, un envol vers la liberté, une bouffée d’oxygène, l’oubli temporel de nos maux. Un livre est une compagnie très agréable face à la solitude, l’ennui et le mal- être» (p 93), «L’amitié est splendeur/ Dans un monde d’horreurs/ Sa lumière illumine/Les coins les plus sombres/Ses étoiles subliment» (p 110), «A l’hôpital, le médecin est attendu comme une étoile dans une nuit sans lune» (p114), «C’est dans ces moments-là d’extrême solitude que crée la maladie, que les relations humaines se fortifient, s’intensifient, se renforcent et deviennent un lien indéfectible, inébranlable» (p124), «Souffrir est pénible… Vivre sa douleur dans la solitude est cruel» (p 145)

Pavillon Covid-19 (Sept jours en enfer). Récit de Mahdi Boukhalfa. Editions El Qobia, Alger 2021, 137 pages, 1.000 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits)

Mahdi Boukhalfa a toujours été un homme-surprise, un journaliste de terrain, mais aussi d’analyse et de réflexion. Mais, cette fois-ci, il a trouvé plus «fort» que lui.

Pourtant, il a tout fait pour l’éviter : bavettes, gestes barrières, gel hydroalcoolique… Le 21 août vers 17 h, au lendemain d’un service de nuit (à l’Agence de presse), il doit être admis en urgence en hospitalisation. Le coronavirus venait de «frapper» !

La brusque plongée dans l’univers va durer toute une semaine. Sept journées… «en enfer». Sept journées «terribles, cauchemardesques»… Déjà dès l’arrivée à l’hôpital, c’est une atmosphère de film américain de série «B» sur les mutants et les extraterrestres, avec les ambulances aménagées pour l’évacuation des personnes atteintes du virus, qui slaloment entre les véhicules pour rentrer au plus vite à l’hôpital ou aller chercher avec force sirènes un «contaminé»… ce qui n’a pas empêché bien des moments de détente et de discussions avec les compagnons d’infortune… de la seconde salle des contaminées. Lit, n° 21. Neuf lits pour 20 m² et d’entretien, séparés par des cloisons en plexiglass, numérotés de 19 à 28… et une des fenêtres donnant sur une ruelle d’un quartier résidentiel avec des villas cossues. Heureusement, dit-il, un lit «très confortable lorsqu’on revient, fatigués et le souffle coupé, de la selle»… Une épreuve !. Et, aussi et surtout, d’apprécier les efforts des personnels soignants très attentionnés (bien qu’extrêmement fatigués) et d’entretien et de surveillance (plus que rigoureux) Le reste devient une «routine» hors du temps, mises à part les «couffins» amenés par les parents, les rares discussions entre «numéros», et les conversations téléphoniques familiales pour «passer commande» de nourriture, de produits sanitaires, de vêtements de rechange… ou pour s’inquiéter «si la voiture a été bien lavée» et si «les travaux d’aménagement avancent»… Un seul gros bémol : l’état des «Toilettes» (la «Salle d’eau») lesquelles, malgré les nettoyages approfondis quotidiens, se retrouvent, presque immédiatement après, quasi-infréquentables. Un «supplice». Un «cauchemar». Quatre «misérables» toilettes et trois lavabos pour une trentaine de malades, tous atteints par le Sras-Covid2. Et plein mois d’août avec, parfois, quelques coupures d’eau. D’ailleurs, l’auteur leur consacre (et c’est la première fois que je retrouve un tel «étalage» aussi détaillé -plus que réaliste – dans un écrit) tout un chapitre (3ème). Heureusement (sic !), les «covidés» ont perdu (durant leur maladie) leur odorat.

L’Auteur : Né en 1955 à Alger, sociologue urbaniste de formation (Université d’Alger), journaliste à l’Aps (dont chef de bureau à Bordj Bou Arréridj), directeur du bureau Aps de Rabat, correspondant à Alger de plusieurs médias algériens et étrangers… et auteur de plusieurs ouvrages

Extraits : «Notre survie à une telle catastrophe économique, à ce virus dévastateur, a quelque chose de «divin» (p 13), «S’il y a quelque chose qui marque un malade «covidé» et le terrifie à chaque fois qu’il a des besoins à faire, c’est bien l’état des toilettes de l’hôpital. Seule consolation, les «covidés» ne sentent pas…» (p 59), «L’apparition de la pandémie a, en réalité, montré la face cachée, affreuse et inhumaine, de l’univers de la fabrication du médicament. Et tant que le roi dollar existe, la philanthropie fera partie des vœux pieux» (p 98)

Avis : Du (très) grand reportage… de l’intérieur. Au-delà de la souffrance vécue… involontairement, l’exploit de tout journaliste qui se respecte. Bien sûr, comme tout bon auteur qui se respecte… quelques «bretelles» (pas des sorties de route)… sur Camus, Fanon et Feraoun. Utiles !

Citations : «En fait, un lit est important dans la vie, pour beaucoup de gens dans le monde. Il permet, outre de se reposer d’une dure journée de labeur, de dormir, mais également de voir défiler sa vie, sinon de la penser ou la repenser, de la créer, de la changer, s’il le faut» (p34) «Décidément, les humains ont bien des secrets, en particulier en allant à la selle» (p 61), «Feraoun et Fanon ont légué un patrimoine thérapeutique, intellectuel et révolutionnaire inestimable, aussi riche que leur combat inlassable, de tous les jours, contre l’asservissement de l’homme par l’homme» (p 85), «Dans un hôpital, il n’y a pas plus humain que la souffrance» (p105), «Cette pandémie nous a montré que nous sommes, à l’échelle de l’univers, si petits et si insignifiants. Mais, en même temps, si rares, si précieux et si importants dans ce cosmos infini» (p 124), «L’homme ne doit pas précipiter sa déchéance en allant chercher des aliments contraires à ses besoins physiologiques… Dans 2.000 à 5.000 ans, des explorateurs venus de l’espace intergalactique feront une macabre découverte : l’Homme s‘est tué en mangeant» (p129)


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