Lu Shaye, ambassadeur de Chine : « Nous n’en serions pas là si les Occidentaux avaient mieux réussi à endiguer l’épidémie »

03.05.2020

Source : L’Opinion

Bien que l’on ne sache pas encore quand et comment l’actuelle crise sanitaire va se terminer, Pékin semble prêt à faire face à une contestation accrue de ses ambitions mondiales. Xi Jinping, le président chinois, a déclaré ce mois-ci que le pays devait se préparer à faire face une opposition extérieure sans précédent et à des défis à long terme.

Au lieu d’être un facteur de rapprochement, la crise du coronavirus exacerbe les divisions…

Il y a pourtant de nombreux signes de solidarité. La Chine a fourni de l’aide à plus de 140 pays et organisations internationales. Elle a aussi partagé son expérience avec plus de 150 pays, y compris la France. Toutefois, il existe, c’est vrai, des divisions, voire des confrontations, surtout entre les pays occidentaux et la Chine. Ils l’accusent aujourd’hui de nombreux maux, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Au début, quand la Chine a dû affronter l’épidémie, les médias occidentaux estimaient que le pouvoir chinois ne serait pas en mesure de faire face à ce fléau. Ils faisaient le parallèle avec l’accident de Tchernobyl pour affirmer qu’il ne résisterait pas.

                      Lu Shaye

Toutefois, personne, à ce moment-là, n’accusait la Chine de manquer de transparence, d’avoir caché des données ou d’avoir tardé à réagir. Au contraire, des dirigeants occidentaux comme Donald Trump ne tarissaient pas d’éloges. La Chine a fait publiquement état pour la premère fois du coronavirus le 30 décembre dernier, et elle a aussitôt informé l’OMS. Et cette dernière l’a tout de suite communiqué à tous les pays du monde. Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, a déclaré, le 23 avril, que son ministère avait averti les régions françaises de la situation dès le 10 janvier. Comme les autres, la France a donc été informée très tôt.

Après une courte période correspondant à l’accélération de l’épidémie en Europe, au cours de laquelle les médias occidentaux se sont concentrés sur la situation locale, nous sommes entrés dans une nouvelle phase, mi-mars, d’accusations portant sur le retard de notre réaction, le manque de transparence ou des dissimulations de données. Face à ce déchaînement, je finis par penser que nous n’en serions pas là si les Occidentaux avaient mieux réussi à endiguer l’épidémie.

« Chaque fois qu’une allégation est lancée par la presse américaine, presque aussitôt les médias français hurlent avec les loups. Ils ne rapportent bien souvent que des aspects sombres de notre pays »

Comment analysez-vous les relations franco-chinoises au regard de cette crise ?

Elles sont excellentes. La France est notre partenaire stratégique et global. Depuis le début de l’épidémie, les deux chefs d’Etat se sont entretenus trois fois au téléphone. Les deux ministres des Affaires étrangères ont eu encore davantage d’échanges. Emmanuel Macron comme Jean-Yves Le Drian ont hautement apprécié la solidarité dont les deux parties ont fait preuve l’une envers l’autre. S’il existe un problème, on le doit à certains médias.

J’espérais qu’ils soient indépendants, mais ils ont prouvé le contraire. Ils s’alignent sur les médias américains. Chaque fois qu’une allégation est lancée par la presse américaine, presque aussitôt les médias français hurlent avec les loups. Ils ne rapportent bien souvent que des aspects sombres de notre pays.

Si les journalistes français mettent davantage l’accent, et c’est bien normal, sur les côtés positifs de la lutte contre le coronavirus en France afin de donner du courage à la population, quelques correspondants en Chine n’en rapportent qu’une vision négative, contribuant ainsi à en véhiculer une image fausse dans l’opinion publique française. Les médias devraient jouer un rôle positif dans la compréhension entre les deux peuples.

Les Occidentaux, y compris Emmanuel Macron, appellent la Chine à plus de « transparence ». Que répondez-vous à cette demande ?

La transparence est toujours une excuse pour les pays occidentaux. En ce qui concerne les propos d’Emmanuel Macron, je ne pense pas qu’il avait l’intention d’accuser la Chine. Il a en effet déclaré : « On ne sait pas tout ce qui se passe là-bas, c’est au gouvernement chinois de le dire. »

Il faut remettre cette déclaration dans son contexte. Depuis un moment déjà, les médias comparent l’Occident et la Chine. D’un côté, le modèle libéral et démocratique occidental et de l’autre, celui de la Chine qu’ils qualifient d’autoritaire. Le président Macron, quant à lui, veut éviter cette polémique.

Il ne cherche à comparer, estimant que chacun, en Chine comme en Europe, est capable de bien faire. Mais comme les systèmes sont différents, il pense qu’on n’est pas en mesure de savoir tout ce qui se passe de l’autre côté comme les Chinois ne savent pas tout ce qui se passe en France. Il ne faut pas mal interpréter les propos du président français.

Certains reprochent à votre pays d’avoir une diplomatie « offensive » voire « agressive »…

Je parlerais plutôt d’une diplomatie active. Les Chinois ne sont jamais agressifs. Vous avez noté que les diplomates chinois répondaient de plus en plus aux affirmations dénuées de tout fondement des médias occidentaux.

Les diplomates chinois en Europe, y compris ceux de l’ambassade de Chine en France, estiment nécessaire de présenter la réalité chinoise. Puisque, par le passé, la Chine ne répondait guère à ce genre d’attaques, certains sont surpris aujourd’hui de la voir réagir. Et pour eux, il s’agit d’une preuve d’agressivité.

Etes-vous plus sensibles à votre image ?

Oui. Traditionnellement, on disait : « Concentrons-nous sur nos affaires et laissons les autres parler. » Il est clair que ce proverbe n’est plus adapté à ce monde. Malgré nos efforts acharnés pour développer la Chine, pour en faire la seconde économie de la planète et pour sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté, la propagande et la diffamation de certains médias ont contribué à créer une image négative de notre pays.

On accuse toujours la Chine d’être autoritaire, d’être dépourvue de droits de l’homme et de libertés. Mais si le peuple chinois en était vraiment privé, croyez-vous qu’elle aurait pu se développer aussi bien que cela, beaucoup mieux que la plupart des pays qui ont adopté un système démocratique, libéral occidental ? C’est un fait. Cela veut dire que le récit des médias occidentaux est bâti sur une fausse appréciation de la réalité chinoise.

Nous en sommes conscients et renforçons la communication vers l’extérieur. Pourquoi sont-ce les diplomates qui montent au créneau ? A vrai dire, les médias chinois sont beaucoup plus faibles que les médias occidentaux. Ils ne parviennent pas à se faire entendre. S’ils étaient aussi influents qu’eux, les diplomates n’auraient pas à se mobiliser ainsi.

« Nous cherchons à promouvoir la coopération internationale comme l’Initiative la ceinture et la route. Nous espérons que les Européens nous rejoindront pour la développer »

Jean-Yves Le Drian estime que le monde d’après pourrait être pire que le monde d’avant. Partagez-vous ce pessimisme ?

La Chine est plus optimiste. Bien sûr, le monde d’après ne ressemblera certainement pas au monde d’avant. Mais sa nature dépendra de nos choix. Nous devons faire en sorte qu’il soit meilleur. Cela exige la solidarité de tous au lieu d’un esprit de confrontation. La Chine préconise la communauté de destin partagé de l’humanité. Ce n’est pas un slogan. C’est notre vision. Nous pensons que c’est la seule solution pour que le monde soit meilleur qu’avant.

Nous défendons la coopération, le respect mutuel, le développement vert, le développement partagé, le multilatéralisme. Il s’agit de valeurs très précieuses pour l’humanité. Je pense que la France partage la plupart de ces valeurs, car ce sont des valeurs universelles. Mais tous les pays ne veulent pas agir de cette manière. Il y en a qui pensent toujours à la Guerre froide. Ils ont peur de perdre leur hégémonie. Ils soupçonnent la Chine de vouloir prendre leur place.

A vrai dire, nous ne nous y intéressons pas. Nous cherchons à promouvoir la coopération internationale comme l’Initiative la ceinture et la route. Nous espérons que les Européens nous rejoindront pour la développer. Elle sera plus efficace. Cette épidémie nous invite à défendre le multilatéralisme.

Parmi les grands thèmes du moment, les risques qui pèsent sur l’Afrique ne manquent pas d’inquiéter.

L’Afrique est notre amie stratégique. Dès sa sortie de l’épidémie, la Chine l’a immédiatement aidée. Jusqu’à présent, nous avons fourni des aides aux pays avec lesquels nous entretenons des relations diplomatiques, pour les aider à renforcer leur système sanitaire. Les experts chinois ont fait des échanges d’expérience avec leurs collègues africains.

Vous devez vous souvenir qu’en 2014-2015 la Chine avait beaucoup fait pour soutenir l’Afrique contre l’Ebola, construisant notamment deux laboratoires au Sierra Leone et au Liberia. Cette fois encore, nous n’avons pas hésité à voler au secours des Africains.

Qu’en est-il de son endettement ?

C’est un sujet important qui existe depuis des décennies. Après la création du Forum de coopération sino-africain en 2000, la Chine a commencé à réduire ou à annuler les dettes africaines. La Chine investit aussi beaucoup et accorde des crédits à l’Afrique pour construire des infrastructures rentables, susceptibles de créer des valeurs pour améliorer les investissements sur ce continent.

La Chine n’oblige jamais les pays africains à rembourser s’ils n’en ont pas les moyens. Nous discutons toujours pour trouver des solutions. Alors oui, il faut alléger le fardeau de la dette africaine comme l’illustre la récente initiative du G20 de suspendre le service de la dette des pays africains. C’est une très bonne idée.

Mais ce qui est le plus urgent aujourd’hui, c’est de les aider à renforcer leur système sanitaire pour mieux se prémunir contre le fléau du Covid-19. Actuellement il n’y a pas encore beaucoup de cas, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas beaucoup. On doit être vigilant et se préparer.

Source : L’Opinion


L’ »infodémie » : derrière le coronavirus, la guerre de l’information

Source : Marianne

Comme au temps de la Guerre froide, mais dans une autre configuration médiologique, nous assistons à une guerre de l’information : celle de l’ »infodémie », une pandémie informationnelle.

Demain la Chine ? Après la pandémie, le panda remplacerait l’aigle comme symbole de l’hégémonie mondiale ? Contre une Amérique divisée et isolationniste et face à une Europe dépassée ? Pas certain, jugent certains : à cause de la crise du pétrole (Joseph Nye), ou parce que les autocraties suscitent moins de confiance que les démocraties (Fukuyama), ou encore parce que les mensonges de Pékin lui auront fait perdre du prestige (les Échos) ?

La réponse dépendra d’une guerre de l’information est/ouest. Comme au temps de la Guerre froide, mais dans une autre configuration médiologique.

Vue de Chine, la situation se présente probablement ainsi :

– Cafouillage initial : l’information remonte mal, on cache, on punit les lanceurs d’alertes, on isole Wuhan, des rumeurs partent dans tous les sens, il y a des protestations, une perte d’image internationale.

Infodémie

Le virus suit ironiquement les Nouvelles Routes de la Soie, le grand projet d’expansion chinois

– La pandémie devient mondiale et la planète s’intéresse à Wuhan.

– La situation s’améliore en Chine, pendant qu’elle devient abominable partout ailleurs (pour simplifier à l’extrême).

– Il faut penser au jour d’après en termes géopolitiques, donc de soft power (prestige et influence).

Le PCC doit répondre par un discours convaincant :

1) L’épidémie est partie de notre pays mais notre réaction énergique – fût-ce au prix de restrictions des libertés – a retardé la propagation de Cov-19 et donné aux autres nations un exemple et un répit qu’elles ont mal exploitées ( et ce, au moment où beaucoup d’Occidentaux reprochent au contraire à l’autoritarisme chinois d’avoir aggravé la contagion aux débuts).

2) Techniquement et politiquement, notre méthode est plus efficace et nous ne demandons qu’à aider d’autres pays (via les Routes de la soie sanitaires).

3) Idéologiquement notre système est meilleur, seuls des héritiers de la Guerre froide peuvent le dénier.Notre modèle est universel.

Sur le triple front de la responsabilité (pas notre faute), de l’efficacité (les meilleurs) et de la rivalité (défendons nous contre la propagande de l’ouest), le message fonctionne.

Il lui faut des médias et des médiations. Pour mener une version 2.0 la vieille diplomatie publique des années 60 (défense d’un modèle politique et déstabilisation idéologique de l’autre camp).

Outre les diplomates chinois qui interviennent beaucoup et les médias d’influence internationaux, une forte présence chinoise (ou sinophile) se développe sur les réseaux sociaux (ainsi sur Twitter). Elle se manifeste en jeu défensif et en offensif : en se justifiant de diffuser de la propagande et en répandant un contre-discours accusatoire (par exemple : des militaires américains venus pour une compétition en Chine seraient à l’origine de la contamination).

Guerre de l’information

Mais cette rhétorique rencontre plusieurs obstacles. Le premier est politique. À des degrés divers, MacronJohnson ou Trump ont fustigé désinformation ou silences chinois. Et les élites occidentales ne sont prêtes ni à s’esbaudir devant l’efficacité de Pékin, ni à trop vite l’exonérer de toute responsabilité, ni à passer comme pertes et profits le discours sur les droits de l’homme et le Big Brother asiatique. La fonction répulsive des pays autoritaires est trop intégrée et l’effet sur l’opinion serait déplorable.

Par ailleurs, la dénonciation de la désinformation russe – suspecte, via les réseaux sociaux, d’interférer dans les élections (Trump, Brexit…) et de nourrir les fantasmes politiques par des fake news – est déjà banalisée. Toutes les rumeurs ou théories conspirationnistes sont vite attribuées au Kremlin. Mais le raisonnement peut facilement se transposer à la Chine. Ainsi le Global Engagement Center (organe du département d’État chargé de combattre la propagande idéologique hostile) dénonce dans un rapport la Chine, la Russie et l’Iran. Ils sont coupables de répandre des thèses conspirationnistes et anti-occidentales sur l’origine du virus (naturel, artificiel, fuité d’un laboratoire…). Et de mener une action subversive dans l’anonymat des réseaux sociaux.

Le thème d’une guerre mondiale d’influence – désigner le coupable à l’épidémie et imaginer l’ordre d’après – mobilise des catégories mentales connues, mais cette fois l’enjeu des « cœurs et des esprits » coïncide avec une énorme redistribution de puissance.

Source : Marianne

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