Maroc, Monarchie et République

        par Djamel Labidi

 Lorsqu’on regarde les manifestations populaires au Maroc, on ne fait pas d’abord attention à une chose mais on sent qu’elle manque, on sent une absence, et soudain cela devient évident.

Il manque le drapeau marocain. Il y a le drapeau palestinien mais pas le drapeau marocain. Autant en Algérie, par exemple, toutes les manifestations qu’elles soient pour ou contre le pouvoir, avancent dans une forêt de drapeaux verts et blancs .Beaucoup s’enveloppent même dans le drapeau et il y a aussi de longs drapeaux qui s’étirent sur des dizaines de mètres .C’est aussi le cas en Tunisie où les drapeaux fleurissent dans les mains du peuple.Mais cela n’est pas le cas au Maroc, aussi bien d’ailleurs pour les manifestations actuelles que pour celles plus anciennes.

Comment interpréter ce fait. Peut-on lui donner un sens ? Tout se passe en effet comme si le drapeau était considéré comme celui du roi, de la monarchie, comme le drapeau alaouite, ce qu’il était d’ailleurs à l’origine. Dès lors le brandir prendrait un autre sens, celui automatiquement de soutien, d’allégeance au roi. Il semble que les manifestants le savent et ce serait la raison pour laquelle le drapeau est pratiquement absent des manifestations populaires, non officielles. Ceci expliquerait donc cela.

Une aspiration républicaine ?

On en vient alors à se poser une question: est-ce que l’absence de ce drapeau n’est pas au fond, même si cela n’est pas exprimé formellement, la traduction d’un sentiment républicain, d’une aspiration républicaine latente? La situation au Maroc n’est-elle pas grosse, à terme, d’une révolution républicaine, si celle-ci apparait à un moment donné comme la seule issue pour la solution de ses problèmes aussi bien internes qu’externes.

Il est certain que le peuple marocain, comme tous les peuples arabes, est , naturellement , profondément opposé à Israël. En concluant une alliance militaire de surcroit agressive avec Israël, la royauté est allée là où aucun pouvoir dans le monde arabe, même les plus subordonnés à la politique occidentale, n’est jamais allé. En se plaçant dans la perspective d’une alliance stratégique avec Israël, elle a franchi ainsi une ligne rouge, celle des déterminants de la conscience et de l’identité nationales. Il s’agit d’un véritable viol de la personnalité profonde du peuple marocain, de son affect, de sa sensibilité .Du même coup, elle s’est interdit toute possibilité d’issue de secours, en dehors de sa fin. En effet, si le peuple, obtient la fin de cette dite «normalisation» et de cette alliance stratégique avec l’État juif, comme c’est inéluctabletôt ou tard, ce sera en même tempsinévitablement la fin de la monarchie. La révolution républicaine aura emprunté historiquement cette voie au Maroc. Elle a d’ailleurs des antécédents tenaces dans la mémoire collective comme l’extraordinaire épopée de la République du Rif, sous la direction de Abdelkrim El Khattabi dans sa lutte contre l’Espagne et le France de 1921 à 1926.

Le Makhzen

La monarchie marocaine, comme les autres monarchies dans le monde arabe, a un caractère féodal. Le monarque, au contraire des monarchies occidentales modernes, exerce un pouvoir total, absolu. Les éléments de modernité introduits au Maroc, partis, parlement, premier ministre, ne sont que des faux semblants qui n’ont pas touché à la structure féodale, surannée, archaïque du pouvoir politique et des règles d’allégeance au roi du personnel politique dirigeant. Le fait même d’ailleurs que le terme Makhzen , datant de plusieurs siècles, demeure utilisé au Maroc, par le peuple, est en soi significatif.

Or ce qui est caractéristique de toute féodalité c’est la faiblesse chez elles ou même l’absence d’un sentiment national moderne. Les monarchies féodales confondent l’intérêt national avec ceux de la monarchie. Elles font passer les intérêts du trône avant ceux du pays et assimilent, dans leur idéologie et leur propagande, ceux-ci avec ceux-là. Comme elles le disent elles-mêmes, elles sont prêtes à «s’allier au diable» pour sauver la dynastie. C’est ce qu’elles ont fait d’ailleurs en de multiples occasions.Elles oublient cependant que s’allier au diable c’est perdre son âme.

L’alliance militaire passée entre la monarchie marocaine et Israël illustre tout cela. La conscience nationale dans sa dimension historique présente et passée, les enjeux nationaux à la fois internes et externes de la question palestinienne, le tissu même de l’identité populaire marocaine, tout cela est absent, tout cela a été ignoré, balayé d’un revers de main au nom des intérêts supérieurs du royaume, en fait du trône.Tout ce qui va dans le sens des intérêts de la royauté va ainsi dans le sens des intérêts du Maroc, et malheur à qui en doute et les sépare.

La monarchie aliène la souveraineté du Maroc à Israël en échange du renforcement de celle du Maroc sur le Sahara occidental. Que d’incohérences. Summum de la contradiction, elle explique, que devenue ainsi amie d’Israël elle pourra d’autant plus avoir l’oreille de l’État sioniste pour défendre les Palestiniens. Mais elle oublie qu’elle n’est amie avec Israël que précisément parce qu’elle renonce à défendre les intérêts palestiniens.

En vérité la situation semble, comme elle est actuellement, sans issue, sans perspectives. Mais dans une république, même autoritaire, il y a toujours l’espoir, il y a toujours une perspective, celle de changer le pouvoir, celle d’instaurer la démocratie. Mais ici, au Maroc comme pour d’autres monarchies arabes, le pouvoir c’est la monarchie, une monarchie absolue, immuable. Comment alors ne pas penser à la République. Mais même cette simple pensée, cette seule idée, semblent au Maroc interdite, sacrilège.


        >>>  Le républicanisme au Maroc

Le Maroc , actuellement monarchie, a connu quelques tentatives d’instauration de formes républicaines de gouvernement. Certaines de ces tentatives se poursuivent à ce jour :

  • Des réfugiés morisques d’ Andalousie formèrent à Salé et Rabat la République du Bou Regreg , base de la piraterie (1627-1668).
  • Les rebelles berbères de la région du Rif ont d’ abord établi la République du Rif (1921-1926) sous Abd el-Krim contre la domination coloniale espagnole, l’État a duré jusqu’en 1925 lorsque les rebelles ont tenté de prendre la ville de Fès , dans une tentative infructueuse d’étendre la république au Maroc français .
  • En 1971, des cadets de l’armée du général Madbouh et du colonel Ababuh ont attaqué le roi Hassan II dans le palais de Shkirat . Une république a été proclamée sur Radio Rabat , mais réprimée par le général Mohamed Oufkir . Cependant, en 1972 Oufkir a initié son propre coup d’état ; l’ armée de l’air a tenté à plusieurs reprises d’abattre l’avion du roi, a attaqué l’aéroport de Rabat et bombardé le palais royal de Rabat. Le coup a finalement échoué.
  • Lors des manifestations marocaines de 2011-2012 , quelques manifestants ont scandé des slogans républicains. Ils appartenaient principalement au mouvement islamiste Al Adl Wa Al Ihssane , au groupe marxiste Ila al-Amam et à quelques courants de gauche. Ces slogans n’ont pas été repris par la grande majorité des manifestants.

Drapeau de la République du Rif (1921-1926)

Le républicanisme actuel au Maroc

Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Maroc, il existe de nombreux militants anti-monarchie marocains et dissidents en exil qui critiquent ouvertement la monarchie ou plaident pour la création d’une « République du Maroc » et pour la suppression ou le renversement de la monarchie marocaine par une révolution populaire.Les autorités marocaines continuent de réprimer tout mouvement ou personne qui prône le républicanisme ou remet en cause la légitimité de la monarchie. [1] [2] [3] [4] De ce fait, de nombreux républicanistes marocains sont actifs hors du Maroc, en Europe ou en Amérique du Nord souvent avec un exil volontaire.

Actuellement, le mouvement islamiste Al Adl Wa Al Ihssane et le groupe marxiste Ila al-Amam sont les principaux mouvements républicanistes au Maroc.

Les références

  1. ^ YouTuber marocain arrêté pour « insultes publiques » après avoir critiqué le roi dans une vidéo virale anti-corruption
  2. ^ YouTuber marocain, Moul Kaskita, a été arrêté pour insulte au roi
  3. ^ Moul Kaskita arrêté après une vidéo jugée « insultante » pour les Marocains
  4. ^ YouTubers marocains contraints au silence

Liens externes

  • Drapeau et histoire de la république du Rif

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