Le philosophe Michel Onfray en guerre contre l’antisionisme. Ultime régression critique et dérive droitière ?

       

 

       Par Abdellali Merdaci

Dans un appel publié le 30 juillet 2022 dans « Le Journal du Dimanche » sous le titre « La synagogue brûle mais nous regardons ailleurs », le philosophe français Michel Onfray évoque un « troisième temps de l’antisémitisme », déguisé en antisionisme. Il prend prétexte d’une résolution politique présentée devant le parlement français sur le régime d’apartheid en Israël, signée par trente-huit députés de gauche, socialistes, communistes et insoumis, pour fustiger un « islamo-gauchisme », évanescent spectre de la vie politique française.

Un antisémitisme français ineffaçable

Depuis les dernières décennies du XIXe siècle, l’antisémitisme est présent dans la société française lié à l’Église et à ses démembrements civils ou à la politique et à sa mise en cause du capitalisme, agie principalement par les socialistes blanquistes, adeptes du boulangisme, ressassant la finance et la banque juives. Une mythologie puissante, qui perdure. Il y a une France antijuive, assez ancienne et enracinée, qui a été à cette époque au principe du jeu politique et intellectuel français. Édouard Drumont, auteur de « La France juive » (1886), Henri Rochefort, Maurice Barrès, Charles Maurras, Fernand Brunetière, Jules Lemaître, sont indéfiniment attachés à l’histoire de la pensée française, mais ce furent aussi lorsqu’éclate « l’Affaire Dreyfus » des antisémites acharnés, rassemblant autour d’eux de nombreux soldats du parti opposé à Alfred Dreyfus, capitaine de l’Armée française soupçonné de collusion avec l’ennemi allemand, jugé sommairement en 1894, dégradé et condamné sans aucune preuve au bannissement à l’île du Diable, en Guyane.

Si les adversaires du capitaine Dreyfus se recrutaient dans les rangs de la droite française, leur audience dans la société française a été essentielle, certainement populaire. Les grands noms de la pensée française qui  font toujours florès dans les traités d’histoire, de philosophie, de littérature et d’art de la France, ainsi Paul Bourget, Pierre Louÿs, François Coppée, José Maria de Heredia, le jeune Paul Valéry, Gyp, Alexandre Dumas fils, Léon Daudet, Jules Verne, Frédéric Mistral, Edgar Degas, Jean-Louis Forain, Caran d’Ache, se sont levés contre les protecteurs de Drefyus, les « dreyfusards ». Certains d’entre eux ont pratiqué ouvertement l’antisémitisme le plus sournois. Comment effacer, en 2022, cet héritage français et faire la leçon aux Musulmans de France, en ravalant l’autre face infecte de l’antisémitisme, le vil sentiment de l’islamophobie ? Ce pays de briseurs d’idoles, de tombeurs de statues, combiens de pages honteuses de son histoire devra-t-il déchirer ?

Il y a un passé malsain de la France, mais le feu n’en est pas éteint. Drumont est toujours révéré et certaines chroniques de « Valeurs actuelles » et du « Figaro magazine » éveillent celles de « La Libre parole ». Cependant, il y a une singularité « dreyfusarde » de ce siècle, qui n’a pas été celle des défenseurs du banni de l’ile du Diable, entre autres le sénateur Scheurer-Kestner, Bernard Lazare, Émile Zola, Georges Clémenceau et leurs compagnons Félix Fénéon, Claude Monet, Jules Renard, Marcel Proust, Stéphane Mallarmé, Jean Jaurès, Anatole France, Charles Andler, Lucien Herr, Émile Durkheim, des acteurs du champ culturel français vont l’agir avec le semblable entrain, sanglés désormais en adjudants déclarés du sionisme en terre française. Le capitaine Dreyfus était une « affaire » franco-française et l’auteur de « J’accuse » (1898) n’aurait jamais lutté pour le sacre de l’État d’Israël, assassin d’enfants à Ghaza. A-t-on lu Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner et, aujourd’hui, Michel Onfray  pour en mesurer les égarements ? Pour eux et à leur suite pour beaucoup de Français, l’antisémitisme doit être imputé aux Musulmans, à tous les Musulmans sans exception, et, surtout, à l’Islam. À défaut de disciples vivants de Paul Déroulède, Maurice Barrès et Charles Maurras, il faut désigner une cible, presque prédestinée, ainsi l’Islam, et s’écrier : voilà l’ennemi ! Comment l’antisémitisme, qui a toujours été un phénomène exclusivement français, a-t-il basculé du côté des Musulmans pour susciter dans la société politique et intellectuelle un obscur « islamo-gauchisme » ? Un délire français devant lequel l’intelligence française est démunie.

La France et les Français ne répondent pas – et n’ont jamais répondu – de leur passé antisémite refoulé. Pourtant, les rafles du « Vel d’Hiv », en 1942, impliquent directement l’État français, bras armé du nazisme sur son territoire et collaborateur de l’Allemagne hitlérienne. Dans « Des Gens très bien » (2010), l’écrivain Alexandre Jardin se libère-t-il de l’ombre pesante de son grand père Jean Jardin, haut fonctionnaire du gouvernement de Vichy, qui a décidé lors d’un tête-à-tête avec le Premier ministre Laval de « mobiliser la police française pour vider la France de ses juifs » ? Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, René Bousquet, chef de la police, ami intime de François Mitterrand, futur président de la République française, Maurice Papon et bien d’autres, qui ont conduit cette politique d’épuration raciale, furent-ils au-delà de leur infamie admis dans une postérité française ?

Les Algériens ont combattu sur les champs de bataille d’Europe le nazisme et payé le tribut du sang à ce combat de l’Humanité pour la liberté de tous les citoyens du monde au-delà de leurs convictions et de leurs croyances. Ce ne sont pas eux qui ont rempli les trains français de la mort de familles juives avec bébés et enfants : l’État français, incarnation  de la France, l’a fait en toute conscience. C’est aussi cet État français, qui a massacré des centaines de milliers d’Algériens, avec la semblable hargne, pendant leur guerre anticoloniale (1954-1962). Papon, haut fonctionnaire de Vichy, lourdement impliqué dans l’holocauste juif,  a été maintenu dans les cadres du ministère de l’Intérieur, préfet assassin à Constantine, qu’il a quadrillée de barbelés, et, à Paris, ordonnant la mise à mort par la police française de centaines d’Algériens, lors des manifestations du 17 octobre 1961. Rien ne devait changer pour lui de l’État français de Vichy à la Ve République, du maréchal Pétain au général de Gaulle. Le même déni d’humanité sous les couleurs de la France, à Vichy, en 1942, à Paris, en 1961.

Votre France, M. Onfray, charrie un passé de crimes impunis, de tueries, de génocides coloniaux au Maghreb, principalement en Algérie, en Afrique subsaharienne et à Madagascar, devrait se taire au lieu de prendre ignoblement la défense d’un État sioniste et colonial, poussé, comme elle-même et comme les Allemands de jadis, au meurtre et à l’extermination raciale. À Ghaza, Israël a tué des enfants et il le fera encore et encore au nom du droit de tuer que lui confère sa doctrine sioniste. Il n’y a rien de plus insupportable qu’un enfant tué par la force militaire, qui tue au nom de l’existence d’Israël. Un tel État qui tue des enfants peut-il se maintenir lorsqu’adviendra la justice des nations et des peuples ? Les trente-huit députés de la gauche française qui ont dénoncé l’apartheid israélien ont rendu son honneur au peuple de France, à cette partie du peuple de France qui sait regarder et comprendre la souffrance des Palestiniens.

Michel Onfray, élève et continuateur de Boualem Sansal

Dans sa polémique avec la gauche française, Michel Onfray, renonçant sans aucune dignité à toute pensée critique, est passé de Nietzsche à Haïm Korsia et Boualem Sansal, reprenant le discours du grand rabbin de France sur une supposée convergence entre antisémitisme et antisionisme, qui excède son rôle strict de défenseur des Juifs français, tout en relayant les propos insanes de l’islamophobe Boualem Sansal. Flétrir l’Islam ? Cruelle régression dans le champ des idées en France.

Il est vrai qu’Onfray a été, ces dernières années, dans une ombreuse dérive intellectuelle depuis qu’il a versé dans la crapulerie camusienne. Le voilà, désormais, en petit soldat de Sansal, philosophe de l’abjection. L’islamophobe Boualem Sansal stipendié à Israël, a attendu vainement attendu qu’il lui fasse attribuer le Prix Goncourt par ses lobbyistes littéraires, entre autres Pierre Assouline. Mauvais lecteur de l’essai de Roger Faligot et Rémi Kauffer « Le Croissant et la Croix gammée » (1990), il en a fait son bréviaire, jetant en pâture aux Français  Amine El Husseini, le grand mufti de Jérusalem, un ami d’Hitler avec lequel il aurait disputé, semble-t-il, des parties effrénées de Mah-jong, pour que les Musulmans de la planète en subissent la marque scélérate. Mais pour un mufti de mosquée dévoyé combien de hauts dignitaires de l’Église de France, ainsi Mgr Baudrillard, ont accompagné le nazisme dans leur pays et dans leurs communautés chrétiennes ? Pourquoi, si Amine El Husseini y a touché, les Musulmans seraient-ils entachés pour l’éternité d’un vice rédhibitoire, l’antisémitisme ?

Habitué des médias parisiens, Sansal, dineur du CRIF, aime répéter ce qui est attendu de lui par ses garants français, abominer son pays, l’Islam et le monde arabo-musulman et renouveler son allégeance à Israël et au sionisme. Il estime même qu’il n’en fera jamais assez pour promouvoir les thèses du sionisme mondial. N’a-t-il pas défendu l’équation nazisme = islamisme ? Elle s’était inversée au lendemain des événements terroristes en France des années 2015-2016, à Paris et Nice. Sansal note dans l’avant-propos d’un essai historique fumeux de l’Allemand Mathias Küntzel la filiation entre islamisme et nazisme (« Jihad et nazisme », 2015). Küntzel indique dans son ouvrage que l’islamisme a précédé et inspiré le nazisme en menant dans l’entre-deux-guerres de vastes campagnes antisémites en Egypte (sous l’égide des Frères musulmans) et en Palestine. En son temps, cette thèse était reprise comme une indiscutable gnose par Benjamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, qui affirmait que le mufti palestinien de Jérusalem, Amine El Husseini, serait à l’origine de la Shoah, conseillant à Hitler la « solution finale ». La Shoah, c’est donc l’Islam, un dérèglement de l’Islam : ni l’Allemagne nazie ni Hitler n’en sont comptables. Cette odieuse construction et révision de l’Histoire de l’holocauste juif est signée par Boualem Sansal. Faudrait-il que Michel Onfray et l’intelligentsia française, s’abimant dans un crétinisme irrattrapable, y souscrivent ?

Comment les Français n’ont-ils pas observé que Sansal, dont ils ont fait leur lanceur d’alerte contre l’Islam et l’islamisme, ne se répand dans leurs médias et dans leurs bars à bière du Quartier latin que le temps de la promotion de ses ouvrages, au demeurant très mal écrits, et des délibérations du jury Goncourt ? Que la seule rage qui l’agite est celle du Goncourt, qui explique toutes ses extravagances ? Qui l’a lu, qui le lit encore, qui le lira ? Les Français ne garderont que le vil souvenir de ses vomissures médiatiques. Comment le philosophe Michel Onfray s’est-il soumis à la perversité de Sansal, pour en épouser les sordides attentes politiciennes, racistes et islamophobes ? Ce qu’il a proféré sentencieusement dans les colonnes du « Journal du Dimanche », Sansal l’avait déjà testé en 2008 en marge de son « Village de l’Allemand », vendu en 2013 pour donner du nerf à « Rue Darwin » et bradé, en 2015, pour « 2084. La fin  du monde ». Ce n’est ni honorable ni glorieux.

Le sionisme est une idéologie de guerre

En France, il est de coutume de critiquer le « castrisme » et le « chavisme », idéologies d’État actuelles à Cuba et au Venezuela. Et, autrefois, le « marxisme-léninisme » et le « maoïsme ». Mais, pas le sionisme, qui fonctionne sur l’identique registre politico-idéologique. Parce que le sionisme est une règle indépassable pour l’État d’Israël, il devient obligatoire d’en faire une sorte de substitut de la Shoah. Toute critique du sionisme, qui n’est qu’une expression politique, qui peut être détestable comme tant d’autres expressions politiques, devient de l’antisémitisme, contre lequel il convient de s’élever sans délai dans les champs médiatiques et politiques français, particulièrement parisiens. Est-ce vraiment la synagogue qui brûle comme le suggère le philosophe français ? Ne faudrait-il pas, en la circonstance, reconnaître de clairs enjeux politiques et l’érection d’un cordon sanitaire autour du sionisme, charte mortifère de l’État israélien ?

La France a depuis bien longtemps assimilé l’antisionisme, la défiance envers un système politique colonialiste et expansionniste, à l’antisémitisme. Rien ne devrait pourtant justifier ce glissement sémantique, que l’État français a transcrit dans ses lois. Et cet antisionisme, qui découle comme autrefois l’antinazisme, de la règle politique et idéologique, est désormais criminalisé. Mais, il y a une évidence historique : pendant l’occupation allemande, la France a emprisonné et tué des contradicteurs de l’idéologie nazie, dans ce premier vingt-et-unième siècle, la France s’apprête à mettre en prison des détracteurs de l’idéologie sioniste. Mais de l’une à l’autre, où est la nuance : ce sont des idéologies armées au cheminement sanglant et jusqu’au-boutiste.

Il est de tradition que le sionisme soit dénoncé en Occident et dans le reste du monde par les formations politiques et par les militants politiques, le plus souvent de gauche, en résonance avec l’inépuisable question palestinienne. Or, ce différend entre Juifs sionistes et Palestiniens, qui remonte à leur première guerre au lendemain de la fondation de l’État d’Israël, en 1948, reste le plus vieux conflit dans le monde aux forces inégales, resté sans solutions. Les résolutions les plus justes et réalistes adoptées par les Nations Unies  pour le règlement définitif de ce conflit sont régulièrement foulées aux pieds par Israël, devenue une puissance nucléaire mais aussi une société militarisée et confessionnelle.

Le sionisme, soutenu par l’Occident, est une doctrine extrême, qui prend appui sur le transfert permanent des terres palestiniennes à l’État d’Israël et à sa population et sur la répression sans répit des Palestiniens. Si demain, un État palestinien a la moindre chance d’exister, il sera au mieux dans la configuration présente une manière de bantoustan encerclé par des enclaves israéliennes militarisées, à l’abri d’inexpugnables murailles. Cet État sans terres, les Palestiniens et les personnes les plus sensées le refuseront. Dans cette région du Moyen Orient, les Palestiniens, plus que les Israéliens, doivent être protégés. Par eux-mêmes, certes, au moment où ils sont abandonnés par leurs voisins arabes, actuels et futurs signataires du Pacte d’Abraham, sous le contrôle américain. Et, aussi, hors d’Occident, par les grandes puissances, comme la Russie et la Chine. Qu’est-ce qui restera au peuple palestinien, chaque jour dépossédé de ses terres, sinon  une perpétuelle errance ?

L’antisionisme naît au cœur de cette injustice, fondée par le droit du plus fort. Ce qui a été exprimé et dénoncé publiquement par des députés de la gauche française, plus spécialement l’apartheid dans les territoires israéliens, est vérifiable par toutes sortes d’enquêtes d’institutions nationales et internationales neutres. Nous l’avons dit et nous continuons à le dire en Algérie, le Pays des Martyrs. Est-ce pour autant, à l’échelle de  notre pays, de l’antisémitisme ? L’Algérie s’est régulièrement alignée derrière les recommandations de l’ONU les plus réalistes relativement au conflit entre la Palestine et Israël. Or, du fait même du sionisme, la doctrine fondamentale de l’État israélien, il n’y a pas, il n’y aura pas d’issue à ce conflit ni de paix durable. Comment imaginer Israël sans le sionisme, cette idéologie de guerre et de destruction ?

Un sionisme expansionniste et conquérant, fauteur de troubles

L’islamophobie comme l’antisémitisme doivent être constamment dénoncés et condamnés. Et, aussi, le sionisme. C’est un crime contre la liberté des hommes et des femmes, en France et partout dans le monde, de considérer, comme le fait Onfray, que l’antisionisme est un antisémitisme déguisé. Le sionisme, c’est l’armée d’Israël qui n’en finit pas de tuer des Palestiniens sans armes. Le sionisme est une doctrine coloniale, la dernière dans l’histoire de l’Humanité à être si solidement structurée et encouragée par l’Occident, qui entend faire payer à l’Islam et aux Musulmans la Shoah dont la responsabilité ne peut être enlevée à l’Allemagne, d’hier et d’aujourd’hui, grande nation d’Europe, et aux États, notamment la France, qui y ont contribuée. Refuser le sionisme, est-ce également refuser la synagogue et ses fidèles ? La philosophie se projette-t-elle, chez Michel Onfray, en triste exercice d’enfumage de sots ?

La France a pu avoir sur Israël, au moment où le chantage à la Shoah n’était pas encore si percutant, des paroles fortes et cinglantes. Le propos du général de Gaulle, président de la République française, dans sa conférence de presse du 27 novembre 1967, ne peut s’effacer. Il n’est pas inopportun de le donner à lire à nouveau : « Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’ils avaient toujours été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : L’an prochain à Jérusalem ».

Israël est-il sorti de cette trame expansionniste et conquérante ? Ne veut-il pas la porter, loin de ses terres, jusqu’au Maghreb pour bouleverser la paix mondiale ? L’Algérie et les Algériens, leur gouvernement et leur Armée nationale populaire, armée du peuple, sauront y répondre, avec sûreté et détermination.

POST-SCRIPTUM.

Pastiche à la manière de Jacques Berque. « L’Anniversaire d’El Kader ». Quelque part dans la province de Constantine, la famille d’El Kader (littéralement, « le capable ») a fêté la première année de présence clandestine en France de son fils, harag aoûtien, en 2021, passé de Barcelone à Marseille puis Lyon, où il revend la « chemma » (chique) d’Algérie avec de substantiels profits. Il a ainsi remboursé à son père le prix de son passage en mer Méditerranée, lui permettant d’acquérir une nouvelle guimbarde pour remplacer celle qui a payé les frais de sa migration sauvage vers le Nord. La famille d’El Kader a tout ensemble fêté un anniversaire, une bagnole et une pluie d’euros que les jeunes du quartier, amis du clandestin lyonnais, achètent à son père comme de miraculeux talismans pour fendre à leur tour la mer. Les potes d’El Kader, sa famille, son voisinage, n’ont reçu que de bonnes nouvelles : ne s’est-il pas mis en couple avec une bretonne de Perros-Guirec qu’il entreprend de convertir à la religion du Sceau des Prophètes, lui qui ne parle ni ne lit le français, qui a fait son trou dans sa communauté maghrébine ? Une seule certitude lui a été enseignée par les « frères » et il s’y accroche : il sera défendu, en cas de mauvaise fortune, par les lois de la France et, vaillamment, par celles de l’Union européenne. Il ne reviendra pas de sitôt dans sa terre natale ; son avenir s’appelle la France. Il est heureux, et aussi sa famille, ses voisins et ses compères qu’il a quittés, car il n’y a pas que de petits intérêts dans la « chemma ». L’an prochain, El Kader enverra des euros pour agrandir la parcelle du jardin familial à Grarem-Gouga. Et l’année d’après, on lui achètera une femme parce que la Française, c’est connu, c’est juste pour tenir la main ; ou autre chose.


 

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