Face aux mutations énergétiques et à la concurrence internationale : Quelle politique gazière pour l’Algérie ?

       par Abdelrahmane Mebtoul *

    Les exportations de gaz naturel pour l’Algérie se font grâce au GNL qui permet une souplesse dans les approvisionnements et des marchés régionaux par canalisation pour une part respective d’environ 70/30%, avec une extrapolation pour 2030 d’environ 45/48% pour le GNL supposant de lourds investissements. L’Algérie possède trois canalisations, le Transmed vers l’Italie via la Tunisie, le Medgaz vers l’Espagne et le GME vers l’Espagne via le Maroc qui vient d’être suspendu, totalisant une capacité de 52 Gm3 par an.

1. Le Transmed, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui permet d’augmenter la capacité de 7 milliards de mètres cubes auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2, permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux. Il est d’une longueur de 550 km sur le territoire algérien et 370 km sur le territoire tunisien, vers l’Italie, la Tunisie bénéficiant pour la traversée sur son territoire d’environ 6% du gaz transporté, assurant une grande part de sa propre demande. Nous avons le Medgaz directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui, après extension prévue courant 2021, sera portée à 10 milliards de mètres cubes gazeux. Nous avons le GME via le Maroc dont l’Algérie a décidé d’abandonner, dont le contrat s’achève le 31 octobre prochain, d’une longueur de 1.300 km, 520 km de tronçon marocain, la capacité initiale étant de 8,5 milliards de mètres cubes ayant été portée en 2005 à 13,5 milliards de mètres cubes gazeux, le Maroc percevant une redevance annuelle en nature au départ d’un demi-milliard de mètres cubes gazeux, et après extension, d’environ 900.000, étant devenu propriétaire en 2021, après un accord avec l’Espagne. Il est entendu qu’il y a lieu de différencier les capacités des ventes réelles. L’Algérie est avant tout un pays gazier qui lui a procuré entre 2019/2020 environ, avec les dérivés 33% de ses recettes en devises, et 50% à l’avenir; il devra donc être attentif aux mutations gazières mondiales, à la forte consommation intérieure, renvoyant à la politique des subventions généralisées sans ciblage, dont les rapports du ministère de l’Energie montrent qu’elle pourrait dépasser les exportations actuelles horion 2030, réserves estimées à environ 2.500 milliards de mètres cubes gazeux, selon un ex-ministre de l’Energie fin 2020 (APS), (voir analyse développée par le Pr A. Mebtoul dans la revue internationale gaz d’aujourd’hui, Paris 2015, sur les mutations mondiales du marché gazier).2. Rappelons le projet GALSI (Gazoduc Algérie-Sardaigne- Italie) qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, devant approvisionner également la Corse, qui est tombé à l’eau suite à l’offensive du géant russe Gazprom, étendant ses parts de marché, avec des pertes financières, Sonatrach ayant consacré d’importants montants en devises et dinars pour les études de faisabilité (conférence à la chambre de commerce en Corse du professeur A. Mebtoul en 2012 sur le projet Galsi). Quant au projet du gazoduc Transsaharien, NIGAL, d’une longueur de 4.128 kilomètres et d’une capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes reliant le Nigeria à l’Algérie dont l’idée a germé dans les années 1980, l’accord entente signé le 03 juillet 2009, ne signifiant pas, contrat définitif, mais une intention, avec le Nigeria qui joue sur deux tableaux. Pour concurrencer l’Algérie, le Maroc a initié le projet Nigeria-Europe, via le Maroc, les canalisations devant longer le bord de l’Atlantique long de 7.500 km avec un coût estimé à 20 milliards de dollars, ce projet du gazoduc ayant été évoqué en 2016 lors de la visite du roi Mohammed VI au Nigeria et en 2018 lors de la visite du président Muhammadu Buhari au Maroc. Quant au coût du gazoduc Nigeria-Europe, via l’Algérie, il est passé selon une étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI) de 5 milliards de dollars initialement à environ 15 milliards de dollars fin 2019. Que ce soit le projet Nigeria-Algérie ou le projet Nigeria-Maroc, sans une partie du financement et sans un partenariat avec l’Europe principal client, et la stabilisation de certains pays où règnent la guerre et l’instabilité politique, il ne faut pas se faire d’illusions, irréalisable, surtout avec les tensions budgétaires dues à la crise mondiale qui touche tous les pays sans exception.

3. C’est que la concurrence est vivace dans le domaine du gaz, les réserves pour l’Algérie selon les données du ministre de l’Energie en décembre 2020, reprises par l’APS, 2.500 milliards de mètres cubes gazeux, avec une baisse des exportations étant passées de 62/65 milliards de mètres cubes gazeux à 51,5 en 2018, 43 en 2019, 41 en 2020, espérant un niveau de 43/44 pour 2021. Alors que les réserves sont de 45.000 pour la Russie, 30.000 pour l’Iran et plus de 15.000 pour le Qatar sans compter l’entrée du Mozambique en Afrique (4.500 de réserves) dont le cours est passé de plus de 10 dollars le Mbtu en 2009-2013 à moins de 2,70 dinars le cours en 2020, mais avec une remontée depuis fin juin 2021, d’environ 3,5 dollars le Mbtu en juillet et 4,5 dollars le Mbtu le 27 août 2021. Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie-Chine, le Qatar et l’Iran, proche de l’Asie avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le gazoduc Israël-Europe en activité vers 2025, financé par les Emiratis, les importants gisements de gaz en Méditerranée expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie, et même en Afrique avec l’entrée en Libye, réserves d’environ 2.000 milliards de mètres cubes non exploités, et les grands gisements au Mozambique (plus de 4.500 milliards de mètres cubes gazeux), sans compter le Nigeria avec ses GNL, le marché naturel de l’Algérie, en termes de rentabilité, et l’Europe où entre 2018/2019, selon le rapport de Sonatrach, les destinations sont essentiellement l’Italie (35%), l’Espagne (31%), la Turquie (8.4%) et la France (7.8%) en n’oubliant pas le contrat signé le 11 juin 2019 entre Sonatrach et la Société pétrolière et gazière portugaise Galp Energia qui ont signé des accords portant sur l’approvisionnement en gaz naturel algérien du marché portugais pour un volume de 2,5 milliards m3 par an. Outre les USA, premier producteur mondial avec le pétrole/gaz de schiste, avec de grands terminaux, ayant déjà commencé à exporter vers l’Europe, le plus grand concurrent de l’Algérie sera la Russie avec des coûts bas où la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream1 de 55 et du North Stream2 de 55 milliards de mètres cubes gazeux, ce dernier en voie de régularisation grâce à la pression de l’Allemagne et un assouplissement de la position des USA, soit au total 173 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l’Europe dont l’Italie. (Conférence-débats du professeur Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, à l’invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne, 31 mars 2021).

En résumé, l’énergie est au cœur de la sécurité des nations. Les enjeux géostratégiques dépassent souvent les enjeux de gains monétaires à court terme, tant dans la pratique des affaires que dans les relations internationales il n’existe pas de sentiments mais que des intérêts, chaque pays défendant ses intérêts propres.

*Professeur des universités, expert international.


>>L’approvisionnement se fera par Medgaz: Le gaz destiné à l’Espagne ne passera plus par le Maroc

L’Algérie a entériné son refus de renouvellement du contrat la reliant au royaume du Maroc en décidant de livrer son gaz à l’Europe à travers le gazoduc Medgaz.


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