Qui a inventé les notes de musique ?

Il est difficile de dater l’apparition de la musique, même si les traces de pratique musicale connues remontent à environ 43.000 ans. D’abord orale, la musique s’est ensuite transmise par l’écriture. Mais qui a inventé les notes de musique que nous utilisons aujourd’hui et qui les a répertoriées ? C’est notre question de lecteur de la semaine.

Musique
Partition manuscrite de la Petite Messe Solennelle de Gioachino (Gioacchino , Giovacchino ) Rossini (1792-1868) : debut de l’Agnus Dei.                                                    (c) LEEMAGE VIA AFP

« Qui a inventé les notes de musique que nous utilisons aujourd’hui et qui les a répertoriées ? Existe-t-il une infinité de notes de musique et existent-elles en dehors d’être activées par un instrument de musique ? », nous demande Anthony Romani sur notre page Facebook. C’est notre question de la semaine.

Les traces les plus anciennes de pratique musicale remontent à 43.000 ans

Si la musique fait partie de nos cultures depuis si longtemps qu’on ne puisse pas vraiment dater son apparition, elle n’a pas toujours existé sous la même forme et a connu bien des évolutions. Pour mieux comprendre les origines de la musique et de sa notation, Sciences et Avenir vous propose ici quelques éléments clés de son histoire.

Même si les plus vieilles traces de pratique musicale connues remontent à environ 43.000 ans, les pratiques musicales comme le chant et la danse ont très certainement une origine bien antérieure. Quant aux premières notations musicales, on en retrouve des éléments datant de l’Antiquité, même si ce n’est qu’à partir du Moyen Âge qu’apparaissent réellement les premiers systèmes occidentaux d’écriture musicale.

Des traces écrites depuis l’Antiquité

La musique connait des évolutions différentes selon les régions du monde. Les systèmes de notation musicale ne se développent pas au même rythme, et certains sont plus anciens que d’autres. En Chine, par exemple, le système des 12 Lyu (système de notation musical à 12 notes) daterait du 3e millénaire avant notre ère.

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Au 14e siècle avant J.-C., des hymnes hourrites inscrits sur des tablettes d’argile en écriture cunéiforme témoignent également des premières formes d’écriture musicale. L’hymne d’Ugarit (actuelle Syrie) en particulier, est accompagné d’indications et est considéré comme le plus vieux chant connu à ce jour. Diverses interprétations en ont d’ailleurs été proposées.

Un peu plus récentes, des compositions de la Grèce antique, datées du 2e siècle avant notre ère ont également été retrouvées entières, à la fin du 19e siècle, sur le mur du Trésor des Athéniens (Delphes, Grèce). Elles sont néanmoins rapportées comme étant complexes, puisqu’elles mêlent des notations à la fois vocales, rythmiques et instrumentales. Autre vestige des débuts de l’écriture musicale, la chanson de Seikilos, une brève composition musicale retrouvée gravée sur une épitaphe et datée de la fin du 2e siècle avant notre ère. Cette chanson est basée sur le système de notation de la Grèce antique, qui est constitué de plus de 1000 signes spécifiques permettant d’en déchiffrer la composition musicale et d’en proposer des interprétations.

Le Moyen Âge, tournant dans l’écriture musicale en occident

Bien que les premières traces écrites de musique remontent à plusieurs millénaires, il semble difficile de faire le tri et d’interpréter les premières notations musicales, tellement celles-ci varient selon les cultures et peuvent s’avérer complexes. Le système musical a évolué différemment selon les régions du monde et reste encore aujourd’hui très variable, mais en Occident, c’est au Moyen Âge que la notation musicale a pris un réel tournant.

Aux 5 et 6e siècle après J.-C., Boèce (480-524), philosophe et homme politique latin, a pour projet de composer quatre ouvrages basés sur les sciences du Quadrivium (dans la théorie antique, elles correspondent aux quatre arts mathématiques) dont fait partie la musique. Son ouvrage, De institutione musica, distingue trois musiques : la musique céleste (qui s’inspire de l’harmonie des sphères de Platon, datée environ du 5e siècle avant J.-C.), la musique humaine et la musique instrumentale. Il simplifie -ou fait le tri- dans la notation de la Grèce antique, en proposant d’associer les 15 premières lettres de l’alphabet latin à 15 notes ascendantes. Ce système de notation ne permet pas encore de faire référence à des notes fixes, mais plutôt à la hauteur d’une note par rapport à une autre. Au début du 11e siècle, le nombre de lettres utilisées est réduit à sept dans le Dialogus de Musica, dont l’écriture est attribuée de manière controversée à Odon de Cluny, moine bénédictin et théoricien de la musique. Les lettres utilisées vont de A à G (La à Sol). Cette dénomination est toujours utilisée dans les pays anglophones et germanophones, avec quelques variantes.

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Quelques siècles plus tard, dans cette épopée du long Moyen Âge, le chant grégorien, chant liturgique officiel de l’Eglise catholique dont l’origine est attribuée au Pape Grégoire 1er, apparait. Soucieux de réorganiser la liturgie (ensemble des rites et chants destinés au culte), il contribue à rassembler et classer les chants, même si ce n’est qu’à partir du règne de Charlemagne (768-814) que le chant grégorien prendra son nom. Exclusivement vocal et monodique (à une seule voix), le chant grégorien se transmet et se généralise en Occident, de même que sa notation carrée basée sur des signes appelés neumes. Ceux-ci se présentaient sous forme d’accents (dont ils étaient probablement inspirés) pour indiquer la ou les notes à chanter (source : Richard H. Hoppin, La musique au Moyen-Age, ed. Mardaga)

Mais quand est enfin apparu notre système de notation ?

Au 11e siècle, le moine Guido d’Arezzo (992-1033) améliore la notation neumatique en élaborant le système de notation musicale sur portée (l’ensemble de lignes horizontales représentant les hauteurs). Dans le solfège, la portée est aujourd’hui constituée de cinq lignes horizontales et de quatre interlignes. D’Arezzo a quant à lui proposé le système à quatre lignes horizontales, de même que le système de solmisation (ut, ré, mi, fa, sol, la) en s’inspirant de l’hymne à saint Jean-Baptiste, écrit au 8e siècle par le poète Paul Diacre (720-799) :

Ut queant laxis

Resonare fibris,

Mira gestorum

Famuli tuorum,

Solve polluti

Labii reatum,

Sancte lohannes.

C’est bien ce système de solmisation qui a donné naissance à notre notation actuelle. A la fin du 16e siècle, la note Si, qui n’était pas dans le système de solmisation proposé par d’Arezzo apparait. L’ajout de cette note qui reprend le dernier vers de l’hymne à saint Jean-Baptiste est attribué à divers musiciens.

Plus tard, à partir du 17e siècle, ut change de nom pour devenir do, pour des raisons pratiques de prononciation essentiellement, même si ut ne disparait pas complètement du vocabulaire musical, puisqu’on l’utilise quand on parle de « clef d’ut », par exemple. Enfin, le nombre de lignes sur la portée qui a plusieurs fois varié jusqu’à la Renaissance, reste définitivement à 5.


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L’Expression: Quelle est votre «autre» lecture de la musique?
Docteur Mouloud Ounoughene: Au-delà de l’esthétique véhiculée par la musique, cet art possède une puissance immanente et présente une compétence cognitive qui mobilise plusieurs régions de notre cerveau. La musique est susceptible de «remodeler» notre cortex, en modifiant ses connexions nerveuses. Ce phénomène de neuroplasticité dû à une activité gliale est notamment utile lors de la phase de récupération de lésions encéphaliques. Il est prouvé que la pratique soutenue de la musique accroît les zones du cerveau en rapport avec l’exercice de cet art. La musique est un adjuvant thérapeutique intéressant qui accompagne entre autres, l’orthophoniste dans la rééducation d’un trouble de l’élocution causé par un AVC; la mise en oeuvre de «la thérapie mélodique et rythmée» chez ces patients est aujourd’hui validée scientifiquement. Les fonctions cognitives de l’alzheimérien seront stimulées par une pratique musicale régulière, et ce, malgré une réserve mnésique hippocampique amoindrie. Les mélodies familières ou celles entonnées durant l’enfance persistent assez souvent car elles présentent une robustesse neuronale. De même, l’enfant autiste trouvera dans la pratique réglée d’une activité musicale une aide appréciable en fonction de la sévérité des symptômes qu’il présentera. En définitive, la musique est un esperanto d’émotions qui agit comme un révélateur de nos états d’âme enfouis. Il n’est jamais trop tard pour apprécier, apprendre ou découvrir la passion de la musique.

La musicothérapie a existé depuis très longtemps, les Grecs la pratiquaient déjà, n’est-ce pas?
L’homme a toujours cherché à exorciser ses angoisses et à rétablir un équilibre entre son soma et son psyché. Depuis les temps les plus lointains, le son, la voix et la musique ont été utilisés pour embaumer les fêlures de l’âme. Ainsi, les modes musicaux grecs sont suggestifs d’états d’âme ou de teinte d’un sentiment, ce qui représente le principe même de l’éthos. Bon nombre de ces modes font souvent référence à une peuplade ou à une région, comme c’est le cas d’ailleurs pour certains maqâms et noubas. Chaque mode fait sourdre la manière d’être d’un individu. Les pythagoriciens vouaient une place particulière au chapitre de l’éthos des modes dans l’enseignement de la musique, leur connaissance contribuera à l’amélioration de l’état de l’individu. À titre d’exemple, le mode dorien qui est considéré comme le mode du génie de la Grèce antique, crée un sentiment de joie et de sincérité.Le mode phrygien, dont la terminologie fait référence à une petite principauté d’Asie mineure présente une harmonie bachique et enthousiaste, selon l’abbé Wartelle, alors que Platon pense que ce mode est propre à exciter les vertus guerrières….

Qu’en est-il d’Al Farabi et des autres savants anciens sur l’ethos des modes et la musicothérapie?
Le philosophe musulman médiéval, d’origine persane, Al Farabi (872-950) qui est qualifié de second maître, (le premier étant Aristote) est un érudit qui cultivait un intérêt particulier pour les livres d’Aristote, il s’est aussi imprégné d’éléments platoniciens. Il faut savoir, par ailleurs, que les savants grecs ont souvent été nourris par les prêtres de l’Egypte antique. Al Farabi est considéré comme l’un des plus grands théoriciens influents au Moyen Âge. Pour lui, l’art musical stimule et éveille des torrents d’émotion et génère des stimuli de l’imaginaire. Dans son «Kitab el musiqi elkabir» ou le grand livre de la musique, l’érudit pense qu’une des formes de la musique s’inspire de nos passions, de notre état d’âme; l’homme émettra une teinte vocale qui variera en fonction de son état d’âme du moment, ils «révéleront» ainsi son émotion. Ce sont là, des éléments de musicothérapie réceptive ou passive, tels qu’ils sont proposés à notre époque. Dans sa démarche, Al Farabi utilise des maqams à des fins thérapeutiques: le Rast donne du confort, le Husseyni induit la quiétude et le Zirgule contient des vertus soporifiques. Dans son ouvrage «echiffa», Ibn Sina (980-1037) compare les battements du coeur aux pulsations du rythme. Il a aussi écrit son célébrissime «el qanoun» qui a influencé le monde médiéval occidental où il évoque les sentiments de pureté et d’élévation qu’induit la musique. Al Kindi qui a été influencé par Hippocrate a établi la théorie qui repose sur la circulation des quatre humeurs (liquides) dans notre organisme. La prédominance d’un des fluides définit le tempérament de la personne en question. En alliant la psychologie à l’art, il fait correspondre chaque corde de son luth à un tempérament… Enfin, chez Safieddine al Urmaoui, génial joueur de luth, chaque organisation modale exerce une influence sur l’âme de l’individu. C’est une approche cognitive de la musique: «le maqam Isphahan stimule l’intellect, aiguise les pensées, oblige les gens à se concentrer dans leurs études…», C’est ce qui est rapporté dans un commentaire anonyme de son Kitab el adwar…

Kamel BOUDJADI


 

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