Algérie / La nouvelle République au prisme de la révision constitutionnelle

 

     par Djamal Kharchi *

Une révision constitutionnelle n’est pas un acte politique banal, pourtant la pratique qui en a été faite, notamment sous l’ère Bouteflika, peut aisément démentir une telle assertion.

La Constitution, loi fondamentale de la nation, se situe au sommet de la hiérarchie des normes. Sa primauté par rapport aux autres règles de droit lui donne une place spécifique dans l’ordre juridique national. De par son contenu et sa portée, la Constitution représente le « statut » de l’Etat et la structure du pouvoir politique. A ce titre, elle régit le fonctionnement des institutions et énonce les principes qui fondent l’exercice de leurs compétences. En tant que norme suprême de l’Etat, la Constitution noue le pacte social, ce lien de confiance qui unit les gouvernants et les gouvernés. Les droits inhérents à la citoyenneté y trouvent leur ancrage et les valeurs identitaires leur enracinement.

Rétrospective des révisions constitutionnelles

Historiquement, notre pays a connu plusieurs Constitutions depuis son accession à l’indépendance. La première d’entre elles, celle du 10 septembre 1963, est le fruit des travaux d’une Assemblée constituante, dépositaire des attributs de la souveraineté nationale dont les autorités coloniales lui en ont fait transfert conformément aux accords d’Evian. Après le coup d’Etat du 19 juin 1965, la Constitution de 1963 est suspendue par le nouveau pouvoir qui s’attelle tout d’abord à poser les fondements d’un « Etat fort et solide », avant de faire adopter par voie référendaire la Constitution du 22 novembre 1976. Suite aux émeutes d’octobre 1988 contre le régime de Parti unique, une nouvelle Constitution est adoptée par référendum, le 23 février 1989. Celle-ci consacre le pluralisme politique et son corollaire le principe de l’alternance démocratique. En 23 février 1992, la proclamation de l’état d’urgence consécutive au cycle de violence dû à l’arrêt du processus électoral pour le renouvellement de l’Assemblée populaire nationale, donne lieu à la suspension de la Constitution de 1989. Le 28 février 1996, une nouvelle Constitution est approuvée par référendum populaire. Toujours en vigueur, celle-ci a été modifiée à trois reprises sous la présidence de Bouteflika, en 2002, 2008 et 2016.

Toutes les révisions constitutionnelles ont procédé par à-coups, en réaction à des situations particulières, sans vision globale et sans bénéfice d’inventaire à la lumière des problèmes de fond qui affectent la nation. Cette démarche fragmentaire, dépourvue d’anticipation, a permis à un régime pervers et décadent de se perpétuer envers et contre tout.

De 1962 à ce jour, l’Algérie aura connu 4 Constitutions et trois révisions constitutionnelles. Si la Constitution originelle de 1963 comportait au total 78 articles, l’actuelle en compte 178. Comparativement la Constitution française du 4 octobre 1958 a fait l’objet de 24 réformes et révisions. Des 92 articles originaux, seuls 30 articles sont demeurés inchangés. Le texte constitutionnel compte actuellement 118 articles.

Comparaison n’est pas raison dit le proverbe. Le pouvoir politique en Algérie a fait de la Constitution une simple paravent d’apparat. Mus par une obsession irrépressible du pouvoir, les dirigeants n’ont eu de cesse de piétiner le texte constitutionnel, d’en contourner les dispositions et de les dévoyer délibérément de leur objectif initial. A chaque réforme constitutionnelle, les référendums populaires organisés avec la solennité des hautes ambitions nationales, n’ont servi qu’à masquer le despotisme sournois de la classe politique.

La Constitution n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour consacrer la volonté du peuple. Depuis 1962, toutes les Constitutions ont été remodelées à la guise des dirigeants et adoptées par des simulacres de référendums. De la même manière que des élections à elles seules ne font pas forcément une démocratie, l’adoption d’une Constitution par voie référendaire ne fait pas nécessairement un régime démocratique. L’expression libre de la volonté populaire a trop longtemps été mise à mal par excès autocratique, par omission coupable, par surdité à la voix du peuple, constitutionnellement déclaré « source de tout pouvoir ». Dès lors faut-il s’étonner d’un système de gouvernance aussi mal en point, aussi chaotique, malgré des réformes constitutionnelles censées poser les fondements d’un Etat qualifié de droit. Quel bilan tirer de l’ouverture démocratique consacrée par la Constitution de 1989 ? A quel résultat a abouti la Constitution de 1996 qui a renforcé les pouvoirs du juge par l’institution d’un Conseil d’Etat ? Est-ce vraiment l’expression de la volonté du peuple que la révision constitutionnelle du 12 novembre 2008 qui a établi le principe d’un renouvellement illimité du mandat présidentiel ?

L’instrumentalisation de la Constitution par les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir est si flagrante que le texte constitutionnel en est réduit à un simple symbole. Au lieu d’être un moyen de limitation du pouvoir, les gouvernants ont transformé la constitution en un instrument de pouvoir. Le constitutionalisme en Algérie a connu un mouvement de balancier entre avancées et reculs voire régressions. La Constitution de 1989 a mis fin au régime de l’ordonnance afin d’encadrer les pouvoirs démesurés de l’Exécutif, alors que celle de 1996 l’a restitué au président de la République. Autre exemple tout aussi édifiant. La Constitution de 1996 a limité à deux le nombre de mandats présidentiels cumulables, alors que la révision constitutionnelle de 2008 avait exclusivement pour objet la suppression de cette règle d’or destinée à donner corps au principe de l’alternance au pouvoir. Toutes les Constitutions, au-delà des proclamations mirobolantes contenues dans leur préambule, ont tôt montré leurs limites et des insuffisances pas tout à fait fortuites. Par de telles pratiques, la Constitution apparaît moins comme une charte fondamentale où se cristallise la relation de confiance Etat – citoyen que comme un instrument au service d’une politique de maintien au pouvoir. C’est là toute la question de l’écart entre le texte constitutionnel et la pratique qui en est faite. L’échec des réformes constitutionnelles trouve là ses racines. Les dérives qui en sont la cause expliquent la désaffection manifeste du peuple à l’égard des réformes constitutionnelles, mais aussi et surtout sa réticence quant à l’exercice de ses droits politiques. L’abstention sous toutes ses formes en est la conséquence directe. Dans l’opinion publique, l’idée même de Constitution prend une connotation peu flatteuse. Le préjudice est immense pour l’Etat qui perd en autorité autant qu’en crédibilité.

Un postulat de départ prometteur

Dans son discours d’investiture du 22 décembre 2019, le Président Abdelmadjid Tebboune a placé le citoyen au cœur du processus de refondation de l’Etat, un Etat largement discrédité auprès de populations excédées par les injustices sociales et abus en tout genre de l’ère Bouteflika. Le rétablissement de la confiance entre l’Etat et le citoyen est une exigence majeure du renouveau national. C’est dans ce cadre et dans cette perspective que s’est articulé l’essentiel du discours présidentiel d’investiture. La sincérité du ton, ni feinte ni forcée, a su donner une résonnance particulière à chacun de ses engagements solennels envers le peuple. Selon ses propres termes, le chef de l’Etat entend « procéder à une réforme en profondeur de la Constitution en vue de favoriser l’émergence de nouveaux modes de gouvernance et mettre en place les fondements de l’Algérie nouvelle ».

Un processus de transition politique est en cours comme l’illustre la remise officielle des propositions formulées par le Comité d’experts désigné à cet effet. De par sa dimension politique, la réforme constitutionnelle projetée représente la phase décisive de restructuration de l’Etat dans la perspective de solutions nationales salvatrices.

La dynamique historique propre à chaque pays est inséparable de la dynamique sociale et politique qui en est le ressort et le moteur. Le Hirak, ce mouvement citoyen pacifique, est assimilable par l’ampleur de la mobilisation populaire qui s’en est suivie, à une puissante vague surgie des profondeurs de la société. Ses revendications portées par la voix de tout un peuple ont créé une opportunité historique de rupture politique que le président de la République a vivement appuyée dans son discours d’investiture. La révision de la Constitution, pierre angulaire dans le processus d’édification d’une nouvelle République, une république en adéquation avec les réalités contemporaines, renouvelée dans ses fondements et principes, est un de ses principaux engagements. Dans ce moment historique de transition de l’ancien régime à une nouvelle gouvernance, le Président a donné des gages de bonne volonté. Il s’est dit à l’écoute de tous les Algériens, réceptif aux ambitions légitimes du peuple et à sa vision de l’avenir de la nation. Un discours édifiant à plus d’un titre.

La réforme constitutionnelle entre interrogations et incertitudes

Toujours attendu mais encore imparfaitement réalisé, l’Etat de droit suscite une permanente revendication sociale, d’où les interrogations et incertitudes que s’expriment ici et là quant à la teneur des propositions d’amendements de la Constitution que la comité d’experts a soumis au président de la République. D’où aussi une certaine difficulté pour la société à appréhender le sens de la réforme et de se faire facilement à l’idée de l’abolition de pratiques qui depuis toujours ont constitué l’expression de l’action étatique. La conjugaison de vaines attentes et d’exigences irrésolues laisse planer une ombre de doute quant aux promesses de changement du système politique, de surcroît dans un sens radicalement différent de celui qui a prévalu pendant des décennies. Le mal est profond et la méfiance tenace.

Crise sociale et crise du pouvoir se conjuguent pour conférer à l’Etat une image fortement dégradée par suite d’évolutions contrariées et de ruptures de pure forme. Les frustrations accumulées et rendez-vous manqués permettent de prendre la mesure du décalage qui existe entre l’Etat et la société dans ses différentes composantes, sans omettre la césure induite par le désenchantement démocratique au sein du peuple dont la cause en revient à un jeu partisan complètement faussé, sciemment initié par les tenants du pouvoir.

C’est sur un fond d’interrogations et de questionnements que le projet de réforme constitutionnelle fait son chemin au sein de la société. Un état d’esprit somme toute compréhensible après plusieurs Constitutions adoptées sans qu’elles aient eu un impact significatif sur les carences, dérapages, hérésies et incohérences qui ont marqué le mode de gouvernance des années durant. Les turpitudes et les ruses légendaires du pouvoir donnent bien des raisons de douter du bien-fondé du projet de révision constitutionnelle ainsi que du modèle de société qui en découle. Si un tel scepticisme perdure encore à divers degrés dans l’esprit des citoyens, ne serait-ce pas là une sorte de réflexe atavique né d’une longue, trop longue période d’incubation et d’accoutumance à une gouvernance des plus détestables ? Aujourd’hui les signes annonciateurs de grandes mutations sont bien perceptibles à travers un nouveau style de pouvoir et l’émergence d’une culture d’Etat apte à promouvoir un climat de confiance.

Les propositions d’amendements de la Constitution à l’aune des réalités spécifiques au contexte algérien

L’avant-projet de révision de la Constitution se décline en un répertoire de mesures de réformes pertinentes destinées à mettre en place un Etat réconcilié avec la société, régénéré autour d’institutions crédibles, porté par des valeurs politiques et éthiques de nature forger un solide consensus social. C’est là que réside le substratum de la révision constitutionnelle en cours et que se situent ses principaux axes stratégiques.

Tout avant-projet de texte est par définition éligible à des amendements et enrichissements, non pas qu’il faille combler quelques insuffisances ou lacunes, mais du fait que sa finalisation est sujette à des améliorations possibles dans le corps même du texte. A cet effet, l’avant-projet de révision constitutionnelle, tel qu’il se présente à ce stade, laisse apparaître quelques fragilités à consolider, des domaines de compétences à mieux encadrer, des mécanismes à parfaire, sans compter de possibles ajouts à envisager dans l’objectif bien compris de conférer à la future Constitution toute sa force et sa portée.

Le concept d’Etat de droit est gravé dans le bronze de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui proclame en substance : « Il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression».

Bien qu’il n’existe pas un modèle-type de Constitution démocratique, la matière constitutionnelle qui ressortit, à titre d’exemple, des lois fondamentales en vigueur dans les Etat de l’Union européenne est quasiment similaire, vu que toutes se conforment à un cadre consensuel de règles et de principes, socle de l’Etat de droit. En cela, la révision constitutionnelle en cours, comme solution de sortie crise, peut-elle se suffire du cadre classique des Constitutions démocratiques qui pour la plupart s’articulent essentiellement autour de l’organisation de l’Etat dans une perspective d’équilibre des pouvoirs, de la garantie des droits fondamentaux ainsi que des libertés individuelles et collectives, le tout complété par une Cour constitutionnelle, gardienne de la constitutionnalité des lois, de la hiérarchie des normes et de l’exercice démocratique du pouvoir ?

Dans l’esprit de la grande majorité du peuple algérien, l’Etat de droit suppose non seulement la refondation de l’Etat en vue d’édifier un nouvel ordre politique et social, mais aussi l’élimination des maux qui ont ruiné la bonne gouvernance et empêché l’ancrage des valeurs aussi bien éthiques que démocratiques, et ce autant sinon plus qu’un Parlement ravalé au rang de chambre d’enregistrement ou une justice aux ordres en manque d’impartialité.

A cet égard, le népotisme, le régionalisme, le clientélisme, l’allégeance formelle, le favoritisme, l’abus de fonction et d’autorité, le trafic d’influence, l’octroi de privilèges et avantages indus, les pratiques bureaucratiques, les contrôles de complaisance, le non-respect de la norme juridique, la corruption sous ses diverses formes, le parti-pris de l’administration, ont survécu à toutes les crises et aux différentes révisions constitutionnelles. Comment donc se débarrasser de ces scories, si caractéristiques des mœurs du «Système», qui ont gangréné l’Etat dans son ensemble, au risque d’atteindre à la cohésion sociale qu’il est censé incarner et à l’unité de la nation dont il est le garant ?

Dans un souci d’adaptation de la Constitution aux réalités de la société, il serait tout à fait indiqué d’en faire une matière constitutionnelle suffisamment détaillée en lieu et place d’un simple énoncé de principe purement formel. La Constitution est la loi du peuple. Son caractère suprême résulte du fait qu’elle exprime la volonté du peuple. Et si telle était sa volonté ?

Certaines Constitutions énoncent des règles qui interdisent en termes directs voire sous forme d’injonction, des comportements aux représentants des pouvoirs publics avec parfois l’indication de mesures à prendre. Ces règles sans être entièrement atypiques sont d’une substance tout à fait compatibles avec l’objet constitutionnel.

En ce qui concerne l’avant-projet de réforme constitutionnelle, celui-ci pourrait réserver une « rubrique spéciale » consacrée à tous ces maux qui minent la bonne gouvernance, et partant assigner des finalités particulières à l’Etat en ce domaine. Des finalités dont il serait possible d’en faire des droits pour les citoyens. N’en déplaise aux puristes qui s’attachent au contenu traditionnel du texte constitutionnel, ces points méritent d’y être insérés non pas comme de simples énoncés de principe d’ordre purement formel, mais comme des dispositions consistantes avec des développements appropriés, qui feraient office de cadre de stimulation de la bonne gouvernance d’une part, et de vecteurs à des finalités, objectifs et modes opératoires de nature à consolider les rapports entre l’Etat et la société, d’autre part.

Des observations au plus près de la lettre et de l’esprit et des propositions d’amendements de la Constitution

Dans sa philosophie et ses articulations le projet de révision constitutionnelle porte indéniablement le souffle du Hirak. Les amendements proposés par le comité d’experts s’inscrivent fondamentalement dans une logique institutionnelle et non de pouvoir. Les compétences respectives de l’Exécutif et du Parlement sont remis en perspective dans l’objectif de bannir toute prééminence de l’un sur l’autre et d’éviter toute interférence mutuelle ; tout comme l’indépendance de la justice est affirmée et consolidée, afin de mettre le juge à l’abri de toute injonction. L’institution d’une Cour constitutionnelle vise à mettre en place des solides garde-fous contre toute tendance au piétinement de la Constitution et donner la prime à la loi. Ce sont là les innovations et bien d’autres encore que le comité d’experts a introduites dans le texte constitutionnel. A la lumière de leur examen, il est possible de formuler quelques observations dont la teneur vise à affermir le renouveau de l’Etat national.

Dans cet ordre d’idées, l’amendement consistant dans la possibilité de désigner un « vice-Président » est de nature à susciter des velléités de concurrence avec le président de la République. La compétition entre les deux autorités pourrait déboucher sur des conflits ou des crises internes au pouvoir. Par ailleurs, la stratification de l’architecture du régime politique, et plus spécialement de l’Exécutif, si l’on y ajoute l’existence de la fonction de « Premier ministre », risque d’exacerber davantage les frictions et divergences, au risque d’atteindre à la stabilité des institutions.

L’exécutif à l’épreuve de la cohabitation

La dualité de l’Exécutif prend une signification particulière du fait du multipartisme qui rend possible l’hypothèse d’une cohabitation entre un président de la République et une majorité parlementaire différente. Dans ce cas, la confrontation des deux majorités interviendra en premier lieu au moment de la formation du gouvernement.

Dans le cas d’une cohabitation où les deux majorités dépositaires de la légitimité démocratique entendent exercer la plénitude de leurs prérogatives constitutionnelles, le Premier ministre, soutenu par l’une des majorités, peut prétendre à une autonomie vis-à-vis du président de la République. Dans ce cas de figure, les institutions sont susceptibles de s’opposer les unes aux autres et générer de graves dysfonctionnements dans l’appareil de l’Etat. De ce point de vue, le projet de révision constitutionnelle gagnerait à baliser, à travers des mécanismes appropriés, une telle situation dont la probabilité n’est pas à exclure.

Un domaine législatif à mieux cerner

Le pouvoir législatif est le domaine où la Constitution actuellement en vigueur a introduit le plus d’incohérences. Ainsi a-t-elle établi une répartition du domaine législatif selon des contours mal définis. La production nominative, autre que celle réservée à la loi ordinaire ou organique, est du ressort du pouvoir réglementaire autonome du président de la République. Le domaine de la loi est un domaine d’attribution, mais les concepts utilisés pour le définir (règles générales, législation de base, régime général), restent flous et peuvent donner lieu à des divergences aussi inutiles qu’évitables.

De la pertinence d’un maintien du Conseil de la nation

Dans la monture du projet de révision constitutionnelle, le Conseil de la nation est maintenu en tant que deuxième chambre du Parlement. Les avis divergent à ce sujet. Un pays comme la France, remet régulièrement à l’ordre du jour la suppression du Sénat dont l’utilité suscite de vives contestations au sein d’une partie de la classe politique.

En Algérie, le Conseil de la nation a été institutionnalisé par la Constitution de 1996 dans des conditions bien particulières, après les élections législatives de 1991 qui ont vu la victoire du FIS dès le premier tour de scrutin. L’option pour un système parlementaire bicaméral répondait alors au souci d’éviter qu’un parti majoritaire à l’Assemblée nationale vienne à voter des lois contraires aux principes républicains et démocratiques. Dans cette hypothèse, le Conseil de la nation a pour rôle d’encadrer toute dérive ou emballement de la première chambre. Avec la distance du temps, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence d’une telle crainte. Pour y remédier, l’Etat a le moyen d’agir en amont par le biais de la loi sur les partis politiques en fixant des conditions draconiennes quant à leur création et la définition de leur ligne politique. Et, pourquoi pas l’élaboration d’une « charte » à valeur constitutionnelle qui ferait obligation aux dirigeants de partis de s’engager à respecter strictement les principes énoncés par la Constitution.

De par les conditions historiques qui ont présidé à sa création, le Conseil de la nation apparaît davantage comme un frein à la vie démocratique. Il s’agit d’un instrument au seul et unique service de l’Exécutif, ce qui de toute évidence tend à remettre en question le principe de la séparation des pouvoirs. Une chambre unique, élue de manière transparente, est à même d’assurer une production législative de qualité sans s’encombrer d’une deuxième lecture au niveau du Conseil de la nation.

Tout bien considéré, le Conseil de la nation n’apporte aucune valeur ajoutée à l’œuvre de législative, si ce n’est qu’il en renvoie une image diminuée. Les inconvénients de son maintien dépassent de loin les avantages. Le poids de la charge budgétaire induite par son fonctionnement est inversement proportionnel à son utilité. Est-il besoin de souligner qu’il est temps de mettre fin à cette démocratie anarchique et débridée que le pays subit depuis l’ouverture politique de 1989 ?

Constitutionnalisation des missions des commissions d’enquête parlementaire

Créées sur initiative parlementaire, chaque fois que de besoin, les commissions d’enquête ont pour mission de recueillir des éléments d’information par voie d’auditions notamment, sur des faits déterminés ou des questions de société, avant de remettre leur rapport qui peut donner lieu à débat au niveau de l’assemblée plénière. Au regard des pouvoirs étendus dont elles disposent pour mener leurs investigations, ces commissions constituent un moyen de contrôle non négligeable sur l’action gouvernementale. Leur consécration dans la Constitution leur donnera une dimension de premier ordre dans le dispositif étatique de contrôle.

Donner plus de vigueur à l’amélioration des relations gouvernants – gouvernés

Au-delà de l’institution d’un médiateur de la République, il serait opportun de prévoir une haute instance placée auprès du président de la République, une « Commission nationale » de préférence, qui sera chargée de proposer des mesures de toute nature dans le sens de l’amélioration des relations Etat – Citoyen, y compris la sanction de certains actes, à la lumière des conclusions du rapport annuel du médiateur de la République, mais aussi de l’exploitation de données provenant entre autres d’organisations de la société civile.

Quelles limites au pouvoir discrétionnaire de nomination du président de la République ?

Bien que le pouvoir discrétionnaire de nomination dans les hautes fonctions de l’Etat soit un principe intangible, celui-ci n’est pas exempt de limites, lorsque la nature des missions qui leur sont dévolues l’exige. Ainsi en est-il des Autorités indépendantes de régulation, de l’Autorité de prévention et de lutte contre la corruption, du président de la Cour constitutionnelle, le président de la Cour des comptes, le président de la Cour suprême, le président du Conseil d’Etat ou encore l’Autorité nationale indépendante des élections. La nomination par décret présidentiel, sans autres modalités préalables, n’est pas de nature à leur garantir toute l’indépendance requise dans l’exercice de leurs missions. Aussi s’agit-il d’envisager un mode de désignation sur liste par le biais de « Commissions Ad Hoc » composées notamment de membres de l’Assemblée nationale, ou bien après audition dans des conditions à définir ou une élection par les pairs. En outre la durée des fonctions doit être limitée dans le temps. Le décret présidentiel n’interviendra qu’à titre de « confirmation » de la désignation. Il pourra être laissé à une loi subsidiaire le soin d’en approfondir la matière.

Enfin, dans un cadre plus général et dans un souci de transparence, la Constitution devrait mettre fin de manière express aux nominations par « décret non publiable ».

Quelques propositions d’ajouts au corps de la Constitution

Le dispositif réservé à « la révision constitutionnelle » pourrait être enrichi par une disposition nouvelle qui stipulerait expressément qu’ « aucun acte de révision constitutionnelle ne peut être accompli en période d’état de siège ou d’état d’urgence ».

Par ailleurs, dans la continuité historique de la glorieuse révolution du peuple algérien en vue de s’affranchir du joug colonial et, à titre d’hommage aux martyrs, il serait indiqué de prévoir dans la Constitution une disposition nouvelle libellée comme suit: « L’Algérie est pour l’abolition de l’impérialisme, du colonialisme, du néocolonialisme et de toute autre forme d’agression, de domination et d’exploitation dans les relations entre les peuples, ainsi que le désarmement général, afin de créer un nouvel ordre international à même de garantir la paix, la sécurité et la justice dans les relations entre les peuples ».

Cette disposition telle que formulée relève d’une exigence historique. Elle trouverait bien sa place dans la partie de la Constitution réservée à la « politique étrangère ».

La Constitution du Portugal de 1976 a prévu une disposition dans la même veine ou presque. Le Portugal, pays colonisateur, à fortiori l’Algérie qui a connu un système de colonisation barbare et sauvage, unique dans les annales de l’histoire.

En outre, il serait opportun de prévoir dans la partie « instrumentale ou substantielle » de la future Constitution, la disposition suivante : « Le sigle FLN (Front de libération nationale) est un attribut de la Mémoire nationale. A ce titre, il ne peut être utilisé, en tant que tel, à des fins partisanes ».

Une future Constitution au-dessus de tout soupçon. Une République nouvelle exemplaire

La redéfinition de la nature et de la forme de l’Etat que porte le projet de révision constitutionnelle cristallise et focalise tous les espoirs et aspirations du peuple algérien en attente de lendemains meilleurs. C’est à ce défi que doit répondre la future Constitution. L’instauration d’un ordre démocratique, que la Constitution de 1989 et les suivantes se proposaient de réaliser n’a fait que trop illusion. La nouvelle Constitution devra être le prélude d’une ère nouvelle qui passe nécessairement par l’éradication totale des causes et facteurs à l’origine de la crise multidimensionnelle que traverse le pays. La restauration nationale dans son sens profond est à ce prix.

La profondeur et la gravité de la crise ne laissent aucune place aux artifices. La future Constitution devra sceller un nouveau pacte social à travers la mise en place d’un Etat rénové, conçu à travers de nouvelles logiques, au seul service du citoyen et de la République. Le peuple, la nation et l’Etat seront en convergence et non en superposition.

L’état d’esprit démocratique des dirigeants est un facteur essentiel de la réussite du projet démocratique. Les institutions politiques ne peuvent constituer à elles seules la démocratie. Elles en sont le cadre indispensable certes, mais la démocratie c’est aussi un état d’esprit. Il n’y a pas de démocratie sans gouvernants imbus de culture démocratique.

L’exigence d’exemplarité du corps politique de la nation est à la racine de l’Etat de droit. La moralisation de la vie politique et de la vie publique va de pair avec le crédit de l’Etat. Ces questions représentent des indicateurs sensibles dans l’opinion publique.

Pierre Mendès-France, président du Conseil sous la quatrième république française, a laissé cette déclaration à la postérité: « La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité; c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire; c’est un code moral ». Une profession de foi pleine de pédagogie et de raison que les dirigeants politiques ne devraient jamais perdre de vue.

Ce grand tournant historique, riche des enseignements du passé, que l’Algérie est sur le point de prendre, n’a pas le droit à l’échec. Le sens du destin national en dépend.

*Ex-Directeur Général de la Fonction Publique – Ecrivain. Docteur en Sciences juridiques

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