Production de la canne à sucre en Algérie : Les trésors cachés du palmier dattier

      Il est bien inquiétant de constater que si les oasiens ont su garder depuis bien longtemps, un oeil vigilant sur la règle ancestrale de l’économie et de l’ingénierie de l’eau, selon le procédé ingénieux d’irrigation par foggaras, il n’est pas dit que les écosystèmes fragiles dont ils tirent leur subsistance soient préservés.

Par Abdelkader KHELIL*

Il est même à craindre, que cette agriculture douce et durable, animée par l’esprit du travail utile et de la raison bien trempée depuis des millénaires, ne soit au regard du déclin observé, à l’origine de migrations de populations réduites à la mendicité, comme c’est le cas pour les sub-sahéliens. Attention! Il y a là forcément, injustice, pauvreté et péril en la demeure!
Mettre le holà au gaspillage inconsidéré de la ressource en eau de la nappe albienne pour garantir la permanence de la durabilité de l’agriculture oasienne qui associe le palmier dattier aux cultures vivrières, relève donc de la plus haute urgence, au regard de l’assèchement des foggaras. Mais aussi, des phénomènes de remontée des nappes, de la salinisation des sols et des rejets d’eaux usées dans des cuvettes fermées sans exutoires. Tel est le cas, à Oued Souf, à Oued Guir, dans la vallée du M’Zab, à Menia, dans le Touat-Gourara ou dans la Saoura. Ce patrimoine immatériel transmis de génération à génération et cette mémoire collective jalousement consignée dans des manuscrits, pour certains perdus par négligence de l’homme extraverti et pour d’autres, très mal conservés, risquent de disparaître à jamais. Il ne nous restera alors, que nos yeux abimés par les vents de sable, pour pleurer sur les bribes d’une civilisation agraire jadis bien ancrée dans la profondeur de notre territoire.
Mais si tel est ce risque attendu, c’est que les pouvoirs publics se sont inscrits durablement dans la culture de l’urgence, de «l’effet cosmétique» et du «trompe-l’oeil», juste pour assurer leurs carrières. Ils n’observent aucun arrêt sur les images pourtant désolantes, révélées par les atteintes aux équilibres naturels en fermant leurs yeux, pour ne point voir et faire de vagues. Alors que limogés ou mis à la retraite, ils laissent à chaque fois derrière eux, de lourds héritages à leurs successeurs nommés sur la base des mêmes critères. «Yakhoud erray»!«Il est docile», avaient-ils pour habitude de dire après avoir choisi, celles ou ceux loin d’être intègres, qui mettront en exécution leurs programmes, sans sourciller. Ce n’est là bien sûr, qu’une duperie que même le citoyen lambda qui manifeste bien des fois sa désapprobation arrive à déceler.

Maintien de l’agriculture oasienne
Dans leur fuite en avant, leurs remplaçants continueront comme si de rien n’était, à se la couler douce, tout en dégustant les instants de bonheur que prodigue une promotion bien souvent non méritée (à quelques rares exceptions près) et à se faire berner par des «cadres» formatés en commis aux ordres et sans aucune réactivité
vivifiante de cette «administration desséchante», parce qu’effrayés par leur mise en «quarantaine» s’il fallait qu’ils expriment leur libre opinion. Bien d’autres «chasseurs de primes» en sirènes joyeuses du «consulting», leur empruntent le pas en «béni-oui-oui» gracieusement rémunérés. C’est pour cela que le cauchemar des bouches cousues et des yeux fermés a bien fonctionné, jusqu’au jour où la conspiration nous a éclaté en pleine figure, ne laissant derrière elle que ruine écologique, désolation et prédation de deniers publics. Maudits soient ceux et celles qui nous ont mis dans pareille situation, non sans porter atteinte à notre dignité!
Eux, les pseudos commis de l’État régalien et «experts maison» missionnés, sans libre arbitre et aux ordres, ne cherchant qu’à flatter l’ego de leurs employeurs et de leurs protégés. D’autres, en gens zélés et plus haut placés, ne savent que véhiculer à partir de leurs tours d’ivoire et autres lieux de décision, sans laisser bien sûr de traces écrites et consignées pour l’Histoire, le mythe du: «Il n’y a qu’à faire au Sud… ceci et cela» comme si c’était là, un champ ouvert à toutes sortes d’expérimentations et de fantasmes à assouvir. Ce mot d’ordre claironné à l’unisson est repris en coeur par la caisse de résonance des élus censés être au service d’un peuple, pourtant non informé sur la nature des risques et des dangers. Ce petit monde de la combine, de la traîtrise, du «laisser-faire» et du «laisser-aller», a fait fi de tous les avis éclairés de spécialistes et d’universitaires aux voix étouffées. Alors! Juste une question! Pourquoi a-t-on formé par dizaines de milliers des agronomes, des hydrauliciens, des économistes, des sociologues, des anthropologues, des biologistes, des climatologues, des aménagistes, des architectes du patrimoine… s’ils ne sont jamais sollicités? C’est qu’ils cherchent à tout faire en catimini, dans le silence et le secret, loin de celles et ceux qui peuvent contrarier leurs visées!
Quand bien même notre sécurité alimentaire est à placer au premier degré de nos préoccupations nationales, faut-il pour autant céder aux rêves les plus fous, jamais validés par des études sérieuses de maturation, et aux chimères les plus farfelues, de carriéristes qui ont mis une croix sur leur conscience? Faut-il faire l’impasse en toute irresponsabilité sur l’évaluation scientifique de tout ce qui a été entrepris jusque-à comme expériences dans ces régions, afin d’éclairer objectivement les pouvoirs publics, en les laissant seuls face à leurs responsabilités sans chercher à les induire en erreur? Pourquoi veulent-ils tromper l’opinion publique au lieu de l’informer en toute âme et conscience des risques encourus? Ne nous a-t-on pas promis cette fois-ci de tourner le dos aux pratiques passéistes d’une gouvernance calamiteuse qui nous a précipités dans l’impasse, droit dans le mur? Ne nous a-t-on pas dit que rien ne sera plus comme avant et que l’Algérie, allait désormais changer?

Hommage aux oasiens
Dans ces espaces totalement inscrits dans l’hyperaridité, l’on ne peut qu’être fascinés par le travail remarquable accompli jusque- là par les oasiens, ces êtres admirables qui ont pu garantir pendant des siècles, la viabilité de l’écosystème fragile de leurs palmeraies et assurer de la sorte, la pérennité des établissements humains qui s’y adossent, à la faveur du microclimat qu’ils ont su créer. Ce miracle n’est certainement pas le fruit du hasard. Il est tout au contraire, le résultat d’une sédimentation d’efforts soutenus dans la continuité des générations, depuis l’époque pharaonique, dans cette lutte quotidienne que livre l’homme du désert pour sa survie, alors qu’exposé aux aléas d’un milieu des plus hostiles.
N’est-ce pas là, une expression bien singulière de l’esprit d’abnégation? C’est aussi cela, sans aucun doute, la meilleure traduction du «compter-sur-soi» à partir de la mutualisation des efforts par la pratique de la «Touisa» et non, sur les crédits des banques publiques sans qu’aucune garantie ne leur soit offerte, comme le faisaient les oligarques qui ont volé l’argent de leur peuple médusé et anticipé sur sa «famine». Ils ont contribué à la destruction d’écosystèmes sensibles un peu partout à travers le Sud comme à Gassi Touil, El Oued, dans le Touat, mais aussi, au niveau des zones steppiques à partir de la dégradation des parcours déjà fortement désertifiés et de l’arrachage de nappes alfatières à El Bayadh. Ils ont de la sorte, fini par «exporter» des tornades de sable vers les régions du Nord, eux qui nous promettaient par les voix appuyées de deux Premiers ministres, appelés aujourd’hui à rendre compte devant la justice, la «Californie prospère» et les «Haciendas» de l’autosuffisance alimentaire des cultures OGM (organismes génétiquement modifiés) pratiquées aux États-Unis et au Brésil.
Dans l’intervalle de leurs discours fumeux et vaniteux, les gens dignes de ces régions arides élevés dans le rite du travail de la «touiza», cette entraide communautaire totalement baignée dans la philosophie du partage, n’entrevoyaient leur existence, qu’à travers le suintement de la sueur de leur front, jusqu’à l’épuisement de leurs forces. Alors que les regardant travailler dans la pénibilité, «nos» gouvernants n’ont jamais su tirer de leurs visites-éclair, les leçons de la rupture de l’équilibre des écosystèmes (salinisation, remontée des eaux, rejets d’eaux usées et saumâtres dans des cuvettes fermées sans exutoires…). Mais qu’a-t-on fait à partir du «Fonds du Sud» qui était destiné à la réduction des disparités inter spatiales? Il y a là forcément, un bilan sérieux à faire! Quoi dire? Quoi faire, pour que ces responsables soient cette fois-ci, à l’écoute des voix autorisées?
S’ils voulaient se donner cette peine, ils apprendront ce qu’est la sobriété des gens du Sud, ces férus du labeur et maîtres de la convivialité autour de la symbolique du thé en trois services. Ils auront à leur apprendre ce qu’est la parcimonie dans l’usage de toute chose rare, comme c’est le cas pour la terre et l’eau, ces deux éléments essentiels de survie en milieu hostile. Leur patience légendaire et leur attachement au travail bien accompli, devraient être pour nous tous, une source d’inspiration et un référent, dans cette Algérie de l’État providence, «royaume du social» pour tous, qui tirait jusque-là ses largesses des gains de Sonatrach pour couvrir nos erreurs et couver notre paresse suggérée et sciemment entretenue, dans sa forme corruptible.

La prière et l’agriculture
À bien y réfléchir, il n’est pas exclu que ce sont ces «gros bras» oasiens du minimum vital, «d’el-quanâa» qui s’échinent au travail jusqu’au moment crépusculaire, auxquels aurait pu aisément penser Maître Jean de La Fontaine, sans que l’on puisse s’en étonner, en écrivant sa fable sur un riche laboureur. Nos oasiens, ces précurseurs de l’économie durable qui ne cherchent pas à se faire hara-kiri par consommation excessive de l’eau de l’albien, savaient déjà cela, bien avant la naissance de cet illustre conteur de la fin du XVIe siècle. Ils avaient compris bien avant lui que le labeur est la seule vraie source pérenne de richesses.
L’activité agricole, jadis considérée avec religiosité au même titre que la prière, ne s’effectue aujourd’hui dans les palmeraies déjà largement entamées par le dépérissement, qu’au rythme d’une main- d’oeuvre vieillissante, même si celle-ci n’a pas tout à fait abdiqué! Mais que l’on ne s’y trompe pas! Chez tout être humain, la patience a ses limites et dans cette région aussi, même si l’autorité morale des zaouïas est quasi permanente, pour atténuer quelque peu la colère de ses adeptes qui vivotent au rythme de leurs efforts, au demeurant fortement amoindris.
Cette gestion parcimonieuse des ressources, respectueuse des équilibres écologiques, a forgé le caractère de cette oasis qui a pu survivre aux vicissitudes du temps et des aléas d’un milieu hyperaride. Elle est aussi le siège d’une mutation profonde que symbolise la mise en valeur à caractère spéculatif, qui devra laisser place à la reconstitution et l’extension du système oasien qui retient le palmier dattier, comme élément pivot incontournable à la formation d’un microclimat propice à l’activité agricole et à l’émergence de nouveaux établissements humains, dans la perspective d’une structuration spatiale et d’un décongestionnement des grandes villes du Sud.


*Professeur, Chercheur au Centre Technique des Cultures Sucrières de l’ORMVA du Gharb


 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *