LIVRES / PARCOURS EXEMPLAIRES

        par Belkacem Ahcene-Djaballah

                                                               Livres

Au fil du temps et des événements. Mémoires. Ouvrage de Ahmed Mahiou. Editions Barzakh, Alger 2022 (et Editions Bouchene, Saint Denis /Paris 2022). 191 pages, 900 dinars

Il a eu, en tant qu’enseignant à la Faculté de Droit d’Alger et à l’Ena, plusieurs étudiants devenus ministres, puis Premiers ministres ou chefs de gouvernement (huit au total)… et même un chef d’Etat puisque le président actuel a été son élève. Une carrière nationale et internationale, d’enseignant, de chercheur, de conseiller, de formateur, de juge qui a duré 48 ans, qui a commencé à Alger en 1964 pour s’achever à Aix en Provence en 2012. Continuée par des activités de militance associative.

Attention ! Le lecteur n’y trouvera que peu de données sur ses rapports familiaux ou amicaux (que l’on devine nombreux et divers) qui ont jalonné l’itinéraire. Seuls quelques brefs éléments sont mentionnés dans les deux premiers chapitres. Quelques autres éléments apparaîtront également dans d’autres chapitres, mais juste dans la mesure où ils s’avèrent nécessaires pour la compréhension de ce qui est évoqué et écrit. Il y a, surtout, beaucoup de témoignages sur des faits et événements auxquels il a été mêlé, en les éclairant par la façon dont il les a vécus au moment de leur déroulement, pour approuver ou désapprouver. Voilà qui permet de contribuer à enrichir la connaissance d’épisodes de l’histoire interne et externe de l’Algérie, «pays, dit-il, auquel je reste profondément attaché ; quelles que soient les diverses contingences du moment».

Pour ma part, en plus du fait que j’ai appris énormément de choses sur le fonctionnement interne d’institutions nationales et internationales, j’ai lu et relu avec grand intérêt, en épilogue, un chapitre consacré… à «la croyance religieuse», nous expliquant son approche du problème, «lié, selon lui, à l’existence de trois mystères». Ahmed Mahiou, le juriste, philosophe aussi ?

L’Auteur : Né le 1er décembre 1936 (en même temps que l’horoscope de presse et ses prédictions, signe par signe !) en Grande Kabylie au sein d’une famille originaire de Takla nath Yahia (non loin de Ain El Hammam). Père instituteur. Ecole primaire à Takerbouzt, Taka, Saharidj… Lycée de Ben Aknoun (où il a été, en classe de 5ème, «tuteur» -exemple- de Guy Bedos)… Ancien doyen de la Faculté de Droit d’Alger (1970-1975), ancien directeur de l’Institut d’études et de recherches sur le monde arabe et musulman (Iremam/Aix en Provence)de 1992 à 1996, ancien président de la Commission pour le Droit international, et ancien juge ad hoc à la Cour internationale de Justice.

Table des matières : Introduction/ Chapitre 1 : Une enfance et une adolescence/ Chapitre 2 : Le départ d’Algérie et l’arrivée à Albi puis Toulouse/ Chapitre 3 : Les allers et retours d’Alger/Chapitre 4 : Le processus de réforme de l’enseignement supérieur et le droit/Chapitre 5 : L’arabisation de l’enseignement/ Chapitre 6 : La participation aux activités internationales/ Chapitre 7 : Les activités contentieuses internationales/ Chapitre 8 : L’attrait puis l’intérêt pour le Maghreb/Chapitre 9 : Retour en France : de la Bourgogne à la Provence/ Chapitre 10 : L a quasi-retraite provençale/ Epilogue/ Brève notice biographique/ Publication et autres travaux/Table des matières.

Extraits : «Les enseignants présents (note : la Faculté de Droit au début de l’indépendance) relevaient d’environ une vingtaine de nationalités provenant des pays occidentaux (avec une très forte proportion de Français), des pays de l’Est, de pays arabes (avec prédominance égyptienne) et des pays africains, notamment maghrébins («une assemblée générale des Nations unies») (p 51), «Il serait absurde de contester l’arabisation de l’enseignement en Algérie et, de manière générale, en Afrique du Nord (… ). Ce qui est problématique, c’est lorsque l’on perd de vue le vrai problème pour transformer un projet éducatif, délicat et complexe, en une stratégie de conquête du pouvoir dans l’Etat et la société «(p73), «Sur le plan des infrastructures et s’agissant du monde universitaire, on a cédé à deux tendances opposées : la loi de l’urgence ou celle du prestige» (p76).

Avis : Mémoires ? Autobiographie ? Essais et réflexions ? Un peu de tout, de tout un peu… et parfois, de véritables cours… et, concernant la construction de l’Université algérienne, beaucoup de détails -importants- trop vite oubliés. L’itinéraire très riche et plus qu’instructif d’un homme connu et apprécié pour son expérience, sa compétence, sa pédagogie et son humilité. Il a laissé son nom inscrit dans la mémoire de l’Université algérienne, tout particulièrement celle des années 60 où il a commencé à enseigner en 1964… jusqu’en 1990.

Citations : «Un système juridique nouveau ne relève pas de la génération spontanée. On peut innover et inventer des règles, mais en se fixant des objectifs réalistes et un calendrier approprié. Faute de quoi, on s’expose à de sérieuses déconvenues ou à l’échec si l’on veut tout chambouler dans un laps de temps limité» (p62), «L’Algérie forme depuis longtemps et continue de former chaque année des armadas de juristes de moins en moins compétents, dont le nombre s’accroît sans cesse du fait d’un grand laxisme dans l’attribution des notes et d’une démographie galopante qui ne préoccupe personne (p63), «Lorsqu’un problème est d’une grande importance, il vaut mieux le mettre à plat dans une atmosphère assez sereine et avec le moins possible de polémiques idéologiques et politiques, si l’on veut vraiment avancer vers des solutions appropriées» (p67)

Souvenirs et impressions d’une vie heureuse malgré les peines (Tome I : Le combat pour la liberté). Essai et mémoires de Tahar Gaid. Editions Dar Samar, Alger 2016, 700 dinars, 313 pages (Fiche de lecture déjà publiée en mars 2019. Pour rappel).

Il a attendu ses quatre vingt ans avant de commencer à «égrener» («impressions à l’appui», prévient-il) ses souvenirs, pas tous ; uniquement – pour l’instant – ceux liés à son «combat pour la liberté», s’étendant depuis le jour de sa naissance, en Kabylie.

Mais, digne fils du clan des Oumeziane (on y retrouve les Gaid, les Boulemkahal et les Farhi), descendant d’un grand-père saint homme, issu d’un «coin» perdu, presque abandonné, relié au monde seulement par un sentier caillouteux et poussiéreux, sa prise de conscience politique puis son engagement (situant la malfaisance colonialiste) avait commencé très tôt. Il est vrai que les Béni Ya’la «étaient riches en hommes aussi cultivés que pieux».

A l’âge de vingt-deux jours, une nouvelle vie commence… à «Belcourt» (al-‘Aqiba)… L’école «française» avec son racisme latent… l’école coranique… mais aussi et surtout l’école de la rue… et le football. D’abord, l’adolescence à Bordj Bou Arréridj… Déjà, la lecture de «l’Egalité», le journal des Aml, le collège (avec pour voisin le fils de Messali Hadj, Ali), l’incorporation, en douceur, à une cellule du Ppa (quinze ans à peine !) et un choc à la vue de deux hommes, des Algériens, fusillés en pleine place publique par un commandant de la place. Pour l’exemple, disait-il. Leur seul crime était d’avoir été généreux et hospitaliers envers deux parachutistes allemands tombés du ciel au milieu de leur village.

Ensuite, la Médersa (à Constantine) durant six années et le militantisme (Ppa/Mtld) qui permit la rencontre et des amitiés durables avec d’autres futures personnalités de la guerre de Libération nationale : Hihi Mekki, T. Khène et L. Khène, Ihaddadène, Filali, Nououiat, Amara Rachid, Benikous Ahmed, Benmahmoud, Sahnoun, Abdellaoui, Benzine, Bouguerra, le futur colonel, Drareni, Skander, Belaid, Bitat… et, toujours, le foot… et un premier séjour en Europe… (Roumanie, Pologne)

Puis, c’est la guerre de libération nationale alors qu’il enseignait (à Palikao)… et l’organisation des premières cellules de soutien à la lutte armée.

Ensuite, enseignant à Chlef puis à Alger, les choses s’accélèrent avec une activité politique intense, la collecte d’argent et des armes. Des contacts multiples : avec Abane Ramdane, Rebbah, Moufdi Zakariyya, Mandouze, Chaulet, Benkhedda, Aissat Idir, Fettal… Il y a en même temps, une activité syndicale (pour la création de l’Ugta) et extra-syndicale .Enfin, c’est l’arrestation (24 mai 1956, juste avant de rejoindre le maquis, départ alors programmé pour le 28), les interrogatoires, la torture… et un long séjour– jusqu’au 30 mars 1962- dans les camps dits d’hébergement. Le reste est une toute autre histoire (un tome II ?)

L’Auteur : Tahar Gaïd (frère de Mouloud et de Malika) est né le 22 octobre 1929 à Timengache, Beni Yala (Wilaya de Sétif). (Note : Décédé 10 juillet 2019). Après des études aux médersas de Constantine et d’Alger, il exerce la fonction d’enseignant à Tighenif, près de Mascara, puis à Alger. Militant, au départ, du Ppa/Mtld, enseignant à Tighenif, il participe à la lutte pour la libération nationale. Arrêté en mai 1956, il est détenu pendant six années consécutives dans les prisons et les camps d’internements en Algérie. Dès 1963, il opte pour la carrière diplomatique en qualité d’ambassadeur dans plusieurs pays africains. A partir de 1980, il se consacre dès lors aux aspects théoriques et pratiques de l’Islam en publiant plusieurs ouvrages (Opu, Editions Bouchène…)

Extraits : «La colonisation considérait l’Algérie comme le prolongement de la France. C’était sur le papier car les Algériens n’étaient ni français, ni administrés comme les Français» (p 27), «Le pays des Imâzighân n’est ni l’Orient, ni l’Occident. Il est les deux à la fois. C’est-à-dire qu’il prend le convenant et refoule l’inconvenant» (p 29), «Le premier novembre n’est pas «tombé» du ciel. Ainsi, comme dans tous les mouvements de pensée de la même espèce, il existe des pionniers dont l’histoire ne retient pas les noms. C’est comme dans une course de relais où les coureurs se passent le flambeau l’un à l‘autre mais les spectateurs ne braquent les yeux que sur celui qui, le dernier, franchit la ligne arrivée…» (p 37), «A la veille de l’indépendance, l’Algérie comptait plus de 10.000 internés dans 11 camps d’hébergement autant dans les centres de triage et de transit et quelque 3.000 dans les centres contrôlés par l’armée. A ces internés, il convenait d’ajouter ceux, plus nombreux, qui se trouvaient dans les différentes prisons d’Algérie et de France» (p 249)

Avis : Le titre du livre est, peut-être, un peu trop long, mais le contenu est un délice (écrit avec clarté, car voulu dans la simplicité et la sincérité). On commence, on ne s’arrête plus… sauf quand le commentaire politique et religieux d’actualité prend (trop) le dessus sur le souvenir. Il y a, aussi, des histoires de «Djinns» (pp 73-74). Je regrette seulement de ne l’avoir lu que maintenant.

Citations : «Certes, il existe des gens qui tournent le dos à leurs origines, les renient même. Mais quoi qu’ils fassent, un petit rien leur rappelle le point de départ de leurs existences» (p 15), «Il semble que l’impatience est ancrée dans les gènes de l’Algérien. Chacun se croit plus pressé que les autres et cherche à se faire livrer le plus rapidement possible» (p 6), «L’identité d’un peuple change avec le temps mais je ne pense pas qu’elle se transforme entièrement. C’est comme un être humain. Celui-ci naît, vieillit, des plis s’impriment sur son visage et son corps… mais sa date et son lieu de naissance ne varient à aucun moment» (p 130), «Le Fln était entré dans l’arène de l’histoire politique de l’Algérie indépendante avec un caractère à la fois sacré et profane, religieux et laïc, novateur et conservateur. C’était donc un bouillon où s’entremêlaient plusieurs légumes aussi différents que variés les uns des autres qui pouvait donner ensuite le meilleur comme le pire (p 310)


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