L’affaire Pegasus révèle «une guerre géostratégique de leadership» entre le Maroc et l’Algérie

© CC BY-SA 4.0 / Sandervalya

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La justice algérienne a ouvert une enquête sur les informations d’un consortium d’ONG et de médias faisant état d’un espionnage opéré par le Maroc à l’aide d’un logiciel israélien. Dans un contexte tendu entre les deux pays, l’affaire évoque «une guerre qui ne dit pas son nom», selon une opposante algérienne dont le numéro a été espionné.

Alger est finalement sorti de sa réserve dans le scandale Pegasus, du nom du logiciel d’espionnage développé par la firme israélienne NSO. L’enquête menée par un consortium conduit par les ONG Amnesty International et Forbidden Stories en collaboration avec 17 médias dans 10 pays avait révélé une vaste opération d’espionnage du Maroc ciblant plus de 6.000 numéros de téléphone algériens. Dirigeants politiques, officiers supérieurs, diplomates, journalistes, militants, chefs de partis… les services de renseignement marocains, dirigés par Abdelatif Hammouchi, semblent avoir utilisé Pegasus pour surveiller une grande partie de l’élite algérienne. Jeudi 22 juillet, le parquet général d’Alger a annoncé «l’ouverture d’une enquête préliminaire».

«Suite aux informations divulguées à travers des organes de presse nationaux et internationaux, ainsi que des rapports émanant de certaines chancelleries, faisant état de l’existence d’un système d’intelligence informatique d’écoute et d’espionnage ayant visé les intérêts de l’Algérie, mais aussi des citoyens et des personnalités algériennes, et en application des dispositions de l’article 11 du Code de procédure pénale, le Parquet général près la Cour d’Alger informe l’opinion publique que le procureur de la République près le tribunal de Sidi M’hamed a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire sur les faits en question», précise un communiqué du procureur général de la Cour d’Alger.

Profonde préoccupation

Le parquet a précisé que cette enquête sera confiée «aux services de police judiciaire spécialisés en matière de répression des infractions liées à la cybercriminalité et aux technologies de l’information». L’Algérie dispose de plusieurs équipes spécialisées en la matière, relevant de la police, de la gendarmerie ainsi que de l’armée.

 

La seconde réaction algérienne est venue du ministère des Affaires étrangères qui, le même jour, a exprimé «sa profonde préoccupation suite aux révélations émanant d’un consortium de nombreux organes de presse de grande renommée professionnelle et faisant état de l’utilisation à large échelle par les autorités de certains pays, et tout particulièrement par le Royaume du Maroc, d’un logiciel d’espionnage dénommé « Pegasus » contre des responsables et citoyens algériens, ainsi que des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme à travers le monde». Le département des Affaires étrangères, dont le ministre Ramtane Lamamra a été cité comme ayant été ciblé par les services marocains, a indiqué que «l’Algérie se réserve le droit de mettre en œuvre sa stratégie de riposte».

«Étant directement concernée par ces attaques, l’Algérie se réserve le droit de mettre en œuvre sa stratégie de riposte, et se tient prête à participer à tout effort international destiné à établir collectivement les faits et à faire la lumière sur la matérialité et l’ampleur de ces crimes qui menacent la paix et la sécurité internationales, ainsi que la sécurité humaine. Toute impunité constituerait un précédent extrêmement dommageable à la conduite de relations amicales et de coopération entre les États conformément au droit international», indique le ministère des Affaires étrangères.

 

Un système antiaérien Pantsir-S1 lors d'un exercice (archive photo)
© SPUTNIK . SERVICE DE PRESSE DE LA RÉGION MILITAIRE RUSSE DE L’OUEST

Ce scandale se déroule dans le contexte d’une grave crise entre les deux pays. Dimanche 18 juillet, soit le jour de la publication de l’enquête internationale, Alger avait rappelé son ambassadeur à Rabat pour consultation suite à la distribution par Omar Hilale, le représentant du Maroc aux Nations unies, d’une note appuyant le «vaillant peuple kabyle […] à jouir pleinement de son droit à l’autodétermination». L’acte de l’ambassadeur marocain avait provoqué la colère du gouvernement algérien. L’affaire Pegasus est donc venue exacerber les tensions entre les deux voisins.

«Pays frère et voisin»

Parmi les numéros des personnalités algériennes figurant sur le listing obtenu par les ONG et les médias partenaires dans le projet Pegasus, se trouvent les coordonnées de Me Zoubida Assoul, avocate et présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), un parti d’opposition. Contactée par Sputnik, elle a affirmé être dans l’attente d’éléments plus précis afin d’étudier la question d’un dépôt de plainte contre les autorités marocaines.

«En ma qualité de citoyenne et de chef d’un parti d’opposition ciblée par cette opération, je me réserve le droit de saisir la justice car c’est une atteinte aux droits fondamentaux protégés par les conventions internationales et notre constitution. L’affaire est très grave car 12% de l’ensemble des 50.000 numéros concernés par cette enquête internationale sont algériens, soit plus de 6.000 numéros de téléphone ciblés. C’est énorme. Ce logiciel espion a été utilisé contre nous par un pays frère et voisin. Pourquoi les Marocains nous ont écoutés et pourquoi maintenant? Il y a une guerre qui ne dit pas son nom avec le Maroc, mais c’est une guerre de leadership et de géostratégie », s’inquiète Me Zoubida Assoul.

La chef de l’Union pour le changement et le progrès souligne que sa formation a rendu public un communiqué de presse dans lequel elle a appelé le Président Abdelmadjid Tebboune à convoquer le Haut Conseil de sécurité (HCS).

Plainte contre RSF

Me Assoul estime que cette affaire peut être une opportunité pour les autorités, la classe politique et la société algérienne d’engager un «débat interne en matière de sécurité nationale».

«Quels sont les moyens de notre pays pour protéger la sécurité nationale dans sa globalité? Avons-nous développé des capacités algériennes pour assurer cette mission? Ma personne importe peu, ce qui m’inquiète en tant que citoyenne algérienne c’est la sécurité et le devenir de mon pays. Ce qui est important, c’est de savoir quels sont les moyens déployés par l’armée algérienne pour contrer de telles opérations. De nos jours, plus aucun État n’envahit un autre pays avec des chars et des avions, puisque ce sont les armes économiques et technologiques qui sont utilisées», insiste-t-elle.

À noter qu’Abdelaziz Rahabi, diplomate, ancien ministre et personnalité de l’opposition dont le nom figure sur le listing Pegasus, s’est félicité de l’ouverture de l’enquête judiciaire par le parquet d’Alger pour faire la lumière sur cette affaire d’espionnage.

L’affaire Pegasus a provoqué un rebondissement inattendu suite à la publication d’un communiqué de presse de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) dans lequel elle dénonce l’utilisation de ce logiciel espion développé par la firme israélienne NSO Group. Intitulé Pegasus: «un outil répugnant et sordide, prisé par les prédateurs de la liberté de la presse», la première version du texte publiée le 19 juillet citait l’Algérie comme pays utilisateur de cette solution d’intrusion informatique. Sortie plutôt étrange puisque ce pays ne figure pas dans la liste des 11 États concernés par l’enquête du consortium projet Pegasus.

Le communiqué sera finalement corrigé le 23 juillet. Mais cette rectification n’a pas empêché l’ambassade d’Algérie à Paris de déposer plainte contre RSF pour diffamation.


       Le roi a vendu le Maroc

Avec l’affaire «Pegasus», Mohammed VI prouve une nouvelle fois sa totale soumission à Israël. Une situation qui accélère la fin, programmée, de la monarchie au Maroc. Explications…

Dans l’antre du diable. Cette semaine est dominée par le logiciel espion israélien utilisé par la monarchie marocaine contre plusieurs «cibles» françaises y compris le président de la République française, Emmanuel Macron. Cette affaire a retentissement mondial place le Maroc au coeur d’un scandale d’une ampleur voulue et calculée par l’Etat hébreu.

Commençons par la nature de ce logiciel israélien. Il a pour nom «Pegasus». Il a été mis au point par l’Etat d’Israël pour espionner le plus grand nombre des personnalités de haut rang à travers le monde. Ce logiciel est conçu pour s’incruster discrètement dans tous les types de téléphones mobiles y compris l’Iphone réputé inviolable. Un véritable logiciel espion qui écoute les appels, lit les messages et voit les photos et vidéos des smartphones qu’il infecte. Israël qui est à l’origine de cette création a pensé, comme d’habitude, au moyen de confier son utilisation à des sous-traitants. Elle l’a vendu à certains Etats désireux d’espionner leurs oppositions dont le Maroc.

Or chacun le sait, un logiciel reste toujours connecté à son constructeur. De plus, le choix des personnalités à cibler lui est facilité par les Etats à qui il «vend» le logiciel. Par exemple, pour espionner le président français, Emmanuel Macron, c’est le roi du Maroc qui se charge de l’opération, mais Israël ne perd pas une «miette» des informations soutirées par son logiciel du téléphone mobile présidentiel. D’ailleurs, même le scandale en cours a démarré par une «fuite» organisée ayant pour but de «creuser» un peu plus la chute des «sous-traitants» tout en faisant la promotion du «génie» israélien.

Pour mieux s’en convaincre, il suffit de lire la liste des pays étrangers ciblés par le logiciel installé par le Maroc. Que ce dernier tire un intérêt en espionnant les personnalités marocaines qui s’opposent au roi, cela s’entend sans être accepté. Mais que Mohammed VI élargisse l’utilisation de ce logiciel jusqu’en France pour espionner des journalistes, des ministres et jusqu’au président de la République française, cela relève d’une prétention digne de la «grenouille» de la fable.

En réalité, les informations ainsi soutirées parviennent également au constructeur qui ne peut pas ne pas avoir prévu le contrôle à distance de son logiciel. Quand on sait que l’Union européenne, avec à sa tête la France et l’Allemagne, ne s’est jamais départie de sa solution à deux Etats dans le conflit israélo-palestinien, quand on se souvient de la colère de Macron lors de sa visite à Jérusalem en janvier 2020, tout comme Jacques Chirac en 2012, quand on a à l’esprit que la campagne électorale est déjà lancée en France pour l’élection présidentielle en avril prochain, on comprend mieux l’intérêt pour Israël d’espionner la classe politique française.

Sans avoir l’air d’y toucher en envoyant au casse-pipe la monarchie marocaine totalement sous emprise. Ce n’est certainement pas en espionnant Plenel, le patron de Médiapart qui soutient la révolte du Rif, que cela changera la donne. L’intérêt israélien est plus fort que celui du monarque marocain. D’ailleurs, ce dernier a commis des erreurs monumentales que son père Hassan II avait su éviter pour préserver la monarchie. L’histoire témoigne de la valse-hésitation, un pas en avant, deux en arrière, qui a caractérisé les relations de Hassan II avec Israël. Il y a l’épisode de l’assassinat de Mehdi Ben Barka suivie des écoutes par le Mossad de la conférence des pays arabes au Maroc. Ensuite, il y a eu la série des tentatives d’attentats contre le roi qui s’était arrêtée avec la reprise de la coopération royale avec l’Etat hébreu.

Mis à part la destruction du bagne de Tazmamart, Hassan II a su garder une certaine liberté de manoeuvre et de souveraineté vis-à-vis de Tel-Aviv. Son fils, Mohammed VI qui a hérité d’une allégeance supportable au régime sioniste bien qu’elle se manifestait jusqu’au coeur du Palais royal, a aggravé sa dépendance. Non seulement, il a trahi la cause sacrée d’El Qods dont il se prétendait le «gardien» mais, plus encore, il n’a pas hésité à «insulter l’avenir» par son agression contre le peuple algérien en s’en prenant à son unité. Désormais, plus rien ne sera comme avant avec la monarchie marocaine, aux yeux des Algériens. Ils continueront cependant à distinguer le trône, du peuple marocain. Un trône qui, lui-même est la cible d’Israël qui porte dans ses gènes son aversion des monarchies sans exception. Il ne supporte pas le verrou du pouvoir par succession.

Depuis la «normalisation», la monarchie marocaine voit son pouvoir s’éroder. Il en sera ainsi jusqu’au coup fatidique. L’Elysée ne compte pas laisser passer cet espionnage qu’il qualifie «d’inacceptable». Le parquet de Paris a ouvert une enquête. Une dernière pour «la route»: Israël n’a jamais reconnu la «marocanité» du Sahara occidental. C’était l’engagement de Trump avant de l’emporter dans ses bagages. Ce qui en dit long !

Zouhir MEBARKI


 

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