Rapport Stora : Lettre au président Emmanuel Macron

J’ai découvert l’Algérie en juin 1961, cela fera bientôt 60 ans. En effet, je venais d’être affecté à la Villa Susini à Alger, comme militaire, appelé du contingent (sursitaire).

C’est là que je découvre ce qu’est encore la réalité du colonialisme, ce hiatus entre les populations pieds-noirs et les autochtones, ces arabo-musulmans qu’on appelait alors généralement bougnoules, ratons, crouilles, bicots… qu’il était «naturel» de tutoyer, non parce que c’étaient des amis, mais parce que l’usage voulait que ce soit ainsi avec cet aspect méprisant, supérieur, que l’on s’adresse à eux, comme on peut le faire pour son chien de compagnie à qui l’on adresse des ordres».

«Je suis resté 9 mois dans cette villa, jusqu’au 13 mars 1962, ce seul centre de torture qui fonctionna comme tel, pendant toute la Guerre de Libération de l’Algérie (les autres centres d’Alger, nombreux, n’ont fonctionné que quelques mois ou quelques années)»… «Ma mission prioritaire était de gérer le fichier des personnes arrêtées, de rédiger des rapports sur les ‘‘interrogatoires’’, et de jouer le chauffeur de l’officier responsable du centre.

A l’époque, il s’agissait de fiches cartonnées (l’informatique n’existait pas encore) et je peux affirmer qu’il s’agissait de milliers de personnes : ces fiches étaient rangées dans des tiroirs étalés sur tout un mur de la grande salle du rez-de-chaussée (plus de 10m de long, 1,70m de haut).

Mais ce fichier d’archives ne pourra jamais être consulté parce que j’ai appris qu’il avait été détruit, brûlé dans le jardin de la Villa dès le 20 mars 1962».

«Pendant cette période, j’ai assisté à des ratonnades (dans mon livre témoignage La Villa Susini, je fais état de l’une d’elles, survenue quelques jours après mon arrivée à Alger). J’ai eu la chance d’échapper à 3 attentats dont 1 du FLN (un pistolet sur la tempe qui s’est heureusement enrayé) et 2 de l’OAS (une arrestation par un commando, dans la période de couvre-feu, alors que j’étais au volant d’une voiture de l’armée, puis un jet de grenades dans un bar alors que nous prenions l’apéritif)»

«Avec, en plus, la présence, la complicité de fait, à ces scènes de torture, de viol, vous comprendrez, Monsieur le Président, que nos mémoires, sur cette période, entre celle de Benjamin Stora et la mienne, soient fort différentes, non conciliables, la juxtaposition de traumatismes».

… «Je considère que ce rapport minimise complètement l’ampleur des crimes commis tant pendant la période coloniale que pendant la Guerre de Libération de l’Algérie».

«Ce rapport évoque, certes, la violence lors de la conquête de l’Algérie, et durant les années du XIXe siècle, mais semble beaucoup minimiser les enfumades, les répressions, les exécutions sommaires qui se sont poursuivies, féroces, à chaque contestation des effets de la barbarie du colonialisme.

Il n’est pas évoqué cette discrimination terrible des 2 collèges où les voix des ‘‘indigènes’’ comptaient dix fois moins que celle des pieds-noirs et des convertis au catholicisme.

Certes, dans les grandes villes (Oran, Alger, Constantine…) les indigènes pouvaient moins difficilement avoir accès à l’enseignement public, mais dans les campagnes, à quelques exceptions près, seuls les pieds-noirs pouvaient aller à l’école».

…. «Certains crimes sont évoqués comme de simples exactions. Parmi les crimes oubliés, les plus criants sont : les viols, les crevettes Bigeard, les exécutions sommaires (correspondant aux nombreux disparus évoqués), l’utilisation du gaz Vx et Sarin, les villages rasés au napalm (entre 600 et 800 !!!), les camps d’internement, pudiquement appelés camps de regroupement (Le rapport Rocard, réalisé avant la fin de la Guerre, qui minimise cet aspect, évalue cependant aux alentours de 200 000 morts)»

…«Le crime de Charonne est totalement occulté. Les saisies, censures de journaux, revues ne sont pas évoquées, pas plus que les répressions des manifestations (presque toutes interdites) réclamant la paix en Algérie, souvent brutalement réprimées. Le rôle de l’OAS est notoirement sous-estimé.

Dans les archives de l’armée que j’ai pu consulter concernant la période et sur une toute petite partie d’Alger, là où sévissait le régiment dont je dépendais, j’ai décompté une moyenne de 7 attentats par jour, dont la moitié du fait de l’OAS».

«Par rapport aux préconisations, elles me semblent très insuffisantes».

… «Quant à la Commission, telle qu’elle est proposée, elle pourrait très rapidement s’avérer une couverture pour enterrer la question. Si elle n’est composée que de quelques personnalités, sans l’apport de représentants d’associations directement impliquées sur ces questions, elle risque fort de ne pas pouvoir obtenir un grand écho.

Les objectifs ainsi évoqués ne devraient pas se limiter aux questions de commémoration. A ce sujet, la commémoration du crime d’Etat (oublié) du 8 février 1962 au Métro Charonne, semble fondamentale. Par contre, je ne suis pas certain que la commémoration du 25 septembre pour les harkis soit une bonne chose.

Il me semble, personnellement, en effet, que c’est également une discrimination à leur encontre : considérer que ces soldats n’ont pas les mêmes droits que les autres, et ne soient pas honorés avec tous les autres le 19 mars, semble les considérer comme des sous-soldats (les sous-citoyens/indigènes de la période coloniale). Ils ont déjà été victimes du colonialisme, souvent enrôlés de force, et sont de nouveau, de fait, discriminés».

«Cette commission aurait aussi pour but de pouvoir ‘‘recueillir la parole des témoins frappés douloureusement’’. De nombreux témoignages ont déjà été publiés, cités, mais de nombreux sont restés enfouis dans les mémoires de traumatisés, et un certain nombre de ces témoins maintenant disparus ne seront jamais connus. Il serait donc indispensable d’y associer TOUTES les associations d’anciens combattants (sans oublier donc l’ARAC, comme cela fut fait pour ce rapport) regroupant des éléments impliqués dans ce conflit».

… «Par rapport aux archives, il est scandaleux, malgré les engagements que vous aviez pris lors de votre déplacement chez Josette Audin (en septembre 2018) de favoriser leur accès, que des décrets très récents, restreignent considérablement, de fait, leur consultation.»

«Mais la reconnaissance et la condamnation des crimes contre l’humanité, crimes d’Etat, crimes de guerre comme la torture, les viols, les crevettes Bigeard, les exécutions sommaires, l’utilisation du gaz Vx et Sarin, les villages rasés au napalm, les camps d’internement (pudiquement appelés camps de regroupement), les essais nucléaires du Sahara, le massacre de centaines d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961, la répression criminelle au métro Charonne du 8 février 1962 … commis au nom de la France, et la désignation des responsabilités doivent être très claires».

«Il ne doit pas s’agir de repentance, de demande de pardon, mais de reconnaître l’ampleur, l’importance qu’ils ont revêtue. Nombreux de ces crimes sont aussi graves, odieux, que ceux commis par les SS pendant la Seconde guerre mondiale, et ils doivent être traités de la même façon.

Sans ce geste fort (pas seulement la reconnaissance de l’assassinat sous la torture de Maurice Audin par l’armée), il ne sera pas possible de faire le deuil de ces abominables crimes, d’autant plus pour un pays comme la France qui tente de se présenter comme la patrie des Droits de l’homme».

… «Mais, un geste très fort, des plus logiques, compte tenu des liens très nombreux entre familles éclatées entre les deux rives de la Méditerranée, serait de supprimer les visas entre les deux pays, que la circulation y soit libre entre tous les citoyens algériens et français. Ce serait très certainement la meilleure façon d’améliorer les rapports franco-algériens, une manière très humaine.

Alors, Monsieur le Président, vous qui avez reconnu chez votre prédécesseur (Jacques Chirac auquel le président Macron avait rendu hommage le 26 septembre 2019, en déclarant : «Une France qui regarde son Histoire en face et dont il sut reconnaître, lors du discours du Vel d’Hiv, les responsabilités dans les heures les plus sombres…

Une France qui assume son rôle historique de conscience universelle», ndlr) son rôle important pour que la «France assume son rôle historique de conscience universelle» ne croyez-vous pas urgent de traduire dans les faits vos engagements de candidat ?»


     Rapport sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie

                             L’ONM tire à boulets rouges sur Stora

«L’élaboration du rapport laisse supposer que Stora a trahi ses idées…», a déclaré le SG par intérim de l’ONM.

Benjamin Stora spécialiste attesté de l’Algérie, de son histoire, du Mouvement national et de la Guerre de Libération nationale, dont les positions anti-colonialistes sont incontestables, a-t-il changé sa chemise.? Le secrétaire général de l’Organisation nationale des moudjahidine le suppose.
Le contexte d’élaboration du rapport laisse supposer que Stora a trahi ses idées et qu’on «lui a imposé le texte» pour des raisons purement politiques, affirme Mohand Ouamar Benelhadj dans une vidéo diffusée sur la chaîne YouTube de l’organisation.

L’historien français, natif de Constantine, désigné par le président Emmanuel Macron pour élaborer un rapport sur «la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie», en vue de favoriser «la réconciliation entre les peuples français et algérien», est la cible de critiques acerbes depuis que le document a été rendu public. Un concert de voix auquelles le SG de l’ONM joint la sienne.

Le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la Guerre de libération a «occulté» les crimes coloniaux et tenté de résumer le dossier de la Mémoire dans le cadre d’une célébration symbolique pour tourner la page de la reconnaissance et du pardon, a indiqué Mohand Ouamar Benelhadj. Stora qui a évoqué dans des écrits précédents le côté obscur de l’histoire coloniale de la France «a omis d’aborder dans son rapport les différents crimes coloniaux perpétrés par l’Etat français, de l’aveu des français eux-mêmes», a-t-il ajouté. Gilles Manceron, historien français de renom, dont les positions contre le colonialisme, la torture ne souffrent d’aucune ambiguïté ne partage pas cet avis.

Le rapport de Benjamin Stora a le mérite d’aborder non seulement le décalage dans la perception de la colonisation dans les deux pays, mais aussi les traces des mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie dans la France d’aujourd’hui, qui polluent longtemps après 1962 les problèmes de la société française, a t-il déclaré dans une interview au quotidien national El Watan soulignant que «Stora récuse, comme la presque totalité des historiens, le concept de «repentance», qui est une arme brandie comme un épouvantail par ceux qui ne veulent pas d’une «reconnaissance et d’un travail de vérité».

Le SG de l’ONM persiste et signe: Benjamin Stora a tenté de faire fi de cette histoire douloureuse entachée «d’enfumades, de massacres et d’épidémies ayant décimé des millions d’Algériens», soutient le successeur de Saïd Abadou accusant l’historien français d’avoir réduit tous les meurtres dans «l’assassinat de Ali Boumendjel en appelant à une célébration commune de cet événement pour clore le dossier Mémoire». Qu’en pense l’intéressé?
La reconnaissance par la France de l’assassinat de l’avocat nationaliste algérien Ali Boumendjel serait un geste fort, qui permettrait d’incarner les événements, comme lorsque Emmanuel Macron a admis la responsabilité de la France dans la mort du militant pro-FLN Maurice Audin, souligne Benjamin Stora qui précise que la décision de présenter des excuses formelles de la France à l’Algérie est du domaine du «politique». Ce que l’Elysée a exclu lors de la remise du rapport.

La volonté politique côté français «d’écarter toute possibilité d’excuses de la part de la France officielle pour ses crimes coloniaux est de nature à torpiller les tentatives de réconciliation avec la mémoire», estime Mohand Ouamar Benelhadj. La paix des mémoires n’est certainement pas pour demain.

Mohamed TOUATI

      Rapport Stora : Une insulte scatologique au peuple algérien…

    Par Mahdi Chérif, ancien moudjahid
Le rapport de M. Stora a été finalement remis au président de la République française, qui en avait fait la demande. L’objectif qui lui avait été fixé était de donner aux autorités françaises une vision de ce qui pourrait être un dialogue entre l’Algérie et la France en vue «d’apaiser les mémoires encore meurtries» aujourd’hui, malgré la fin de la colonisation depuis maintenant près de soixante ans, et peut-être tracer des perspectives pour des relations équilibrées et saines, dans le respect mutuel et la coopération favorable aux deux parties.
Le rapport devait donc jeter un regard objectif et serein sur la colonisation en Algérie pour y rechercher les points d’achoppement qui seraient, en définitive, objet du dialogue escompté et proposer les moyens de les dépasser pour construire, enfin, des relations en conformité avec les règles, us et coutumes internationales régissant les rapports entre Etats souverains. Malheureusement, les conclusions du rapport sont bien en deçà des objectifs fixés et des attentes et espoirs nourris  de voir les relations algéro-françaises entrer dans la phase normale, loin des complexes construits de toutes pièces dans l’esprit des gouvernants et des gouvernés dans les deux pays et surtout en France où, pour de larges franges du peuple français, l’indépendance de l’Algérie n’est pas encore admise ni même tolérée. Bien au contraire, ce rapport est malheureusement dans ce sens puisque l’essentiel de la relation historique Algérie-France n’est pas abordé ni même effleuré. Le regard demandé à M. Stora devait s’attacher à revisiter la colonisation dans sa globalité et de projeter, en définitive, des voies pour un dialogue fructueux.

En effet, la seule plaie qui fait mal à M. Stora et avec lui cette frange négationniste, c’est cette guerre de Libération nationale menée par l’Algérie pour sa libération du joug colonial et que les tenants de l’Algérie française considèrent comme une catastrophe, car  pour une fois la France était vaincue au sens propre du terme ; et par qui ? Par le peuple algérien qui n’a jamais admis sa situation de sous-homme ou de bien moins que rien ! Le rapport se focalise sur cet épisode qui n’est pourtant pas le seul, mais il le présente comme l’arbre qui cache la forêt, la forêt qui a pour noms, génocides, spoliations, dénaturations d’une personnalité nationale bien assise dans le temps et dans l’espace.

Revisiter l’Histoire aurait permis un large balayage pour comprendre les mentalités des uns et des autres et surtout les apports des Algériens à l’histoire de France. Si M. Stora s’était donné la peine de regarder l’Histoire comme un historien, c’est-à-dire sans passion excessive, il aurait entrevu ne serait-ce qu’un instant, non pas seulement la bravoure des Algériens qu’il ne loue d’ailleurs pas, mais surtout leur haut sens de l’honneur, leur sens de l’humanité car ce n’est certainement pas une clause de style mais une affirmation d’un très haut niveau d’honneur et d’humanité que cette phrase insérée dans l’appel du 1er  Novembre 1954, qui dit textuellement… «En dernier lieu, afin d’éviter les fausses interprétations et les faux fuyants pour prouver notre désir de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous avançons une plateforme honorable de discussions aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent une fois pour toutes aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-mêmes.» Une telle annonce ne peut venir que de la part d’un peuple ô combien honorable ! Ô combien respectueux de la vie et de la personne humaine !

Dans cette déclaration, le peuple algérien avait tu ses ressentiments, oublié ses douleurs, oublié sa décadence provoquée pour appeler le peuple français au dialogue ! Qui de toutes les luttes nationales a tenu un si beau discours au geôlier, au tortionnaire, à l’assassin, à l’usurpateur, au spoliateur qu’a été le colonialisme en Algérie particulièrement? S’il s’était donné la peine de se rappeler l’appel lancé aux Français d’Algérie et aux Israélites d’Algérie en 1956, il aurait compris que l’histoire du peuple algérien est une, et qu’il convient de la prendre dans sa globalité afin de situer les actes des uns et des autres et comprendre, en définitive, que la victime dans tout cela a été le peuple algérien et rien que le peuple algérien.

S’il s’était donné la peine de relever un pan du rideau de l’Histoire, il aurait vu ce qu’a fait la colonisation en Algérie, il aurait également vu la sauvagerie qui a été développée en Algérie en signe de reconnaissance des positions tellement honorables de l’Algérie vis-à-vis de la France avant 1830. Il omet les relations privilégiées de l’Algérie avec les rois de France et particulièrement l’alliance algéro-française avec Henri IV, l’alliance avec François I, la libération de Nice, l’exemption quasi totale des redevances maritimes consenties à la France, le comptoir d’El Kala que la France a transformé en bastion (qu’elle a appelé Bastion de France) contrairement à l’accord conclu pour ce comptoir.

Durant la colonisation, les Algériens sont enrôlés de gré ou de force pour guerroyer avec les troupes françaises sur tous les champs de bataille dans le monde pendant que les généraux français s’adonnaient à leur sport favori  : les massacres, les génocides (des tribus entières ont été décimées), les enfumades, les spoliations des biens immeubles et culturels et pour finir un code de l’indigénat plus dur que le Code noir. Les généraux Clausel, de Bourmont, Cavaignac, Pélissier, le duc de Rovigo, Lamoricière, le général Négrier, Youssouf, le maréchal de Saint-Arnaud ont surpassé en sauvagerie les Bigeard, Massu, Aussaresses, et autres.
Le peuple algérien n’oublie pas, car la mémoire, contrairement à l’Histoire, emmagasine et transmet de génération en génération.  Un Algérien d’aujourd’hui ressent ce qu’a ressenti son coreligionnaire du temps de Barberousse ou de Bugeaud, comme il ressent encore les traces de ce qui a été pendant la guerre de Libération nationale. L’Histoire est une science basée sur des méthodes et utilisant des sources fiables comme les documents d’archives. Même cela nous a été ravi ! Mais qu’on se détrompe : même si nos archives sont en France, la mémoire nous est restée. Chaque pouce de cette terre si chère nous raconte ce qu’il a vu et enduré !

Nul ne peut  oublier que l’Algérie s’est portée au secours de la France bien des fois, au moment où elle était encerclée et menacée d’être engloutie par une Europe liguée contre elle. Nul ne peut oublier que le peuple français mourait de faim et l’Algérie lui fit don de sommes d’argent conséquentes et vendu du blé (qui n’a jamais été payé d’ailleurs) et en récompense, il fallait détruire l’Algérie. Faisant fi de tout cela, ce rapport n’est autre chose qu’une insulte à l’Algérie en ce sens, qu’au lieu de prôner le dialogue tel que voulu par les deux chefs d’Etat cherchant un apaisement, il fait table rase du passé et oublie l’Histoire.
Bien au contraire, il préconise, au lieu du dialogue, des mesures bien en deçà de ce que peut attendre le peuple algérien : une plaque commémorative par-ci, une autre par-là, la reconnaissance d’un crime (un seul), l’ouverture de négociations sur la récupération d’un canon ! Et les autres faits marquants, sont-ils jetés aux oubliettes ? La mémoire ne peut être apaisée par des actions aussi minimes, j’allais dire aussi mesquines.  C’est à croire que le peuple algérien est encore au stade de l’enfance et se contenterait d’une friandise pour arrêter de pleurer. Non !

La mémoire ne peut être apaisée, non plus, par des déclarations irresponsables aux moyens d’informations, déclarations qui, certainement, ne reflètent pas officiellement la positon des autorités françaises qui ne se sont exprimées que sur un seul point, «ni excuses ni repentance», ce qui, en soi, veut tout dire. Ces déclarations à des médias français et même algériens sont destinées, à n’en pas douter, à affranchir leur auteur auprès de milieux dont il est issu et qu’il cherche à contenter.

Mais dans l’attente d’explications d’officiels français, il est permis d’entrevoir des possibilités de dialogue. Car le dialogue est nécessaire pour apurer tous les passifs. Par ses déclarations, M. Stora semble vouloir agir dans la lignée de la mentalité coloniale dont il s’est en fait rarement départi. Spécialiste de l’histoire de l’Algérie, il n’en connaît qu’un seul aspect, celui que soutiennent les tenants de la colonisation et de l’Algérie française et qui oublient les souffrances du peuple algérien dont il se dit (M. Stora) partie intégrante puisqu’il clame tout haut qu’il est algérien à part entière. Notre héroïne Gisèle Halimi, qui sera peut-être honorée par les autorités françaises, n’a pas caché ses positions en disant : «Je suis française mais d’origine tunisienne mais aujourd’hui je ne sais pas si je suis plus algérienne que tunisienne.»   Gisèle Halimi a compris parce qu’elle s’est penchée sur la douleur algérienne, elle a senti et défendu ces Algériens au prix de sacrifices qu’elle a consentis. Voilà un héritage commun, héritage partagé par les innombrables Français, hommes d’honneur et de courage qui se sont élevés à travers toute la colonisation et pas seulement durant la guerre de Libération contre toutes les exactions commises et apportant pour cela une aide ô combien précieuse à la lutte du peuple algérien. L’Algérie n’a jamais été ingrate, elle a toujours honoré ceux qui l’ont honorée ; et c’est en souvenir de ces hommes et femmes qui ont participé à notre lutte que l’Algérie tend la joue droite après avoir reçu ce qu’elle a reçu sur sa joue gauche. L’Algérie aborde les problèmes de mémoire de façon très sérieuse, sans aucune haine, sans aucune amertume, mais elle ne renie pas son passé. Elle l’assume, bon ou mauvais. Elle l’assume dans la dignité.

En conclusion, je ne trouve pas de mots percutants, pour dénoncer tous les crimes, massacres collectifs, spoliations, déportations, enfumades, des dizaines de milliers de villages du monde rural ont été rasés et les habitants décimés. A mon avis, et de l’avis de tous les Algériens, c’est la sauvagerie et la barbarie par excellence opérées par une armée républicaine, bien que certains historiens aient fait de notre chère Algérie un fonds de commerce très lucratif. Je dirai, en toute sincérité, que si les Algériens ont peut-être pardonné, ils n’ont pas oublié.
La France officielle doit impérativement indemniser toutes les victimes, d’autant plus qu’une loi a été votée récemment par le Parlement français dans ce sens.
M. C.


Abderrahmane Hadj Nacer : «Le document remis à Macron n’est d’aucun intérêt pour les Algériens»

Le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la Guerre de libération répond, selon l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer, à une commande politique liée à la prochaine échéance présidentielle en France. Pour cet économiste, le rapport Stora n’est donc d’aucun intérêt pour les Algériens.

Dans un entretien au site TSA, l’auteur de La Martingale algérienne livre ses arguments : il estime que le contexte actuel en France diffère de celui de 2016-2017, qui coïncidait alors avec la préparation des élections.

A cette époque-là, il s’agissait, selon Hadj Nacer, de convaincre l’électorat musulman que le candidat Macron était prêt à aller loin, d’où l’évocation de «crimes contre l’humanité». Aujourd’hui, la donne a changé, puisqu’il est question de la course à l’extrême droite, étant donné la droitisation des opinions publiques européennes et occidentales en général.

De l’avis de l’ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, nous sommes dans «un cas de figure où il faut se débarrasser des complexes liés à la colonisation. Cela évidemment conforte l’attitude de déni historique, de la responsabilité de ce qui s’est passé en Algérie». Il est important, dit-il, de préciser que dans cette séquence comme dans cette affaire, «nous ne sommes pas concernés et c’est pour cela que surréagir au rapport Stora pose problème».

Pour Hadj Nacer, si l’Algérie devait véritablement faire ce travail de mémoire, elle devrait le faire en tant qu’entité autonome.

Or, dit-il, «nous avons un problème, nous avons gagné la guerre en 1958 déjà, mais nous avons perdu la paix au Congrès de Tripoli, dès le moment où l’ordre néocolonial a prévalu». «Donc, tant que l’Algérie est dans cet ordre, il est très difficile d’interroger l’histoire d’un point de vue différent de celui du dominé», indique-t-il.

«Cela est d’autant plus difficile, déplore-t-il, que la France, dite pays de droits, a interdit l’accès aux archives, malgré la loi.» Selon l’économiste, les Français pourraient être surpris d’apprendre la vérité sur la Main rouge, l’OAS, les exactions du 5 Juillet à Oran, l’Opération valise ou cercueil ou encore le sort funeste programmé des harkis.

A propos des archives, il précise que ces dernières «nous concernent nous, non seulement parce qu’elles traitent de 1830 à aujourd’hui, mais les Français ont aussi pris les archives de la période ottomane, de la Régence d’Alger et celles des différentes zaouïas, dont certaines remontent au Xe siècle»«Donc, que doit-on réclamer à la France ? La restitution du Trésor ? On serait loin de l’évaluation de Pierre Péan, cinq à six milliards d’euros, mais d’infiniment plus ! Si l’on devrait chiffrer le nombre d’Algériens qui manquent, il s’agirait de 35 millions. Et si on applique le chiffre le plus bas relatif aux indemnisations concernant la Shoah, soit 5000 dollars par individu disparu, je vous laisse calculer. Je ne parle même pas de ce qui apparaîtrait comme une broutille, la dette du blé pour nourrir les troupes napoléoniennes. Comment évaluer ce trauma ?» s’est interrogé Hadj Nacer.

A la question de savoir pourquoi ce rapport est d’aucun intérêt pour les Algériens, M. Hadj Nacer réplique : «Il ne faut pas en vouloir à Benjamin Stora, qui fut un historien honnête et qui a fait ce qu’on lui a demandé de faire, car il ne faut pas l’oublier, aujourd’hui, il est plus fonctionnaire qu’historien, et là, il n’est pas dans la recherche, mais dans la réponse à une question politique et électoraliste.» «Je dirais que ce sont des propositions sans intérêt historique, mais qui visent, au niveau du droit, à éteindre une revendication. Quand vous voulez étouffer une affaire, vous la jugez. C’est le principe du fait jugé. Ce qui se passe aujourd’hui avec le rapport Stora, c’est ce qui s’est passé antérieurement avec des tentatives à l’époque de Jacques Chirac ou de François Hollande, c’est-à-dire en parler pour ne pas en parler», explique-t-il.


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