LIVRES / RETOMBEES SANGLANTES

    par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                             Livres

R. I. Au nom du père, du fils et du saint d’esprit. Roman de Hakim Laâlam. Editions Frantz Fanon, Boumerdès 2022, 270 pages, 1.000 dinars

Une histoire poignante ? Pas seulement. Effrayante !

L’histoire d’un pays tombé dans les rets d’un pouvoir religieux à l’extrémisme féroce et sans pitié. Une République islamique gérant bien plus les mœurs et les camps de détention que le développement économique, culturel et social. Le cultuel avant tout et en tout et pour tous. Avec une répression féroce et sans pitié pour les contrevenants à l’Ordre nouveau…

C’est ainsi que Sadek, un veuf qui, aux yeux des esprits chagrins, a trop bien aimé son épouse et qui de plus ne se rend jamais à la mosquée et refuse toutes les propositions de remariage avancées par l’imam du quartier, « Elément déviant », un ED, va vite se retrouver « expédié » dans un camp de détention au sud profond du pays, pour son « redressement moral et spirituel ». Séparé aussi de son jeune fils, Yahia, encore étudiant. Sa vie était décortiquée seconde après seconde par les OV (Officier de vigilance) les OE, et les OI (Officiers infiltrés) agents de l’Ordre instauré, car même les poubelles étaient fouillées pour décrypter la pensée et les mœurs.

Deux années et beaucoup de poussières et de détention à la dure. Détenu dans le Bordj 888, « des frères Kouachi »…, ce qui démontrait le nombre de camps existants (les Gcer, les Grands Camps d’Education et de Rééducation disséminés dans le Sahara).

Du camp, on ne sortait pas indemne psychologiquement et physiquement. « Le Camp, ce n’était pas seulement les corvées. On y apprenait aussi à vivre. A revivre selon les canons de l’ON, l’Ordre nouveau » et se débarrasser des errements coupables dans l’Autre Temps, le Temps des Sacrilèges. « La vie au Camp se résumait à une tâche unique et titanesque. Ne pas craquer. Se couler dans un moule atroce, dans un carcan étouffant parce que contraire à soi, à ses idées, mais dont il fallait malgré tout se draper pour terminer son temps. La peine. Celle qui vous estampillerait peut-être, au bout, « bon sujet pour le Califat ». Et, même libéré, ce qui était un bien grand mot, on était suivi, surveillé encore et en permanence, et interrogé sur sa vie et celle de ses proches.

La solution ? Pour lui et son fils désormais adulte, lui aussi surveillé. Partir… El harga !

L’Auteur : Journaliste né en 1962. Après un passage à la radio publique « Chaîne III », il est devenu journaliste chroniqueur dans le quotidien « Le Soir d’Algérie ». Ecrivain, déjà auteur de plusieurs ouvrages : « Le nez et la perte », « Enseignes en folie », « Pousse avec eux » et « Rue sombre au 144 bis »

Extraits : « La prison étendait ses murailles invisibles bien au-delà des dunes. Une prison à ciel ouvert, sans caméras de surveillance, sans alarmes, sans gyrophares, sans herses cachées, sans douves coupe-fuites, sans chiens. Juste avec le soleil et le froid en cerbères implacables alternant leur terrible vacation, leur ronde impitoyable, leur cycle interminable » (p 35), « Rire sans se brider les décibels. Rire sans tendre l’oreille aux réactions possibles du voisinage. Rire au vertige et à la nique aux oreilles épieuses. Rire pour ne pas devoir se pincer afin de vérifier que l’on était encore en vie. Juste rire, et puis, après, voir » (p 61), « Au Camp (note: camp de détention), la règle était immuable, on parlait peu. Moins on parlait, mieux on se portait » (p 105), « Deux ans et des poussières de vie recluse dans ce Bordj (note: camp de détention) tenaient dans ce sac à dos. Il se rendit compte que les seules choses qu’on accumule dans un lieu pareil, on les stocke dans sa tête, pas dans un cabas » (p 150)

Avis : Un livre bien noir… mais se basant sur une expérience sanglante (la décennie rouge) et un danger encore possible. Celui du radicalisme religieux (islamiste) qui continue de ravager bien des esprits… et bien des pays. Quant au style, du Hakim Laâlam comme vous l’aimez. Une marque d’écriture et d’expression déposée !

Citations : « Il est des silences qui devaient éveiller la méfiance. Même en zone de silence naturel » (p 125), « Alger n’avait jamais été blanche. Complètement et franchement blanche; ou alors, il y a longtemps » (p 217), « La Main de l’étranger ! (…..) Les dictatures et les régimes autoritaires s’abreuvent au même glossaire et se nourrissent dans l’identique mangeoire à arguments ! » (p 254).

L’HOMME–CARREFOUR ET AUTRES HISTOIRES D’UN PAYS IMPOSSIBLE. Nouvelles de Hakim Laâlam. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2019, 198 pages, 600 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)

En neuf nouvelles, l’auteur, fin observateur de la société dont il est très proche (chroniqueur de talent, d’abord à la radio puis au « Soir d’Algérie ») a fait le tour de la question ô combien cruciale de l’ « homo-algerianus », qu’il soit simple citoyen, cadre ou dirigeant. Bien sûr, comme tout journaliste du réel voulant capter l’attention du lecteur (normalement une qualité « obsessionnelle » chez tout journaliste qui se respecte… et qui respecte son outil de travail et le public…, ce qui n’est pas généralement le cas chez beaucoup de ses confrères, hélas), il le fait avec son style désormais bien connu (il n’a qu’à voir les titres de ses ouvrages), chargé d’humour mais assez caustique sans être méchant. On sent même qu’il est malheureux, quelque part, de constater des situations déplorables. Sans s’avouer vaincu… car cela fait si longtemps qu’il mène le combat contre l’ignorance, l’intolérance et la bêtise humaine. Il l’a même payé assez cher, pour cela, en étant « limogé » de la radio où il y excellait.

Donc, neuf nouvelles graves, humoristiques, presque toujours lucides, donnant une forme et un contenu au « drame » algérien… un drame devenu, au fil du temps, inintelligible à force de contradictions et rendant presque impossible la compréhension de la « Dezedizie » (comprendre l’Algérie). Il est vrai que cela ne date pas d’aujourd’hui : il n’a jamais existé dans le monde de bon « algérionologue ».

Neuf nouvelles donc, faisant le portrait de simples gens, de maîtres des lieux et la description, en toile de fond, d’atmosphère d’une désolation entraînant la Algériens dans le gouffre du non-sens.

Le sommaire : Le marabout/L’homme-carrefour /L’amour aveugle/Le porte-bonheur/La ceinture/Le Prix/La dictature du moins (note : comprendre -) et les Maîtres obscurs de la Soustraction/L’immeuble des inutilités/Le crypto-tendinite ou complot rhumatoïde.

Des titres empruntant bien plus à la presse, correspondant assez bien au style du journaliste-chroniqueur mais, en fait, correspondant surtout à des contenus assez graves correspondant très bien au style et à l’engagement du nouvel écrivain. Bienvenue dans le monde de la (new) littérature algérienne de langue française ! Traducteurs, à vos méninges.

L’Auteur : Voir plus haut

Extraits : « Les gens oubliés aux carrefours de la ville pouvaient tout simplement être rappelés… tous les errants et les épaves des carrefours pouvaient tomber en dénuement total, voire friser la clochardise, mais il y avait une chose, un objet dont ils ne pouvaient se séparer, encore moins ne pas en être dotés : le téléphone mobile ! Un outil utile. Incontournable. Vital même. (p 31), « Le carrefour n’est qu’un carrefour. Un moment de vie. Sinon à quoi bon ? Ce qui m’aide à tenir, ce qui me pousse à attendre ainsi, c’est le signal. Il finira par venir. Alors oui ! Je suis heureux, parce que j’ai un objectif, je poursuis un but » (p 41), « Les femmes peuvent avoir des jambes. Les autres femmes avaient le droit d’avoir des jambes. Et juste des jambes.

Affaf avait les jambes » (pp 59-60), « Lui était véhiculé. Il avait une voiture. Il était passé de l’autre côté du trottoir. Du bon côté, celui des gagnants, des conquérants, de ceux qui avaient le pouvoir d’accélérer le cours de leur vie, de dépasser les limites, de s’aventurer plus loin que cet îlot… » (p 83), « Ils dressaient de lui le portrait d’un sage. Le Roi des sages. Le sage suprême que les autres sages, les sages subalternes, les sages intermédiaires, les sages stagiaires venaient voir pour boire ses paroles sensées et s’abreuver de ses conseils clairvoyants et en propager les bienfaits apaisants dans leurs pays, et partout dans le monde » (p 119).

Avis : Pour de bonnes nouvelles, ce sont de bonnes nouvelles ! Il y en a même qui flirtent (plus que ça !) avec le grand art de l’écriture et de la pensée. A vous de les découvrir. Il faut seulement tout lire. Mais attention ! Plaisir de rire ou de sourire mais risque de pleurer en découvrant le ridicule de situations tuantes.

Citations : « Tous les papas ont été à un moment donné de leur vie de plage des architectes émérites » (p 47), « Aimer, c’est protéger l’autre dans la détresse » (p 52), « Il n’est jamais bon de provoquer des remous dans les couloirs traditionnellement feutrés des bâtisses royales » (p 165) , « Tout le monde, de ce monde-là qui se taisait, était content et soudé autour du consensus construit par Chafik 1er et ses 22 sages. Une soudure établie sur un système qui n’était pas sorcier, compliqué et difficile à décortiquer. Non ! Il reposait tout entier sur la gratification, elle-même assise confortablement sur la sacro-sainte règle du silence » (p 169).


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *