LIVRES / REVOLUTIONS !?

       par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                                                  Livres

Révolution du 22 Février. Du miracle au mirage. Une impasse algérienne. Recueil d’articles et de contributions de Said Sadi. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 302 pages, 1.000 dinars

Dans le premier tome, édité en 2019, le titre était bien plus court et bien plus optimiste, puisqu’il parlait seulement de «Miracle algérien». Seulement ! En trois années les choses ne s’étant pas passé comme il le fallait, le sous-titre de l’ouvrage, «augmenté», est assez pessimiste : «Du miracle au mirage». C’est tout dit.

Les articles de l’auteur – des contributions «écrites au jour le jour et dans le feu de l’action – reflètent, en fait, fidèlement, à plusieurs interrogations récurrentes : Pourquoi en Algérie plus qu’ailleurs, il ne suffit pas de provoquer une puissante mobilisation en faveur de la rupture pour qu’elle soit entendue et assumée par celles et ceux qui disent comprendre les colères qui les sous-tendent ? Pourquoi les appels à une convention nationale pour définir les mécanismes et les retombées des multiples «révolutions» (dont celle de février 2019) se sont se retrouvées «condamnées» ? A cause de… l’aliénation des élites ? Peut-on aussi se suffire de la Diaspora, se retrouvant – «du fait de la violence étatique et sociale – l’essentiel de la ressource humaine algérienne assumant (le pouvait-elle ?) «le rôle de traducteur institutionnel d’une insurrection citoyenne inédite» ? En Algérie même, un «groupe déterminé», assumant la substance politique de l’Ald (Charte pour l’Algérie libre et démocratique) appelait à une convention nationale pour définir les mécanismes, les méthodes et les délais d’une transition. Tout cela face aux «manœuvres du pouvoir qui jouait la montre».

Beaucoup d’interrogations, n’ayant reçu (ne pouvant recevoir), pour l’auteur, de réponses convaincantes car il fallait d’abord que la pensée critique explore les labyrinthes d’une histoire chaotique. L’invitation à l’exercice – suite à la lecture des articles et réflexions- est lancée. Un exercice objectivement peu facile mais pas impossible.

Beaucoup (trop ?) de sujets sont abordés, rapidement ou longuement mais toujours instructifs. D’abord sur l’évolution politique du pays présentée par un homme devenu politicien grâce à sa lutte et sa défense des Droits de l’Homme… et surtout, me semble-t-il, à une très forte conviction «soummamienne». Jusqu’à l’obsession.

Un recueil où tout y passe. Le Hirak, la Révolution, Abane Ramdane, Boumediene, le Congrès de la Soummam, Rachad, la laïcité, la répression, la Constitution, Matoub Lounès, la Badissiya-Novembriya, l’islamo- populisme, l’Algérie et ses archaïsmes, le Maroc, le Maghreb, le Corona, la Palestine, la tragédie libanaise, les agressions… Un «testament» ?

Table des matières : Avant-propos/ Avertissement/ Chroniques (45)

L’Auteur : né le 26 août 1947 à Aghribs, médecin psychiatre… Militant, nationale 89, le Rcd, parti social-démocrate laïc qu’il présidera jusqu’en mars 2012. Il a été par deux fois député (Apn) d’Alger et, aussi, candidat à l’élection présidentielle. Auteur de plusieurs ouvrages (dont «Mémoires. La guerre comme berceau, 1947-1967» et «La fierté comme viatique, 1967-1987» aux Editions Frantz Fanon)

Extraits : «Si le séisme de février 2019 n’a pas emporté le système politique algérien, il a provoqué en son sein des schismes inédits dont les répliques et les turbulences risquent de rythmer un long et fatal chant du cygne» (p 14), «L’Algérie officielle est une mixture de léninisme sans marxisme, de fondamentalisme sans le clergé connu chez les Chiites et de jacobonisme sans la culture républicaine» (p35), «Sauf à s’assumer comme théocratie, un Etat démocratique n’a pas de religion. Il a des institutions, des normes et des règles qui permettent au citoyen d’être l’arbitre permanent de son destin avec des droits et des devoirs, c’est-à-dire des bénéfices et des obligations civiques» (p134), «Le problème avec les hommes aveuglés par la haine et qui ont perdu contact avec le réel, c’est qu’ils finissent par croire que la réalité n’est pas ce qu’elle est mais ce qu’ils ont décidé qu’elle devienne. Ils mentent mais ils n’en ont pas conscience» (p172)

Avis : Un recueil qui permet d’avoir une idée sur le déroulé de l’Histoire récente. Met les points sur i, bien que cela ne va pas plaire à tout le temps à tous les lecteurs (car trop de jugements de valeur… ce qui est signe d’un engagement politique, certes orienté et précipité, mais clair, décidé et franc). Sens aiguisé des formules-chocs ! Ah, il me semble qu’il insiste un peu trop sur la «singularité kabyle» et qu’il idéalise le rôle possible des élites algérienne et marocaine

Citations : «Les cinquante-sept ans de congélation politique du Fln ont formaté et inhibé les esprits : l’esclave a peur de la liberté» (p 15), «Quand la dimension symbolique de l’Histoire vient stimuler les luttes, elle joue toujours un rôle de catalyseur. Dans ces moments privilégiés, les ferveurs populaires se transforment alors en dynamiques libératrices» (p 27), «Les révolutions qui marquent l’histoire sont celles qui élaborent les bonnes doctrines, prennent les bonnes décisions, adoptent les bonnes méthodes, le tout se transmettant dans l’histoire par des actes symboliques» (32), «Une nation se grandit toujours quand elle assume et honore les séquences les plus fécondes de son histoire» (p53), «Un peuple qui récupère sa mémoire sort rarement de l’histoire» (p 61), «L’histoire enseigne qu’il est souvent plus simple de venir à bout d’un ennemi que de vaincre ses propres démons» (p81) , «Sous une casquette, un turban, une kippa ou avec une croix, un dictateur reste un dictateur» (p94), «L’histoire a vérifié sous tous les cieux une équation intangible : appétits carriéristes + courte vue = hypothèque de la démocratie» (p109), «Un peuple meurt ou régresse quand il ne tire aucune leçon du passé (p117), «Il n’y a d’impasse que celle dont on ne veut pas sortir» (p177), «Qu’elle soit active ou passive la complicité est toujours plus condamnable que la démission» (p209), «Le combat pacifique ne vise pas à contraindre mais à convaincre» (p 275)

Le projet Algérie. Brève histoire politique d’un pays en chantier. Essai (politique) de Ahmed Cheniki. Editions Frantz Fanon, Alger 2018, 800 dinars, 290 pages (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits).

De quoi il retourne ? Tout en sachant que l’auteur part du principe que «toute analyse d’une pratique culturelle et politique est travaillée par l’Histoire et les différentes ruptures caractérisant le discours colonial»… et, de ce fait, ce n’est pas sans raison que les dirigeants algériens d’après 1962 (avec ceux d’aujourd’hui, en tant que «dignes» héritiers) ne réussissent pas, malgré leurs efforts, à rompre radicalement avec les formes de structuration coloniale, empruntant le mode de fonctionnement jacobin… et l’Etat est, donc, saisi dans sa fonction répressive, autoritaire, dirigé par des équipes s’autoproclamant uniques sauveurs du pays et n’admettant aucune parole différente… Donc, d’abord, «les pratiques politiques» et Dieu sait s’il y a, en notre bas monde, de bien «tordues» (l’ouvrage a été édité, hélas, juste avant le désormais fameux «cadenassage» de la porte d’entrée de l’Apn et l’«éviction» de son président). Tout y passe : l’Etat (qui fonctionne comme une entité double traversée par les contours du discours dominant européen et les résidus de la culture autochtone), les mythes, la fabulation, les zaouïate, les réseaux, le président, le Fln, l’armée, le pouvoir, les partis, le civil, le syndicat (et ses combats douteux)… Ajoutez-y les usages sociaux : les mots volubiles du discours politique algérien, les «émeutes», «les journées obscures» d’octobre 88, la corruption (et «ses ruelles ordinaires»), l’Histoire, les mémoires (souvent prétextes à des règlements de compte politiques et au déterrement d’inimitiés anciennes ) et les traficotages…

Ensuite, la presse passée à la moulinette de l’observation critique de quelqu’un qui l’a pratiquée (et continue de la pratiquer à travers des contributions) de l’intérieur : le secteur public, le service public, les jeux d’allégeance, les journalistes des années 70, octobre 88 (et «l’ouverture» de la presse écrite), le travail des journalistes, les relations avec le pouvoir politique, l’écriture journalistique et les ambigüités éditoriales…

Enfin, l’universitaire qu’il est ne manque pas de se pencher sur l’institution scolaire et universitaire… Pour lui, le diagnostic est sans appel: Une Ecole en déshérence et une université baignant dans une grande illusion !

Conclusion : «Dans le contexte actuel de corruption et de mauvaise gestion, l’entreprise est délicate, difficile, les périls futurs sont grands, les tensions et les crises continueront à secouer la société algérienne encore prisonnière du schéma colonial d’organisation et d’une privatisation de l’Etat».

L’Auteur : né à Collo (W. de Skikda), ancien journaliste s’occupant des questions culturelles («Algérie Actualités», entre autres),chercheur, actuellement, et depuis longtemps, professeur à l’Université de Annaba et professeur invité dans plusieurs universités étrangères, arabes et européennes. Auteur de plusieurs ouvrages pour la plupart sur le théâtre dont il est un des plus grands spécialistes algériens.Il a été un des rédacteurs du «Dictionnaire encyclopédique du théâtre» et de l’ «Encyclopédie des Créatrices du Monde».

Extraits : «Dans le cas des pays colonisés comme l’Algérie, le droit ne constitue nullement un élément primordial, privilégiant les relations personnelles et les logiques de domination ponctuées par la puissance des gouvernants obtenue en dehors des urnes. Le droit n’est valable que pour arbitrer les petits conflits des gens du «peuple» entre eux ou pour abattre un adversaire politique» (p 13) «Contrairement à ce qui a été souvent soutenu, le taux d’intellectuels et d’anciens militaires ayant rejoint la lutte armée est proportionnellement beaucoup plus important que les recrues provenant du monde rural qui vont affluer, à partir de 1957. Le même constat est à faire pour ce qui est des populations ayant opté pour la France :le nombre de paysans est, de loin, plus important que celui des citadins, des intellectuels et des militaires déserteurs» (pp 19-20), «Les acteurs de la guerre de libération qui rédigent leurs mémoires pensent faire œuvre d’historien, alors que leur travail n’est qu’un assemblage de fragments de vie, se caractérisant par une forte empreinte d’égocentrisme et une grande subjectivité» (p 156), «Moins de 10% d’Algériens avaient fréquenté le système scolaire avant l’indépendance de l’Algérie. L’idée selon laquelle le France avait fondamentalement déculturé les Algériens est un non-sens, ne résistant pas à une fine analyse des réalités» (p 234),

Avis : Un «essai» réussi. Assez (trop ?) sévère, il est vrai. Il est vrai que «trop, c’est trop» ! Politiciens en herbe (ceux en activité étant, pour la plupart, irrécupérables) ou à l’écart, enseignants, étudiants… un régal. Attention à votre tension ! Des vérités dures à avaler tant les réalités sont amères. À lire et à faire lire absolument…

Citations : «Jusqu’à présent, tout pouvoir est perçu comme un espace de contrainte et de répression» ( p 20), «C’est un système où la parole l’emporte sur l’écrit et où l’informel constitue le lieu nodal du fonctionnement politique» (p 21), «Le président est à la fois espace d’allégeance «traditionnelle» et lieu de pratiques «modernes». Le cheikh et le président se mettent en concurrence. Le cheikh arrive, par endroits, à se substituer au président» (p 45), «L’Algérie a toujours fonctionné avec deux structures : l’une formelle, celle des structures de l’Etat et l’autre, informelle, celle de la société concrète, c’est-à-dire une construction de résidus de tribus, de clans et d’intérêts» (p 53), «Le cousin est le lieu central de la république» (p 54), «Le président fonctionne dans le discours de ses thuriféraires au niveau de l’axe du désir. Le seul «manque» qu’il lui faut combler, c’est être divin. L’Etat acquiert un caractère religieux et mythique. Nous avons affaire à cette équation : Etat=force divine=président» (p117), «Liberté (d’information) rime avec responsabilité.

Responsabilité devant les faits à publier et devant le lecteur» (p 209), «Le journalisme est l’espace privilégié du manque et de la frustration. C’est aussi le lieu de l’humilité» (p 209), «Si dans les années soixante-dix et quatre-vingts, malgré toutes les contraintes, il existait à l’université des voix intellectuelles écoutées, aujourd’hui, nous avons affaire à des reproducteurs du savoir» (p 274), «L’image de nous-mêmes est façonnée ailleurs et reproduite par nous-mêmes. L’Autre reste fascinant» (p 279)


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