Sommet du G7 : quelles conséquences pour le Maghreb?

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Dans un entretien à Sputnik, l’ex-colonel du renseignement algérien, Abdelhamid Larbi Chérif, analyse les résultats des récents sommets du G7 et de l’Otan sur les relations internationales, notamment entre les États-Unis, la Chine et la Russie. Il évoque également leurs impacts sur la situation au Maghreb, au Sahel et dans le reste de l’Afrique.

Le 14 juin s’est tenu à Bruxelles le sommet de l’Otan, après celui du G7 du 11 au 13 juin à Carbis Bay (Royaume-Uni). Ces deux rencontres ont eu lieu quatre jours après l’annonce le 10 juin par Emmanuel Macron de la fin de l’opération militaire française Barkhane au Sahel, en particulier au Mali. Dans leurs allocutions au sommet de l’Alliance atlantique, le Président Biden et le secrétaire général de l’Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg, ont qualifié la Russie et la Chine, ainsi que leur coopération politique et militaire, de menaces auxquelles il fallait faire face.

Le 16 juin, Joe Biden a rencontré Vladimir Poutine à Genève, au lendemain d’une réunion entre les États-Unis et l’Union européenne à Bruxelles, lors de laquelle le Président américain a scellé les retrouvailles transatlantiques.

C’est dans ce contexte que se tient le sommet sur la sécurité internationale les 23 et 24 juin à Moscou, en la présence de 109 délégations de différents pays. Le chef de l’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chanegriha, y prend part. À l’issue d’une réunion avec le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, il a déclaré que «la Russie avait aidé l’Algérie à fortifier et moderniser son armée ainsi qu’à faire face à plusieurs menaces» en raison des climats régional et international instables.

À l’aune d’une nouvelle donne concernant les rapports de forces dans les relations internationales, comment analyser et juger les résultats des sommets du G7 et de l’Otan? Quels seront les impacts sur les enjeux géopolitiques et géostratégiques internationaux? À quoi faut-il s’attendre concernant la Russie et la Chine?

Dans ce contexte, quelles seraient les retombées sur la situation au Maghreb, au Sahel, en Libye et dans le reste de l’Afrique? Le monde arabe va-t-il connaître une autre vague de printemps?

Pour répondre à ses questions, Sputnik a sollicité l’ex-colonel des services de renseignement algériens Abdelhamid Larbi Chérif, expert en géopolitique, sécurité et politiques de défense. Pour lui, «le risque de voir un nouveau projet du « Grand Moyen-Orient » est tout à fait possible, et ce pour plusieurs raisons».

«Au-delà des apparences de bienséance»

«Il faut avant tout dire un mot sur le contexte global dans lequel ces nouveaux rapports de force émergent après les quatre années au pouvoir de l’administration Trump», débute l’expert. «La crise économique et financière qui a ébranlé le monde en 2008 n’est non seulement toujours pas réglée, mais elle s’est même aggravée dans le contexte de la crise sanitaire du Covid-19.»

Actuellement, «nous avons une dette mondiale globale astronomique [281.000 milliards de dollars, ndlr], une explosion du nombre de faillites d’entreprises et une augmentation fulgurante du chômage, ce qui fragilise tous les pays du monde sur le plan interne et crée le terreau de l’instabilité sur le plan sécuritaire», poursuit M.Chérif.

Dans ce contexte, l’ex-officier supérieur estime qu’il faut «analyser les sommets de l’Otan et du G7, ainsi que la rencontre Biden-Poutine au-delà des apparences de bienséance». Dans ce sens, il rappelle que «les tensions entre la Russie et les États-Unis sont nourries par des désaccords sur des dossiers très sensibles: le bouclier antimissile US en Turquie, en Pologne et en Roumanie, dont le rayon de balayage des radars couvre le territoire russe de la frontière avec l’Europe jusqu’à l’Oural. Ceci permet de neutraliser près de 40% de la puissance de frappe nucléaire terrestre russe, la composante la plus importante de la défense stratégique du pays. Depuis la chute de l’Union soviétique, l’Otan n’arrête pas de repousser les limites de sa zone d’influence, jusqu’à la frontière avec la Russie, en implantant de plus en plus de bases militaires [dont le nombre total est d’environ 800, ndlr]. L’instabilité en Ukraine, en Afghanistan et en Asie centrale, les traités sur les armes conventionnelles de destruction massive et enfin les sanctions unilatérales et les tentatives de sabotage du gazoduc North Stream 2 qui relie la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique».

Dans le même sens, il souligne que «c’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le choix de la direction russe de développer les armes hypersoniques, tout en gardant la porte ouverte au dialogue et à la coopération internationale dans le cadre de l’Onu, notamment en ce qui concerne les armes nucléaires, tel que rappelé par Vladimir Poutine dans son discours d’ouverture du sommet sur la sécurité internationale».

«La route de la soie en ligne de mire»?

Quant à la Chine, qualifiée de «danger systémique», outre sa puissance économique qui pèse lourd sur l’échelle internationale et pose des problèmes aux économies développées occidentales, notamment à celle américaine, ce pays mène une diplomatie économique et financière agressive dans le cadre de son projet millénaire de la route de la soie qui est en ligne de mire des États-Unis qui ne veulent pas perdre leur influence dans le monde», expose le spécialiste.

À ce titre, «même les pays européens que Biden a tenté d’aligner sur les thèses US ne sont pas tous d’accord sur la démarche à suivre vis-à-vis de Pékin. Emmanuel Macron avait déclaré en marge du sommet de l’Otan que « le rapport à la Chine n’est pas que militaire » et qu’il « est important de ne pas biaiser » la relation avec ce pays».

Dans leur vision stratégique concernant leur rivalité avec l’empire du Milieu, «les stratèges américains estiment que l’avenir du monde va se jouer dans le Pacifique entre les États-Unis, la Chine, l’Inde et la Russie. D’où leur intérêt de plus en plus faible pour le Moyen-Orient, notamment depuis l’essor de l’industrie des hydrocarbures de schiste chez eux. Cependant, Washington n’envisage pour autant pas de lâcher prise. Vis-à-vis de cette région, tout comme pour le Maghreb, le Sahel et l’Afrique en général, les Américains vont vraisemblablement continuer à sous-traiter leur présence aux puissances régionales comme la Turquie, Israël et les pays européens».

Quid de l’Algérie, du Sahel et du reste de l’Afrique?

Pour l’ex-colonel, les régions du Maghreb et du Sahel, et le reste de l’Afrique «vont également être au cœur de ces luttes d’influence entre les grandes puissances».

En effet, pour l’expert, «dans le bassin méditerranéen, la Russie dispose d’une seule base navale de ravitaillement située à Tartous, en Syrie. Cependant, il ne faut pas oublier qu’elle a l’Algérie comme alliée stratégique, qui a reçu plusieurs fois la marine russe au port militaire de Mars El Kébir (ouest). Sans oublier des manœuvres navales que Russes, Algériens et Chinois ont menées à quelques semaines des élections présidentielles de décembre 2019 en Algérie. C’est ainsi que Sergueï Choïgou a nommément cité dans son discours de mercredi l’Algérie et la Guinée-Conakry comme alliés importants de la Russie en Afrique, en plus de leur présence militaire en République centrafricaine et du projet de construction d’une base navale à Port-Soudan qui va permettre à la marine russe de faire la jonction avec celle de Tartous en Méditerranée orientale et le détroit de Bab El-Mandeb, dans le golfe d’Aden».

Ainsi, «les États-Unis, l’Otan et l’Union européenne voient d’un très mauvais œil ce retour de la Russie en Afrique. La fin de Barkhane au profit d’un autre déploiement sous le parapluie de l’Otan afin de continuer à contrôler le Sahel et ses richesses pourrait buter sur une coopération algéro-russo-guinéenne. En effet, le Mali se trouve entre l’Algérie et la Guinée», explique-t-il, prévenant que «la même chose pourrait advenir en Libye».

Enfin, Abdelhamid Larbi Chérif assure que «l’offensive chinoise au Maghreb et en Afrique est également dans la ligne de mire des Occidentaux qui veulent contrôler tous les chemins de transport de marchandises afin de négocier en position de force avec Pékin».

«En avril 2021, Youssef Al-Alawi, ex-ministre des Affaires étrangères du Sultanat d’Oman durant plus de 45 ans, politicien chevronné et excellent analyste des relations internationales a prédit une troisième vague du printemps arabe et un nouveau bouleversement dans tout le Proche- et Moyen-Orient. Son avertissement est à prendre très au sérieux», conclut-il.


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