Soudan : la haine de la démocratie

     La guerre entre deux généraux dans ce pays d’Afrique nous semble lointaine et indéchiffrable. Et pourtant, c’est une banale histoire d’or, de pétrole et de sainte horreur de la démocratie.

Soudan : la haine de la démocratie
Un partisan de l’armée soudanaise se joint aux manifestants contre l’influence des Émirats arabes unis dans la politique intérieure soudanaise, à Port-Soudan le 20 avril 2023. © AFP.

Reconnaissons-le, cette guerre du Soudan nous paraît lointaine, et indéchiffrable. Il y est question d’un affrontement fratricide entre deux généraux assoiffés de pouvoir et de sang, et qui tirent sur tout ce qui bouge dans les rues de Khartoum. Et nous n’avons plus rien d’autre à faire qu’exfiltrer nos ressortissants, pris au piège d’une guerre qui n’est même pas « civile », puisque la population n’y a aucune part.

Nous voyons donc des images d’avions gros porteurs embarquant des Occidentaux en panique. Ce n’est ni Kaboul ni Saïgon, mais ça y ressemble. Si nous nous sentons si peu concernés, c’est que ce vaste pays de l’Est africain, aux sources du Nil, n’a jamais appartenu à notre « pré carré » colonial. C’est de l’empire britannique qu’il s’est émancipé en 1956.

Il s’en est fallu de peu, pourtant, que le Soudan ne tombe dans l’escarcelle française, à l’époque du grand partage. Nos diplomates gardent amèrement en mémoire le nom de Fachoda, village aujourd’hui situé au Soudan du Sud où, en 1898, une mission en pleine opération de conquête dut rendre les armes à l’ennemi britannique.

Malgré cela, le nom du Soudan n’a jamais cessé de sonner à nos oreilles en raison de calamités climatiques et de massacres pires que les dix plaies d’Égypte de l’Ancien Testament. On y voit plus souvent Médecins sans frontières que nos ministres des Affaires étrangères.

Les dictatures s’y sont succédé jusqu’à Omar El-Béchir, qui fit régner la terreur de 1989 à 2019. Et lorsqu’on parle du Darfour, grande région de l’ouest soudanais, ou du Soudan du Sud, c’est que ces populations sont en proie à des famines provoquées par la sécheresse et les « nettoyages ethniques ».

Le Soudan, comme le Congo voisin, est un de ces pays dont la richesse fait le malheur.

En 2004, l’ONU a chiffré à 300 000 le nombre de morts au Darfour, et à trois millions le nombre de déplacés. En 2016, les Soudanais ont été parmi les plus nombreux à demander refuge chez nous. C’est un grand paradoxe. Car le Soudan, comme le Congo voisin, est un de ces pays dont la richesse fait le malheur. Le Soudan du Sud, indépendant depuis 2011, recèle d’importantes réserves pétrolières. À l’est, le sous-sol abonde en or. Assez pour que le pays excite les convoitises.

Sans parler de sa position stratégique en bordure de la mer Rouge, dans le prolongement du canal de Suez, et de l’achat par des entreprises chinoises de terres agricoles dont les paysans locaux sont expulsés. Autant de dividendes qui vont dans les poches des militaires.

Ce qui explique que les deux généraux qui se livrent aujourd’hui une bataille acharnée pour le contrôle du pays soient soutenus par des puissances étrangères qui espèrent y trouver leur compte après le massacre. L’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite plutôt derrière le général Al-Burhane, à la tête de l’armée officielle. La Russie et l’inévitable milice Wagner derrière le général rebelle Dogolo, dit « Hemeti », aux méthodes particulièrement sanguinaires. La Chine, un peu des deux côtés, en attendant de voir…

Mais tous ces protagonistes, plus ou moins cachés, ont en commun une sainte horreur de la démocratie. Ils partagent cette idée que le pays est trop riche, et son intérêt trop stratégique, pour être laissé à son peuple. On soutiendra donc le nouveau dictateur. Et que le meilleur gagne !

Au passage, la France n’a pas à faire la leçon. Au Tchad voisin, elle a toujours soutenu le dictateur local, d’Hissène Habré à Idriss Déby, puis à son fils Mahamat Idriss, intronisé par Macron en 2021. La malédiction ne vient jamais du ciel. On enrage quand on se souvient qu’il y a seulement quatre ans, les Soudanais ont fait leur révolution.

Toutes ethnies et religions confondues, ils sont descendus par centaines de milliers dans la rue, et ont fini par chasser Omar El-Béchir. Dans le sillage de révolutions arabes écrasées, ils ont eu droit à nos illusions. Une Alliance pour la liberté et le changement avait négocié avec les militaires du général Al-Burhane une transition démocratique. Mais, en juin 2019, revirement de la junte. Une féroce répression s’abat sur les manifestants. Un scénario à l’égyptienne, en quelque sorte.

À l’époque, les miliciens du général Mohamed Hamdan Dogolo avaient volé au secours de Burhane. Unis contre le peuple, puis cohabitant dans un même gouvernement, les voilà aujourd’hui s’entretuant, chacun porteur d’intérêts étrangers. Non, la guerre du Soudan n’est pas indéchiffrable. C’est une histoire d’or et de pétrole, d’une banalité affligeante. Et de haine de la démocratie.


         Soudan: Prémices d’une guerre fratricide

                      par Ghania Oukazi

Les Etats-Unis affirmaient hier, mardi, avoir réussi à «obtenir des engagements des deux camps soudanais à respecter un cessez-le-feu de 72 heures» après des combats acharnés qui ont fait des milliers de morts, de blessés et de déplacés dans Khartoum et plusieurs autres régions du pays.

Les agences de presse étrangères attribuent cette déclaration au Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken et constatent en même temps que «les explosions et les tirs se sont effectivement faits rares le même jour». Cet arrêt des hostilités armées entre l’armée régulière et le Forces de soutien rapide est entré en vigueur lundi à minuit. Il a même été relevé -du moins à Khartoum- que depuis samedi, premier jour d’évacuation des étrangers, les combats ont diminué d’intensité. Le cessez-le-feu a été accepté, dit-on, «dans tout le pays après d’intenses négociations». Notons que plusieurs pays occidentaux, asiatiques et arabes ont fait partir en catastrophe leurs diplomates et leurs ressortissants. L’Algérie, elle aussi, a fait évacuer hier son staff diplomatique ainsi qu’un certain nombre de ses ressortissants vers 11h30 à bord d’un avion militaire qui a décollé à partir de l’aéroport international de Port-Soudan situé à 792 km de Khartoum en état de siège depuis plusieurs jours, pour atteindre Boufarik après quatre heures de vol.

Ce sont donc les Etats-Unis qui ont réussi à convaincre les frères ennemis, les généraux Abdel Fattah al Burhane commandant des forces armées régulières et Mohamed Hamdane Daglo commandant des milices paramilitaires, les Forces de soutien rapide (FSR), de faire taire les armes pour «72h». Un semblant de répit ne serait-ce que pour que les Soudanais enterrent leurs morts et secourent leurs blessés qui, selon des médias étrangers, jonchent les rues et plongent Khartoum et de nombreuses d’autres régions dans la famine par manque de nourriture et d’électricité et agitent le spectre des épidémies qui pourraient se propager en raison de la putréfaction des cadavres, du manque de médicaments, de médecins et la mise «hors service» de nombreux hôpitaux pour cause de bombardements. C’est d’ailleurs ce que les deux généraux rivaux qualifient de «trêve dédiée à l’ouverture de couloirs humanitaires».

Réunion d’urgence du Conseil de sécurité

La dégradation de la situation sécuritaire au Soudan a engendré depuis le 15 avril dernier, jour du déclenchement de cette autre guerre fratricide, un pourrissement à tous les niveaux. Fort d’une milice paramilitaire de milliers d’hommes -les Forces de soutien rapide (FSR)-, le général Mohamed Hamdane Daglo tente de renverser le pouvoir en place détenu depuis la chute du président Omar El Bachir en 2011 par le général Abdel Fattah al Burhane, qui trône à la tête de l’armée régulière soudanaise.

L’histoire n’est pourtant pas aussi simple. Elle se décline depuis de longues années en séquences bellicistes qui ne cachent pas l’avènement d’un monde multipolaire pour lequel s’affrontent Américains, Russes, Chinois, Israéliens et… des pays arabes comme l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte. Il est d’ailleurs rapporté que Blinken a déclaré «avoir travaillé avec des alliés pour la constitution d’une commission chargée de négocier la cessation permanente des hostilités au Soudan» et l’armée fait état d’une médiation américano-saoudienne.

Le Conseil de sécurité de l’ONU devait se réunir «en urgence» hier, mardi, à la demande de la Grande-Bretagne, pour examiner la situation dramatique du Soudan. Le Secrétaire général Antonio Guterres a déjà prévenu contre les effets de «cette guerre ouverte qui pose un risque d’embrasement au Soudan» et qui, a-t-il dit, «pourrait envahir toute la région et au-delà». Bien que Volker Perthes, désigné il y a quatre ans comme envoyé spécial de Guterres pour le Soudan, s’acharne en vain à arracher des militaires aux commandes du pays, une transition vers la démocratie et l’instauration d’un pouvoir civil, l’on note que les agences onusiennes ont suspendues leurs missions. Guterres a toutefois affirmé qu’il a «autorisé la relocalisation temporaire à l’intérieur et à l’extérieur du Soudan de certains agents de l’ONU(…)». Le SG de l’ONU a surtout lancé un appel «à tous les membres du Conseil de sécurité à utiliser toute leur influence avec les parties pour mettre fin à la violence, restaurer l’ordre et retrouver le chemin vers la transition démocratique».

Les influences ou plutôt les ingérences étrangères directes au Soudan n’ont jamais manqué et leur grave première conséquence a été la scission en deux «Etats» d’un pays qui était considéré comme le plus grand de l’Afrique et qui partage des frontières avec des régions stratégiques. Une scission qui a fait craindre le pire à l’Algérie consciente qu’elle est qu’elle n’en finira pas d’engendrer des situations d’une gravité sans précédent et d’agiter des enjeux géostratégiques, pour lesquels s’affrontent les puissants de ce monde à l’intérieur même de ces territoires.

Ingérences étrangères et guerres inter-soudanaises

Chaque partie a ses hommes et ses milices. Le général de l’armée régulière Abdel Fattah al Burhane a été propulsé au devant de la scène militaire en tant que commandant des forces terrestres soudanaises pour destituer le président Omar El Bachir un certain 11 avril 2019. Il aurait cependant mené d’autres missions, celle entre autres d’envoyer en 2015 des troupes militaires au Yémen aux côtés de la coalition militaire arabe dirigée par l’Arabie Saoudite, pour combattre les Houthis soutenus par l’Iran. Ce qui lui a permis de se rapprocher du royaume wahhabite et des Emirats arabes unis. Il a aussi envoyé ses troupes pour combattre en Libye. Par ailleurs, Al Burhan est connu pour avoir normalisé les relations du Soudan avec Israël quelques mois après sa destitution d’El Bachir. A la même période, il a rencontré le 1er ministre israélien Benyamin Netanyahu en Ouganda. Il aurait d’excellentes relations avec l’Egypte et son président al Sissi pour avoir fréquenté comme lui l’académie militaire égyptienne. Les pays du Golfe, eux, travailleraient avec les deux généraux, Al Burhane et Daglo, unis durant les années post-El Bachir mais désunis aujourd’hui pour des questions de leadership et de pouvoirs.

Daglo refuse de fait que les FSR soient incorporées dans l’armée régulière. Considéré en outre comme une multinationale en raison de son accaparement et exploitation de mines d’or et d’autres minerais. Il est donné par les Etats-Unis pour collaborer avec les milices russes de Wagner. La renommée de Hemedti ou Hemeti (pour les intimes) remonte aux terribles événements qui ont secoué le Darfour, l’ouest du Soudan, depuis le début des années 2000 et où l’on dit de lui qu’il a dirigé alors les Janjawids, des milices issues des tribus arabes en guerre contre celles des tribus nord-africaines non arabes. Malgré son soutien à Omar El Bachir, Daglo s’est uni aux efforts d’Al Burhane pour arracher l’infime parcelle de pouvoir que détenaient les civils. C’était le coup d’Etat du 25 octobre 2021 par lequel le général Al Burhane a mis tous les responsables civils aux arrêts et instauré un pouvoir militaire absolu. Revirement de situation, Daglo change de camp pour se mettre du côté des civils, refusant ainsi toute hégémonie d’Al Burhane sur le Soudan.

Les prémices d’une guerre fratricide se font fortes. En sourdine depuis plusieurs années, elle éclate au grand jour le 15 avril dernier. Les FSR de Daglo s’emparent de Khartoum et de son aéroport ainsi que d’autres régions. Cette force paramilitaire connaît bien les rouages des pouvoirs civils, militaires et tribaux de tout le Soudan pour être issue des services de sécurité militaire qui ont toujours commandé et régné sur le pays.


                Deux seigneurs de guerre s’affrontent à mort dans ce pays

                                          Que nous cache-t-on au Soudan?

Dès les premiers jours du conflit, le président Tebboune a réagi en sensibilisant la communauté internationale en vue d’«un effort conjoint et uni pour arrêter les combats au Soudan».

 

Des échos de tirs, le vacarme des chars et les bruits de bottes claquent dans les rues dévastées de la capitale Khartoum. Le Soudan est au bord du précipice. Deux seigneurs de guerre s’affrontent à mort dans ce pays. Que nous cache-t-on au Soudan? Pourquoi la communauté internationale est-elle si avare en initiatives et en moyens de pression pour contraindre les belligérants à s’asseoir à la table des négociations?
Quelles sont les forces en présence sur le terrain? D’où tirent-elles cette puissance de feu? Sur cette situation chaotique qui règne au Soudan, nous détenons des informations exclusives.
Depuis le 15 avril, deux forces militaires s’affrontent sans merci. À la tête de l’armée régulière soudanaise Abdel Fattah al-Burhane, chef d’État qui s’oppose à son ancien adjoint Mohamed Hamdane Daglo surnommé «Hametti», chef des Forces de soutien rapides (FSR), une formation paramilitaire qui devait être intégrée par l’armée. À la suite d’un accord cadre conclu en décembre 2022 sous l’égide de l’ONU et de l’Union africaine, le général Al-Burhane a exigé l’intégration des FSR, ce que refuse Hametti.
Selon nos sources, environ 100 000 soldats composent les Forces de soutien rapide (FSR) dont 50% sont des mercenaires maliens, tchadiens et centre-africains. Au plan logistique, nos sources rapportent que les FSR disposent de 125 blindés (BTR), de 10 000 véhicules de marque Land Cruiser. Faisant la main basse sur les gisements aurifères dont le Soudan est le troisième producteur mondial de ce métal précieux, les FSR ont des revenus estimés à
14 milliards de dollars. Forts de cette manne financière, ils envisagent d’acquérir des avions de chasse. Selon les mêmes sources, il y a actuellement 65 pilotes qui s’entraînent en Éthiopie. Le soutien de l’Éthiopie est intéressé car cette dernière craint que l’Égypte n’installe une base aérienne au nord du pays pour mener des frappes. En plus de l’Éthiopie, les FSR disposent également du soutien logistique saoudien et émirati pour leur participation aux opérations de guerre contre le Yémen. Les Emirats assurent les transmissions et communications ainsi que la coordination au profit des FSR pour qui ils ont créé un bureau de soutien à leurs opérations. Deux des chars livrés aux FSR par les Emirats ont été saisis par l’armée régulière soudanaise. Au plan interne, le général Hametti n’est pas isolé puisqu’il compte sur le soutien de l’opposition politique des Forces de liberté et de changement, adoptant l’approche occidentale et celle des USA, de la Grande-Bretagne, des Emirats et de l’Arabie saoudite.
Sur le terrain des opérations, nos sources indiquent que les forces régulières soudanaises dominent la capitale, alors que les unités FSR les villes limitrophes. La situation à Khartoum sera davantage maîtrisée par l’Armée régulière dans les prochains jours, soulignent les mêmes sources relevant que les FSR demeurent désorganisées et n’obéissent pas à une hiérarchie militaire. Dépassés, les pays arabes et la communauté internationale ne sont plus à la manoeuvre, alors que les affrontements ont déjà fait 459 morts et 4 072 blessés.
Dès les premiers jours de ce conflit, le président Abdelmadjid Tebboune, et actuel président du Sommet arabe, a adressé une lettre au secrétaire général des Nations unies, à l’actuel président de l’Union africaine et au secrétaire exécutif du gouvernement Autorité pour le développement (Igad). Le chef de l’État entend à travers ses missives obtenir «un effort conjoint et uni pour arrêter les combats au Soudan».
Au -devant de la scène régionale, la diplomatie algérienne est montée au créneau pour éviter au Soudan le même sort que celui réservé à la Libye, un pays jeté dans les bras impitoyables de l’ingérence internationale. Les signes d’une guerre par procuration se font de plus en plus probants. Nos sources rapportent que quatre jours avant le déclenchement des combats à Khartoum, le général Hametti a reçu une délégation de 32 personnes conduite par Sedik Haftar, fils de Khalifa Haftar un autre seigneur de la guerre en Libye…


Brahim TAKHEROUBT


 

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