mardi, 16 avril 2024

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Tous les empires sont mortels, l’« empire américain » aussi

La semaine dernière, je m’interrogeai sur la réalité de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Peut-être le « piège de Thucydide » n’est qu’un paravent qui masque la désintégration imminente de l’« empire américain ». Dans le présent article, je résume son parcours que les Occidentaux n’ont pas compris, et j’invite à penser ce qui pourra advenir lorsqu’il aura disparu.

 

L’empire américain s’effondrera-t-il ?+
Illustration de Calvin Shen

 

L’URSS s’est effondrée sur elle-même, non pas à partir de la guerre d’Afghanistan (1979-89), mais à partir de la catastrophe de Tchernobyl (26 avril 1986). Les Soviétiques se sont soudainement rendus compte que l’État ne maîtrisait plus rien. Les membres du Pacte de Varsovie, dont Léonid Brejnev avait fait des vassaux, se révoltèrent. Les Églises, les Jeunesses Communistes et les Gays d’Allemagne de l’Est firent tomber le Mur de Berlin [1]. Non seulement l’URSS ne réagit pas, mais elle abandonna ses alliés hors d’Europe, notamment Cuba. Le Premier secrétaire du parti, Mikhaïl Gorbatchev, se transforma de réformateur en liquidateur. L’URSS éclata, créant quantité de nouveaux États indépendants. Puis ce fut la descente aux enfers. Quelques « Nouveaux Russes » s’approprièrent les biens collectifs et se livrèrent une guerre à la mitraillette dans les rues de Moscou et de Saint-Petersbourg. La production s’effondra. Il devint difficile de trouver à manger dans de nombreuses régions russes. L’espérance de vie chuta brutalement d’une quinzaine d’années. La chute fut si brutale que personne n’aurait alors pensé que le pays se relèverait rapidement.

Simultanément, les États-Unis imaginent ce qu’ils pourraient faire sans rival. Le président George H. Bush Sr., s’exprimant devant le Congrès réuni au grand complet le 11 septembre 1990, lance l’idée d’un « Nouvel Ordre Mondial ». Il vient de mettre en scène une guerre dans le Golfe à laquelle presque tous les États du monde se joignent. Avant même la dissolution de l’URSS, les États-Unis sont devenus l’hyperpuissance que nul ne conteste [2]. Le straussien Paul Wolfowitz élabore une doctrine visant à prévenir l’émergence d’un nouveau compétiteur, qui prendrait la place de l’Union soviétique. Il désigne sans hésiter le projet politique de François Mitterrand et d’Helmut Köhl, l’Union européenne, comme l’ennemi à abattre. Celle-ci est viciée dès le départ avec l’obligation d’y faire adhérer tous les États du Pacte de Varsovie et de l’ex-URSS jusqu’à ce que ses institutions deviennent impraticables et l’inscription dans le Traité de Maastricht de la défense de l’UE par Washington.

Le Pentagone est si sûr de ne plus avoir d’adversaire à sa hauteur qu’il démobilise 1 millions d’hommes une fois l’Iraq écrasé. Les unités de recherche-développement des armées sont dissoutes. Le président Bush père croit que cette guerre est la dernière et qu’une ère de prospérité débute.

Bien que personne ne menace la suprématie des USA, ceux-ci sentent pourtant que leur équilibre interne est fragile. Leurs emplois sont délocalisés et leur économie repose plus sur l’internationalisation de leur monnaie, le dollar, que sur les richesses qu’ils produisent.

En 2001, les straussiens organisent les attentats du 11-Septembre [3] et adoptent la doctrine Rusmfeld/Cebrowski [4]. Ils suspendent chez eux les libertés fondamentales avec l’USA Patriot Act et livrent une « guerre sans fin » qui ravage le « Moyen-Orient élargi ».

Cependant, la Russie ne l’entend pas ainsi. Dans un discours prononcé le 11 février 2007 à la Conférence sur la sécurité de Munich [5], le président Vladimir Poutine dénonce le Nouvel Ordre Mondial des Bush qu’il qualifie d’« unipolaire ». Selon lui, il serait plus juste de le décrire comme « monopolaire ». Il constate que loin d’apporter la paix, il sème le malheur.

Lors de la crise des subprimes, l’intellectuel russe Igor Panarin, qui travaille alors pour les services secrets, étudie l’hypothèse selon laquelle le dollar va s’effondrer et la population états-unienne va se diviser sur une base ethnique de sorte qu’à terme le pays éclatera [6]. À tort, on interprète alors son travail comme une réplique de l’hypothèse de la Française Helène Carrère d’Encausse qui envisageait un éclatement de l’Union soviétique, également sur une base ethnique [7]. Rien de tout cela n’a eu lieu, pas plus que mon hypothèse selon laquelle l’« empire américain » ne survivrait pas à l’« empire soviétique » n’a été vérifiée.

Que s’est-il donc passé ?

Durant les 15 années qui ont suivi le discours de Munich, la Russie s’est prioritairement préoccupée de reconstruire sa puissance. En 2012, elle promet à la Syrie de la protéger des jihadistes soutenus par les Anglo-Saxons (le soi-disant « printemps arabe »), mais attend deux ans avant d’intervenir. Lorsqu’elle sort de l’ombre, elle dispose de quantité d’armes nouvelles. Sur le champ de bataille, elle apprend à s’en servir et forme son personnel qu’elle renouvelle tous les six mois. Si Vladimir Poutine avait désigné, lors de son discours de Munich, le Brésil, l’Inde et la Chine comme ses partenaires privilégiés pour l’édification d’un monde multipolaire, il a longuement attendu avant de sceller une relation privilégiée avec Beijing. La Chine, qui est toujours partiellement en voie de développement, exerce une forte pression démographique sur la Sibérie russe, mais elle a compris que, pour sortir de la « dictature monopolaire », elle doit être l’alliée de la Russie. Les deux pays ont souffert des Occidentaux et ont expérimenté leurs mensonges. Il n’ont pas d’avenir l’un sans l’autre.

La défaite occidentale en Ukraine devrait ouvrir les yeux des États-uniens. Les tensions examinées par Igor Panarin refont surface. Les attentats du 11-Septembre et la « guerre sans fin » n’auront été que des dérivatifs. Ils auront accordé un sursis à l’« empire américain », mais rien de plus.

Durant les 35 ans qui ont suivi l’effondrement de l’URSS, les États-Unis se sont persuadés à tort qu’ils avaient vaincu leur rival. En réalité ce sont les Soviétiques eux-mêmes qui l’ont renversé. Ils se sont persuadés que les Russes auraient besoin d’un siècle pour se remettre de leurs erreurs. Dans les faits, ils sont devenus la première puissance militaire au monde. Certes, les États-Unis sont parvenus à vassaliser l’Europe de l’Ouest et du Centre, mais aujourd’hui ils doivent affronter tous les États qu’ils ont malmenés, conduits par la Russie et la Chine.

Durant cette période, les Républicains et les Démocrates ont fait place à deux nouveaux courants de pensée : les Jacksoniens autour de Donald Trump et les Wokistes, des puritains sans Dieu. On assiste actuellement à une intensification des mouvements de population aux USA. Les spécialistes électoraux constatent que beaucoup d’États-uniens quittent les régions woke et rejoignent les jacksoniennes [8]. Selon les sociétés de déménagement, leurs clients quittent de grandes villes pour aménager dans de plus petites où la vie est moins chère et plus agréable. Cependant, elles notent toutes que leurs clients citent de plus en plus un nouveau mobile : ils se déplacent pour rejoindre une partie de leur famille. Cette explication correspond à ce que Colin Woodard avait observé, il y a une décennie [9] : les États-uniens se regroupent par communauté d’origine. Les promoteurs immobiliers observent, quant à eux, la multiplication des quartiers sécurisés (les Gated Communities). Leurs clients se regroupent avec des gens comme eux, ayant hérités de la même culture et appartenant à la même classe sociale. Souvent, ils s’inquiètent de la montée de l’insécurité et évoquent une possible guerre civile.

Ne soyons pas aveugles. Tous les empires sont mortels. L’« empire américain » aussi.


[1« À l’Est : la Révolution Gay », par Didier Marie, Rebel (France), Réseau Voltaire, 1er mars 1993.

[2« La doctrine stratégique des Bush », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 9 juillet 2004.

[3L’Effroyable imposture, Thierry Meyssan, Carnot (2002). « Tout donne aujourd’hui raison à Thierry Meyssan », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 31 août 2021.

[4« La doctrine Rumsfeld/Cebrowski », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 25 mai 2021.

[5« La gouvernance unipolaire est illégitime et immorale », par Vladimir Poutine, Réseau Voltaire, 11 février 2007.

[6Le crash du dollar et la désintégration des USA (uniquement en russe), Igor Panarin (2008).

[7L’Empire éclaté, Hélène Carrère d’Encausse, Flammarion (1978).

[8« On the move », Jennifer Harper, The Washington Times, April 14, 2023.

[9American nations : a history of the eleven rival regional cultures of North America, Colin Woodard, Penguin Group (2011).


    La guerre, la séparation du monde, ou la fin d’un Empire ?

Nombreux sont ceux qui pronostiquent une Guerre Mondiale. Effectivement quelques groupes s’y préparent. Mais les États sont raisonnables et, dans les faits, envisagent plutôt une séparation à l’amiable, une division du monde en deux mondes différents, l’un unipolaire et l’autre multipolaire. Peut-être assistons-nous en réalité à un troisième scénario : l’« Empire américain » ne se débat pas dans le piège de Thucydide, il s’effondre comme son ex-rival soviétique est mort.

Tous les empires sont mortels. L’« Empire américain » aussi.
Tableau d’Alexandre Granger

 

Les « straussiens » états-uniens, les « nationalistes intégraux » ukrainiens, les « sionistes révisionnistes » israéliens et les « militaristes » japonais appellent de leurs vœux une guerre généralisée. Ils sont bien seuls et ce ne sont pas des mouvements de masse. Aucun État ne s’engage pour le moment sur cette voie.

L’Allemagne avec 100 milliards d’euros et la Pologne avec beaucoup moins d’argent se réarment massivement. Mais aucun des deux ne semble impatient de se mesurer à la Russie.

L’Australie et le Japon investissent aussi dans l’armement, mais aucun d’eux n’a d’armée autonome.

Les États-Unis ne parviennent plus à renouveler les effectifs de leurs armées et ne sont plus capables de créer d’armes nouvelles. Ils se contentent de reproduire à la chaîne celles des années 80. Ils entretiennent cependant l’arme nucléaire.

La Russie a déjà modernisé ses armées et s’organise pour renouveler les munitions qu’elle utilise en Ukraine et produire en série ses nouvelles armes que nul ne peut concurrencer. La Chine, quant à elle, se réarme pour contrôler l’Extrême-Orient et, à terme, pour protéger ses routes commerciales. L’Inde se pense en puissance maritime.

On ne voit donc pas qui, à la fois, souhaiterait et pourrait déclencher une Guerre Mondiale.

Contrairement à leurs discours, les dirigeants français ne se préparent pas du tout à une guerre de haute intensité [1]. La loi de programmation militaire, établie pour dix ans, prévoit de construire un porte-avion nucléaire, mais réduit l’armée de Terre. Il s’agit de se donner des moyens de projection, mais pas de défendre le territoire. Paris continue à raisonner en puissance coloniale alors que le monde devient multipolaire. C’est un classique : les généraux se préparent à la guerre précédente et ignorent la réalité de demain.

L’Union européenne met en œuvre sa « Boussole stratégique ». La Commission coordonne les investissements militaire de ses États-membres. Dans la pratique, ils jouent tous le jeu, mais poursuivent des buts différents. La Commission, quant à elle, tente de prendre le contrôle des décisions de financement des armées qui jusqu’ici dépendent de leurs parlements nationaux. Cela permettrait d’édifier un Empire, mais pas de déclarer une guerre généralisée.

À l’évidence chacun joue un jeu, mais hormis la Russie et la Chine, aucun ne se prépare à une guerre de haute intensité. On assiste plutôt à une redistribution des cartes. Washington envoie, ce mois-ci en Europe, Liz Rosenberg et Brian Nelson, deux spécialistes des mesures coercitives unilatérales [2], avec pour mission de contraindre les Alliés à obéir. Selon la formule bien connue de l’ancien président George Bush Jr. lors de la guerre « contre le terrorisme » : « Qui n’est pas avec nous est contre nous ! ».
Liz Rosenberg est efficace et sans scrupules. C’est elle qui a mis l’économie syrienne à genoux, condamnant des millions de personnes à la misère parce qu’ils ont osé résister et vaincre les supplétifs de l’Empire.

Le discours de western hollywoodien à la George Bush Jr., celui des bons et des méchants, a échoué avec la Türkiyé, qui a déjà vécu la tentative de coup d’État de 2016 et le tremblement de terre de 2023. Ankara sait qu’il n’a rien de bon à attendre de Washington et se tourne déjà vers l’Organisation de coopération de Shanghai. Pourtant le même discours devrait réussir avec les Européens qui restent fascinés par la puissance des États-Unis. Bien sûr cette puissance est en déclin, mais les Européens aussi. Nul n’a donc tiré de leçon du sabotage des gazoducs russo-germano-franco-néerlandais, North Stream. Non seulement les victimes ont accusé le coup sans rien dire, mais elles s’apprêtent à recevoir d’autres punitions pour des crimes qu’elles n’ont pas commis.

Le monde devrait donc se diviser en deux blocs, d’un côté l’hyperpuissance états-unienne et ses vassaux, de l’autre le monde multipolaire. En nombre d’États, cela devrait faire moitié-moitié, mais en terme de population, seulement 13 % pour le bloc occidental contre 87 % pour le monde multipolaire.

Les institutions internationales ne peuvent déjà plus fonctionner. Elles devraient soit tomber en léthargie, soit être dissoutes. Les premiers exemples qui viennent à l’esprit sont la sortie effective de la Russie du Conseil de l’Europe et les sièges vides des Européens de l’Ouest au Conseil de l’Arctique durant l’année de présidence russe. D’autres institutions n’ont plus trop de raison d’être comme l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) qui était censée organiser le dialogue Est-Ouest. Seul l’attachement de la Russie et de la Chine aux Nations unies devrait les préserver à court terme, les États-Unis songeant déjà à transformer l’Organisation en une structure réservée exclusivement aux Nations alliées.

Le bloc occidental devrait aussi se réorganiser. Jusqu’ici, le continent européen était dominé économiquement par l’Allemagne. Afin d’être certains que l’Allemagne ne se rapprochera jamais de la Russie, les États-Unis souhaitent que Berlin se contentent de l’Ouest du continent et laisse le centre aux mains de Varsovie. L’Allemagne et la Pologne s’arment donc pour s’imposer dans leurs zones d’influence respectives, mais lorsque l’astre états-unien pâlira, ils se battront l’un contre l’autre.

Lors de sa chute, l’Empire soviétique a abandonné ses alliés et vassaux. Ayant constaté son incapacité à régler les problèmes, l’URSS a d’abord cessé de soutenir économiquement Cuba, puis a laissé tomber ses vassaux du Pacte de Varsovie, et enfin s’est effondré sur elle-même. Le même processus débute aujourd’hui.

La première guerre US du Golfe, les attentats du 11-Septembre et leur kyrielle de guerres au Moyen-Orient élargi, l’élargissement de l’Otan et le conflit ukrainien n’auront offert que trois décennies de survie à l’Empire américain. Il était adossé à son ex-rival soviétique. Il a perdu sa raison d’être avec sa dissolution. Il est temps qu’il disparaisse aussi.


[1« En 2030, l’armée française ne sera pas prête à une guerre de haute intensité », Jean-Dominique Merchet, L’Opinion, 7 avril 2023.

[2« US sanction officials plan missions to clamp down on Russia », Fatima Hussein, Associated Press, April 7, 2023.


Comment la Russie envisage son rôle dans la construction du monde multipolaire

La Russie vient de rendre publique son « Concept de politique étrangère ». Après avoir rappelé sa position dans le monde, ce document décrit la fin de la domination occidentale et les efforts des États-Unis et de leurs alliés pour maintenir l’hégémonie de Washington. Il énumère les intérêts et les buts de Moscou. Il souligne la primauté du Droit international contemporain (une création du tsar Nicolas II) et se conclut par une description du monde en mutation.

Cet article fait suite à :
1- Le Moyen-Orient s’affranchit de l’Occident
2- Préparation d’une nouvelle Guerre Mondiale

Le président Vladimir Poutine a réuni son Conseil de Sécurité en visioconférence, le 31 mars 2023. À l’issue de cette réunion, il a promulgué une mise à jour du « Concept de politique étrangère de la Fédération de Russie ».

Dans ce document, la Russie expose sa vision de son rôle dans la construction du monde multipolaire.

En premier lieu, la Russie rappelle ses ressources importantes dans toutes les sphères de la vie, son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, sa participation à des organisations et associations internationales majeures, sa puissance nucléaire et sa qualité de successeur en droits de l’URSS. Surtout, vu son apport décisif à la victoire dans la seconde Guerre Mondiale et sa participation active à la liquidation du système mondial du colonialisme, elle s’affirme comme un des centres souverains du développement mondial et considère comme sa mission historique le maintien de l’équilibre global des puissances et la construction d’un système international multipolaire.

ÉVOLUTION DU MONDE CONTEMPORAIN

La Russie observe que le modèle inéquitable du développement mondial, qui a assuré pendant des siècles la croissance économique accélérée des puissances coloniales en s’appropriant les ressources de leurs colonies appartient désormais au passé.

Des tentatives sont entreprises par les Anglo-Saxons pour retenir « la course naturelle de l’histoire ». Un large éventail d’instruments illégaux est employé, y compris l’application de « mesures coercitives unilatérales » (abusivement qualifiées de « sanctions »), l’incitation de coups d’État, de conflits armés, des menaces, du chantage, etc.

L’expression « Anglo-Saxons » n’est pas utilisée dans le document. C’est un raccourci que j’emploie au regard des déclarations de plusieurs ministres. Moscou considère que l’ennemi, c’est avant tout les États-Unis, mais qu’ils ont formé une coalition d’État hostiles au sein de laquelle le Royaume-Uni joue un rôle central.

La Russie étant le pays le plus étendu au monde, son armée ne peut pas défendre ses frontières. Elle est facile à envahir. Au cours de l’Histoire, elle a appris à vaincre les envahisseurs en utilisant à son avantage son immense espace et son climat. Elle a certes combattu les armées de Napoléon Ier et d’Adolf Hitler, mais a surtout brûlé son propre territoire pour les affamer. En l’absence de bases arrières proches, celles-ci ont du battre en retraite et ont été achevées par le « général Hiver ». À la différence des autres pays, la sécurité de la Russie implique donc qu’aucune armée hostile ne puisse se masser à ses frontières.

Considérant le renforcement de la Russie comme une menace à l’hégémonie occidentale, les États-Unis et leurs satellites ont utilisé les mesures prises par la Fédération de Russie afin de protéger ses intérêts vitaux en Ukraine comme prétexte pour exacerber leur politique antirusse, déjà ancienne, et déclencher une guerre hybride d’un nouveau type. Il faut comprendre que la subordination de l’armée ukrainienne au Pentagone après le coup d’État de 2014 menace les intérêts vitaux russes.

INTÉRÊTS ET BUTS DE LA RUSSIE

Les intérêts nationaux de la Russie sont, je cite :

1) la protection de l’ordre constitutionnel, de la souveraineté, de l’indépendance, de l’intégrité territoriale et étatique de la Fédération de Russie contre l’influence étrangère destructrice ;
2) le maintien de la stabilité stratégique, le renforcement de la paix et de la sécurité internationales ;
3) le renforcement du cadre législatif des relations internationales ;
4) la protection des droits, des libertés et des intérêts légitimes des citoyens russes et la protection des organisations russes contre les atteintes étrangères illicites ;
5) le développement d’un espace informatique sûr, la protection de la société russe contre l’influence informationnelle et psychologique étrangère lorsqu’elle est destructice ;
6) la préservation du peuple russe, le développement du potentiel humain, l’augmentation de la qualité de vie et du bien-être de ses citoyens ;
7) l’aide au développement durable de l’économie russe sur une nouvelle base technologique ;
8) le renforcement des valeurs spirituelles et morales traditionnelles russes, la préservation de l’héritage culturel et historique du peuple plurinational de la Fédération de Russie ;
9) la protection de l’environnement, la préservation des ressources naturelles et la gestion de l’environnement, l’adaptation aux changements climatiques.

Les buts de la politique étrangère de la Russie sont, je cite :

1) l’établissement d’un ordre mondial équitable et durable ;
2) le maintien de la paix et de la sécurité internationales, de la stabilité stratégique, la garantie de la coexistence pacifique et du développement progressif des États et des peuples ;
3) l’aide à l’élaboration des réponses complexes efficaces de la communauté internationale aux défis et menaces communs, y compris les conflits et crises régionaux ;
4) le développement de la coopération mutuellement avantageuse et égale en droit avec tous les États étrangers ayant une attitude constructive et leurs alliances, la garantie de la prise en compte des intérêts russes dans le cadre des institutions et mécanismes de la diplomatie multilatérale ;
5) l’opposition à l’activité antirusse de certains États étrangers et de leurs alliances, la création des conditions pour l’arrêt de cette activité ;
6) l’établissement des relations de bon voisinage avec les États limitrophes, l’aide à la prévention et à l’élimination des foyers de tension et de conflits sur leurs territoires ;
7) l’assistance aux alliés et partenaires de la Russie pour la promotion des intérêts communs, la garantie de leur sécurité et leur développement durable indépendamment de la reconnaissance internationale de ces alliés et partenaires et de leur statut de membres au sein des organisations internationales ;
8) la libération et le renforcement du potentiel des associations régionales multilatérales et des structures d’intégration avec la participation de la Russie ;
9) le renforcement des positions de la Russie dans l’économie mondiale, l’atteinte des objectifs nationaux du développement de la Fédération de Russie, la garantie de la sécurité économique, la réalisation du potentiel économique de l’État ;
10) la promotion des intérêts de la Russie dans l’océan mondial, l’espace extra-atmosphérique et aérien ;
11) la formation de l’image objective de la Russie à l’étranger, le renforcement de ses positions dans l’espace informatique global ;
12) le renforcement de l’importance de la Russie dans l’espace humanitaire global, le renforcement des positions de la langue russe dans le monde, l’aide à la sauvegarde de la vérité historique et de la mémoire sur le rôle de la Russie dans l’histoire mondiale à l’étranger ;
13) la défense exhaustive et efficace des droits, libertés et intérêts légaux des citoyens et des organisations russes à l’étranger (la Russie s’est toujours considérée comme la protectrice des minorués de culture russe à l’étranger) ;
14) le développement des relations avec les compatriotes résidant à l’étranger et l’assistance exhaustive à ces derniers pour la réalisation de leurs droits, la protection de leurs intérêts et la préservation de l’identité culturelle générale russe.

PRIMAUTÉ DU DROIT

Le Droit international contemporain a été créé lors de la conférence de La Haye (1899). Elle fut convoquée par le dernier tsar, Nicolas II. 27 États y participèrent. Elle se consacra à « recherche les moyens les plus efficaces d’assurer à tous les peuples les bienfaits d’une paix réelle et durable ». Elle s’étendit sur 72 jours.
Trois sujets furent abordés, mais seuls les deux derniers furent couronnés de succès :
la limitation des armements, des effectifs et des budgets militaires ;
la mise en place de conventions visant à réduire, en temps de guerre, l’usage des armes les plus meurtrières et les souffrances inutiles (la Conférence adopte la clause de Martens, selon laquelle tout ce qui n’est pas expressément interdit par un traité n’est pas pour autant autorisé. Elle pose ainsi les bases du Droit humanitaire international et justifiera l’existence du Tribunal de Nuremberg) ;
la reconnaissance, pour les cas qui s’y prêtent, du principe de l’arbitrage (elle crée la Cour permanente d’arbitrage de la Haye sur une proposition française).
La délégation française s’y illustra. Elle comprenait Léon Bourgeois, Paul d’Estournelles de Constant et Louis Renault, trois futurs Prix Nobel de la Paix.
Cette conférence a posé deux innovations :
l’égalité juridique entre les États, quels qu’ils soient ;
la recherche du compromis et d’un vote unanime comme source de légitimité.

La méthode de cette conférence, que la Russie a toujours respectée, constitue sa manière de penser (et celle des Radicaux français de Léon Bourgeois). Moscou considère qu’elle trouve son expression actuelle dans la Charte des Nations unies (1945) et dans la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies (1970).

S’opposant au Droit international, défini collectivement au sein de l’Onu, les Occidentaux tentent de lui substituer une ensemble de « règles », défini par eux en l’absence de tous les autres. Seule l’association des efforts de bonne foi de toute la communauté internationale, basée sur l’équilibre des puissances et des intérêts, peut assurer efficacement le développement pacifique et progressif des grands et des petits États.

Dans le document du 31 mars, la Russie rappelle que son opération militaire spéciale en Ukraine est autorisée par l’article 51 de la Charte de l’Onu. Elle fait référence à l’attaque qu’avait planifiée le gouvernement ukrainien contre le Donbass, dont elle a depuis publié un des textes annotés de la main des chefs d’état-majors ukrainiens. On comprend donc que la reconnaissance des Républiques du Donbass comme États indépendants alliés de la Russie (la veille de l’opération spéciale) était une condition nécessaire pour que l’article 51 s’applique.

Il s’agit d’établir des rapports contractuels entre les États, sachant que le plus fort pourra toujours violer sa parole et détruire les plus faibles. Il doit donc s’accompagner de garanties visant à décourager celui qui est en position de force d’en abuser. Celles-ci ne peuvent convaincre que si la Russie, comme les autres, dispose d’un libre accès aux espaces mondiaux, y compris au spatial, et si des mécanisme de prévention de la course aux armements sont mis en place.

DESCRIPTION DU MONDE MULTIPOLAIRE

Moscou aborde le monde multipolaire à travers une vision culturelle du monde. Il entend entretenir des relations avec toutes les cultures et encourager chacune d’elles à se doter d’organisations intergouvernementales.

Il affirme que, s’il demande aux États proches de ne pas héberger de troupes et de bases militaires des États hostiles chez eux, il est disponible à les aider à se stabiliser. Y compris en les aidant à réprimer les manœuvres de déstabilisation entreprises chez eux par les États hostiles. Il ne s’agit pas pour lui de regarder d’un œil indifférent d’autres pays suivre la voie ukrainienne et renverser des autorités élues en s’appuyant sur des groupuscules néo-nazis.

Le document attache une grande importance au renforcement de la coopération avec la Chine et à la coordination avec son action internationale. Il s’agit donc bien de donner naissance à un monde multipolaire, mais accouché par deux sages-femmes que sont Moscou et Beijing. Au plan militaire, Moscou évoque son partenariat stratégique avec l’Inde.

Un passage particulier traite du monde islamique qui sort de la domination occidentale avec la victoire de la Syrie et l’accord de paix entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

Pour ce qui concerne l’Europe occidentale, Moscou espère qu’elle se rendra compte de ses erreurs et se détachera des Anglo-Saxons. D’ici là, il se méfie non seulement de l’Otan, mais aussi de Union européenne et du Conseil de l’Europe

La Russie ne se positionne pas comme ennemie de l’Occident, ne s’en isole pas, n’a pas d’intentions hostiles à son égard et espère que, dans l’avenir, les Occidentaux prendront conscience de l’inutilité de leur politique conflictuelle et se rallieront aux principes d’égalité souveraine et de respect des intérêts mutuels. C’est dans ce contexte que la Fédération de Russie se dit prête au dialogue et à la coopération.

La politique de la Russie à l’égard des États-Unis a un caractère dual, compte tenu d’un côté du rôle de cet État en tant qu’un des centres souverains influents du développement mondial, parmi d’autres, et d’autre part en tant qu’inspirateur, organisateur et réalisateur essentiel de la politique antirusse agressive des Occidentaux, source des risques essentiels pour la sécurité de la Fédération de Russie, la paix internationale, le développement équilibré, équitable et progressif de l’humanité.


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