LIVRES / L’Université en question(s) !

                        par Belkacem Ahcene-Djaballah     

                                                                             Livres

L’Université désacralisée. Recul de l’éthique et explosion de la violence. Ouvrage collectif (essais) coordonné par Louisa Dris-Aït Hamadouche, Fatma Oussedik et Khaoula Taleb Ibrahimi. Koukou Editions, Alger 2022, 344 pages (210 en français et 134 en arabe), 1.000 dinars

«Le déclin programmé d’une institution dévitalisée»… Voilà donc un titre d’article de presse (Mustapha Benfodil, El Watan, mercredi 20 avril 2022) qui, à lui seul, peut résumer l’ouvrage. Un ouvrage que les auteurs des études présentées ont porté en eux, bien plus de force que de gré, on le sent bien, durant des carrières, pour la plupart bien remplies en enseignement, en efforts, en réflexions et… en colères retenues. Allant, souvent, jusqu’à préférer (comme Nacer Djabi et bien d’autres) la démission ou la retraite anticipée afin de ne pas participer à ce qu’il leur semblait un naufrage annoncé. Un diagnostic pessimiste mais ayant fréquenté assidûment le milieu universitaire durant près d’un demi-siècle, un diagnostic vrai lorsqu’on va au-delà de l’analyse quantitative, laquelle est très, très, trop optimiste. Sur le plan qualitatif, le marasme est bel et bien là : clochardisation des infrastructures universitaires, «bricolage» dans le management, marginalisation des universitaires, violences multiformes au sein des campus, perte d’autonomie de l’Université, bureaucratisation de la vie universitaire dévitalisante, emprise asphyxiante de l’administration… Un bilan peu réjouissant, tempéré seulement par les statistiques officielles toujours optimistes concernant le nombre d’établissements, d’étudiants, de places pédagogiques et de lits dans les cités universitaires, les facilités accordées…

Résumé : La première partie traite du vaste sujet de la gouvernance qui commence par le commencement à savoir l’Indépendance. Entre autres, la politique suivie durant les premières décennies y est expliquée avec ses contradictions, ses motivations et ses conséquences à court et moyen termes. Aussi, la problématique du rôle de l’enseignant, de l’étudiant et des relations entretenues et à entretenir. Il y a, aussi, les ressorts de la désinstitutionalisation de l’université algérienne, les difficultés opératoires, l’ouverture sur le monde…

La deuxième partie aborde les questions de la protection juridique de l’enseignant-chercheur, des libertés académiques, de l’action syndicale, du statut de l’enseignant-chercheur et des relations Université algérienne et pouvoir politique…

Quant à la troisième partie, on y aborde deux notions quasi indissociables, celle de l’éthique dont la perte suprême débouche sur l’anomie et la violence (surtout estudiantine).

Les Auteurs : Lahcen Zeghdar, Chérif Dris, Karim Khaled, Nasr-Eddine Koriche, Fatma Oussedik, Louisa Dris-Aït Hamadouche, Khaoula Taleb Ibrahimi, Tayeb Kennouche, Ahmed Rouadjia, Mourad Ouchihi, Abdelkader Abdelali, Mourad Boutaba, Nedjwa Bouzourine, Salsabil Laroussi, Razika Yettou, Saïd Loucif, Mohsen Kheniche, Mohamed Si Yachir.

Sommaire : Pour les textes en français, Introduction/Première partie : La gouvernance de l’Université entre politiques et réalités (Trois études) / Deuxième partie : Les libertés académiques, les déterminants face aux contraintes (Trois études) / Troisième partie : L’éthique universitaire s’efface face à la violence (Quatre études) /Conclusion. Pour les textes en arabe, deux parties et huit études.

Extraits : «Formateur ou simple transmetteur de connaissances ? Telle est la question qui taraude beaucoup d’enseignants, du moins ceux qui ont choisi ce métier par conviction et par passion et qui savent combien ce métier d’enseignant universitaire a évolué avec le temps» (Chérif Dris, p 42), «Démissionner, c’est se départir de sa responsabilité de citoyen et d’intellectuel critique au profit justement de ceux dont la médiocrité et l’indifférence envers le bien commun contribuent à la dégénérescence de la société et de l’Etat» (Ahmed Rouadjia, p 183).

Avis : Un déclin programmé ? Si ce n’était que ça ! Car quelque chose de programmé peut toujours être revu et corrigé. Ce qui ne peut être fait (en tout cas, pas facilement, pas rapidement et pas sans heurts ni dégâts) pour quelque chose qui relève bien plus du dogme.

Citations : «Dans le domaine de l’enseignement, l’autorité s’acquiert avant toute chose par le savoir et les connaissances» (Chérif Dris, p 47), «Il n’est pas exagéré d’affirmer que certains établissements universitaires sont devenus moins des lieux d’enseignement que de vastes salles d’attente, des espaces d’accueil, sinon même de stockage» (Oussedik Fatma, p 96), «La politique du savoir ne doit pas être confondue avec la politique scientifique qui est une politique publique» (Louisa Dris-Aït Hamadouche, p 123), «La force d’une nation ou sa puissance ne se mesure plus, désormais, au nombre de divisons blindées qu’elle est en mesure d’aligner sur un champ de bataille, pour défendre ou protéger sa souveraineté menacée (… ). C’est, en fait, la qualité de ses neurones, ainsi produites, qui constitueront sa meilleure protection contre de possibles vulnérabilités (Tayeb Kennouche, p 157), «La résignation et la démission sont synonymes de lâcheté et de défaite» (Ahmed Rouadjia, p 183).

Dimensions du champ éducatif algérien. Analyses et évaluations. Recueil d’articles de Mustapha Haddab, Arak Editions., Alger 2014, 262 pages, 650 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)

En quatorze (14) textes, l’auteur nous permet d’avoir une vue quasi-complète sur l’évolution historique du système éducatif algérien. «Contribuer à la constitution d’une histoire sociale du champ éducatif en Algérie depuis l’indépendance», telle est son ambition.

Les articles (études est le terme plus approprié car relevant bien plus de l’analyse que du simple compte-rendu ou de la description) réunis font écho à bon nombre des changements connus depuis 1962 et essayent d’en préciser la nature, les causes, l’ampleur et leurs significations sociologiques et anthropologiques. Malgré l’insuffisance des données et des analyses disponibles et sur lesquelles peuvent prendre appui les chercheurs .

Les dysfonctionnements et leurs raisons sont mis au jour : tendances à la fermeture, à la routine, à l’étroitesse relative de la culture générale et pédagogique…

L’auteur aborde,aussi, les stratégies sociales des individus et des groupes.

Dans ce cadre, l’étude (datant de 1993, ce qui n’est pas si loin du point de vue générationnel) sur «l’évolution du statut des cadres en Algérie et ses effets sur les institutions de formation» est intéressante à plus d’un titre. Elle dégage les multiples facteurs qui ont contribué à contrarier la constitution d’un système stable de formation et de reproduction d’élites dans les différents secteurs d’activité du pays… ce qui a facilité la production et la reproduction d’une domination par les différentes fractions de la classe dominante… dont il faut rechercher la source dès 1962

Quelques autres études : «La déperdition scolaire : thème idéologique ou objet d’évaluation qualitative» / «Arabisation de l’enseignement des sciences et mutations dans le champ sociolinguistique en Algérie»/ «Maltraitances scolaires : projections et réalités» / «Evolution morphologique et institutionnelle de l’enseignement supérieur en Algérie. Effets sur la qualité des formations et sur les stratégies des étudiants»…

L’Auteur : Professeur à l’Université d’Alger, conseiller à l’Inesg, formation en philosophie, chercheur en psychologie sociale, nombreuses recherches sur divers objets de socio-anthropologie. Il a longuement travaillé sur le système éducatif algérien, sur le statut des élites et des cadres… sur l’évolution des langues en Algérie depuis l’Indépendance. Plusieurs publications consacrées à des figures de la culture algérienne (Ibn Khaldoun, Jean Amrouche, Frantz Fanon, Al Mahdi Bouabdelli)

Avis : Des études qui datent certes, mais très utiles au chercheur car elles fournissent les éléments très bien réfléchis et essentiels pour comprendre le présent

Citations: «La langue arabe est demeurée dans une position seconde par rapport au français, tant qu’elle n’est pas devenue l’instrument indispensable à la réussite scolaire et à la réussite sociale» (p 67), «La valeur sociale réelle des titres que confère une institution de formation, même lorsque celle-ci est en principe destinée à la formation d’une élite, ne dépend pas seulement des mesures formelles prises pour sélectionner ses étudiants, et pour y instaurer une didactique exigeante, mais surtout du degré auquel cette institution est objectivement intégrée dans les stratégies conscientes ou inconscientes des différentes fractions de la classe dominante, par lesquelles elles tendent à se reproduire et surtout à reproduire leur domination» (p 168).

De la fuite des cerveaux à la mobilité des compétences. Une vision du Maghreb. Ouvrage collectif du Cread, sous la coordination de Musette Mohamed Saïb, sociologue. Cread/Oit Alger, Alger 2016, 800 dinars, 292 pages (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)

Brain-drain ou fuite des cerveaux ou tout simplement mobilité des compétences ? That is the question. Dans tous les cas de figure, c’est un phénomène des migrations internationales. Brain-drain… un concept inventé à peine il y a plus de cinquante ans (juste après les décolonisations politiques, comme par hasard), ce qui a fait qu’il y a peu d’études sur le sujet.

A la lumière des nouvelles données empiriques produites par l’Ocde, en 2013, les débats sont devenus intenses parmi les analystes de migrations. A l’ère de la mondialisation, on venait de découvrir, avec effroi, chez nous, dans le monde arabe et les pays du l’Union du Maghreb, l’ampleur des dégâts (parmi bien d’autres), en raison d’un effet pervers : la lutte pour les talents globaux. Exit la main-d’œuvre bon marché ! «Le siècle dernier a été celui du «hard», le défi de ce millénaire est celui du «soft». Pour les pays en développement ou en mal-développement, pour la plupart pays de départ, les pertes occasionnées sont incommensurables. Après le pillage des ressources lors de la colonisation (et après), ajoutez-y la «fuite et le blanchiment des capitaux» (un nouveau phénomène qui commence à être dévoilé au grand public d’abord avec les Panama Papers et, aujourd’hui, les Paradise Papers) et la coupe sera pleine.

La recherche menée, première du genre dans la sous-région, aboutit à des résultats assez parlants : mouvements inquiétants des diplômés, perte sèche pour les économies maghrébines…, tout particulièrement celle libyenne, actuellement traversée par une crise multiforme. L’Algérie a connu cela durant les années 90.

Fuite fortement marquée par les profils très prisés sur le marché international : médecins (l’Algérie est particulièrement touchée) et ingénieurs. Certes, il y a des dispositifs nationaux de lutte contre la fuite des cerveaux, fondée sur une régulation en amont du phénomène, avec une maîtrise des flux des étudiants à l’étranger (exemple de l’Algérie), mais cela ne semble pas suffire. Capacités de rétention des pays d’origine faibles face à la force des éléments attractifs des pays développés, en déficit des compétences et autres talents. «Un lutte entre forces inégales pour la matière grise».

Conclusion : les pays de l’Uma restent peu actifs face à la perte de compétences. Les autorités sont certes attentives mais aucun traitement de choc.

L’Auteur : Cread (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement), rue Djamel Eddine El Afghani, Rostomia, Bouzaréah (Alger). e-mail ! : [email protected] et www.cread.dz

Extrait : «Le migrant est une personne qui a quitté son pays de naissance pour s’installer, au moins pour une année, dans un autre pays, selon la définition des Nations unies. Le migrant n’est pas toujours un «étranger», au sens juridique du terme. Les personnes naturalisées dans le pays d’accueil obtiennent la citoyenneté» (p 35), «Les «quatre âges» qui ont structuré l’émigration intellectuelle algérienne confirme davantage à quel point le champ intellectuel algérien trouve des difficultés de se structurer en champ autonome, notamment après l’indépendance. Il reste l’héritier de toutes les divisions idéologiques et sociales refoulées et soumises en silence depuis la naissance du mouvement national. Ces mêmes refoulés collectifs, transformés en un imaginaire social bourré de contradictions, vont alimenter davantage les conflits qu’ont connus l’enseignement supérieur et tout le système éducatif algérien, pris en otage par deux grandes conceptions sociologiquement antagonistes, notamment entre les arabophones et les francophones «(Karim Khaled, sociologue, p 168).

Avis : Une recherche qui avait fait, par le passé (récent), grand bruit…, en tout cas dans la presse nationale. A-t-elle été lue par nos décideurs politiques afin de prendre les mesures nécessaires pour faire face efficacement au phénomène de la «fuite des cerveaux» ? Il n’est pas trop tard (pour la lecture) ! 800 dinars sur le budget de fonctionnement d’une Institution, ce n’est rien !

Citations : «Les vagues migratoires de l’intelligentsia algérienne trouvent, entre autres, leur sens dans cette histoire silencieuse, instaurée davantage par l’idéologie unanimiste depuis l’indépendance, sous forme d’une ignorance institutionnalisée, incarnée par le système éducatif et l’université en particulier (…). Malgré toutes les politiques de formation à l’étranger et les multiples «réformes», l’enseignement supérieur algérien ne peut être que productrice de foyers migratoires. Il s’agit d’une dynamique historique qui reste toujours otage des formes identitaires hégémoniques, à la fois idéologique et communautariste, empêchant l’émergence des sujets-pensants-entrepreneurs» (Karim Khaled, p 169).

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