Le vaccin et la vaccination : un indicateur clé des politiques de santé ?

   

 

   Par le Professeur Kamel Sanhadji (*)

Les enjeux
Le vaccin ? De par l’histoire, il est admis que seul l’accès à l’eau potable a eu plus d’impact sanitaire. Le vaccin est un pilier incontournable des politiques sanitaires.
Il s’agit d’une catégorie thérapeutique aussi importante que les antibiotiques car avec les vaccins on s’adresse à un type de maladies que l’on ne peut pas atteindre par d’autres moyens. Celles en particulier causées par des virus et que les médicaments ne peuvent guérir.
En effet, on considère que grâce à la vaccination, l’incidence pour huit maladies (variole, diphtérie, tétanos, oreillons, rougeole, rubéole, polio, méningite) avait été réduite de 99 à 100% dans de nombreux pays développés. Au niveau mondial, on estime que 5 millions de décès d’enfants sont évités chaque année grâce au niveau de couverture vaccinale atteint. Le gain en termes d’espérance de vie, au sein de la population mondiale, a clairement apporté la démonstration que le vaccin est avant tout un outil de réduction de la mortalité. Plus significatif encore, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que les vaccins expliquent qu’un tiers à la moitié des gains d’espérance de vie en Afrique, depuis cinquante ans, ceci grâce notamment à la distribution de nouveaux vaccins.

L’entrée dans l’ère des pandémies est inexorable
Nous allons, hélas, entrer dans «l’ère des pandémies». En effet, des pandémies futures vont apparaître plus souvent, se propageront plus rapidement, causeront plus de dommages à l’économie mondiale et tueront plus de personnes que la Covid-19. Il existe bien un lien direct entre la dégradation de la nature dans sa biodiversité (c’est-à-dire la faune et la flore) et l’augmentation des risques de pandémies. On estime à plus de 1,5 million le nombre de virus «non découverts» actuellement et présents dans les mammifères et les oiseaux et dont la moitié de ces virus pourrait avoir la capacité d’infecter les êtres humains.
Ces animaux réservoirs et leurs microorganismes étaient «tranquilles» dans leur écosystème. On est allés «les chercher, les secouer» (par la déforestation, le commerce des animaux sauvages, l’élevage intensif…) et on en «paie» le prix aujourd’hui. Le risque de pandémie peut être considérablement réduit en diminuant les activités humaines qui entraînent la perte de la biodiversité ceci par une plus grande conservation des zones protégées et par des mesures réduisant l’exploitation non durable dans les régions riches en biodiversité. Cela permettra de réduire les contacts entre les animaux sauvages, le bétail et les êtres humains et aidera à prévenir la propagation de nouvelles maladies.
Un changement de paradigme est donc impératif. Il s’agit de la nécessité d’un profond changement d’approche pour passer de la réaction (à ces phénomènes) à la prévention (de ces mêmes phénomènes).
Et de plus, le coût de la prévention et de la réduction des risques de pandémies est 100 fois moins élevé que le coût de la réponse à de telles pandémies. À cause du niveau de développement économique des systèmes qui gouvernent le monde et ses enjeux, il est aujourd’hui admis qu’il serait difficile que les conditions écologiques équilibrées puissent retrouver le jour. Seule l’adaptation est possible. Les maladies engendrées par ces bouleversements en sont le principal indicateur. Les plus saillantes de ces pathologies sont les maladies infectieuses dont 70% sont des zoonoses.

Les atouts
Les vaccins animaux sont aussi un élément clé de l’amélioration de la santé humaine. En effet, la santé animale a un impact direct et indirect sur la santé humaine.
Direct car plus de 60% des maladies émergentes chez l’homme ont eu ces dernières années pour origine un animal domestique ou un animal sauvage. Indirect car l’augmentation de la population mondiale qui devrait atteindre 10 milliards de personnes en 2050 et l’émergence dans de nombreux pays d’une classe moyenne au régime alimentaire plus riche en protéines imposent de «sécuriser la production de viande animale» en termes qualitatifs comme quantitatifs.
L’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) estime que nous avons une diminution de 20% de la production animale en raison des maladies. Évidemment, l’objectif est de combattre les pathogènes zoonotiques en les contrôlant à la source, c’est-à-dire au niveau de l’animal, ce qui est bien plus efficace et bien plus économique que de les traiter. Enfin, prévenir une infection animale permet de réduire l’utilisation des molécules curatives qui peuvent induire chez l’homme qui consomme des produits animaux des effets indésirables.
Les atouts intrinsèques du vaccin sont aujourd’hui connus et reconnus, comme le rappellent de nombreux spécialistes de la vaccinologie. En effet, la vaccination agit à trois niveaux. Elle protège bien sûr l’individu que l’on vaccine. Elle protège l’entourage et il faut rappeler que dans l’entourage de chacun d’entre nous, il y a des personnes que l’on ne peut pas protéger par la vaccination, des sujets qui ont des contre-indications ou qui sont trop jeunes pour être vaccinés. Enfin, elle protège la population dans son ensemble, c’est le fameux mécanisme d’immunité de groupe. Par ailleurs, les vaccinations sont des interventions faciles à accepter car elles sont efficaces et font la différence avec ce qui se passait avant, et d’un point de vue médical, c’est un geste technique facile à administrer et qui ne demande pas une grande infrastructure d’hôpitaux ou de systèmes de santé.

Fort de ces atouts, le vaccin est aujourd’hui considéré comme l’une des interventions sanitaires qui présente l’un des meilleurs rapports coût-efficacité. Ainsi, on soutient que la valeur économique du vaccin est indissociable de la valeur pour la santé publique.
En plus du bénéfice pour les individus et la santé publique (baisse de la mortalité, du taux d’invalidité), il y a un bénéfice économique certain (baisse de l’absentéisme, amélioration de la réussite scolaire et de la productivité). Le vaccin est un allié de la croissance économique car il génère de la valeur ajoutée. À titre d’exemple, une étude récente aux Pays-Bas a montré que pour chaque euro investi dans les programmes de vaccination, le bénéfice net pour les gouvernements et la société est de 4 euros.
Les Américains ont évalué que les sommes dépensées pour éradiquer la variole au niveau international représentaient le coût annuel du contrôle de cette maladie aux États-Unis, c’est-à-dire le montant dépensé à la fois dans la vaccination et dans le contrôle aux frontières.

Malgré ces résultats encourageants et la reconnaissance des mérites de la vaccination, la menace persiste, la bataille n’est jamais gagnée contre les agents pathogènes qui ne demandent qu’à réapparaître. Les exemples sont nombreux. De l’épidémie de coqueluche en Grande-Bretagne qui à la fin des années 1970 avait entraîné la mort de dizaines de nourrissons à la résurgence récemment de la polio en Syrie. On a constaté que chaque fois qu’il y a un conflit, la polio redémarre. Mais chaque relâchement de la politique vaccinale dans les pays occidentaux a également des conséquences en termes de santé publique. Aussi, on doit rester vigilants car même des niveaux de couverture vaccinale très élevés, voire au-delà de 90%, ne nous protègent pas de la résurgence des maladies.
Sur le plan stratégique, le retour en grâce du vaccin procède de plusieurs facteurs. Il serait judicieux de s’investir dans l’industrie du vaccin ceci à plusieurs titres. D’abord, l’impossibilité de le copier et donc de développer des génériques ainsi que la possibilité de le vendre à des prix élevés sur le marché pour financer la recherche sont deux des facteurs qui expliquent l’attrait des sociétés pharmaceutiques pour le vaccin. Il existe un troisième paramètre dont on parle assez rarement.

L’industrie du vaccin faisait de la biotechnologie sans le savoir. Les industriels du vaccin ont été les premières sociétés de biotechnologie au monde. La croissance du marché du vaccin est d’ores et déjà visible avec la mise sur le marché de nouvelles thérapies.
La dynamique devrait se poursuivre car les défis nouveaux que représentent, par exemple, le Sida, la tuberculose à germes multirésistants ou les nouveaux virus d’origine animale, sont nombreux.
Il existe un grand nombre de vaccins très prometteurs en phase ultime de développement qui vont élargir le champ bien au-delà des maladies infectieuses et couvrir pratiquement l’ensemble de l’horizon des pathologies. Il faudrait tirer profit de ce contexte porteur à condition de disposer d’un véritable savoir-faire qui protégerait d’une concurrence trop forte.
Cet atout doit cependant être valorisé. Cela passe évidemment par la recherche et le développement de nouveaux produits. L’innovation est une des clés de l’avenir.

La couverture vaccinale, un geste salutaire
Malgré les formidables avancées enregistrées par la médecine grâce à la vaccination, il n’en demeure pas moins que le maintien indispensable d’un fort taux de couverture vaccinale, même dans les pays occidentaux voire peut-être avec plus d’acuité dans ceux-ci, reste une gageure. Il s’agit d’un problème auquel sont aujourd’hui confrontés les épidémiologistes. Paradoxalement, on assiste à une montée des doutes, une certaine remise en cause. En effet, on pourrait même dire que la vaccination est victime de son succès. Elle y était condamnée dès le début car en faisant disparaître les menaces infectieuses, elle diminue la perception du risque et, par là même, l’adhésion des populations. On constate, lorsque les épidémies reculent ou disparaissent grâce aux vaccins, qu’il y a en conséquence un oubli des risques infectieux et corrélativement une visibilité excessive des effets secondaires. Si bien que le rapport bénéfice/risque est oublié, et on assiste à des résurgences ici de coqueluche, là de rougeole.

Ces appréhensions ne sont pas à prendre à la légère, affirment en chœur les médecins et industriels. Même certains pays européens, bien que bénéficiant d’une très bonne couverture vaccinale, ont été touchés par une épidémie de rougeole significative ces dernières années (faisant plusieurs morts), en raison d’un relâchement de l’effort de vaccination. Les campagnes anti-vaccin contre l’hépatite B en ont été également une illustration. Ainsi, la remise en cause de la vaccination a plusieurs origines, notamment une plus grande aversion au risque dans les sociétés occidentales, une remise en cause de l’expertise publique et la circulation accélérée d’informations non validées, conséquences du succès des nouvelles technologies de communication. L’épisode de la vaccination contre la grippe A n’a pas non plus aidé à la perception de la vaccination, entraînant un recul par la suite de la vaccination contre la grippe saisonnière.

Une perception plus juste des bénéfices du vaccin passe d’abord par un effort de communication. En effet, sur les 10 à 12% de familles qui ne se vaccinent pas, il n’y a que 2 à 3% d’opposants farouches, les autres sont des personnes qui demandent à être rassurées. Mieux informer, c’est d’abord mieux communiquer sur les réussites de la vaccination. On peut citer en exemple le cas du vaccin contre les méningites haemophilus influenzea qui a entraîné la quasi disparition, en moins de deux ans, de la principale cause de méningite chez les enfants de moins de cinq ans. Il s’agit d’un impact spectaculaire et indubitable de la mise en œuvre de la vaccination.
Le rapport bénéfice/risque est insuffisamment expliqué. Il faut faire de la pédagogie, rappeler les méfaits des épidémies bien sûr, mais agir aussi sur la sensibilité. Cet effort de communication doit être fait par tous mais chacun à sa place. Il ne peut pas être fait par les seuls industriels de santé, ni uniquement par les pouvoirs publics.
Il faut trouver des relais dans la population qui puissent davantage convaincre en appelant à une meilleure synergie entre tous les acteurs et à plus de transparence.

L’axe principal de la communication doit passer par une meilleure explication du mécanisme du vaccin, qui n’est pas un médicament comme les autres. La base de la vaccination c’est l’interdépendance et la solidarité. La vaccination est une procédure collective alors que son refus est une posture individuelle. La pédagogie du risque est cruciale dès lors que nous parlons de vaccination. Nous avons des gros progrès à faire car c’est là que tout se joue.
La décision appartient en effet au patient ou à sa famille. Tout se joue dans l’équilibre entre un risque perçu comme très théorique d’une maladie potentielle et un risque perçu comme immédiat dû aux effets secondaires.
C’est à ce niveau-là que les travaux doivent se poursuivre. Une pédagogie qui doit passer par une plus grande clarté et précision afin de ne pas dissimuler exagérément les effets adverses qui apparaissent mais qui sont tellement inférieurs statistiquement aux bénéfices. On constate que notre perception du risque a, par ailleurs, été pervertie par le principe de précaution abusivement étendu à la santé, sans prendre en compte le risque spontané qui persisterait en l’absence d’une action comme la vaccination.

Parmi les nombreuses mesures pour renforcer l’image de la vaccination dans la population, on insiste sur le rôle primordial des professionnels de santé, véritable pierre angulaire du système de vaccination. Un des problèmes, c’est le peu de temps consacré à la vaccinologie dans les études de médecine. Les professionnels de santé, notamment les pédiatres, sont un peu désorientés et ont des difficultés à trouver des informations.
Les jeunes médecins ne sont pas assez avertis de tous les aspects de la vaccinologie. Et la formation continue n’est pas assez développée car les médecins qui ont 60 ans aujourd’hui, quand ils ont fait leurs études, les vaccins d’aujourd’hui n’existaient pas. A ce propos, le développement de produits plus faciles à administrer pour les petits enfants pour lesquels la vaccination est mieux acceptée comme le vaccin hexavalent qui protège contre l’hépatite B est conseillé.
D’autres propositions peuvent être formulées : la mise en place d’un carnet de vaccination électronique car on ne peut pas se baser sur un système périmé issu du XXe siècle mais qui ne correspond pas aux outils de notre temps. L’instauration d’une véritable politique régionale et internationale car la collaboration inter-pays est un formidable levier pour activer des politiques de vaccination qui sont aujourd’hui trop dissemblables. Il serait bénéfique qu’une meilleure implication des agences régionales de santé prenne place pour développer sur le terrain des politiques qui prennent en compte les caractéristiques et les disparités locales. Il est indispensable qu’une réorientation des politiques publiques se fasse vers la prévention car le système de santé en vigueur s’est construit selon une logique quasi exclusive de soins individuels.
K. S.


(*) Président de l’Agence nationale de sécurité sanitaire.(Algérie)


     En provenance de pays subsahariens: Plus de 1.000 cas de paludisme enregistrés

                                           par R. N.

L’Algérie maîtrise la maladie du paludisme, de l’avis même de l’OMS, et l’apparition de quelques cas durant la période du Covid-19 à Tamanrasset est due à l’immigration clandestine en provenance de pays du Sahel, selon le Pr Kamel Djenouhat, président de la Société algérienne d’immunologie, chef de service du Laboratoire central de l’EPH de Rouiba. L’intervenant qui était l’invité, hier, de la Radio nationale Chaîne 1, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre le paludisme, rappelle que « l’Algérie a été certifiée exempte de paludisme en 2019 par l’OMS ». « Cette certification a été attribuée parce que l’Algérie est restée cinq années sans enregistrer de cas de paludisme. Mais depuis la pandémie de coronavirus, nous constatons que quelques cas sont signalés au sud du pays, particulièrement dans la wilaya de Tamanrasset qui enregistre, on peut dire 90% des cas de paludisme détectés récemment », ajoute le Pr Djenouhat. Selon lui, « en 2022, nous avons enregistré plus de 1.000 cas de personnes atteintes de paludisme, dont trois décès ». « Cela étant dit, il faut faire la différence entre les cas de paludisme qui touchent des autochtones et ceux enregistrés chez des personnes qui arrivent clandestinement en Algérie via les frontières sud », affirme encore l’intervenant. « On peut dire que les cas enregistrés actuellement ne concernent pas la population algérienne, mais des cas importés par des sujets arrivant en Algérie en situation d’immigration clandestine. C’est ce qui nous permet d’être rassurés sur l’avenir de cette maladie en Algérie », explique l’invité de la radio Chaîne 1. Interrogé sur le mode de transmission du paludisme, l’intervenant explique que celle-ci « ne se fait pas de personne à personne ». « Le paludisme est transmis par la piqûre d’un moustique anophèle femelle, lui-même infecté après avoir piqué une autre personne infectée par le parasite responsable de la maladie. Ce moustique n’existe pas en Algérie. On le trouve généralement dans la région du Sahel, en Asie et en Amérique centrale. Cependant, la transmission directe peut se produire via une transfusion sanguine, ce qui est exceptionnel. D’où la question posée aux personnes qui viennent faire don de leur sang, si elles n’ont pas visité des pays risques durant les 30 jours précédents », explique l’intervenant. Sur la lutte contre le paludisme et son expansion, le Pr Djenouhat explique que la seule voie choisie par l’OMS c’est de donner des médicaments dans le cadre d’une lutte préventive.


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