Qui a donc radicalisé William M. ?

   

 

Par Mourad Benachenhou

  «Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans ; bref des Bataclan à l’envers. Je suis islamophobe… On a le droit d’être islamophobe» (Houellebecq., revue Front Populaire, numéro hors série 2022).
Il semble bien qu’un évènement, qui marque un dangereux tournant dans la vague d’islamophobie qui frappe l’ancienne puissance coloniale, n’a pas suscité la prise de conscience d’une grave dérive vers la violence extrême envers la communauté musulmane, dans un État qui se targue d’être «la Patrie des droits de l’Homme». Il est indispensable de revenir sur les détails de ceux que certains voudraient faire passer pour un simple fait divers, résultat d’un comportement individuel asocial et ressortissant de l’approche psychiatrique plutôt que de l’analyse politique.

Les musulmans pris délibérément pour cibles à travers une attaque contre un centre culturel kurde
Un certain William M. a attaqué, le vendredi 23 septembre de cette année, un centre culturel turc situé au Xe arrondissement de la capitale de la «Patrie des droits de l’Homme». Il a pénétré dans les locaux de ce centre et a tiré à bout portant sur les personnes présentes, en tuant trois et en en blessant trois autres. La presse locale rapporte qu’arrêté, l’agresseur a reconnu, selon Laure Beccuau, la procureure de la République en charge de cette attaque, «qu’il s’en est pris à des victimes qu’il ne connaissait pas», précisant «en vouloir à tous les migrants et aux Kurdes…»
Un hebdomadaire de droite, Le Point, précise que «le matin des faits, le tueur s’est d’abord rendu armé à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) pour «tuer des étrangers», mais a finalement renoncé faute de monde et d’aisance pour recharger son arme en raison de sa tenue vestimentaire, selon la procureure de Paris Laure Beccuau. De retour au domicile parisien de ses parents, où il vivait, il est ensuite allé à pied rue d’Enghien, vers le centre culturel kurde Ahmed-Kaya, dont il connaît la localisation.
Le même hebdomadaire précise que c’est un homme de 69 ans, conducteur de train retraité de nationalité française, et qu’il a été mis en examen, entre autres «pour assassinat et tentative d’assassinat en raison de la race, l’éthnie, la nation ou la religion». Cette même presse ajoute que ce tueur n’en était pas à sa première attaque armée contre des étrangers.

Un criminel islamophobe violent récidiviste
Ce qui ressort du rappel de cet acte de violence contre des personnes innocentes, désarmées, c’est que la motivation du crime commis ressortit tout simplement et très clairement de la haine portée par cet homme, sans aucun doute de culture judéo-chrétienne, non contre n’importe quels étrangers ou citoyens français, mais spécifiquement contre des musulmans, qui se trouvaient, dans ce cas précis, être des Kurdes, parce qu’ils constituaient une cible facile, à portée de son lieu d’habitation, donc attaquables et «massacrables» sans danger pour le perpétrateur. A la haine s’est ajoutée la lâcheté odieuse d’un assassin sans un brin d’humanité, qui a choisi comme jour de son crime le vendredi, jour de la prière collective hebdomadaire musulmane, et à quarante-huit heures de la fête de Noël, où la chrétienté entière célèbre la naissance du Christ, et son message de paix, de non-violence et de fraternité solidaire entre tous les hommes.
On ne peut faire de reproche ni à la hiérarchie politico-administrative, ni aux services de sécurité locaux, ni à l’appareil judiciaire, qui ont agi en totale conformité avec la législation pénale et ont fait preuve dans le traitement de ce crime de la transparence qui caractérise l’État de droit.
On doit, cependant, souligner qu’une tentative d’amalgame a été faite par des autorités officielles entre cette attaque de caractère visiblement raciste et islamophobe, et un attentat perpétré quelques années auparavant, et dans la même ville, contre des militants kurdes par des inconnus soupçonnés d’avoir agi pour le compte d’une puissance étrangère, sans que des preuves dirimantes aient été apportées pour conforter ce soupçon.

La «ratonnade médiatique» dérive vers les pogroms anti-musulmans
Ce qui choque, dans cette affaire criminelle, ce n’est donc nullement l’attitude des autorités publiques, mais la réaction des médias lourds, comme légers, et plus précisément, les grandes chaînes de télévision, si promptes à sonner l’hallali et à appeler à la «ratonnade médiatique» chaque fois qu’un crime est commis par une ou des personnes au nom à consonance musulmane, quel que soit leur statut juridique, qu’elles jouissent de la citoyenneté française pleine et entière, qu’elles soient résidentes légales ou que leur présence sur le territoire français soit illégale.
S’il y avait eu chez le criminel – dont étrangement l’anonymat est bien préservé, car, jusqu’à présent, on ne connaît que la première lettre de son affiliation familiale, ce qui est surprenant, vu qu’il est entre les mains de la justice – le moindre indice d’une origine ethnique ou d’une association religieuse non conforme au judéo-christianisme dont se réclame la majorité de la population française, on aurait assisté à des séances d’hystérie collective dans le moindre des médias lourds et légers, au questionnement des valeurs portées par l’Islam, et au rappel des «crimes» commis soit au nom de cette noble religion, soit par des personnes s’en réclamant directement ou indirectement.
Tous les bavards, aussi ignares que haineux qui animent les heures de grande audience en soirée, auraient servi les mêmes litanies, inchangées depuis le Moyen-âge. Ils auraient appelé au lynchage des criminels, sans autre forme de procès, et en violation flagrante des principes qui fondent la justice moderne, dont le rejet de la responsabilité collective et l’individualisation de la peine et des droits dont jouit la ou les personnes accusées de crimes.

La citoyenneté efface les distinctions d’origine ethnique et de religion
On constate que, loin de mettre en relief la symbolique de cette attaque, perpétrée par un «Français» réellement «Français», contre des victimes, dont, sans aucun doute, toutes étaient soit citoyens français, soit résidents légaux. On aurait pensé que dans l’État de droit, la citoyenneté prime l’affiliation raciale, religieuse ou même culturelle, et que le statut juridique de l’individu est défini exclusivement en fonction des droits et obligations pesant sur tous les membres de la communauté nationale, qui n’ont pas à démontrer à tout moment qu’ils sont loyaux aux principes républicains qui constituent le fondement de la vie en commun dans une République.
On se souvient de la vague de violence verbale qui s’est abattue, par médias interposés, sur la communauté musulmane, il y a quelque deux mois et demi, lorsqu’un crime a été perpétré par une femme d’origine non «française» et de plus «résidente illégale» contre un enfant, comme si un meurtre commis par un «non-Français», toutes choses étant similaires par ailleurs», sur un enfant était plus horrible qu’un infanticide perpétré par un «vrai Français». On a entendu, avec horreur, un appel direct à la punition collective contre la communauté musulmane, tous statuts confondus, comme si chacun de ses membres avait eu une part dans ce crime horrible.

Où est la laïcité si la gravité du crime change avec la religion du criminel ?
On aurait pensé que les «sommités intellectuelles», qui donnent le «la» aux grands débats de société dans la septième puissance mondiale, auraient établi un lien entre cet attentat et l’atmosphère délétère suscitée par la popularisation de la thématique anti- musulmane.
Cette attaque contre le centre culturel kurde n’a rien de spontané, d’improvisé ou d’opportuniste. Elle a été commise pourtant par un homme aux convictions bien arrêtées, et qui n’en était pas à sa première agression contre des «non-Français de souche». Elle a eu lieu dans une atmosphère d’islamophobie hystérique qui traverse la classe politique française dans sa quasi-totalité, et qui est entretenue par des animateurs de médias lourds et des intellectuels de renom ne cachant pas leurs convictions, si contraires soient-elles à l’esprit républicain et même à la laïcité elle-même devenue un cri de guerre contre une communauté religieuse bien définie.
L’acte de ce tueur n’a rien de spontané, d’inattendu ou d’exceptionnel même dans sa cruauté. Comme l’a déjà fait remarquer Simone de Beauvoir, il y a bien longtemps de cela et dans d’autres circonstances historiques et politiques, «il y a des mots qui tuent autant que les armes». La récidive prouve, s’il le fallait, que ce meurtrier se croyait chargé par la société qui le porte d’une mission de «purification raciale et religieuse», qui justifiait ses actes de violence contre la communauté musulmane.

Des mots qui tuent
Et ces mots qui tuent, on n’a pas besoin d’aller trop loin et même de sortir de chez soi pour les entendre. ll suffit d’ouvrir son journal du matin ou d’écouter, confortablement assis sur son fauteuil préféré, après avoir pris son dîner, les commentateurs à sensation répéter les mêmes litanies anti-musulmanes qui, faut-il le rappeler, datent d’une époque où l’intolérance religieuse était le principe fondamental de la vie politique, et où l’Inquisition, animée par les papes, était chargée de protéger la pureté religieuse de la population.
On n’a nul besoin de donner le nom des antennes qui se sont spécialisées dans le message de haine anti-musulmane, ni de révéler le nom de leurs animateurs, dont nombre d’entre eux, paradoxalement, viennent d’une communauté qui se dit souffrir d’antagonismes insupportables, mais qui colportent avec fanatisme l’idéologie servant de justification à la dernière colonie de peuplement au Moyen-Orient, présentée comme «la seule démocratie de la région», alors que tout le programme de ses partis et leur campagne électorale, de même que la politique de ses gouvernements, quel que soit le parti aux commandes, tournent autour de la confiscation de la terre palestinienne et de l’élimination sous une forme ou une autre du peuple.

Lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie
La lutte contre l’antisémitisme se confond paradoxalement avec la haine contre l’Islam et l’islamophobie la plus élémentaire. Le radicalisme et le fanatisme islamophobe sont devenus, au fil du temps, les courants de pensées porteurs de la vie politique dans la «Patrie des droits de l’Homme».
Dans cette atmosphère de haine raciale et religieuse, il n’est nullement étonnant qu’apparaisse et sévisse William M. Et, sans aucun doute, d’autres William M. n’attendent que l’occasion pour se manifester.
Ceux qui les incitent à l’action criminelle contre la communauté musulmane, toutes origines ethniques et tous statuts juridiques confondus, tiennent le haut du pavé intellectuel et politique et redoublent de rage.
Les exemples ne manquent pas d’écrivains de renom, comme d’animateurs ou d’hommes politiques appelant clairement, ou par allusions, à la violence totale contre la population musulmane, toutes couches incluses, sans exception, qu’elles appartiennent à l’élite intellectuelle du pays ou qu’elles exercent les humbles métiers sans lesquels les roues de la société s’arrêteraient de fonctionner.
On ne veut citer le nom d’aucun de ces ténors de l’islamophobie, qui, malgré les lois républicaines, appellent à la discrimination raciale et religieuse et entretiennent la haine de l’Islam et de ses adeptes.

Des articles de loi discriminatoires criminalisant la haine raciale et religieuse ?
Des règles de droit interdisant l’incitation à la haine religieuse existent, et depuis des dizaines d’années.
Le professeur Thomas Hochmann rappelle qu’il existe des dispositions légales claires contre l’appel à la haine raciale et religieuse ; il est indispensable de le citer amplement ci-dessous :
«Le droit français n’était pas jusque-là dépourvu d’instrument contre les propos racistes.» Le décret-loi du 21 avril 1939 dit «Marchandeau», du nom du maire de Reims qui était alors ministre de la Justice, visait les injures et diffamations commises «envers les personnes qui appartiennent, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée […] lorsqu’elles auront eu pour but d’exciter à la haine entre les citoyens ou habitants.»
Les velléités de réforme étaient motivées par les grandes difficultés d’application que rencontrait cette disposition. En particulier, la preuve de l’intention d’exciter à la haine s’avérait compliquée, et les poursuites échouaient parfois au motif que les propos ne visaient pas l’ensemble des personnes relevant d’une «race» ou d’une religion. La loi de 1972 supprima l’exigence de l’intention spécifique à l’égard de l’injure et de la diffamation racistes, et créa un nouveau délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre les personnes à raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une «race» ou une religion déterminée.
Or, cinquante ans plus tard, l’application de la loi de 1972 rencontre quelques difficultés qui rappellent fortement celles qui se manifestaient à l’époque du décret Marchandeau.» (Du lustre après dix lustres : la loi de 1972 contre le racisme a cinquante ans, revue des droits de l’Homme – n°21, édito 21/2022).
Mais, comme l’explique ce professeur dans la même contribution, ces lois sont loin d’être appliquées de manière conforme à leur esprit.
«Force est de constater», écrit-il, que les discours de haine bénéficient aujourd’hui d’une très ample diffusion, que ces idées frisent même l’«hégémonie culturelle». Dans ce contexte, certaines décisions de justice paraissent restreindre l’application de la loi aux seuls propos les plus grossiers, les plus ouvertement racistes. Si l’on veut redonner du lustre à la loi de 1972, il convient de sanctionner tous les propos qui lui contreviennent, en tarissant les courants jurisprudentiels qui cèdent au moindre artifice de langage.
Est-ce parce qu’en réalité, ces lois sont destinées quasi exclusivement à ne réprimer qu’un seul type de haine raciale et que seraient exclus de leur protection les musulmans ?
Si ces articles de loi sont respectés, la déclaration citée en en-tête de cette contribution devrait donner lieu à auto-saisine du parquet contre Houellebecq, qui a fait de l’islamophobie le thème de ses créations intellectuelles et qui ne cache nullement sa haine des Arabes et des musulmans.
En appelant à la violence contre eux, il tombe sous le coup de la loi contre le discours raciste. La plainte contre lui déposée par le recteur de la Mosquée de Paris n’est nullement nécessaire pour qu’il tombe sous le coups de la loi. L’affaire William M. rend d’autant urgente et indispensable la mise en œuvre de ces dispositions légales.

En conclusion :
1- L’attaque contre le centre culturel kurde par William M. doit être considérée comme une grave escalade dans la dérive islamophobe, qui a saisi l’ex-puissance coloniale depuis ces quelques dernières années, et devient le sujet majeur autour duquel se définissent les programmes de partis politiques et se cristallisent les faiseurs d’opinions, commentateurs ou écrivains de renom.
2- On ne peut pas faire passer cette agression armée comme un acte spontané, improvisé, perpétré par un individu asocial dont le geste ressortit de l’analyse psychiatrique, car ce n’est pas la première fois qu’il commet ce genre d’attaques contre des «métèques», et qu’il affirme ses sentiments xénophobes et islamophobes. Il est difficile de croire qu’il n’a pas été encouragé par l’ambiance islamophobe entretenue par les médias légers et lourds à commettre ces actes de violence armés.
3- Parmi ceux qui ont un rôle de leadership dans l’entretien de cette atmosphère de haine contre les musulmans et les Arabes, beaucoup se cachent derrière le bouclier de l’antisémitisme pour répandre leur venin, et expriment leur soutien indéfectible à la dernière colonie de peuplement au Moyen-Orient.
4- Il existe bien une législation interdisant les discours incitant à la haine raciale et religieuse et l’appel à la violence contre les minorités religieuses, mais, comme l’a fait remarquer le professeur Hochmann, la jurisprudence de cet appareil juridique n’est pas conforme à son esprit.
5. Houellebecq, écrivain pied-noir né à Oran, n’ayant jamais caché sa haine des Arabes et des musulmans, vient d’appeler à la violence contre les membres de cette communauté. Va-t-il, à la suite de l’attaque armée contre le centre culturel kurde, faire l’objet d’une poursuite judiciaire publique pour incitation à la violence contre des minorités ?
6- C’est le futur de l’État de droit en France qui est en danger, si les autorités publiques de ce pays n’agissent pas, à la suite de l’escalade de la violence physique contre les minorités musulmanes et arabes, pour éviter une dérive de type nazi menant aux mêmes crimes que ceux du régime pétainiste qui ont assombri l’histoire de ce grand pays, il y a près de trois quarts de siècle, et dont Éric Zemmour, juif d’origine nord-africaine, grand prêtre de l’islamophobie au nom de la grandeur de la France, est paradoxalement, et sans pudeur ni retenue, le laudateur.
M. B.

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