Yémen : Les Émirats arabes unis prennent le contrôle de plusieurs îles stratégiques

   Loin de se retirer de la guerre au Yémen, les Émirats arabes unis adoptent une ligne dure et s’imposent comme une puissance militaire à long terme.

 

Des enfants yéménites non identifiés avec leurs parents marchent sur la plage de l’île de Socotra. L’île de Socotra est un site du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2014.

  Bien que les Émirats arabes unis se soient militairement retirés du Yémen en 2019, ils ne sont jamais vraiment partis. À ce jour, les EAU ont toujours une influence majeure dans le pays appauvri, et ils exploitent désormais les vulnérabilités du Yémen en installant leur emprise sur l’île de Mayun et sur l’île de Socotra, protégée par l’UNESCO. Cette atteinte menace de prolonger le conflit dévastateur au Yémen.

Initialement, les Émirats arabes unis se sont directement impliqués dans la guerre en tant que partenaire de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. En 2019, ils ont retiré leurs soldats du Yémen, certains soupçonnant que ce geste était en partie motivé par les critiques internationales liées à l’impact de la guerre sur les civils et la crise humanitaire. Cependant, les EAU entretiennent de multiples groupes armés non étatiques et appuient environ 90 000 de leurs soldats qui sapent le gouvernement yéménite reconnu par l’ONU. En outre, les EAU contrôlent plusieurs ports et aéroports clés au Yémen.

Actuellement, une base militaire est en cours de construction sur l’île Mayun, une île volcanique au large du Yémen située dans un goulot d’étranglement maritime pour les expéditions cruciales d’énergie et de fret commercial. L’île elle-même peut servir de base pour toute opération en mer Rouge, dans le golfe d’Aden et en Afrique de l’Est. En outre, il est facile de lancer des frappes aériennes sur le Yémen continental depuis l’île. La construction de la base viole la souveraineté du Yémen, car le gouvernement yéménite reconnu par les Nations Unies n’a pas été informé de cette construction. Bien qu’aucun pays n’ait revendiqué la base aérienne, il existe des liens évidents avec les Émirats arabes unis.

Les EAU contrôlent également l’île de Socotra. Si Socotra est techniquement sous la coupe du Conseil de transition du Sud – des séparatistes qui réclament un Yémen du Sud indépendant – les EAU la contrôlent de facto. L’île est située entre la mer Rouge, le golfe d’Aden et l’Afrique de l’Est. En raison de son emplacement stratégique à proximité des principales routes maritimes, les EAU ont construit des bases militaires sur l’île, qu’ils utilisent pour recueillir des renseignements sur le trafic maritime et surveiller les circuits commerciaux du pétrole. Les bases militaires des EAU ainsi que d’autres influences modifient radicalement les rythmes de la vie quotidienne à Socotra. Les 60 000 habitants vivent sur l’île depuis des milliers d’années avec des contacts limités, voire inexistants, avec le monde extérieur.

Aujourd’hui, les EAU financent de grands projets d’infrastructure sur l’île. Il s’agit notamment de docks, d’hôpitaux et de réseaux de communication qui relient les Socotris aux EAU, et non au Yémen. Ils effectuent leur propre recensement et invitent les Socotris influents à Abu Dhabi pour bénéficier de soins de santé gratuits et de permis de travail spéciaux. Selon certaines rumeurs, les Émirats arabes unis prévoient même d’organiser un référendum sur la séparation avec le continent et l’intégration officielle des Socotris dans les Émirats.

Les EAU font également venir des touristes sur l’île sans l’autorisation du gouvernement yéménite reconnu par les Nations Unies. Pour assurer la protection de l’île, les responsables yéménites et les autorités de l’île ont établi des procédures d’écotourisme, que les EAU ne respectent pas. Les visas d’entrée actuels sur l’île sont dissociés du système d’immigration yéménite et ne soumettent pas les visiteurs aux exigences légales applicables. Afin de construire des infrastructures touristiques et militaires, les EAU ont accéléré la construction sur certaines parties de l’île malgré la fragilité des écosystèmes. Les touristes du Golfe et d’Israël arrivent chaque semaine par des vols de deux heures depuis Abu Dhabi. Pendant ce temps, les citoyens yéménites se voient refuser l’accès à l’île par les EAU.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que Socotra est l’une des îles les plus riches en biodiversité au monde. Elle abrite des populations d’animaux d’importance mondiale, dont un certain nombre d’espèces menacées. Soixante-dix pour cent de l’île est une terre protégée et elle abrite 700 espèces endémiques. Le site web yéménite « Green Dream » a publié un rapport sur les politiques des EAU qui nuisent à l’environnement sur Socotra. Le rapport décrit un large éventail de mauvaises pratiques environnementales, notamment la surpêche, le commerce illégal d’espèces endémiques, l’augmentation des déchets et l’atteinte au tissu culturel de l’île.

De nombreuses organisations internationales ont exprimé leur inquiétude quant aux actions des EAU à Socotra et à leurs effets néfastes sur la population et l’environnement. Le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO s’est dit préoccupé par la dégradation de l’environnement sur l’île. Ces préoccupations portent notamment sur le développement incontrôlé, l’utilisation non durable des ressources naturelles, l’introduction d’espèces étrangères et envahissantes et la dégradation de l’habitat. Récemment, l’Union internationale pour la conservation de la nature a classé Socotra comme une zone de préoccupation importante. Alors que Socotra était relativement bien protégée avant la guerre, le développement rapide de l’île se fait de plus en plus au détriment de son environnement unique. Étant donné l’importance de l’île, les Émirats arabes unis doivent être tenus pour responsables de la destruction des divers écosystèmes qu’abrite Socotra – des écosystèmes avec lesquels les Socotris coexistent depuis des siècles.

Comme le note Farea al-Muslimi, chercheur non résident à Chatham House : « Les Émirats arabes unis ont surpris tout le monde, même eux-mêmes, par leur réussite militaire au Yémen. Ils ont presque eu les coudées franches pour contrôler et avoir une présence dans tout ce qu’ils veulent dans le pays, y compris les ports du Yémen, ce qui est un atout pour eux. » Mais Socotra n’est pas un atout. C’est un riche écosystème avec une population indigène. L’emplacement privilégié de l’île a créé une culture unique influencée par le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Inde. Les Socotris apprécient leur patrimoine et leur environnement, qui sont aujourd’hui tous deux menacés.

Non seulement Socotra est menacé, mais aussi l’ensemble du Yémen. En construisant des bases militaires à Socotra et sur l’île de Mayun, les EAU adoptent une position agressive au Yémen. Ils s’affirment comme une puissance militaire à long terme.

Malgré les actions belliqueuses des EAU au Yémen, l’administration Biden a décidé de réactiver un contrat de vente d’armes de 23 milliards de dollars avec le pays. Cette décision est désastreuse compte tenu de l’implication continue des EAU dans la guerre au Yémen continental, mais aussi de leur empiètement militaire sur les îles du Yémen qui menace de prolonger la guerre.

Les EAU ont prouvé qu’ils étaient un acteur hostile au Yémen. Plus ils contrôlent de terres yéménites, plus ils entravent les efforts de paix dans le pays. La communauté internationale ne peut pas permettre aux EAU de construire des bases militaires illégales sur le territoire yéménite, en particulier au détriment des modes de vie locaux et de la dégradation de l’environnement. Socotra est un site du patrimoine mondial de l’UNESCO, pas Dubaï 2.0.


Source : Responsible Statecraft – 14-06-2021    Traduit par les lecteurs du site Les-Crises


 

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