France / Dr Seghier TAB, Chercheur en Sociologie et en Sciences politiques à l’EHESS-Paris : «Zemmour explosera l’extrême droite»

       Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Seghier TAB dissèque le corps politique français, qui souffre, ces dernières années, d’une inquiétante poussée de l’extrême droite.

L’Expression: Quelle lecture faites-vous du paysage politique français?
Seghier Tab: D’abord, j’ai envie de dire qu’on pourrait confirmer que la majorité du peuple français suit avec grand intérêt la vie politique et institutionnelle française, et aussi ses principaux responsables et acteurs politiques, surtout au moment des crises internes ou externes.
Il existe une relation étroite et une interaction permanente entre le peuple français et son paysage politique. Les attentes sociales et la demande politique restent tout de même fortes… En dépit de son attachement politique profond et inconditionnel, ce paysage politique français connaît, ces dernières années, un bouleversement politique profond, voire important. Cette nouvelle situation politique devient particulièrement préoccupante. En d’autres termes, il y a eu une recomposition des forces politiques françaises importantes influencée par une évolution politique marquante et contrastée.
À titre d’exemple, nous avons vu la création dans la foulée dune nouvelle formation politique au pouvoir incarnée par le parti de «La République en marche», le parti de l’actuel président français Emmanuel Macaron, et aussi le changement de nom de deux forces politiques majeures, à savoir le parti de la droite lUMP qui est devenu «Les Républicains» (LR), et aussi le parti de l’extrême droite le FN qui s’est transformé en Rassemblement National (RN). Ajoutons à cela, un point qui me semble important c’est que la vie politique française est influencée par plusieurs aspects saillants, qui se croisent et aliment des débats: d’abord, la persistance du coronavirus qui a provoqué une vraie crise multidimensionnelle dans le pays; l’absence de vrais leaders politiques charismatiques tels que Chirac, Jospin, Balladur, Mitterrand; l’émergence de crises internes dans la majorité des partis politiques traditionnels, sans oublier la montée phénoménale de l’extrême droite en France, et enfin l’apparition de lectures différentes et parfois opposées de la laïcité «une laïcité offensive».

Comment expliquez-vous la montée en puissance de l’extrême droite en France et la régression de la gauche en général?
C’est une question très importante. Sociologiquement, l’extrême droite est bien ancrée depuis bien longtemps dans la société française. Nous pouvons citer l’Action française, la droite nationaliste, et actuellement l’extrême droite. Mais actuellement, les idées xénophobes et racistes se sont métamorphosées et banalisées dans tous les milieux et surtout à la télévision. Il y a une sorte de banalisation du discours extrême s’appuyant sur la haine de l’immigré et surtout le musulman en France. Ce discours extrémiste est dédiabolisé et amplifié par un discours médiatique militant/professionnel, «paradoxalement» au nom de la démocratie. En réalité, cette idéologie extrémiste a capté les français nostalgiques, les frustrés et les mécontents de la société. A mon sens, la montée de l’extrême droite en France s’explique par trois raisons principales: la surmédiatisation des thèmes liés à l’Islam et à la sécurité, puis l’exploitation politique des actions terroristes liées à la radicalité religieuse et enfin, l’exploitation des répercussions des crises, notamment économique. Par exemple, l’extrême droite utilise une vision très fermée de la laïcité et des droits de la femme. Cela devient des armes politiques pour critiquer ouvertement et stigmatiser les musulmans français. Dans ce climat de peur et de suspicion, les musulmans français éprouvent un profond malaise. Concernant la régression de la gauche qui a surfé depuis bien longtemps sur les souffrances de la classe populaire n’a pas pu convaincre et (re)conquérir cet électorat populaire. Cette dernière en grande difficulté a entretenu des relations complexes et de plus en plus distantes avec les idées de la gauche. Les candidats de gauche ont pour l’heure du mal à convaincre même leurs militants de base! Finalement, l’électorat de gauche s’est éclaté. Dans ces circonstances, le discours de l’extrême droite a trouvé une place et a gagné rapidement les classes moyennes et même une fraction de la classe populaire enfin, la place de l’extrême droite au sein de la société à travers la rhétorique, politique raciste est devenue un baromètre de l’impact du discours populiste, xénophobe en France.

Aujourd’hui, l’extrême droite ira à l’élection présidentielle en rangs dispersés. Il y a deux candidats, Marine le Pen et Éric Zemmour. Cela ne serait-il pas un obstacle conduisant l’extrême droite à l’échec au premier tour?
C’est vrai qu’il y a ces deux candidats extrémistes cités pour se présenter à l’élection présidentielle en France. Mais chacun a une stratégie, une vision électorale et des marges de manoeuvre. Vous savez, personne ne pourrait prédire le processus et le résultat de cette élection, si particulière. On ne pourra pas savoir comment vont évoluer les militants, les indécis et les intentions de vote d’ici là? Il est vrai que le candidat polémiste et essayiste d’extrême droite Éric Zemmour a forgé depuis des années sur les plateaux de télévision (l’omniprésence médiatique) son image médiatique sulfureuse, son style et son franc-parler sur des thèmes traditionnels chers à l’extrême droite (l’immigration, l’islamisation de la France, l’insécurité, l’assimilation, etc.). À mon sens, la participation du polémiste Eric Zemmour va éclater provisoirement et à certains niveaux l’électorat d’extrême droite, mais le noyau de l’électorat historique de l’extrême droite du RN reste fidèle. Cet électorat traditionnel va rejoindre en fin de compte la candidate du Rassemblement national Marine le Pen dans la bataille pour l’élysée… surtout dans le cas où le candidat extrémiste «aventuriste» Eric Zemmour serait disqualifié pour le second tour.

Le président Macron a-t-il des chances d’être réélu à la présidence de la République? (si oui pourquoi et si non pourquoi)
Juste une observation, le président Macron ne s’est pas encore déclaré officiellement candidat à sa réélection. Mais certains sondages disent que:
«les Français sont 59% à estimer qu’Emmanuel Macron est «un mauvais président», contre 40% qu’il est «un bon» chef d’État.». Par ailleurs, sa popularité reste globalement stable. Pour le moment tous les sondages donnent le président/candidat Macron en tête du premier tour, et il se qualifierait pour le second tour de l’élection présidentielle. Certains sondages donnent la candidate de la droite Valérie Pécresse gagnante contre Macron au deuxième tour.
Donc, on voit bien que pour gagner cette élection présidentielle de 2022, c’est un peu difficile pour tous les candidats et surtout pour Macron selon beaucoup de français, le jeune président Macron a rabaissé
l’image du président, notamment au début de son mandat, sa mauvaise gestion de la crise des «gilets jaunes»et surtout la gestion très controversée de la crise sanitaire en France. N’oublions pas qu’il y a deux femmes candidates qui provoquent une dynamique. Ce sont des concurrentes sérieuses pour Macron, la candidate de la droite Valérie Pécresse, et celle de l’extrême droite Marine le Pen. Macron pourrait gagner les élections de justesse, comme il pourrait être battu par la candidate de la droite (Valérie Pécresse) au second tour. Selon mes observations, les intentions de vote selon les configurations ne constituent pas une prévision exacte du résultat du scrutin.

Vous avez travaillé sur l’élite politique d’origine maghrébine. Qu’en est-il de son poids sur l’échiquier politique français? L’électorat français d’origine nord-africaine a-t-il un impact sur l’élection présidentielle française?
Oui, c’est vrai, mais c’était il y a presque 10 ans. La citoyenneté de la population d’origine maghrébine passe aussi par le biais de l’exercice du vote. Ce comportement politique, vécu comme un droit, est devenu à chaque échéance électorale un vrai défi. L’usage de ce droit important et de ce devoir civique et moral sont perçus comme un acte citoyen fort, signe d’un comportement politique de civisme, d’une intégration sociale réussie et d’une preuve d’appartenance à la communauté nationale. Une partie de l’élite politique d’origine maghrébine a manifesté son engouement à la participation politique…, mais ce n’est qu’un casting politique. Combien de ministres (femmes et hommes) et de députés d’origine maghrébine, mais ils n’ont pas réussi à changer le regard de la classe politique ni celui de la société à l’égard de la communauté maghrébine! Le traitement est resté le même hélas! Le vote est un acte citoyen, à la base individuelle, il devient un acte collectif d’existence quand l’électorat français d’origine maghrébine s’est senti en danger, surtout contre les candidats d’extrême droite ayant des idées xénophobes. En tout cas, l’électorat français d’origine nord-africaine, comme vous l’avez qualifié, ne vote pas pour l’extrême droite, et certainement pas pour Macron au premier tour…! Il est attiré par un vote «sismique». En réalité, nous sommes face à une situation politique paradoxale, cet acte citoyen sous la contrainte, ne prouve pas sa maturité politique, car dans les autres échéances électorales, la minorité maghrébine n’est pas structurée de façon homogène avec des revendications fortes et claires. Elle ne vote pas d’une manière libre, continue et massive à toutes les élections. Cette partie de l’électorat auto-marginalisé n’a pas un vrai poids électoral en France. Elle ne se déplace qu’en fonction de ses intérêts et des émotions liées à son avenir, mais pas au programme du candidat. On constate que le droit de vote n’est pas vraiment utilisé pour influencer telle ou telle décision politique. Il n’est pas exercé d’une manière civique et toujours réfléchie. Cet électorat populaire, ayant un capital économique faible et en l’absence d’un exemple politique, a un vote émotionnel «naïf» Toute l’année est presque oubliée sauf aux périodes du vote national sans plus! C’est une triste réalité.


            Zemmour et la nouvelle alliance judéo-chrétienne

      TRIBUNE — Comme toute relation triangulaire, la relation entre les trois religions issues de la Bible est éminemment instable, car chacun des côtés a la tentation de s’allier avec l’un des deux autres pour essayer alors d’écraser le troisième. C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’alliance judéo-chrétienne que tente en France Eric Zemmour.

Dès sa naissance, l’islam a utilisé cette stratégie.  La conquête foudroyante qu’il réussit aux 7e et 8e siècles s’explique, au moins en partie, par le fait que, pour sortir de l’état de sujétion social, fiscal, religieux où les reléguait l’empire chrétien, les juifs ont aidé les cavaliers d’Allah à cavalcader jusqu’aux portes de Constantinople, aujourd’hui Istanbul, leur ont fait franchir le détroit de Gibraltar, et facilité la conquête de l’Espagne. Et ce n’est qu’à Poitiers, on le sait, que cette marche triomphale a pu être stoppée par un certain Charles Martel.

Les Croisades, quant à elles, ont fini toutes par échouer parce que les chrétiens n’ont pas su s’allier avec les juifs, qu’ils massacraient au besoin sur les routes qui menaient leurs troupes de chevaliers et de fantassins d’Europe jusqu’à Jérusalem. Les Croisés avaient donc en face d’eux les deux autres côtés du triangle biblique.

Du 19ème au 21ème siècle, les puissances chrétiennes ne commettront pas l’erreur stratégique des Croisés : ils chercheront à s’allier au deuxième côté du triangle biblique, les juifs, pour dominer, le troisième, à savoir l’islam. Parmi les multiples exemples de cette stratégie, citons-en quatre :

1)    Le Décret Crémieux du 24 octobre 1870 a mis d’un seul coup les juifs d’Algérie du côté des colons en leur accordant la nationalité française, assurant ainsi leur domination sur la population musulmane, reléguée à un statut inférieur.  Rappelons qu’Adolphe Crémieux, ministre de la Justice dans le gouvernement qui a produit ce décret, était aussi président de l’Alliance israélite universelle depuis 1863.

2)    La Déclaration Balfour du 2 novembre 1917, en apportant le soutien de la Couronne britannique à l’établissement d’un foyer juif en Palestine, cherchait clairement à mettre les juifs du côté des Alliés contre les Allemands, tout en défiant l’un des lieux saints de l’islam.

3)    La France a cherché la complicité armée d’Israël dans sa tentative de reconquête du canal de Suez en 1957, nationalisé par Nasser, et pour convaincre Ben Gourion, alors Premier ministre, de participer à cette opération scabreuse, typiquement néocoloniale, elle lui a offert, dans le plus grand secret, une coopération dans le domaine nucléaire qui devait aboutir à doter Israël de l’arme atomique, engendrant dans cette région du monde un déséquilibre stratégique encore intact en 2021.

4)    Aux Etats-Unis, le principal soutien d’Israël se trouve aujourd’hui chez les chrétiens évangélistes, qui avaient notamment fait campagne pour le transfert de l’ambassade des Etats-Unis de Tel Aviv à Jérusalem, transfert accompli comme on le sait par Donald Trump le 14 avril 2018, au grand dam des Palestiniens.

Pour être complet, il faudrait aussi mentionner, horresco referens, les cas où chrétiens et musulmans se sont associés pour exterminer des juifs.

Éric Zemmour promeut, quant à lui, une alliance entre chrétiens et juifs pour conquérir l’Elysée. Son appel du pied, en tant que juif, aux chrétiens de France contre l’islam est en effet tout à fait explicite. En outre, quand il proclame : « Je suis un juif d’Algérie – et non un juif algérien », il s’inscrit clairement dans la filiation du Décret Crémieux, tout en faisant écho à une récente déclaration d’Emmanuel Macron se demandant s’« il y avait une nation algérienne avant la colonisation française »En même temps, Zemmour qualifie de « totalitaire » l’islam– comme si toute religion issue de la Bible (il suffit de la lire pour s’en convaincre) n’avait pas de tentation théocratique. Il lance ainsi un appel à une sorte de nouvelle croisade, mais cette fois franco-judéo-chrétienne, contre les musulmans français.

L’adjectif « totalitaire » n’est, du reste, pas choisi au hasard par le candidat à la magistrature suprême. Il appartient au vocabulaire politique de l’anticommunisme classique. En le transposant sur le plan religieux, Zemmour aggrave les risques de déclencher une guerre des religions qui ramènerait la France cinq siècles en arrière… dans un immense bain de sang. Que le dieu miséricordieux des juifs, des chrétiens et des musulmans nous en préserve !


Auteur(s): Philippe Simonnot, pour FranceSoir

Philippe Simonnot est journaliste et auteur de « Le marché de Dieu, Economie du judaïsme, du christianisme et de l’islam. », aux éditions Denoël


 

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