La morbide berceuse des «deux États»

     

 

Par Mourad Benachenhou

«Israël ne serait pas en mesure de mener cette guerre sans les États-Unis, qui, au fil du temps, ont fourni à Israël environ 80% des importations d’armes du pays. Israël les utilise dans le cadre de son opération militaire à grande échelle qui a jusqu’à présent tué plus de 11 000 Palestiniens et détruit des hôpitaux et des infrastructures civiles. Même si ce sont les forces de défense israéliennes qui sont responsables des meurtres, l’ampleur de l’aide américaine soulève de sérieuses questions quant à la culpabilité américaine. «Fournir des armes qui contribueraient sciemment et de manière significative à des attaques illégales peut rendre ceux qui les fournissent complices de crimes de guerre», a déclaré Human Rights Watch. Les armes exactement que les États-Unis envoient pour répondre aux demandes d’Israël depuis le 7 octobre ont été jusqu’à présent gardées secrètes – contrairement à la manière dont les États-Unis rendent publiques les armes qu’ils livrent à l’Ukraine. (Par Jonathan Guyer : La plupart des importations d’armes d’Israël proviennent des États-Unis. Maintenant, Biden se précipite encore plus sur les armes. À quoi ressemble l’envoi par les États-Unis d’armes à Israël «au rythme de la guerre» 18 novembre 2023, site internet agence VOX).

Le peuple palestinien a été enterré trop rapidement et son acte de décès trop précipitamment établi !
Une grave erreur de diagnostic !
Car les accords d’Abraham apparaissent maintenant pour ce qu’ils sont : la reconnaissance de la légalité internationale et de la légitimité du projet sioniste de génocide du peuple palestinien, et l’établissement conjoint de l’acte de décès de ce peuple.
Ceux qui l’ont signé n’ont pas pris la peine de palper le pouls de ce peuple héroïque qui se bat (faut-il encore une fois le rappeler et le souligner par une double ligne?) depuis 1919 pour la reconnaissance de ses droits exclusifs sur la terre historique de Palestine ! Le 7 octobre est venu prouver à ces «entrepreneurs de pompes funèbres» pressés, et qui n’ont pas pris la peine de vérifier l’état du client de leurs œuvres, que sa mise en bière et son enterrement étaient prématurés, et qu’il était bel et bien encore vivant !

Le 7 octobre 2023, un tournant décisif dans l’histoire du Moyen-Orient
En fait, quels que soient les qualificatifs que les uns et les autres puissent coller à l’opération du 7 octobre 2023, elle n’en constitue pas moins une date historique, car elle a rappelé au monde entier que le peuple palestinien existe encore, qu’il est prêt à consentir le sacrifice suprême pour assurer sa survie, et qu’il n’acceptera pas de disparaître dans la poussière de l’Histoire pour éviter de se voir qualifié de «terroriste», et recevoir l’ultime hommage post mortem rendu au «dernier des Mohicans».
L’indignation feinte face aux dégâts causés à l’ennemi sioniste ne peut cacher le fait que cette opération est une grande victoire qui a peu d’égales dans l’histoire militaire du monde. Il n’y a rien de surprenant qu’on veuille, dans les milieux bien-pensants des «démocraties avancées», la réduire à une action marginale, sans autre effet que sécuritaire, et qui ne changerait pas le paysage tant politique que militaire de la région.

Les évènements du 7 octobre ne peuvent être assimilés à une série de faits divers
On veut à tout prix la «barbariser», en faire une collection de crimes de «droit commun», qui mériteraient seulement la punition de leurs «perpétrateurs», et qui ne pourrait s’achever que par leur mise à mort, en temps et en lieu adéquats.
Bref, on tente avec force de réduire le 7 octobre à des faits divers aux conséquences passagères. Mais la violence de la réaction de la part de l’agresseur sioniste apporte un démenti flagrant à cette représentation caricaturale d’une opération de «commando», soigneusement préparée, et qui donne la preuve tant de la capacité de mobilisation et d’organisation de ses concepteurs, que de la compétence et du courage physique de ses combattants, qui se sont attaqués à une puissance, supposée être invincible, hypersophistiquée, superbement munie des technologies les plus modernes de la guerre, «championne toutes catégories» de la collecte et de l’analyse d’informations sur ses «ennemis», ayant l’œil et l’oreille partout, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, toujours en veille, assurée de l’appui illimité de la plus grande puissance du monde, à nulle autre pareille dans toute l’histoire de l’humanité, au summum de la puissance et de l’invincibilité.

Les grands stratèges de ce monde, tournés en ridicule, essayent d’apprendre ce qu’ils ne savaient pas
Et, pourtant, voici qu’une bande de «bricoleurs», avec des ressources autrement plus restreintes que celles additionnées des deux États contre lesquels elle se bat, tous deux disposant d’un budget militaire global de plus de 900 milliards de dollars, réussit à narguer l’un et l’autre et à monter une opération que l’on peut comparer, sans exagérer, au débarquement allié du 6 juin 1944 sur les plages de Normandie, ou à l’offensive du Têt de 1967.
Que l’on ne se fasse pas d’illusions: ceux-là qui tentent de minimiser le caractère sophistiqué de l’opération, et la manifestation de génie militaire qu’elle a démontré, et qui ne cessent de répéter la qualification de «terroriste», accompagnant systématiquement le nom de «Hamas», et de «terrorisme» pour décrire le 7 octobre 2023, sont en train d’étudier, détail par détail, non seulement la préparation de l’opération, mais également ses différentes phases, l’entraînement subi par les combattants qui y ont pris part, sans oublier la stratégie générale dans laquelle elle s’est inscrite, la masse des renseignements collectés pour préparer les attaques, les tactiques utilisées, les moyens matériels et l’armement mobilisés, etc. etc. tout ce qui rend une opération de commando réussie, et non un fiasco, comme cela s’est souvent passé, par exemple au cours de la Seconde Guerre mondiale, de la part de belligérants particulièrement bien entraînés, et malgré leur expérience militaire et les immenses ressources humaines et matérielles qu’ils pouvaient mobiliser.

Une manifestation de génie dans l’art militaire
Le 7 octobre est un cas d’école pour les stratèges du monde entier. Ils ne peuvent et ne sauraient faire la fine bouche, en traitant cette opération comme un simple fait divers dramatique, rien de plus. Les organisateurs de ce fait d’armes, que l’on peut qualifier de victoire militaire digne de figurer dans les manuels des écoles d’état-major, révèlent qu’ils ont réuni en eux toutes les caractéristiques qui distinguent les grands chefs militaires et les penseurs qui, au fil des millénaires, ont construit les doctrines qui donnent de la cohérence aux opérations de guerre, et en font des auxiliaires essentiels et indispensables pour l’atteinte des objectifs politiques sous-jacents, quels qu’ils soient.
On trouve dans cette opération la trace de quelques-uns de ces grands hommes dont l’Histoire a retenu les noms, — de Sun Tzu, avec sa règle de base de n’attaquer l’ennemi que là et au moment où il s’attend le moins, et d’économiser au maximum ses moyens tout en atteignant son objectif de déstabiliser l’ennemi pour qu’il déclare forfait.
– de Clausewitz pour lequel la défense est préférable à l’attaque, ce qui était le cas le 7 octobre, puisque les hommes qui ont mené l’opération venaient d’un territoire, non seulement occupé selon la définition du droit international, mais également assiégé, faisant de l’occupant assiégeant l’agresseur.
– sans oublier Dwight David Eisenhower pour lequel la réussite vient d’abord et avant tout, et jusqu’au moindre détail, de la minutie de la préparation de la bataille décisive, — sans omettre, évidemment, Giap pour lequel la règle de base est de pousser l’ennemi à concentrer ses forces dans une position défavorable, tout en le laissant se bercer de sa puissance, puis de l’attaquer sur ce point, il apparaît le plus fort, et sans relâche jusqu’à ce qu’il perde pied.
– Et finalement Mao Tsé-toung et sa formule du «combattant parmi le peuple comme le poisson dans l’eau» !

Une sophistication dans la planification et l’exécution qui prouve la maîtrise de la doctrine militaire d’accomplir beaucoup avec peu de moyens
Une question se pose par simple curiosité, car l’art militaire est compliqué, en particulier dans ce monde de high-tech et de sophistication dans l’armement comme dans son mode d’emploi : celui ou ceux qui ont organisé ce magnifique fait militaire ont-ils agi sous l’inspiration de l’imagination et sous la pression de moyens limités dans une situation d’apparence désespérée ou ont-ils reçu une formation militaire de haute volée où ils ont appris toutes les phases de la stratégie militaire, et compris comment se combinent les hommes et les moyens en armement et autre matériel pour les rendre particulièrement efficaces au vu des circonstances dans lesquelles on fait la guerre ?
Bref, a-t-on affaire à des génies de naissance ou à des hommes ayant beaucoup lu et beaucoup appris, et ayant finalement trouvé la bonne approche pour déstabiliser un ennemi sûr de lui, et professant un mépris sans limites pour le peuple colonisé ?
Peu importe la réponse à ces questions ; ce que l’on sait, c’est que ces hommes ne sauraient être qualifiés de terroristes, car leur objectif n’était pas d’infliger des pertes cruelles, immédiatement ressenties, et sans plus, à un ennemi particulièrement féroce, mais de changer le statu quo politique et militaire, qui avait pratiquement transformé la question palestinienne en sujet purement académique, une occasion pour des hauts responsables politiques, en mal de sujet, d’en discuter «entre la pomme et la poire», après un bon dîner entre «hommes de bonne éducation», ou en palabres d’experts, alourdis de diplômes de grandes universités, en séminaire sur invitation de think tanks prestigieux financés par des marchands d’armes, applaudissant encore une fois à la façon dont les sionistes «ont pu mater les terroristes palestiniens, par des méthodes, certes, pas très orthodoxes et contraires aux lois humaines comme aux accords internationaux, mais réellement efficaces», preuves à l’appui !

Une réaction violente qui dément la qualification d’actions terroristes
D’ailleurs la réaction violente qu’a suscitée cette opération de la part tant de l’occupant sioniste que de son principal protecteur constitue un démenti clair à l’insistance qu’ont eu les ennemis du peuple palestinien de la qualifier d’acte terroriste sans lendemain. On ne mobilise pas 300 000 hommes et femmes, on n’arrête pas pratiquement toute la vie économique du pays par cette mobilisation, on ne met pas toute son armée en alerte, on ne demande pas à son «sponsor» de déverser tout ce qu’il a de munitions disponibles, et il ne va pas mobiliser la moitié de sa force navale, s’il s’agissait seulement de riposter à une attaque terroriste.
Celle-ci n’aurait exigé que quelques centaines d’hommes des services de sécurité, légèrement armés, munis de listes de «terroristes», avec leurs adresses, qu’on aurait été «pêcher», torturer, exécuter ou présenter à la justice, ou bien, à la mode sioniste, dont on aurait bombardé les domiciles, tuant au passage toute la famille, suspect, père, mère, épouse enceinte ou pas, bébés, enfants en bas âge.

la boucherie de Ghaza : une preuve de panique et d’incompétence militaire
L’ampleur des moyens mis en œuvre jette un doute même sur la crédibilité de la présentation des évènements de la journée du 7 octobre par les agresseurs sionistes. De plus, le mode de riposte choisi : le massacre en masse, la destruction systématique, prouve qu’il reconnaît que cette opération n’a rien d’une banale attaque, sans conséquences, dont aurait souffert son armée, comme sa population, mais d’un véritable défi stratégique qui jette le doute sur sa capacité à maintenir la population palestinienne sous sa coupe et de la forcer à accepter ses termes.
Cette fureur sans borne est à la fois l’expression d’un effroi devant la capacité de destruction que possède un peuple, pourtant désarmé, emprisonné, affamé, assoiffé, misérable, sans ressources autres que celles que lui, l’ennemi, accepte de lui livrer, et en même temps un aveu de faiblesse totale devant la capacité de résistance que possède ce peuple opprimé, malgré plus d’un siècle d’occupation coloniale, contre qui tous les moyens les plus brutaux ont été utilisés, et continuent à être utilisés, pour le briser et le forcer à abandonner sa lutte. L’opération militaire actuelle n’a aucun autre objectif qu’annihiler une fois pour toutes cette capacité de résistance en exterminant la population dans sa totalité, en la réduisant à vivre sous les étoiles ou à quitter la terre qui lui appartient.
Le désespoir s’ajoute à la panique chez les dirigeants sionistes qui savent maintenant, de manière certaine, que le peuple palestinien n’est pas prêt à se déclarer mort, et qu’il existe en lui une capacité de résilience lui permettant de continuer le combat jusqu’à la reconnaissance de ses droits imprescriptibles sur la terre de ses ancêtres.

La chimère du plan de paix à «deux États » refait surface !
La victoire du 7 octobre change totalement la donne tant à l’échelle de la Palestine, qu’à celle de toute la région, et rend particulièrement absurdes et incongrus les accords d’Abraham, qui ont abouti au contraire de ce qu’ils visaient : forcer le peuple palestinien et ceux qui soutiennent sa juste cause à accepter la loi d’airain du «sionisme conquérant et invincible».
De même, un chef d’État n’aurait pas pris la peine de rédiger, avec sa plus belle plume, un long éditorial sur le grand quotidien de la capitale américaine, éditorial où il explique comment il entend façonner la Palestine occupée, après la fin de la boucherie actuelle. Voici ce que rapporte, en gros, la presse internationale :
«Le président américain Joe Biden s’est une fois de plus prononcé en faveur de la soi-disant solution à deux États dans le conflit du Moyen-Orient et a exposé sa vision de l’après-guerre à Ghaza. Dans un article d’opinion publié samedi dans le Washington Post, il a également évoqué des sanctions contre les colons extrémistes en Cisjordanie. Le démocrate a une nouvelle fois critiqué «la violence extrémiste contre les Palestiniens en Cisjordanie».
Dans ce long article, Biden a décrit à quoi devrait ressembler, selon lui, l’avenir de la région – et comment la voie à suivre devrait être tracée. «Cela est clair : une solution à deux États est le seul moyen de garantir la sécurité à long terme des peuples israélien et palestinien», a écrit Biden. «Même s’il semble à l’heure actuelle que cet avenir n’a jamais été aussi lointain, la crise l’a rendu plus urgent que jamais.» (agences de presse, 19 novembre 2023).
Il est évident que cet éditorial, qui a été signé par le chef d’État américain, et donne le point de vue d’un homme dont on ne saurait minimiser l’influence dans le cours des évènements actuels et à venir, devrait être lu en entier, et chacun de ses mots, sans doute bien pesé, devrait donner lieu à analyse. Ce qu’on en retient, c’est une sorte de feuille de route qui justifie la grande boucherie à laquelle participe allégrement l’Etat dont il assure la présidence, par un «futur de bonheur et de paix» dans une «Palestine partagée entre Juifs et Arabes» dans le cadre de ce serpent de mer, qui ressort chaque fois qu’Israël fait preuve de barbarie.
Tout un chacun se souvient du fiasco de la pièce de théâtre, piteuse et calamiteuse, jouée, toute honte bue, par des dizaines de chefs d’État et de hautes autorités gouvernementales, à Madrid, en 1990, sous le titre de «conférence de la paix» peu de temps avant la première guerre du Golfe, il y a déjà plus de trente années de cela. Il est difficile de croire que les billets mis en vente pour la prochaine pitrerie internationale portant sur le même sujet trouveront beaucoup d’acheteurs !
Le président américain demande maintenant aux Palestiniens de lui faire confiance, et de se faire massacrer sans broncher, car il leur promet, après cette «boucherie», ce qu’ils veulent depuis plus d’un siècle : la reconnaissance de leurs droits imprescriptibles sur la Palestine historique, et l’espoir d’un État, même réduit dans sa superficie.
On veut bien croire cet homme puissant, entre les mains duquel se trouvent, non seulement l’avenir de la Palestine, mais également celui de l’humanité.
Il est vrai qu’il a tous les atouts entre les mains pour imposer la solution qui lui «plaît» dans le sens le plus arbitraire du terme. Mais, de l’autre côté, on peut se demander si cette brusque volonté affichée de reconnaître, même partiellement, les droits du peuple palestinien n’est pas seulement une manœuvre du moment pour servir d’écran à la barbarie sioniste, assurer l’achèvement de ses objectifs d’extermination assurée, et éviter une révolte des «femmes et hommes de cœur» de plus en plus bouleversés par le spectacle sanglant, devenu de plus en insupportable, d’un peuple qui ne fait qu’essayer de se défendre.
On est d’autant sceptique que ce même chef d’Etat a été incapable d’imposer à celui qui lui doit tout d’accepter un arrêt momentané des hostilités, arrêt conforté par une résolution du Conseil de sécurité. Qui ne peut pas le moins peut-il vraiment promettre le plus ?
Car, que les dirigeants sionistes le veuillent ou non : sans l’appui illimité des USA, Israël ne serait qu’une marmite dont le propriétaire ne saurait rien y cuire, car il n’a même pas de bois pour la réchauffer !
Et il est nettement plus aisé de négocier un arrêt des bombardements que de négocier la création d’un Etat palestinien, ce qui forcerait Israël à abandonner une partie des terres qu’elle occupe illégalement, aux yeux mêmes de cette fameuse «communauté internationale».

En conclusion
Le 7 octobre 2023 est une date historique, qui marque un tournant dans l’histoire tant de la Palestine que du monde ; la tentative de la banaliser en la décrivant comme une série de faits divers est vaine ;
La violence de la réaction aux actions du 7 octobre démontre tant la stupéfaction de l’ennemi comme de ses alliés et soutiens ;
Ce n’est pas une opération militaire qu’Israël mène sur le territoire de Ghaza, mais une boucherie, un massacre barbare qui n’a d’autre objectif que de semer la mort et la destruction ;
La remise en circulation de la chimère des «deux États» par la plume du chef d’État le plus puissant du monde a sans doute du poids, mais ne peut être accueillie qu’avec un grand scepticisme, car, non seulement elle intègre une justification de l’opération d’extermination en cours, possible uniquement par la livraison d’armes et de munitions en flux ininterrompu, mais, encore plus sérieux, s’accompagne d’une incapacité à faire appliquer par Israël, tellement dépendante à l’égard des États-Unis, une trêve «humanitaire» pourtant soutenue par une résolution du Conseil de sécurité !
Peut-on promettre le plus alors qu’on ne peut même pas délivrer le moins ? Telle est la grande question.


M. B.


 

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