L’Algérie en quête de sa promesse républicaine : De la Soummam au Hirak

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À l’aube des élections présidentielles de 2024 en Algérie, le pays se trouve à un moment charnière de son histoire, où les échos du passé résonnent avec les aspirations du présent.

Le Congrès de la Soummam de 1956, pierre angulaire de la lutte pour l’indépendance, avait jeté les bases d’une Algérie démocratique et pluraliste, loin des modèles de monarchie ou de théocratie. Plus de six décennies plus tard, les revendications du Hirak de 2019 ont ravivé ces idéaux, appelant à une refondation de la République sur les principes de tolérance, de laïcité et de respect des droits humains. Dans ce contexte, l’ouvrage prémonitoire de Farid Daoudi, «L’Algérie aléatoire», achevé en mai 2018, offre un diagnostic saisissant du sous-développement algérien et esquisse les contours d’un avenir possible. Comment l’Algérie peut-elle concilier son héritage historique, marqué par la quête d’indépendance et de dignité, avec les exigences d’une société moderne aspirant à la démocratie, à la tolérance et au respect des libertés individuelles ? Quels sont les défis à relever pour construire une république qui ne soit ni une ploutocratie, ni une monarchie déguisée ni une théocratie, mais un espace où la diversité des convictions et des pratiques culturelles s’épanouit dans le cadre d’un État de droit ?

I. Les fondements historiques :du Congrès de la Soummam au Hirak

Le Congrès de la Soummam, tenu le 20 août 1956 dans la vallée de la Soummam en Kabylie, marque un tournant décisif dans la guerre d’indépendance algérienne. Il pose les jalons d’un État algérien démocratique et social, régi par les principes de «la primauté du politique sur le militaire» et de «la primauté de l’intérieur sur l’extérieur». Comme le souligne l’historien Benjamin Stora, «le Congrès de la Soummam a été un moment fondateur dans la définition d’une Algérie qui se voulait démocratique, respectueuse du pluralisme et des libertés individuelles» (Stora, 2004).
Le Hirak de 2019, mouvement populaire pacifique, a ravivé les espoirs d’une «deuxième indépendance», celle des citoyens face à un pouvoir perçu comme confisqué. Selon une étude du Arab Barometer en 2021, 76% des Algériens considèrent que la démocratie est le système politique le plus approprié pour leur pays, illustrant l’attachement profond de la population aux valeurs démocratiques.

II. Tolérance et laïcité : piliers d’une société pluraliste

La tolérance, définie par l’Unesco comme « le respect, l’acceptation et l’appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre monde », est cruciale dans un pays comme l’Algérie, riche de sa diversité ethnique, linguistique et religieuse. La constitution algérienne de 2020, dans son article 37, garantit « l’inviolabilité de la liberté de conscience et la liberté d’opinion ». Cependant, la pratique effective de cette tolérance reste un défi, comme en témoignent les tensions récurrentes autour de la question amazighe ou de la liberté de culte pour les minorités religieuses.
La laïcité, principe de séparation du religieux et du politique, est au cœur des débats sur l’avenir de l’Algérie. Si l’Islam est religion d’État selon l’article 2 de la Constitution, l’aspiration à un État civil où la foi relève de la sphère privée gagne du terrain. Tout sociologue avisé observera que « la laïcité en Algérie ne signifie pas l’hostilité à la religion, mais la volonté de préserver la sphère politique des interférences religieuses ».

III. Les menaces du fanatisme et de l’intégrisme

Le fanatisme et l’intégrisme, caractérisés par une lecture littérale et exclusive des textes religieux, représentent une menace pour la cohésion sociale. L’Algérie a payé un lourd tribut lors de la « décennie noire » des années 1990, marquée par la violence terroriste. Selon les chiffres officiels, ce conflit a fait plus de 150 000 morts. L’islamisme politique, distinct de la pratique religieuse personnelle, reste un sujet de préoccupation. Comme le note le politologue François Burgat, « l’islamisme est moins l’expression d’un retour du religieux que celle d’une volonté de réappropriation identitaire et politique » (Burgat, 2016).
La lutte contre ces dérives passe par l’éducation et la promotion d’un islam tolérant, mais aussi par la garantie des libertés fondamentales. Car, comme le rappelle l’écrivain Kamel Daoud, « le meilleur antidote contre l’extrémisme, c’est la liberté » (Daoud, 2015).

IV. Démocratie et droits de l’homme : vers une constitution idoine

La démocratie, au-delà des élections, implique la participation effective des citoyens aux décisions qui les concernent. Le Hirak a mis en lumière l’aspiration des Algériens à une gouvernance transparente et responsable. Selon l’indice de démocratie 2022 de The Economist Intelligence Unit, l’Algérie se classe 113e sur 167 pays, avec un score de 3,77/10,. Ce classement souligne l’urgence de réformes profondes.
Les droits de l’homme, socle de toute société démocratique, doivent être au cœur de ces réformes. Si l’Algérie a ratifié la plupart des conventions internationales en la matière, leur mise en œuvre effective reste perfectible. Le rapport 2022 d’Amnesty International pointe des « restrictions injustifiées à la liberté d’expression et de réunion » et des « poursuites judiciaires contre des militants pacifiques ».
Une constitution idoine, reflétant les aspirations du peuple algérien, est la clé de voûte de cet édifice démocratique. Elle doit garantir la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, et la protection des libertés individuelles. Comme l’écrit Farid Daoudi dans « L’Algérie aléatoire », « la réforme constitutionnelle ne doit pas être un simple ravalement de façade, mais une refondation du pacte social sur des bases saines et durables » (Daoudi, 2018).

V. L’héritage du Hirak et les perspectives électorales de 2024

À l’approche des élections présidentielles de 2024, l’héritage du Hirak de 2019 reste vivace. Ce mouvement, qui a mobilisé des millions d’Algériens à travers le pays, portait des revendications claires : État de droit, alternance politique, libertés démocratiques.

Cinq ans plus tard, le défi est de traduire ces aspirations en actes concrets.
Mon ouvrage « L’Algérie aléatoire » apparaît rétrospectivement comme une analyse prémonitoire des défis structurels du pays. Achevé en mai 2018, soit moins d’un an avant le déclenchement du Hirak, il dresse un diagnostic sans concession du sous-développement algérien : dépendance aux hydrocarbures, bureaucratie paralysante, déficit démocratique.

Mais au-delà du constat, j’esquisse des pistes pour « une Algérie des possibles », fondée sur la valorisation du capital humain, la diversification économique et l’enracinement de pratiques démocratiques.
Les élections de 2024 seront un test crucial pour mesurer la capacité du système politique algérien à se réformer et à répondre aux attentes populaires. L’enjeu n’est pas seulement la désignation d’un président, mais la mise en place d’un processus électoral transparent et inclusif, condition sine qua non de la légitimité du futur dirigeant. Comme le souligne l’analyste politique Dalia Ghanem, « la vraie question n’est pas qui sera élu, mais comment il sera élu, et avec quelle marge de manœuvre pour impulser de véritables changements » (Ghanem, 2023).

L’Algérie se trouve à la croisée des chemins, entre la fidélité aux idéaux de ses pères fondateurs et les défis d’un monde en mutation. La construction d’une république qui ne soit ni une ploutocratie, ni une monarchie, ni une théocratie, mais un espace de liberté et de dignité pour tous ses citoyens, est un chantier de longue haleine. Elle requiert un effort collectif pour promouvoir la tolérance, garantir la laïcité de l’État, lutter contre les dérives du fanatisme, et ancrer les pratiques démocratiques dans le quotidien des institutions et des citoyens.
Les droits de l’homme, la liberté de conscience, d’opinion et de croyance ne sont pas des concepts abstraits, mais le terreau fertile sur lequel peut s’épanouir une Algérie plurielle et ouverte sur le monde. À l’approche des échéances électorales de 2024, le pays a l’opportunité historique de réaffirmer son attachement à ces valeurs et de les traduire en une gouvernance au service du bien commun.

L’héritage du Congrès de la Soummam, les revendications du Hirak, et les analyses lucides d’intellectuels comme Kadour Naïmi, Arezki Ighemat, …ou Sofiane Jilali, tracent la voie d’une « Algérie des possibles ». Il appartient désormais aux forces vives de la nation – société civile, classe politique, institutions – de s’en saisir pour bâtir un avenir à la hauteur des sacrifices du passé et des espoirs du présent. Car, comme l’écrivait l’historien Mohammed Harbi, « l’Algérie n’est pas condamnée à l’autoritarisme, elle a en elle les ressources d’une renaissance démocratique » (Harbi, 2007).


Farid Daoudi
Journaliste et essayiste


 

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