Le silence pesant des aspirations démocratiques de l’Algérie, cinq ans plus tard

 

Fabien Deglise

Quand il repense à ce 22 février 2019 dans les rues d’Alger, Zakaria Hannache se dit qu’il doit essayer d’en parler sans se « mettre à pleurer ».

« C’était quelque chose d’extraordinaire, raconte le jeune homme dans la trentaine avancée, assis dans un café de Montréal. Tout à coup, les tabous créés par le pouvoir algérien pendant des décennies se sont écroulés sous l’effet de cette première manifestation spontanée. Une féministe pouvait marcher avec un islamiste barbu. Les jeunes étaient avec les vieux. La diversité de la société s’est rencontrée dans la rue pour défendre la même cause, porter les mêmes messages, et a compris soudainement sa force, son pouvoir et sa richesse », poursuit celui qui n’était à l’époque qu’un « simple fonctionnaire apolitique », précise-t-il.

Le Hirak, ce mouvement d’appel à la démocratisation de l’Algérie né quelques jours plus tôt dans la petite ville de Kherrata, à 300 kilomètres à l’est d’Alger, avant de gagner la capitale, il y a cinq ans cette semaine, allait en faire quelqu’un d’autre.

Inspiré par ce cri de liberté, emporté par cette révolution dite des sourires, Zaki — c’est son surnom — en deviendra un des piliers, un militant vu et reconnu se portant quotidiennement à la défense des personnes arrêtées arbitrairement par le régime pour avoir réclamé la liberté d’expression, l’indépendance de la justice, la construction d’un état de droit… Et ce, avec tous les risques que cela comporte dans un régime autoritaire et fermé.

Il a été lui aussi traqué par les autorités policières dans les dernières années, harcelé, intimidé, jeté en prison en 2022 pendant 35 jours, avant de réussir à quitter l’Algérie pour poursuivre son engagement de l’extérieur, d’abord en « allant chercher de l’air en Tunisie, pour mieux respirer », dit-il, puis en atterrissant à Montréal en décembre dernier pour y refaire sa vie.

C’est d’ici qu’il se souvient du mouvement que la répression a fait taire et disparaître. Un silence forcé qui va durer « jusqu’à quand ? », se demande-t-il.

« Je peux vous assurer qu’il y a actuellement, à l’approche du 22 février, plus de policiers en civil que de simples citoyens dans les rues d’Alger, dit Zakaria Hannache, sourire en coin, en parlant d’un régime qui, cette année encore, « va tout faire pour empêcher le Hirak de trouver un nouveau souffle et de reprendre forme ».

« Le pouvoir a reconstruit le mur de la peur avec une police politique agressive et une stratégie répressive qui a très bien fonctionné. Mais il n’a pas gagné pour autant. Le Hirak n’est peut-être plus dans la rue, mais l’idée est encore bien vivante au sein de la population », assure-t-il.

Vivante, peut-être, mais plus que jamais contrainte par le régime du président Abdelmadjid Tebboune, qui, après la tolérance relative affichée durant les premières semaines de ces manifestations se répétant chaque vendredi dans les rues des grandes villes algériennes, a saisi l’occasion de la pandémie de COVID-19, au début de 2020, pour enrayer ces appels à la modernisation et à la démocratisation du pays, dangereux pour sa survie.

L’échec d’un printemps

Né en réaction à l’annonce faite au début de 2019 par l’ex-président fantomatique Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat, malgré sa maladie, son état préoccupantet son absence, le Hirak s’est rapidement transformé en mouvement réclamant la fin du pouvoir des clans instauré par les groupes militaires du pays après l’indépendance de 1962. Dans les rues, les slogans appelaient alors à la fin de ce régime militaire et à l’instauration d’un État civil, réclamaient une justice et une presse libres et indépendantes, en plus de revendiquer un multipartisme pas seulement de façade ou encore la libération de tous les détenus d’opinion. Un cri fort qui n’aura pas fait le printemps…

Début décembre, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de la personne en Algérie, Mary Lawlor, a dénoncé dans un rapport incisif un « harcèlement judiciaire continu », la « dissolution d’organisations clés de défense des droits humains », les « limitations de la liberté de mouvement », « l’intimidation et la surveillance » ciblant les militants du Hirak, en affirmant que ce cadre nuisait aux réformes sociales que cherche à promouvoir le régime en place.

Une claque, qui faisait écho à celle donnée trois mois plus tôt par un autre rapporteur spécial de l’ONU sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Clément Nyaletsossi Voule, qui, après un séjour en Algérie, a dénoncé le « climat de peur » mis en place par le régime d’Abdelmadjid Tebboune pour faire taire toute opposition.

Leurs deux rapports soulignaient les modifications apportées en juin 2021 au Code pénal du pays de manière à pouvoir poursuivre les militants du Hirak en les accusant de faire l’apologie du terrorisme pour avoir simplement publié un texte sur les réseaux sociaux ou avoir pris part à des rassemblements appelant à des réformes dans le pays. Cela cible aussi les Algériens vivant à l’étranger.

« Ce sont des accusations chargées dans un pays toujours traumatisé par sa décennie noire », dit Zakaria Hannache, en faisant référence à la guerre civile algérienne qui, entre 1992 et 2002, a fait basculer le pays dans la terreur d’un affrontement entre le gouvernement et des groupes islamiques. « Mais ironiquement, l’état des libertés est aujourd’hui pire que durant cette époque sombre de notre histoire où pourtant les violations des droits étaient aussi nombreuses que terribles. »

Terreur et délits d’opinion

Cinq ans après la naissance du Hirak, le bilan n’est guère reluisant pour le régime algérien, qui a toujours dans ses geôles 237 prisonniers d’opinion, dénoncent les défenseurs des droits de la personne, dont 198 sont poursuivis pour « apologie du terrorisme ». « Et cela ne tient pas compte de toutes les arrestations qui ne sont pas dénoncées par les familles, honteuses de voir l’un des leurs frappé par de telles accusations », dit M. Hannache.

Ce climat de répression a ciblé plusieurs figures de l’opposition politique ou des médias, comme le journaliste Ihsane El Kadi, dirigeant d’Interface Médias (qui comprend Radio M et le site d’information Maghreb émergent), condamné en juin dernier à sept ans de prison, dont cinq ans ferme, pour une série de textes d’opinion sur le Hirak. La justice, à la solde du pouvoir, a estimé que son travail de journaliste portait atteinte à la sécurité de l’État.

Fin janvier, le jeune poète Mohamed Tadjadit, une figure écoutée et fédératrice du Hirak, a été arrêté en banlieue d’Alger, « sans doute pour l’empêcher de parler à l’approche du cinquième anniversaire », dit M. Hannache.

Un anniversaire qui, loin d’être vécu comme une déception, un acte manqué ou un échec par les militants de ce mouvement singulier, vient surtout ranimer chez eux l’espoir de voir un jour leurs aspirations ébranler pour de bon les piliers du pouvoir.

« Nous ne sommes pas dupes : obtenir un changement radical d’un système contrôlé par l’armée est forcément difficile et compliqué, ajoute Zakaria Hannache. Mais il y a cinq ans, en descendant dans la rue, beaucoup d’Algériens ont compris qu’ils pouvaient vivre une autre Algérie, qu’ils pouvaient rêver d’un autre cadre politique et social. Au-delà des slogans, c’est aussi une maturité politique qui s’est exprimée et qui est encore là. Le Hirak a planté une graine qui continue de germer. »

Il ajoute : « Personne, même pas le régime, n’avait cru possible que le peuple sorte dans la rue, le 22 février 2019. Et c’est pour ça que la chose peut se reproduire sans prévenir, n’importe quand. »


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