Crise Mali – Algérie : la main du Maroc et de son allié israélien

   

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Entre l’Algérie et le Mali, rien ne va plus. Dans la dégradation de la relation entre les deux pays voisins, difficile de ne pas voir la main nuisible du Maroc et de son allié israélien, comme permet de le déduire la succession des événements dans la région ces derniers mois.

Les choses ont commencé à se corser entre Alger et Bamako depuis le coup d’État de mai 2021 qui a fait suite à un autre putsch perpétré une année plus tôt, en 2020. Depuis, l’avis du pays voisin qui parraine les accords de paix de 2015 est de moins en moins écouté, jusqu’à ce que la crise éclate au grand jour.

L’une des premières décisions de la junte était de solliciter la milice Wagner, avant d’exiger le départ de la Minusma, comme elle l’avait fait auparavant pour les forces françaises engagées dans l’opération Barkhane.

Les agissements des militaires au pouvoir à Bamako ont fini par se répercuter sur la stabilité du pays avec la reprise des affrontements armés en novembre dernier qui ont débouché sur la prise de la ville de Kidal par l’armée malienne, aidée par les mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner.

Les militaires maliens ont utilisé des drones turcs Bayraktar achetés avec l’agent d’un pays étranger qui veut mettre la région du Sahel à feu et à sang. Confronté à une grave crise économique, le Mali n’a pas les moyens financiers d’acquérir ce type d’armements.

Forte du soutien financier de certains pays étrangers, la junte militaire au pouvoir à Bamako s’est attaquée au dernier maillon de la chaîne qui maintient une paix fragile dans le pays : l’accord d’Alger.

Pour y arriver, elle a agi d’une façon méthodique. Fin décembre, la crise a éclaté au grand jour entre Alger et Bamako avec le rappel des ambassadeurs respectifs.

Les autorités maliennes avaient procédé auparavant à la convocation de l’ambassadeur d’Algérie suite à la visite, le 19 décembre, du chef de la confrérie Kountia, Mahmoud Dikco à Alger, où il a été notamment reçu par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune.

La suite du bras de fer a été annoncée par la junte malienne, vendredi 26 janvier, à savoir la révocation avec effet immédiat des accords d’Alger de 2015, avec des accusations graves à l’égard des autorités algériennes. Cette dénonciation fait planer le risque de la reprise de la guerre civile au Mali.

Ce qui semble être une crise bilatérale n’en est pas une en fait. La succession des événements montre qu’on est bien devant une entreprise concertée et impliquant plusieurs parties avec pour objectif la déstabilisation de toute la région du Sahel pour certains pays étrangers, dont le Maroc, et le maintien au pouvoir de la junte militaire malienne.

L’action néfaste du Maroc et Israël pour déstabiliser l’Algérie à travers le Sahel

La main du Maroc et d’Israël, que le royaume a tenté de faire admettre au sein de l’Union africaine avant de buter sur l’opposition de l’Algérie en août 2021, apparaît en filigrane à travers les initiatives prises ces derniers mois par Rabat envers les pays du Sahel ayant connu ces dernières années des changements de régime par les voies non-constitutionnelles.

Il est curieux qu’entre la visite de Mahmoud Dikco à Alger et le rappel par l’Algérie et le Mali de leurs ambassadeurs respectifs, le Maroc a réuni les ministres des Affaires étrangères des quatre pays enclavés du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) pour leur miroiter la promesse d’un accès à la mer en mettant à leur disposition les infrastructures portuaires du royaume sur l’océan Atlantique. La réunion a eu lieu à Marrakech le 23 décembre.

Le roi Mohammed VI avait évoqué vaguement le projet dans son discours du 6 novembre dernier. À travers ce projet utopique, c’est une alliance stratégique qui est proposée aux quatre pays du Sahel dans le seul but est de contrer l’Algérie et son approche basée sur le règlement pacifique des crises et l’aide au développement de ses voisins du Sahel pour lutter contre la pauvreté et son corollaire, le terrorisme.

L’accès sur l’Atlantique est voulu par Rabat comme une alternative à la route Transsaharienne dont la partie se trouvant sur le territoire algérien est parachevée.

Cela étant, contrairement à l’approche algérienne, le projet proposé par le Maroc reste utopique, car il nécessite d’énormes investissements que les pays concernés ne pourront pas consentir pour améliorer leurs infrastructures respectives, notamment la réalisation de 7.000 kilomètres de route. Dans ce registre, le Maroc n’est pas à son premier projet fantaisiste.

Il avait déjà demandé l’adhésion à l’Union européenne, et tout le monde s’en est moqué, sauf les Marocains. Il a aussi proposé la réalisation d’un pont entre le Maroc et Gibraltar.

Ce projet a encore fait rire tout le monde, sauf bien sûr les Marocains. Et cette fois, il remet cela avec son projet fantaisiste de relier les pays du Sahel à l’Atlantique.

Et tout le monde rit de cette incapacité marocaine à cacher ses véritables intentions dans la région : créer des foyers de tensions aux frontières de l’Algérie dans le cadre de sa stratégie de tension permanente avec son voisin de l’Est.

Les autres alliés nantis financièrement du Maroc et d’Israël dans cette entreprise de déstabilisation de l’Algérie mettent certes leur argent, mais pour financer les programmes d’armement comme l’a dénoncé l’Algérie dans sa réaction à la révocation de l’accord de paix d’Alger.

Des programmes qui ne favorisent ni la paix ni le développement, mais qui nourrissent la guerre, donc la déstabilisation du Mali et de toute la région.

Au Mali, le Maroc agit comme un nuisible, mais il ne fait pas seul. Il y a une source d’inspiration israélienne derrière ce que fait le royaume dans les pays du Sahel en général, à tel point que ses actions sont « devenues prévisibles », pointe une source algérienne.

« C’est devenu prévisible, parce que les Israéliens ont l’habitude de faire cela quand un problème se pose », explique la même source.


Crise au Mali : les clés pour comprendre le conflit et le rôle de l’Algérie

Le Mali se dirige tout droit vers la guerre civile, après la décision de la junte militaire au pouvoir à Bamako de dénoncer l’Accord d’Alger. Pour l’Algérie qui maintient le cap, la situation dans ce pays est extrêmement préoccupante.

La décision d’enterrer l’Accord de paix issu du processus d’Alger qui a été annoncée vendredi 26 janvier a été accompagnée d’une violente attaque contre l’Algérie, garant de cet accord et soutien historique de l’intégrité territoriale du Mali.

Méthodiquement, depuis le coup d’État de 2021, la junte militaire a suivi, sans surprise, le même chemin que les précédents putschistes. Elle a adopté la stratégie dite de l’artichaut en s’attelant à se débarrasser, petit à petit, de l’Accord d’Alger, avec comme principal objectif de rester au pouvoir aussi longtemps que possible.

Le scénario est huilé et il est connu de tous : à chaque coup d’État au Mali, les nouveaux dirigeants s’attaquent à l’Accord d’Alger en miroitant au reste du peuple la possibilité de régler la crise avec le nord, par la force.

Et chaque fois, c’est l’échec, et le retour aux négociations et à la médiation algérienne.

Pour preuve, l’accord d’Alger, signé en 2015, est le quatrième du genre depuis 1990. La signature de quatre accords en 33 ans est la conséquence de l’instabilité politique du Mali. Elle montre que le problème de l’unité territoriale du Mali est loin d’être réglé.

Si cet accord a évité au Mali la partition de son territoire, il n’a pas encore permis de résoudre définitivement la crise qui frappe ce pays depuis son indépendance.

La décision des nouveaux maîtres de Bamako d’enterrer unilatéralement cet accord renvoie le Mali à la situation d’avant 1990 quand il était au bord de la partition. À l’époque, les rebelles de l’Azawad réclamaient l’indépendance.

La médiation algérienne a pu les convaincre de baisser le plafond de leurs revendications, en échange d’une forme d’autonomie pour le nord du Mali, de l’intégration de leurs combattants dans les forces armées maliennes et de réserver 30 % du budget du pays au développement des régions du nord.

Cet accord ne fait pas l’unanimité au Mali et c’est ce que les putschistes utilisent à chaque fois pour le dénoncer, sans offrir d’alternatives sérieuses, à part la solution militaire qui a montré son inefficacité.

À Alger, la dénonciation de l’accord signé en 2015 n’a pas constitué une surprise. La junte militaire qui s’y préparait depuis deux ans a multiplié les signaux trahissant ses véritables intentions.

Elle a commencé par refuser d’assister aux rencontres, puis elle a exigé que les discussions autour de cet accord se tiennent exclusivement à Bamako, avant de remettre en cause la crédibilité de la médiation internationale, de chasser la Minusma en 24 heures et d’attaquer Kidal avec des drones turcs achetés au prix d’or, avec le soutien financier d’un pays étranger, puisque le Mali n’a pas les moyens financiers d’acquérir des armements sophistiqués.

Sur sa lancée, la junte militaire a provoqué en décembre dernier une crise diplomatique avec l’Algérie à qui elle a reproché d’avoir accueilli des représentants des rebelles signataires de l’Accord d’Alger.

Ces représentants ont été reçus par le président Abdelmadjid Tebboune qui leur a demandé de calmer la situation, après l’attaque de Kidal par la junte militaire en novembre dernier.

L’Algérie a pu obtenir des engagements de leur part pour éviter au Mali la reprise des affrontements armés, ce que la junte militaire n’a pas apprécié.

Les nouveaux maîtres de Bamako se servent de cette dénonciation pour se maintenir au pouvoir et plaire à une partie de la population malienne hostile à cet accord.

Les clés pour comprendre la crise au Mali

« La première victime de la dénonciation de l’Accord d’Alger est le Mali. Cette décision va rallumer le feu de la discorde. La guerre civile va reprendre, c’est certain », regrette une source algérienne proche du dossier.

Sans retenir des leçons du passé, et malgré l’inefficacité prouvée de la solution militaire, la junte malienne s’entête à traiter la crise qui frappe le pays avec le même vieux logiciel rouillé, alors que la donne a complètement changé.

Le Mali fait face aujourd’hui à deux menaces majeures pour son intégrité territoriale et sa stabilité : les rebelles du nord et les groupes terroristes qui contrôlent une bonne partie du territoire malien.

Comme l’a dit récemment le ministre des Affaires étrangères algérien, Ahmed Attaf, il y a désormais des armées terroristes au Sahel qui ont acquis des équipements militaires développés de Libye et conquis d’importants terroristes dans la région.

Selon un rapport de l’ONU, les superficies occupées par les terroristes au Sahel ont doublé en 2022.

En 1990, le Mali était confronté seulement au problème du mouvement Azawad au nord du pays.

En plus des fronts liés aux rebelles et aux terroristes, le Mali est confronté aussi à l’ingérence étrangère.

Sept pays aux intérêts contradictoires, dont la Russie, la Turquie, les États-Unis, le Maroc, les Émirats arabes unis, Israël via le Maroc, interfèrent dans les affaires maliennes, avec chacun son agenda et ses intérêts.

La présence russe via Wagner (devenu Africa Corps) pourrait transformer la région du Sahel en terrain de confrontation entre Moscou d’un côté et les Occidentaux, à leur tête les États-Unis, de l’autre.

Une perspective qui éloignerait toute solution pacifique au Mali. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la Libye voisine, où les mêmes forces étrangères empêchent ce pays de retrouver la stabilité depuis 13 ans.

Au Mali, le principal responsable de cette situation et des interférences étrangères est l’armée, avec ses coups d’État et ses dénonciations successifs de l’Accord d’Alger.

Si l’Algérie s’attendait à la décision de la junte militaire, elle ne compte pas rester les bras croisés. Garante de l’Accord d’Alger, elle maintient le cap et garde les canaux ouverts avec la junte militaire malienne.

Crise au Mali : l’Algérie maintient le cap

Pour cela, elle dispose de puissants leviers pour obliger les nouveaux maîtres de Bamako à revenir à la raison, et éviter au Mali les affres d’une nouvelle guerre civile, avec les risques d’un embrasement général du Sahel.

Ainsi, l’Algérie compte maintenir la pression sur la junte militaire pour la convaincre de tenter à nouveau la solution militaire, d’utiliser les moyens diplomatiques au niveau de l’Union africaine, du Conseil de sécurité de l’ONU où elle est membre non-permanent depuis janvier 2024 et de l’Union européenne qui a aussi des intérêts stratégiques au Sahel.

L’Algérie compte aussi utiliser ses bonnes relations avec la Russie avec qui elle est liée par un partenariat stratégique, et la Turquie. Avec les Russes, le dialogue est plus facile, note notre source. Pour les Turcs, ils ne connaissent pas les subtilités de la crise malienne.

Dans ce contexte extrêmement complexe, à Alger, on raille les déclarations des autorités maliennes sur l’existence d’un agenda caché de l’Algérie qui fait de la médiation pour résoudre la crise malienne depuis 33 ans.

« L’Algérie n’a aucun agenda caché au Mali. Si c’était le cas, il aurait déjà été appliqué. L’Algérie travaille pour la réconciliation et le développement du Mali. Son intérêt stratégique est la stabilité du Sahel. C’est une question de sécurité nationale », explique notre source.

Au-delà des ambitions des putschistes de rester au pouvoir le plus longtemps possible puisqu’ils ne parlent plus de transition, ni d’élections présidentielles, le Mali est aujourd’hui au bord du gouffre. La dénonciation de l’accord d’Alger par la junte militaire va plonger le Mali dans les affres de la guerre civile, avec des conséquences graves sur l’ensemble de la région.


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               Bellicisme

                              par Abdelkrim Zerzouri

Quelle évolution des relations entre l’Algérie et le Mali à l’ombre des dernières évolutions enregistrées ces derniers jours ?

Malgré une tendance claire à vouloir rompre la bonne entente qui a toujours caractérisée les relations entre les deux pays, reflétée par plusieurs signes avant-coureurs, ces deux dernières années, à l’enseigne du refus quasi-systématique de toute initiative tendant à relancer la mise en œuvre de l’Accord d’Alger pour la Paix et la Réconciliation au Mali, leur contestation de l’intégrité de la médiation internationale, leur désignation de signataires de l’Accord, dûment reconnus, comme dirigeants terroristes, et leur exigence qui a mené au retrait de la MINUSMA, les dirigeants maliens n’ont pas réussi à faire sortir l’Algérie de sa légendaire retenue.

L’Algérie est restée imperturbable face à la montée des hostilités manifestées par les Autorités maliennes, qui n’arrivent plus à cacher un sentiment inexpliqué et injustifié, comme si elles étaient poussées par d’autres parties à pousser le bouchon plus loin.

Et, elles y sont arrivées dans la soirée du jeudi 25 janvier, quand elles ont déclaré brutalement « la fin avec effet immédiat » de l’Accord d’Alger. Un faux pas qui explique, on ne peut mieux, le changement du langage par le gouvernement de Transition malien envers son voisin du nord. Pis encore, on pointe des « actes d’hostilité et d’instrumentalisation de l’Accord, de la part des Autorités algériennes dont le pays est le chef de file de la médiation ». Le Mali efface quasiment tout dans cet emportement, y compris « l’incapacité de la médiation internationale jugée par Bamako « incapable d’assurer le respect des obligations incombant aux groupes armés signataires » de l’Accord d’Alger. Alger a tant ménagé ses relations avec le Mali durant ces dernières semaines, mais il était planifié d’enterrer l’Accord d’Alger, voire d’aller à la radicalité et à la provocation pour couper les ponts. Après, Alger a répliqué, en commençant par appeler les choses par leurs vrais noms. Alger n’ignore rien à propos de « l’intensification récente des programmes d’armement (des autorités maliennes) financés par des pays tiers et leur recours à des mercenaires internationaux », souligne un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

Maintenant, ne faut-il pas rappeler également ce qu’il en était du temps de la présence de la MINUSMA au Mali, où l’on continuait à soutenir l’Accord d’Alger comme moyen de règlement pacifique des différends avec les populations du Nord (une vision soutenue par l’ONU), et ce qu’il en est maintenant de cet Accord après son retrait et l’arrivée de ces mercenaires ? Le retrait de la MINUSMA devait, immanquablement, provoquer de graves perturbations sécuritaires. Alger prend à témoin l’opinion malienne, soulignant que « des décisions aussi malheureuses et aussi malvenues ont prouvé, par le passé, que l’option militaire est la première menace à l’unité et à l’intégrité territoriale du Mali, qu’elle porte en elle les germes d’une guerre civile au Mali, qu’elle diffère la réconciliation nationale au lieu de la rapprocher et qu’elle constitue, enfin, une source de menace réelle pour la paix et la stabilité régionales ». Tout a été dit ?


 

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