L’Algérie de mes rêves et la liberté d’expression

 

Par Arezki Ighemat, Ph.D in economics

Master of francophone literature (Purdue University)

 

« Dans un pays comme le nôtre, le besoin d’être informé devient aussi pressant que celui du pain. […] Voilà pourquoi notre jeunesse explose périodiquement. Le peuple supporte tout, mais ne peut supporter le mensonge. Les Algériens sont humiliés d’apprendre quotidiennement ce qui se passe chez eux par une radio ou une télévision étrangère. […] Nous ne sommes informés que par es sources étrangères » (Kateb Yacine, « Le poète comme un boxeur, Entretiens, 1938-89 »).

« If we don’t believe in freedom of speech with people you disagree with, you don’t believe in freedom of speech at all” (Noam Chomsky)

L’Algérie de mes rêves est une Algérie où :

– L’opinion n’est pas considérée comme un délit, mais un droit tel que reconnu par la Constitution et respecté par le Pouvoir Exécutif,

– une Algérie où l’analyse de l’histoire de notre pays (toute son histoire), de sa situation sur tous les plans (économique, social, culturel, linguistique, politique, et autres) est librement effectuée par les chercheurs algériens sans que ceux-ci soient harassés ou obligés d’aller dans la direction dictée par les autorités,

– une Algérie où la peur et la censure ne sont pas érigées comme un instrument pour décourager ou freiner la recherche de la vérité sur les faits et actions des autorités gouvernantes,

– une Algérie où toutes les libertés—de presse, de conscience, de mouvement et de rassemblement sont reconnues tel que la Constitution le stipule et appliquées par les autorités dirigeantes conformément à la loi,

– une Algérie où l’expression d’une opinion—que ce soit sur les médias sociaux, dans les journaux, dans les livres, et sur les médias audiovisuels et digitaux—ne conduit pas son auteur à la censure, à la prison ou à l’exil,

– une Algérie où les falsifications et la divulgation de contre-vérités—quelle que soit leur fausseté et quels que soient leurs auteurs—sont appréciées et jugées uniquement par l’opinion publique elle-même, représentée par les experts dans le domaine objet de falsifications ou de déformations,

-une Algérie qui n’interdit pas l’entrée et la sortie du territoire national aux Algériens de l’intérieur comme de la Diaspora pour avoir simplement exprimé une opinion sur un personnage politique ou sur l’opinion émise par toute autre personne, à condition de ne pas être diffamatoire ou insultante,

– une Algérie où la presse, la télévision, et les autres moyens d’information, sont libres de publier des articles, des reportages et des opinions sans que la tutelle, à quelque niveau que ce soit, n’exerce aucune sorte de pression ou de censure conduisant à l’interdiction de leur publication,

– une Algérie où l’information circule librement et où la transparence est de rigueur afin de permettre à nos chercheurs et dirigeants, dans tous les secteurs, de prendre des décisions en connaissance de cause,

– une Algérie où le type de débats, comme celui que nous avons aujourd’hui, pourrait avoir lieu à l’intérieur-même de notre pays et qui ne serait pas l’occasion d’accuser les participants d’être contre leur pays alors que ce sont peut-être ceux qui le portent plus dans leur cœur parce que précisément loin de leur patrie adorée,

– une Algérie où le débat devienne une tradition—comme c’était le cas dans les décennies 60, 70 et 80—et où il est considéré comme bénéfique pour le pays et non comme opposé à ses intérêts,

– une Algérie, enfin, où les dirigeants écoutent les opinions de leur peuple, même si celles-ci ne vont pas toujours dans le même sens que les leurs.

Force est de constater, malheureusement, que la situation dans notre cher pays est loin d’avoir réussi, après plus de 60 ans d’indépendance, à réaliser ne serait-ce qu’un des rêves précédemment cités qui, pourtant, sont les rêves-mêmes des pères fondateurs de la Révolution du 1er Novembre 1954.

L’Algérie a besoin, aujourd’hui plus que jamais, d’inscrire toutes ces revendications du peuple dans une nouvelle feuille de route si on veut qu’elle se mette, une fois pour toutes, sur le chemin d’un pays en voie de prospérité, inclusif à l’intérieur, et ouvert sur le monde.

Si une telle feuille de route n’est pas mise en branle dans les années qui viennent–et le plus tôt serait le mieux–l’Algérie continuera à souffrir de crises cycliques et récurrentes qui l’empêcheront d’atteindre le niveau des pays émergents qui ont réussi leur développement socioéconomique et leur entrée dans le cercle des pays démocratiques.

Noam Chomsky, le célèbre linguiste et militant politique américain n’a-t-il pas dit : « SI LA LIBERTE D’EXPRESSION SE LIMITE AUX IDEES QUI NOUS CONVIENNENT, CE N’EST PAS LA LIBERTE D’EXPRESSION ».

Je terminerai mon propos par ces mots de notre illustre écrivain Kateb Yacine écrits en 1994 dans son ouvrage intitulé « Le poète comme un boxeur, Entretiens, 1938-89 » :

« La liberté d’expression exige l’indépendance […] Le seul juge, en principe, ce devrait être le public […] Cela ne devrait pas empêcher, si le Pouvoir est révolutionnaire, de travailler dans le sens de la Révolution, de prendre des responsabilités, mais SANS JAMAIS perdre son esprit critique, et sans jamais se prendre pour un homme politique ».

[..] Dans un pays comme le nôtre, le besoin d’être informé devient aussi pressant que celui du pain. […] Voilà pourquoi notre jeunesse explose périodiquement. Le peuple supporte tout, mais ne peut supporter le mensonge. Les Algériens sont humiliés d’apprendre quotidiennement ce qui se passe chez eux par une radio ou une télévision étrangère. […] Nous ne sommes informés que par es sources étrangères ».

Kateb Yacine ajoute : « Si maintenant nous laissons l’oppression et l’hypocrisie s’installer, les Algériens hériteront une Algérie pire que celle que nous avons connue au temps du colonialisme [..] Pour moi, je ne rate pas l’occasion de me prononcer, que ce soit sur le problème berbère, les femmes, le socialisme, la Révolution Agraire, et mille autres choses qui se passent dans notre pays »

Il termine en disant : « Nous ne sommes pas dans une Algérie idyllique, une Algérie de nos rêves. Nous sommes dans une Algérie qui est réelle et qui est inévitable. Pour nous, il est vital de lutter. Cela n’est pas un choix, ni une vision purement intellectuelle, mais une lutte qui nous est imposée ».

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