Costa Rica : la pura vida toujours aussi pure?

Eugénie Larente-Richer, analyste en formation,
École de politique appliquée, Faculté des lettres et sciences humaines,
Université de Sherbrooke
/ 23.04.2019 /

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La paix semble troublée en 2019 au sein du petit pays d’Amérique centrale qu’est le Costa Rica, pourtant connu pour son pacifisme et le bien-être élevé de sa population. En effet, depuis quelques mois maintenant, le Costa Rica, ainsi que son nouveau président Carlos Alvarado, doivent faire face à des problèmes à la fois sociaux et économiques qui perturbent la tranquillité du pays. La crise politique au Nicaragua et la récente réforme fiscale lancée par Alvarado lui-même font notamment partie du lot. 

De nombreux migrants nicaraguayens cherchent l’exil au Costa Rica afin de fuir les tensions qui font rage dans leur pays natal. Toutefois, ils ne font pas face à un accueil des plus chaleureux. Quelles sont les conditions d’accueil de cette vague de migrants et quelle est son influence sur le contexte politique au Costa Rica

Le Nicaragua en proie à une crise politique 

Les tensions sociales au Nicaragua ont débuté en avril 2018, à la suite d’une mauvaise gestion du gouvernement des feux de forêts dans l’une des plus grandes réserves naturelles du pays, Indio Maiz (1). Ces évènements ont suscité la grogne de la communauté étudiante et de certains environnementalistes, donnant lieu à des manifestations pacifiques rapidement dissoutes par le gouvernement sandiniste de Daniel Ortega (2). 

Dans les jours suivants, le président Daniel Ortega a annoncé, sans consultations préalables, une réforme des pensions qui engendrerait une déduction supplémentaire de 5 % (3). Cette réforme aurait pour but de couvrir les frais médicaux, alors que leur gratuité est pourtant garantie par l’article trois de la loi sur la sécurité sociale. Le mouvement initial de protestations porté par des étudiants a rapidement pris de l’ampleur pour s’étendre à plusieurs villes du pays et rejoindre un plus grand auditoire, tels que des travailleurs et des retraités (4). 

Le 22 avril 2018, Ortega a finalement retiré son projet de réforme. Toutefois, ce geste n’a pas suffi à calmer les tensions sociales (5). Lors de la Marche pour la paix et la justice organisée par l’Église catholique le 28 avril dans la capitale Managua, la population en est venue à demander le départ du président Ortega, au pouvoir depuis 2006, et de son épouse, Rosario Murillo, vice-présidente depuis 2017. Le peuple nicaraguayen revendique alors une réforme du système électoral qui pourrait le mener vers une véritable démocratie (6). 

À ce jour, plus de 300 Nicaraguayens ont perdu la vie dans les manifestations et dans les affrontements contre les forces gouvernementales. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), Amnistie internationale et la Commission interaméricaine pour les droits humains (CIDH), le gouvernement nicaraguayen a clairement commis des violations des droits humains envers sa population(7). Les citoyens qui critiquent ouvertement le gouvernement font notamment partie des victimes et plusieurs médias ont également été censurés. Ces conditions ont donc mené à la migration de plusieurs Nicaraguayens vers des lieux plus sûrs, or leur accueil n’est pas toujours celui qu’ils ont souhaité (8). 

Vers un avenir meilleur ? 

Les tensions politiques qui ont cours depuis maintenant presque un an au Nicaragua ont forcé près de 40 000 Nicaraguayens à chercher refuge au Costa Rica (9). C’est le plus grand exode de population en Amérique centrale depuis l’époque des guerres civiles au Guatemala, au Salvador et au Honduras dans les années 80 (10). Devant cet afflux de migrants, le Costa Rica essaye de faire de son mieux afin de les accueillir dans des conditions de vie décentes.

Toutefois, selon Luis Vargas, commissaire pour la CIDH, « il y a des gens qui meurent de faim et qui n’ont pas de logement. En dépit des efforts déployés par le gouvernement du Costa Rica pour tenter de leur fournir un abri, les migrant disent qu’ils vivent dans des situations très précaires» (11). 

Des abris ont été construits à la frontière afin de mieux recevoir les migrants, mais cette mesure n’est pas suffisante. Certains Nicaraguayens ont relaté aux médias costaricains vivre dans des conditions de vie très précaires. En effet, certains d’entre eux sont contraints de dormir dans des parcs ou de vivre dans des maisons de fortune surpeuplées à l’extérieur de la capitale, San José (12). 

Les logements précaires ne sont pas le seul obstacle auquel les réfugiés nicaraguayens doivent faire face. En effet, ils doivent également affronter une certaine xénophobie ambiante, comportement pourtant rare au Costa Rica. En aout 2018, une centaine de manifestants arborant des croix gammées ont défilé dans San José et ont attaqué un rassemblement de migrants nicaraguayens. Les manifestants, en possession d’armes blanches et de bombes maisons, entonnaient des slogans racistes à l’endroit de leurs voisins du Nord (13). 

Le contexte fiscal trouble ainsi que le pessimisme politique au Costa Rica sont des terreaux fertiles pour faire germer la xénophobie. Selon les manifestants, les migrants nicaraguayens exacerberaient la tension sur le marché de l’emploi et seraient la cause de l’augmentation de la criminalité au pays. Les chiffres démontrent pourtant que 90 % des personnes incarcérées sont d’origine costaricaine (14). 

Lorsque nouveauté ne rime pas avec popularité 

Le nouveau président Carlos Alvarado, considéré de centre-gauche, ne fait pas l’unanimité malgré sa récente élection. Selon un sondage réalisé par une firme costaricaine, 75 % de la population aurait une opinion négative de sa gouverne (15). 

Il est important de mentionner qu’Alvarado est arrivé au pouvoir avec une situation économique difficile, la pire depuis les quarante dernières années, avec un taux de chômage de 8 % et une dette qui avoisine les 7 % du produit intérieur brut (PIB) (16). Ainsi, ce dernier se doit d’y remédier, mais la manière dont il entend s’y prendre ne fait guère l’unanimité. 

La réforme fiscale qu’il avait promis de lancer dans les cent premiers jours de son mandat a suscité la grogne des fonctionnaires de tous horizons et a mené à des grèves syndicales, un comportement très inhabituel au Costa Rica. Cette réforme fiscale se traduit notamment par une hausse de taxes sur plusieurs biens de consommation et des impôts sur le salaire des employés de l’État (17). 

De plus, aux yeux de Carlos Alvarado, fermer les frontières et se laisser atteindre par la peur n’est pas la solution. En effet, ce dernier croit qu’il est important de maintenir un politique de bienvenue pour les migrants nicaraguayens qui fuient pour leur sécurité et qui, par ailleurs, ne cherchent pas définitivement à rester au pays (18). 

Ces derniers occupent également des emplois dans des domaines peu prisés et temporaires, tels qu’en construction, en agriculture ou en services domestiques, par exemple. Ils n’augmentent donc pas nécessairement la tension sur le marché du travail, contrairement à ce que plusieurs Costaricains semblent penser (19). Le présidenttente de naviguer à travers ces eaux troubles tout en maintenant une politique de bienvenue pour les migrants, mais ce n’est pas chose facile. 

Carlos Alvarado se retrouve dans une situation précaire, alors qu’il ne possède que dix députés au Parlement et que la majorité de ses ministres proviennent de d’autres partis. Cette stratégie de nommer des ministres de diverses allégeances politiques ne lui a d’ailleurs pas nécessairement garanti un meilleur appui jusqu’à date (20). Il sera peut-être forcé de changer son fusil d’épaule et de retirer sa proposition de réforme fiscale, face à une trop grande pression populaire et un manque d’appui politique. 

De surcroît, le passage à la frontière devra peut-être être plus régulé face à un trop grand afflux de migrants. Selon Raquel Vargas, ministre de l’Immigration, si la crise politique au Nicaragua persiste et s’empire, le Costa Rica devra avoir recours à de l’aide internationale, alors que cette dernière est surtout dirigée vers le Venezuela et le Nicaragua lui-même (21). Ainsi, le Costa Rica doit pour le moment affronter seul cette crise en devenir, tout en composant avec une situation interne difficile. L’historique pacifisme du pays semble peu à peu s’estomper. 

Médiagraphie 

(1) Commission interaméricaine pour les droits de l’homme, « Gross Human Rights Violations in the Context of Social Protests in Nicaragua », Observatoire des États américains, 21 juin 2018,[hyperlien] class=’liendanstexte’ href=’/bilan/servlet/BMPays?codePays=NIC’>Nicaragua2018-en.pdf, (27 février 2019). 

(2) Loc. cit. 

(3) Loc. cit. 

(4) Loc. cit. 

(5) Ausloos, Manuel, « La crise politique au Nicaragua en 9 dates clés », Le Monde, le 24 août 2018, [hyperlien] (27 février 2019). 

(6) Loc. cit. 

(7) Agencias, « La ONU acusa al Gobierno de Nicaragua de violaciones generalizadas de los derechos humanos », El País, 29 août 2018, [hyperlien] ( 28 février 2019). 

(7) Amnistie internationale, « Les autorités doivent garantir les droits humains des personnes fuyant la crise au Nicaragua », 25 mars 2019, [hyperlien] (27 mars 2019). 

Commission interaméricaine pour les droits de l’homme, op. cit. 

(8) Loc. cit. 

(9) Carlos Salinas, « El otro éxodo centroamericano: 40.000 nicaragüenses se refugian en Costa Rica », El País, 15 novembre 2018, [hyperlien] ( 27 mars 2019). 

(10) Loc. cit. 

(11) Loc. cit., traduction libre de l’auteure. 

(12) Loc. cit. 

(13) Álvaro Murillo, « La economía y la inseguridad, las claves de la xenofobia en Costa Rica contra los refugiados nicaragüenses », El País, 23 août 2018, [hyperlien] (27 mars 2018). 

(14) Loc. cit. 

(15) Loc. cit. 

(16) Banque mondiale, « Chômage, total (% de la population) (estimation modélisée OIT), [hyperlien] (29 mars 2019). 

(16) Álvaro Murillo, op. cit. 

(17) Álvaro Murillo, « Crece la tensión en Costa Rica por una huelga contra el plan fiscal del Gobierno », El País, 14 septembre 2018,[hyperlien] (29 mars 2019). 

(18) Álvaro Murillo, « « La economía y la inseguridad, las claves de la xenofobia en Costa Rica contra los refugiados nicaragüenses », op. cit. 

(19) Álvaro Murillo, « Cientos de manifestantes marchan en Costa Rica en apoyo a los refugiados nicaragüenses », El País, 26 août 2018, [hyperlien] ( 29 mars 2019). 

(20) Álvaro Murillo, « « La economía y la inseguridad, las claves de la xenofobia en Costa Rica contra los refugiados nicaragüenses », op. cit. 

(21) Carlos Salinas, op. cit. 


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