Comment espionnait-on au Moyen Âge ?

   
 Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement, Ambrogio Lorenzetti, Sienne (détail) ©Getty - DEA/G. Dagli Orti
Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement, Ambrogio Lorenzetti, Sienne (détail) ©Getty – DEA/G. Dagli Orti
Résumé

Comment et dans quelles circonstances a-t-on pratiqué la guerre secrète tout au long du Moyen Âge ? L’importance du renseignement pour la géopolitique et la diplomatie ne date ni d’aujourd’hui, ni même de l’avènement des États modernes.

avec :

Eric Denécé (Directeur du Centre français de recherche sur le renseignement et de sa société de conseil en Risk Management).

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Il est parfois dit de l’espionnage qu’il est l’autre « plus vieux métier du monde » tant le besoin de savoir ce qu’il se passe (dans le territoire voisin, du côté de son ennemi, au sein de son peuple) est impliqué par la moindre forme de pouvoir politique organisé. Qu’il s’agisse de rapporter des informations sur un état des forces armées ou d’intercéder en douce sur le cours des choses, l’existence de services secrets dûment constitués est régulièrement attestée tout au long du Moyen Âge.

Renseigner, désinformer, échauffer les esprits… à bien des égards, les missions prêtées aux services secrets n’ont pas tellement varié entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine. Ainsi en va-t-il de l’Empire byzantin s’employant à déjouer la guerre en alliant efforts diplomatiques et actions secrètes, ou des Vikings qui établirent des comptoirs sur les rives dont ils s’emparaient, lesquels servaient à faire remonter des informations utiles aux expéditions suivantes… On retrouve même de nombreuses similitudes entre un pan de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant et l’opération « Fortitude » précédent le débarquement de 1944.

Quelles techniques étaient mises en application, par quels agents et pour quels enjeux géopolitiques ? Considérer ces questions pour une période aussi étendue que le Moyen Âge, c’est observer la constitution des Etats et les relations qui unissent ou opposent des puissances mitoyennes dans le temps long, réfléchir au-delà de ce que des circonstances contingentes permettent de se figurer.

L’Enfer de Dante est dans la Pièce jointe de Romain de Becdelièvre : il se demande lequel de ses cercles y est destiné aux espions.

L’invité : Éric Denécé est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R). Il est notamment a notamment coordonné l’écriture de Renseignement, médias et démocratie (Ellipses, 2009) et co-signé une Histoire mondiale de l’espionnage avec Gérard Artboit (éditions Ouest France, 2010), ou Les Services secrets au Moyen Âge avec Jean Deuve (réédité chez Tallandier, 2022).


http://www.decitre.fr/gi/62/9782737354762FS.gif      Document du 28/09/2011 – Les Vikings, toujours moins nombreux que leurs adversaires, sont les premiers à recourir systématiquement à la reconnaissance et au renseignement pour obtenir l’effet de surprise maximum au cours de leurs raids.

Les Normands, forts de l’expérience viking, ne cesseront d’avoir recours à l’espionnage comme pour la conquête de l’Angleterre et de la Sicile.

En Méditerranée, Byzance dispose d’une longue et solide tradition de l’action clandestine que les Croisades mettent en lumière. Des grandes invasions à la guerre de Cent Ans et à la prise de Constantinople, le Moyen Âge est le théâtre d’une intense guerre secrète où toutes les techniques de l’espionnage moderne sont pratiquées : éclairage, écoute des conversations, interception de courriers…

ÉRIC DENÉCÉ

Docteur en sciences politiques, Éric Denécé a été consultant pour le ministère de la Défense. Depuis 2000, il dirige le Centre français de recherche sur le renseignement. Parallèlement, il enseigne à l’université de Bordeaux IV.

JEAN DEUVE

Officier de renseignement, Jean Deuve participe à la campagne de France (1940), Après la guerre, il dirige le service de renseignement des forces françaises du Laos. Il termine sa carrière comme directeur du renseignement du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), l’ancêtre de la DGSE.

  • Les courts extraits de livres : 28/09/2011

 

RENSEIGNEMENT ET OPÉRATIONS SPÉCIALES DE L’ANTIQUITÉ AU DÉBUT DU MOYEN ÂGE

LE RENSEIGNEMENT DURANT L’ANTIQUITÉ

L’espionnage est de tous les temps. Il est indissociable de l’art de la guerre, de la diplomatie, de la police et du commerce. Aussi loin que l’on remonte dans l’Histoire, l’observateur perspicace découvre l’existence d’organisations secrètes au service des souverains, chargées de leur apporter des renseignements sur les contrées qu’ils prévoient d’envahir ou de les tenir informés sur l’état d’esprit de la population et sur les complots que préparent, dans l’ombre, leurs rivaux. Les premiers âges de l’Histoire révèlent ainsi les traces de pratiques d’espionnage et témoignent de l’existence d’organisations de renseignements.

En Égypte, les pharaons disposent d’espions chez les peuples voisins de Nubie et d’Assyrie. Thoutmosis II et Aménophis II (XVe siècle av. J.-C.) entretiennent un puissant réseau d’informateurs et de délateurs en Égypte pour connaître les complots contre leur trône. Ramsès II (XIIIe siècle av. J.-C.) pratique la torture contre les prisonniers de guerre dans un but de renseignement militaire. Ses ennemis hittites sont également experts dans ces pratiques d’espionnage, de tromperie et de contre-espionnage. Ils semblent même avoir l’avantage. Mais leur maîtrise des techniques de la guerre secrète n’est pas suffisante : lors de la bataille de Kadesh (1468 avant J.-C), ils sont vaincus par l’armée du pharaon.

L’Ancien Testament rapporte également que Moïse, avant de s’installer en Terre promise avec son peuple, envoya des agents en reconnaissance : «Dirigez-vous de ce côté, vers le midi, et vous monterez sur la montagne. Vous verrez le pays, ce qu’il est et le peuple qui l’habite, s’il est fort ou faible, s’il est petit ou grand en nombre…» (Livre des Nombres, XIII, 18-21).

Les Perses pratiquent aussi assidûment le renseignement sous toutes ses formes : espionnage, contre-espionnage et déstabilisation de l’adversaire. Ils payent fréquemment une partie des tribus du camp ennemi – y compris chez les Grecs – afin qu’elles désertent le champ de bataille au moment du combat. Signe de l’importance accordée à la connaissance des secrets adverses, l’empereur Darius (vie siècle av. J.-C.) crée un véritable « ministère du renseignement ».

Face à lui, les Grecs ne négligent nullement la recherche de l’information, même s’ils se limitent souvent, comme Alexandre, à des reconnaissances militaires de cavalerie légère. Toutefois, c’est dans l’art des stratagèmes qu’ils excellent. Dans le Testament d’Aristote à Alexandre, il est possible de lire ces mots : «Ô roi, ne commence pas une guerre de ton plein gré, quelles que soient ta puissance et la faiblesse de ton ennemi. Emploie les stratagèmes pour arriver à tes fins, car ils te permettront conquête la plus paisible et la plus satisfaisante.» Ainsi, les Grecs sont à l’origine de la culture occidentale de la tromperie, composante essentielle de la guerre secrète. À partir du XIe siècle av. J.-C, ils inventent la mètis, forme d’intelligence rusée usant de subterfuges, d’illusion et de déguisement, véritable art de manipulation de la réalité.

 

Auteur : Éric Denécé | Jean Deuve

Date de saisie : 28/09/2011

Genre : Histoire

Editeur : Ouest-France, Rennes, France

Collection : Poche espionnage

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